45. CELUI QUI AVAIT UN PLAN
Le mois de juin était arrivé sans crier garde, et déjà, je me voyais dans un gymnase immense, à composer mes futures épreuves d'examen. Chaque jour, je remettais tous mes choix de vie en question. Avais-je bien fait de tenter ma chance pour une faculté d'histoire ? Je n'en savais rien. Une chose était sûre, j'avais été accepté, on ne me demandait plus que d'avoir mon baccalauréat. Avais-je choisi la bonne filière ? À cette question, j'étais certains de répondre non. Je ne comprenais toujours pas ce que je faisais là, entre les mathématiques qui me faisaient tourner la tête, et l'économie qui e donnait de plus en plus envie e vomir... J'aurais dû filer en filière littéraire, voilà ce que j'aurais dû faire, deux ans plus tôt. Chaque jour je bossais avec Inès et Eden quelques heures. Ce dernier était si organisé, qu'il avait préparé des session fiches, pour qu'Inès et moi nous bougions enfin les fesses pour avoir le précieux sésame. En parallèle, je me défoulais comme un dingue lorsque j'allais au volley. Clairement, je faisais passer toutes mes frustrations dans le sport. Et puis, de temps en temps, Adel m'envoyait des messages pour me dire de relâcher un peu la pression. Et il avait raison, plus j'angoissais sur mes épreuves, moins j'étais bon pour réviser et y aller sereinement.
Eden avait été reçu dans plusieurs de ses choix post-bac. Et quand nos professeurs avaient appris que le génie de notre promotion toute entière n'allait pas en médecine ou en école de commerce, ils avaient tous tenté de le faire changer d'avis. Mais rien à faire, le dada de Eden (en dehors la photographie) c'était l'informatique, et il voulait bosser dedans. Dans quoi exactement, mon cerveau n'avait pas tout bien ingurgité. Quand on le lançait sur le sujet, Eden partait vite, et loin. Mais j'avais compris un truc : il se lançait dans quelque chose de compliqué, mais qui finissait toujours par payer. Et bien en plus de ça. Et Maya, Maya avait passé avec brio l'entretient pour son école. Dès l'an prochain, elle reviendrait vivre sur Bordeaux. J'étais aux anges. Désormais, en plus de ses révisions, ma meilleure amie c'était mise en tête de nous trouver une collocation : elle était inarrêtable.
– Tu veux faire ça avec Maya ? demanda mon père.
Évidement, j'en avais parlé avec mes parents. J'étais à beaucoup plus d'heures de trajet d'ici à ma fac. J'étais loin du centre-ville et du réseau de transport en commun.
– Je me disais que ça serait peut-être une bonne idée... de me rapprocher de ma fac, ou au moins, d'un quartier mieux desservis.
Mon père soupira et ma mère... Ma mère avait l'air triste.
– Et ça vous fera des vacances !
Mon père eut un sourire amusé.
– Louis, nous ne sommes pas contre que tu quittes la maison pour te rapprocher de ta fac, ou faire une collocation avec Maya. Nous savons très bien que cela ne peut que bien se passer. Le souci est financier, ta mère et moi pourrons t'aider évidemment, mais les loyers sont chers et...
– Je travaillerais. Dès ma majorité. J'ai déjà commencé à chercher.
Ma mère haussa les sourcils. Visiblement, je la surprenais. Et en même temps... Il y avait de quoi. J'étais tellement timide qu'aller déposer des CV m'avait parut être la pire épreuve de toute ma vie. Je passais évidemment sous silence que Adel m'avait donné un coup de pied aux fesses et qu'il m'avait accompagné ce jour-là.
– J'ai potentiellement quelque chose pour dès le mois de juillet.
Adieu, vacances d'été tranquille.
– Bon, très bien. Mais je veux faire les visites avec vous.
– Les parents de Maya allaient vous le demander de toute façon..., soupirais-je.
– Parfait.
Mes yeux s'étaient remis à briller d'excitation.
– Et que font Eden et Inès ?
– Inès est déjà sur Bordeaux, et Eden... Il faut que je lui demande. Nous n'avons pas encore abordé le sujet.
– D'accord.
J'avais déjà hâte. Ça avait beaucoup trop simple d'en parler à mes parents. Cela cachait forcément quelque chose.
– Tient, avant que tu ne partes, je voulais que tu saches que nous avions invité ton professeur d'histoire à dîner demain soir. Avec son compagnon et leur petite fille.
– Génial !
Notre professeur n'avait plus jamais été le même depuis son retour. D'abord parce qu'il souriait d'un air niai en permanence, ensuite parce que je le voyais bien : il avait franchi une étape importante de sa vie. Moi qui n'aimais pas les enfants, j'avais tout de même compris ça.
– Tu seras là ?
