42. CELUI QUI AVAIT UNE DISCUSSION

Il eut un nouveau silence dans l'habitacle du véhicule. Silence pendant lequel ni Adel, ni moi, nous lâchions du regard. Je cherchais mes mots, il cherchait les siens. Et ni lui, ni moi, n'osions prendre la parole en premier. J'attendais qu'il dise quelque chose, qu'il fasse le premier pas, et de son côté, il devait espérer la même chose de moi. Une petite voix sournoise me souffla que Eden, lui, aurait tout de suite su comment détendre l'atmosphère. Mais Adel n'était pas Eden. Adel était aussi gauche que moi dans les relations humaines, et je ne cessais de le découvrir un peu plus à chaque minute passée avec lui. Et puis soudain, un petit bruit sec nous arracha tous les deux au silence pesant qui régnait dans la voiture. Du côté d'Adel, une femme en tenue vraiment très légère s'était penché sur sa vitre. Il la descendit, perplexe.

– Oui ?
– C'est pour vous deux ?
– Nous deux quoi ?

Et puis il percuta, et je percutais aussi. 

– Non non !

Une prostituée venait de nous confondre avec d'éventuels clients, sur ce parking quasiment désert. La femme haussa des épaules avant tourner les talons, et Adel remonta sa vitre avec précipitation. Il ne tarda pas à faire tourner le moteur, et à quitter cet endroit au plus vite.

Et puis, ce fut plus fort que moi, au bout de quelques minutes, j'éclatais de rire. Et il m'imita. Quelles étaient les probabilités que ce genre de chose arrive ? Elles étaient faibles, croyez moi, dans ce coin-là de la ville. Et pourtant. 

– Tu aurais vu ta tête !, lançais-je en m'esclaffant.

J'avais les larmes aux yeux, lui aussi, et il peinait à se concentrer sur la route. Quelque part, j'avais envie de remercier cette femme. Elle avait brisé un moment gênant sans le savoir. Le sujet du baiser passa aux oubliettes pendant le reste du trajet, nous y reviendrons, et nous le savions tous les deux. Quand il me proposa de me ramener chez moi, je fis une drôle de moue et il esquissa un sourire. Il avait lu dans mes pensées et plus que jamais, je me sentais proche de lui dans ces moments-là. 

* * *

Le réveil ce samedi matin fut compliqué. Non pas que ma nuit avait particulièrement était longue et éprouvante : nous étions rentrés chez lui, et très rapidement nous nous étions écroulés de fatigue. Mais cette fois-ci, j'avais envoyé un message à mes parents pour les rassurer. On s'était couché sans se mettre à l'aise, en ôtant simplement nos chaussures et nos jeans et puis, j'avais sombré.

Et ce ne fut que maintenant, de bon matin, que la réalité me rattrapa soudainement. Adel dormait encore, collé à ma personne, la bouche entrouverte et les cheveux dans les yeux. Je n'osais pas me redresser, de peur de le réveiller, et je me contentais donc d'extirper mon bras de sous la couette pour attraper mon portable, que j'avais laissé la veille sur sa table de chevet. Il était sept heures trente. Je ne me réveillais jamais aussi tôt un samedi matin. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Je soupirai et reposai mon téléphone avant de passer une main sur mon visage. Adel remua vaguement à mes côtés, enfouissant un peu plus sa tête contre moi et je ne pus m'empêcher de rougir violemment. Avait-il seulement conscience qu'il me serrait comme on serrait un coussin ou un traversin ? Il était diablement mignon. Il n'avait pas le droit d'être comme ça. Pas aussi tôt dans la journée.

Ce fut plus fort que moi, je me penchais pour l'embrasser sur la joue. Il grommela quelque chose, remua un peu et ses yeux s'ouvrirent lentement. Il me dévisagea, d'abord un peu perplexe, et puis un sourire fin s'étira sur son visage. Oups, je l'avais réveillé. Il s'étira comme un chat, les deux bras en avant, avant de m'encercler de nouveau avec eux, et de replonger la tête dans le creux de mon cou. Ce réveil n'avait rien à voir avec celui de la soirée où j'avais atterris chez lui après une dispute avec ma mère. Il était toujours dans le lit, pour commencer et ensuite... Il y avait quelque chose de changé. C'était le baiser de la veille, je pouvais parier dessus, mais surtout le fait que nous nous étions admis à demi-mot qu'entre nous, ce n'était plus vraiment un lien amical. Nous avions aboli les dernières barrières derrière lesquelles nous nous étions réfugiés, et maintenant, nous en étions là. 