– Je... Oui. Je ne rentrerais pas trop tard après mon entraînement.
– Pas de virée nocturne de prévus ?, lança ma mère.
– Maman...
– Pourrait-on au moins savoir chez qui tu vas passer tous tes week-ends depuis un bon mois ?
Je haussais des épaules.
– Ne vous inquiétez pas.
Ma mère n'eut pas l'air du tout convaincu par ma réponse. En même temps, elle était sacrément nulle, ma réponse. Mon père eut l'air vaguement amusé, mais bien vite, reprit son air sérieux.
– Est-ce que nous pourrions aurions connaître le prénom de ce garçon ? demanda-t-il.
Je baissais les yeux, soudain très nerveux. Évidement qu'ils n'étaient pas dupes.
– Sacha n'a rien voulu nous dire, et nous savons qu'elle est au courant.
Alors, plus ou moins, avais-je envie de leur répondre. Mais, merci Sacha, tu est vraiment une petite sœur en or.
– Nous le connaissons ?
– Plus ou moins, bougonnais-je.
Mère mère eut l'air perplexe. Je levais les yeux vers mon père. Merde. Il avait deviné. Parce que mon père avait déjà vu Adel une fois, ou deux, et que merde, il avait une sacré bonne mémoire. Mon plus ou moins lui avait donné la bonne réponse sans que je ne le veuille.
– C'est le garçon aux origines chinoises ?, demanda-t-il, le sourire aux lèvres.
J'eus envie de me taper la tête contre un mur, mais je ne le fis pas. C'était bien une remarque de papa ça. Il voulait me montrer qu'il avait bien compris de qui il s'agissait, en me prouvant qu'il avait même retenue à quoi il ressemblait sauf que... Comme tous les adultes de son âge, pour lui, la Chine était égale à l'Asie toute entière. Je soufflais, un peu exaspéré. Ce n'était pas méchant de sa part – parce que clairement, il pensait avoir vu juste – c'était juste maladroit.
– Coréen papa, coréen... Son père est français, sa mère est coréenne.
– Ah !
Il tapa du poing dans sa main, un air illuminé sur le visage.
– Je ne vois pas qui est ce garçon..., marmonna ma mère.
– Mais si, chérie. Le garçon qui est venu quelques fois le chercher ici en voiture. Et c'est celui qui a fait visiter la fac à Inès ! Je crois aussi l'avoir aperçu à un match de volley.
Bon sang de bonsoir. Mon père avait sérieusement retenu tout ça ? Ma mère fit une moue, à moitié convaincue.
– Il n'est pas dans ta classe...
– Non maman, il est à la fac.
Elle ouvrit de grands yeux.
– En première année., m'empressais-je de dire.
– Ah.
Ce n'était clairement pas le moment pour moi de me recevoir une morale du genre « tu sors déjà avec des garçons, ne pousses pas le bouchon en sortant avec des gens trop vieux pour toi mon chérinou ! ». Parce que oui, elle en était capable sans penser à mal, je le savais.
– J'aimerai bien le rencontrer.
– Sérieusement ?
– Oui.
– Non !
– Pourquoi ?
– Parce que... euh... c'est récent. Et pas vraiment officiel et euh...
– Ah, vous les jeunes, vous vous faites de sacré nœuds au cerveau !, lança mon père avant de s'éloigner en rigolant.
Oui, il avait raison. Nous nous faisions de sacré nœuds au cerveau. Pourquoi était-on incapable de gérer des affaires aussi simples ? Ma mère arrêta de râler, et fini par capituler, comprenant que, de toute façon, je n'irais pas plus loin. Je lui demandais juste d'être discrète et de garder ça pour elle, ce qu'elle me promit de faire.
* * *
– Et c'est passé comme ça ? Sans rien dire de plus ?
Adel était perplexe face à la réaction de mes parents.
– Oui. Tout simplement. Je suis aussi étonné que toi...
Je le regardais sortir son gratin de pâtes de son tout petit four, le tout en se brûlant les doigts parce que monsieur était têtu, et continuait d'utiliser des torchons de cuisine pour ce genre de chose. Quand allait-il comprendre que les gants de cuisine avaient été inventés pour éviter les brûlures de la sorte ? Il posa le plat sur sa table et l'inspecta quelques instants, visiblement déçu du résultat.
– C'pas super gratiné tout ça.
Il me fit sourire. Adel aimait la cuisine, mais la cuisine ne l'aimait pas. Pourtant, il suivait les recettes à la lettre, sans jamais se tromper. Et les résultats n'étaient presque jamais là.
– Mais on s'en fiche si c'est bon, non ?, se reprit-il.
– Carrément.
Nouveau sourire et il passa une main dans ses cheveux pour dégager sa frange trop longue. Un jour, j'allais vraiment finir par me saisir d'une paire de ciseaux pour couper tout ça. On passa le reste du repas à parler de cette saga de manga que nous aimions tous les deux (bien que nous n'étions clairement pas d'accord sur la destinée du héro qu'il trouvait trop cliché, et que je trouvais parfaite). Finalement, son plat n'était pas mauvais. Il était même très bon.
– Tu restes ce soir ?
– J'ai cours demain...
– Je peux t'amener.
Et puisque j'étais incapable de résister à la bouille angélique qu'il m'offrait, je me sentis obligé d'accepter son offre, pour son plus grand bonheur. Je lui fis promettre de ne pas nous coucher à pas d'heure. J'avais encore quelques jours de cours, de révisions intenses avec mes professeurs, je devais en profiter avant d'être tout seul.
– Louis, je peux te poser une question carrément indiscrète ?
J'avais un peu peur du genre de question indiscrète que Adel pouvais me poser, mais je lui fis signe de continuer.
– Tu as déjà été attiré par les filles ?
Je me redressais un peu dans son lit pour l'observer. Il était vrai que nous n'avions jamais abordé ce sujet. Celui de ma sexualité, et de la sienne. D'abord parce que j'étais une personne beaucoup trop pudique pour ça, et ensuite, parce que l'occasion ne s'était jamais vraiment présenté.
– Non.
– Genre, t'as jamais eus de coup de cœur ou quoi, même en troisième section de maternelle ?
Je rigolais, en voyant son air moqueur.
– Même pas. Franchement, je n'ai jamais rien trouvé de très attirant chez la gente féminine. Enfin, j'veux dire... Je trouve des tas de filles jolies, mais ça s'arrête là.
– Genre Inès.
– Ouais, genre Inès.
– C'est pour ça que tu es sortis avec elle ?
Argh. Elle lui en avait déjà parlé.
– J'essayais de me persuader que j'étais... dans la norme.
Adel pencha la tête sur le côté, intrigué.
– Oui, je sais, c'est bidon. Mais je voulais vraiment être comme tous les autres garçons de ma classe. Et être attiré par les gars ça... ça me faisait peur. Je crois.
– Mmh, je comprends. J'ai eu aussi cette légère appréhension au lycée. Et puis finalement...
– Et toi, avant Eden ?
– Rien du tout. Sortir avec gars, faire des trucs avec un gars... ça ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Je m'en fichais totalement, je crois. Je ne m'étais jamais posé la question.
Tout avait l'air si simple chez lui. J'étais un peu jaloux de ça. Pour moi, tout m'avait paru si compliqué ! Il se rapprocha un peu de moi et passa une main sur ma joue et esquissa un sourire.
– Tu sais, je dis ça avec le sourire, mais ça ne m'a pas empêcher de m'interroger. C'est humain de s'interroger sur ce que nous sommes. Au départ, j'ai eu des doutes, tu sais... Je sortais d'une relation de deux ans avec une fille dont je pensais être fou amoureux. J'avais beau me dire que nous n'étions qu'au lycée, que cela n'allait pas durer, que je me faisais des idées... Je ne sais pas, sur le coup, je me disais qu'elle était le grand amour de ma vie. J'ai mis des mois à me remettre de notre rupture.
– Qui est cette fille qui a osé te briser le cœur ?, pouffais-je.
– Oh, tu la connais déjà.
J'ouvris des yeux ronds. Ça ne pouvait pas être...
– Attends, tu m'as dit que tu étais sorti avec elle, mais j'avais cru comprendre que ça avait été rapide...
– C'est ce que tu en avais déduit ? Ha ha, non. Pas du tout. Je pensais vraiment que Louise et moi c'était pour la vie. Au final, oui, c'est pour la vie. Nous sommes très proches, elle n'est pas ma meilleure amie pour rien. En dehors de Eden, rare sont les gens qui me connaissent aussi bien.
– C'est elle qui a tout arrêté... entre vous ?
– Mmh.
Je lui collais un baiser sur la joue, comme pour le consoler.
– Mais elle a bien fait. Louise, c'était ma première vraie copine. Toute mes premières expériences. On est allé beaucoup trop vite, on a grillé un tas d'étapes... d'un certains côté, ça nous a aidé à grandir. Mais elle a eu raison, elle et moi, ça ne pouvait pas fonctionner comme ça. Louise est une fille qui a envie d'être seule. Elle ne supporterait pas de vivre avec quelqu'un, tu vois ?
– Je crois oui...
– Elle est spéciale, mais c'est pour ça que je l'adore. Comme toi tu adores Maya.
– Il n'y a jamais rien eu entre Maya et moi.
– C'est ce qui est encore plus beau. Une amitié pareille, qui n'a jamais dérapé. Je suis admiratif.