La veille, dans la précipitation, ni lui ni moi n'avions eu idée de fermer les volets de sa chambre. À présent, la lumière s'infiltrait pour de bon dans la pièce, éclairant nos affaires en pagaille que nous avions laissé échouer sur le sol la nuit dernière, les draps défaits et nos deux corps entremêlés. 

– Je suis claqué..., murmura soudain Adel, brisant le silence matinal.

Il voulut rabattre un pan de la couette sur son visage – pour retourner se terrer dans le noir sans doute – mais échoua, cette dernière restant coincée. Je laissais échapper un rire léger devant sa mine confuse et toujours pas réveillé. 

– Tu restes, hein ?
– Oui.

Il semblait attendre mon accord pour replonger aux pays des rêves. Aussitôt, ses yeux se fermèrent de nouveau, et je sentis sa respiration se faire plus calme, plus posée.

Quant à moi, il me fut impossible de l'imiter. Mon cerveau, lui, était bien debout au garde-à-vous, et évidement, j'étais en train de cogiter sur le sens nouveau de ma vie. Pourquoi fallait-il toujours que je sois en train d réfléchir ? Même dans des moments pareils ?

Est-ce que tu n'es pas en train de faire une erreur ?
Non.
Est-ce que tu vas le dire à Maya ?
Oui.
Maya va sûrement le dire à Eden.
Très certainement.
Est-ce que tu as envie que Eden le sache ?
Pas vraiment, non.
Alors mon pauvre Louis, on va avoir un souci.

Si. Il devait, je devais le lui dire. Prendre mon courage à deux mains et lui faire une grande déclaration. Sauf qu'honnêtement, je n'avais aucune idée de comment faire ça. De quels mots utiliser. C'était Eden le gars charismatique qui avait toujours réponse à tout, pas moi. Moi j'étais juste le gars paumé qui était incapable de m'exprimer comme je le voulais, et qui finissais toujours pas froisser ou décevoir les gens auxquels je tenais. Ça n'allait pas du tout. Je devais... changer ça. 

– Mmh, Louis, tu penses trop fort..., marmonna Adel d'une voix beaucoup trop rauque pour lui appartenir.
– Comment ça ?
– Tu cogites, et ça se sens. Tu n'arrêtes pas de te tortiller..., souffla-t-il dans mon cou.
– Pardon...
– Tu veux en parler ?
– Et toi, tu veux ?

Parce que ce qui s'était passé hier soir dans sa voiture, et se qui se passait ici même, ça devait bien le tracasser aussi, non ? Il haussa vaguement les épaules et soupira. 

– Tu veux que je m'excuse pour hier ?, me taquina-t-il.

Je lui donnais une pichenette sur le front. Franchement, il était obligé de me ressortir ce souvenir gênant, maintenant ? Visiblement satisfait de sa répartie, il roula sur le côté, à la recherche d'une autre position pour se rendormir. Ce gars était incroyable. Il avait le sommeil léger, certes, mais pouvait replonger dedans à n'importe quel moment. Sauf que non, je n'en avais pas terminé avec lui. Je lui agrippai le bras, et le plaquais sur son matelas qui grinça.

– Oh non non non, mon gars...
– Louis, je t'en prie, je veux vraiment dormir... j'ai plusieurs jours de sommeil manquant figure toi...
– Il faut que nous parlions. Parce que oui, comme tu le dis, je cogite beaucoup, et ce n'est pas prêt de s'arrêter tant que nous n'aurons pas parlé.

Et pour m'assurer qu'il n'allait pas fuir, je m'assis à califourchon sur lui, croisant les bras sur mon torse, plutôt fier de ma manœuvre. 

– Putain...
– Tu m'intéresses Adel. 

Il leva un sourcil.

Est-ce que je venais vraiment de sortir ça de but en blanc ? Complètement. Mon dieu, mais d'où me venait cette fougue ? 

– Je t'intéresse seulement ?

Je lui donnais une tape sur le torse qui lui arracha un sourire narquois.

– J'essaie de faire des efforts là... Tu ne m'aides pas.
– Pardon, pardon, mais c'est que de te voir avec cet air si sérieux, c'est...
– Je suis drôle quand je suis sérieux ?, m'agaçais-je.

Il essaya de se dégager, mais sans y mettre réellement du sien : je ne doutais pas que si l'envie lui prenait de réellement partir, je ne pourrais pas le retenir. J'étais musclé, certes, mais pour une raison que j'ignorais, le garçon sous moi (qui ne faisait aucun sport, je tenais à la rappeler) était plutôt bien foutu. Mieux que moi. Ça n'allait pas du tout, j'allais me mettre à complexer. 