– Et moi je suis admiratif que tu supportes autant Louise.
Adel leva un sourcil.
– Bah quoi, elle est insupportable.
– C'est parce qu'elle estime que tu as volé la place de Eden. Elle adorait Eden. Bon, elle l'a détesté le jour où nous nous sommes séparés, mais... Au fond, ne t'en fais pas, elle t'apprécie. Et puis, c'est plutôt d'elle dont tu devrais être admiratif, me supporter, c'est une épreuve, crois moi.
– Oh, je te crois.
Il me donna une tape sur l'épaule.
– Si de mon côté je ramassais Eden à la petite cuillère quand il était au plus bas, c'était elle qui se chargeait de moi.
Il se tut un instant et soupira. J'avais comme l'impression qu'il avait autre chose à me dire, mais qu'il en avait honte.
– Tu vas me trouver franchement pitoyable..., murmura-t-il.
– Dis pas ça.
S'il savait. Dans quel état émotionnel j'avais été durant toute la fin du mois de décembre dernier, et pendant le mois de janvier...
– Quand j'ai réalisé que tu m'intéressais un peu trop... Tu n'as pas idée de ô combien je m'en suis voulu. J'avais l'impression d'être le pire.
Sa bouche se tordit légèrement et je le pris dans mes bras. Adel se lova contre moi et soupira, dépité.
– Et puis un jour, Eden est arrivé, il m'a annoncé que vous étiez de nouveau amis... j'ai essayé de refouler ça, vraiment. Vous étiez de nouveaux proches, et j'avais l'impression qu'à tes yeux, j'étais toujours l'ex un peu connard et péteux de Eden. Et rien d'autre. Qu'on avait beau se parler, bien s'entendre... J'avais toujours l'impression qu'il y avait une barrière de béton armée entre nous. Et bon sang, ce soir où on nous étions dans l'ascenseur... tu n'as pas idée de l'état dans lequel j'étais, à l'intérieur. Eden a tellement blagué dessus pendant tout le reste de la soirée. Comme si toi et moi, c'était un truc totalement absurde. Ce n'était pas méchant, je le savais bien... J'avais pas été bourré depuis très longtemps, ce soir-là.
Il ricana contre moi, et je l'écoutais, sans cesser de caresser son dos du bout des doigts.
– J'ai couché avec elle. Deux fois de suite. J'avais envie de me persuader que tu étais juste une envie passagère... c'était encore pire après.
Adel se tut, et le silence retomba dans la chambre. Sans m'en rendre compte, je m'étais mis à le serrer un peu plus fort contre moi. Mon cerveau était en train d'assimiler toutes les informations qu'il avait reçu, et avec difficulté. Imaginer Adel avec Louise me révulsa complètement. Leur relation m'échappait totalement. Elle n'avait rien à voir avec celle de Maya et moi.
– Je suis con, hein ?
Je ne sus pas quoi répondre. J'étais mal placé pour lui faire la leçon sur quoi que ce soit. Il releva la tête, visiblement en quête d'une réponse quelconque.
– Mais vous... votre amitié ça...
– Oh, ne t'en fais pas pour ça.
Très bien, je ne m'en faisais pas. S'ils géraient ça comme deux adultes responsables, alors tant mieux.
– Il y a des moments, comme ça, où mon cerveau est complètement éteint. Tu sais, ce genre de moment où tu es tellement dépité par tout ce qui te tombe dessus...
Oh oui, je voyais parfaitement de quoi il voulait parler. Je soupirais, sans cesser d'effleurer son dos. Est-ce que j'avais ressenti un peu de jalousie à l'égard de Louise à cet instant même ? Carrément. Avant de finalement me dire que c'était complètement bidon. Adel n'aimait pas Louise. Enfin, pas de cette manière-là.
– J'me sens vraiment chanceux que tu ne m'aies pas envoyé bouler après tout ce qui s'est passé entre nous.
– Tu rigoles... C'est moi qui aie joué au con avec toi le premier.
Il releva la tête et déposa un baiser chaste sur mes lèvres, avant d'esquisser un sourire.
– Je suis pas très original comme gars, hein ? D'abord une Louise, ensuite un Louis. Je suis resté dans la même gamme de prénom.
– Crétin !
Je lui donnais une pichenette sur le nez, il m'embrassa à nouveau, et il termina par faufiler ses mains sous mon tee-shirt. Bientôt, je me retrouvais plié en deux, sous un assaut de chatouille. Je riais si fort que les voisins devaient nous entendre, mais je n'en avais pas grand chose à faire : Adel avait l'air d'aller beaucoup mieux d'un coup, et c'était tout ce qui comptait.
* * *
Petit chapitre de transition assez calme, mais tout aussi important ! On se dit à demain pour la suite ~
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