– Laisse tomber..., soufflais-je.
– Moi aussi Louis.
– Pardon ?
– Tu m'as très bien entendu. Je ne répéterais pas.
– Pourtant, j'aimerai bien.
– T'es vraiment lourd quand tu veux. Et pas qu'au sens littéral d'ailleurs.

Je n'eus pas le temps de m'offusquer que déjà – et c'était à prévoir – je me trouvais éjecter de son bassin. Le fourbe, il m'avait bien eut. Ce fut à mon tour de me retrouver écraser, parce que monsieur ne faisait aucun effort pour retenir son poids, et je grinçais des dents. 

– Et crois moi, j'ai vraiment essayé de ne pas craquer ces derniers temps. Mais bon sang... tu ne me facilite vraiment pas la tâche..., murmura-t-il, tout près de mon oreille.

Je frissonnais. Je peinais à croire ce que je venais d'entendre. Était-il sérieux ?

– Mais tu... à Eden, tu as dit que...
– Je sais ce que j'ai dit à Eden. J'ai dit ce qu'il voulait entendre après lui avoir dis pour notre dérapage de l'autre jour. Il m'a fait un tel caca nerveux Louis, tu n'as pas idée. Et après, on s'est promis de ne plus revenir sur le sujet. Alors j'ai vraiment essayé de refouler mes envies envers toi.

Ok, ok. Mon cerveau était lentement en train d'assimiler ses paroles.

– Mais hier soir ce n'était pas un... dérapage, hein ?
– Non. 

Sa réponse n'avait pas tardé. Elle avait été franche, directe. Et je sentis mes joues rosir. Il posa ses lèvres quelques secondes sur mes lèvres et je le laissais faire. Une fois, puis deux. Sans jamais chercher à les approfondir. 

– Je ne veux plus que nos baisers soient des dérapages, me chuchota-t-il.

Et les mots qu'il venait de prononcer me firent fondre pour de bon. J'attrapai de nouveau ses lèvres, fermant les yeux cette fois-ci. Je ne voulais plus non plus. Je ne regrettais en rien ce qui s'était passé hier soir entre nous, et encore moins notre baiser actuel. Doux, puis carrément brûlant, il était réveillé pour de bon. Je bataillais avec son tee-shirt qu'il finit par retirer, me comblant de bonheur. Je savais que nous n'irons pas plus loin, ni lui ni moi n'en avions réellement envie, mais j'avais envie de le sentir contre moi maintenant. Visiblement, se retrouver juste en caleçon devant moi ne le gênait pas le moins du monde, puisqu'il continua ses baisers effrontés dans mon cou sans se soucier de sa tenue légère.

J'adorais sa peau. Si j'avais déjà eu l'occasion d'effleurer le bas de son dos, son ventre m'était toujours resté inconnu. Et j'adorais la peau douce de cet endroit de son corps. J'aimais voir comment il réagissait à mes caresses tout près de son nombril. J'aimais le sentir me toucher comme ça en retour. Il avait une peau lisse, impeccable, que le temps semblait vraiment avoir épargnée. À côté, comme face à Eden, je me sentais un peu coupable de ma peau loin d'être parfaite. Quelques petites marques légères sur mon visage, mais surtout, des cicatrices un peu partout sur mon corps, témoins d'une enfance que j'avais passé à crapahuter partout où je le pouvais. Mes chutes, mes gaffes, mes explorations de bord de plage avec Maya... Mon corps était le témoin d'une époque désormais lointaine où je n'étais qu'encore qu'un gosse insouciant que rien ne semblait arrêter.

J'ignorais combien de temps nous passâmes encore dans son lit, à s'embrasser, à se câliner. Ce samedi matin était le meilleur samedi matin de tous les temps. Ni lui ni moi n'avions jugé utile de poursuivre notre « discussion » après sa confession. Nos regards, nos souffles entremêlés, nos rires quelques fois, suffisait amplement pour nous comprendre. Il avait envie de lâcher prise, moi aussi. Nous nous donnions un jour de sursis avant que la réalité ne nous rattrape.

Car elle finissait toujours par le faire. 

* * *

Clairement, je n'étais toujours pas redescendu sur terre lundi matin. Encore moins quand mon professeur d'économie posa sous mes yeux ma copie barbouillée de rouge. Avec une sale note écrite dans le coin de la page. Allais-je au moins avoir la moyenne une fois dans l'année avec cette stupide matière ? On parlait tout de même de mon plus gros coefficient, je commençais à m'inquiéter. À côté de moi, Inès me jeta un regard dépité. Sa note était encore plus mauvaise que la mienne.

– On se rattrapera au prochain, je suppose..., murmura t-elle en froissant son devoir avant de l'enfouir tout au fond de son sac.
– Je suis persuadé qu'il ne m'aime pas.

Excuse facile. Ce prof avait en horreur toute notre classe. Là-dessus, nous étions tous sur un pied d'égalité. Sauf Eden peut-être, mais Eden jouait à un tout autre niveau. 

– Tu as fait quoi ce week-end ?
– Moi ?
– Non, le pape.

Je ricanais nerveusement. Pourquoi elle me demande ça ? Elle a demandé ça à Eden ? Oh mon dieu, Louis, calme toi, elle entame juste une discussion normale entre amis un lundi matin, rien de grave... Elle ne sait rien... Comment le pourrait-elle ? 

– Je euh... rien de spécial. Et toi ?

Heureusement pour moi, Inès ne releva pas mon bégaiement, et embraya sur son week-end chez ses grands-parents. Je l'écoutais d'une oreille distraite tandis qu'une rangée devant moi, Eden me demandait ma note. Évidement, lui avait eu la meilleure, et il fronça les sourcils en voyant mon résultat, si loin du sien. 

– Et j'me suis dit que baiser Blaise était une bonne idée.

La voix de Inès m'interpella d'un coup et je me retournais vers elle tellement violemment que je manquais de tomber de mon siège.

– PARDON ?

Il eut un gros silence dans la salle, le professeur me lança un regard noir, avant que tout ne reprenne son cours.

– Tu ne m'écoutais pas. Alors j'me suis sentie obligé de dire un truc dégueulasse.
– Si si !
– Vraiment ?
– Ok, non.
– Je le savais !
– C'est... c'est de la faute de Eden.
– Désolé Inès, fit ce dernier en se retournant.
– Vous... vous êtes exaspérant tous les deux !
– Moi j'ai vu Isaac ce week-end.

Il ne perdait pas de temps dis donc.

– Oh ! Dis nous tous !

Visiblement, notre professeur avait laissé tomber l'idée d'une correction générale de son devoir. Il se laissa tomber sur sa chaise et marmonna quelque chose comme « aidez vous les uns les autres pour la correction », bref, ce que je ne pensais pas un jour entendre dans la bouche d'un professeur qui, sous nos yeux ébahis, attrapa son portable. Cet homme était une cause perdu à qui l'éducation de jeunes adolescents ne devait pas être confiée. Eden retourna donc sa chaise pour se caler en face de nouveau, le visage rayonnant. 

– Oui, on s'est enfin vu en dehors de ses entraînements.

Je sentais son genoux tressauter sous la table : il ne tenait plus en place.

– Je ne lui ai pas encore dis mais... on s'entend vraiment bien tous les deux.

Ok. Il ne voulait pas tout de suite se jeter à l'eau. Je ne pouvais que le comprendre. Il continua de parler un peu de son après-midi, et heureusement pour moi, aucun de mes deux amis ne revint sur le sujet de mon propre week-end.

Samedi soir, quand j'avais quitté l'appartement de Adel, nous nous étions mis d'accord pour élaborer un plan à propos de Eden. D'abord, ne pas trop attendre. Ensuite, faire face tous les deux. Ça allait peut-être agacer Eden mais Adel m'avait confié qu'il ne se sentait pas de le faire seul de son côté. Et je lui avais fait part de mes angoisses à ce sujet aussi. Lui avait peur de flancher, de ne pas aller jusqu'au bout. Moi, j'avais juste peur de mal faire.

Et puis sur le retour, quelque chose m'avait frappé. Officiellement, nous n'étions pas vraiment ensemble. Et officieusement... Disons que nous n'avions, ni lui, ni moi, mis les mots sur cette nouvelle étape de notre relation. En réalité, aucun de nous deux ne le voulait vraiment. J'avais peur de sombrer de nouveau dans quelque chose que je ne contrôlais pas. Quelque chose qui pouvait m'échapper. Alors oui, nous devions le dire à Eden. Mais nous n'avions juste aucune idée de comment nous y prendre. 



* * * 

Chapitre 42, déjà. Enfin, je dis déjà, mais je poste cette fiction depuis 2018. =° 

Alors certes, il y a eu un gros blanc dans mes parutions l'an passé mais... Je suis très contente d'être arrivée jusque là.  

٩(。•́‿•̀。)۶ (ah et au fait, c'est Adel en média >.>)

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