40. CELUI QUI TOURNAIT LA PAGE

Notre victoire était écrasante. Et notre entraîneur, ainsi que notre capitaine ne pouvaient pas être plus ravis. Cette année nous irions jusqu'en finale, ça j'en étais intimement persuadé. Dans les gradins, mes parents, ma sœur et Eden s'agitaient, et pour une fois, je me sentais fier sur ce terrain. Ici, je n'étais plus Louis le gars au mille et un problème. Je n'étais plus ce garçon paumé, pour qui sa mère se faisait un sang d'encre. Je ne pensais plus qu'au match, à mes coéquipiers. Le reste, je le mettais entre parenthèses le temps de m'évader. 

J'oubliais mes tracas quotidiens, les couacs de ces dernières semaines, les conversations gênantes (mais qui l'étaient un peu moins au fil du temps) avec ma mère, et l'ambiance au lycée qui n'était toujours pas géniale. Sur le terrain, j'étais avec mes coéquipiers, rien d'autre ne comptait. Nous n'étions plus plusieurs individus, nous étions un groupe, soudé, qui ne pourrait avancer qu'ainsi. Et une fois de plus, le volley me rappela que oui, définitivement, je n'étais pas fait pour vivre seul, éloigné de tous comme j'avais tenté de me persuader ces derniers temps.

Adel n'avait plus reparlé de sa discussion avec Eden depuis le jour où j'étais venu chez lui, lui demander des explications. Eden n'avait plus remis le sujet sur la table. Je gardais en moi ce sentiment d'insatisfaction permanent, tout en me disant que c'était peut-être mieux ainsi. Un coup de sifflet retentit, et malgré moi, je dus redescendre sur terre.

* * *

Le premier jour du mois de mai, j'eus l'impression que mon année avait filée à une vitesse assez incroyable. Encore hier, je me revoyais coincé dans ce maudit ascenseur, ou encore lors de ce maudit bal de Noël que le lycée avait donné l'an passé. Mais déjà les températures avaient remontées, et tout le monde se projetait déjà pour les vacances d'été. J'avais envie de leur dire que nous allions subir cette ambiance scolaire jusqu'en début juillet, mais je n'avais pas la foi de briser la joie de Inès qui s'imaginait déjà, bronzant sur une des plages du sud de la France.

Quant à Eden, il avait établi un programme de révision beaucoup trop intense pour nous. Assis en face de lui au CDI, nous étions médusés de voir que non seulement il avait déjà terminé de voir tout ce que le programme scolaire avait à nous offrir (alors que les trois quarts de nos professeurs galéraient clairement à boucler leur année) mais aussi qu'il prenait de l'avance en préparant quelques sujets de BAC passés. Pour moi, je ne voyais que deux solutions : ou ce garçon possédait deux cerveaux et pouvait se passer de sommeil, ou bien nous n'appartenions définitivement pas au même monde. Dans les deux cas, moi et Inès nous sentions très nuls en face de lui. Cependant aujourd'hui, quelque chose avait changé, son portable d'habitude soigneusement rangé dans son sac était posé sur la table. Et il vibrait. Beaucoup. Au début, nous échangions avec Inès des coups d'œil curieux. Et puis, au bout d'une dizaine de minutes, tapota son écran pour lire le message, avec ce sourire beaucoup trop grand sur le visage, nous nous mîmes en tête de savoir pourquoi. 

Lui demander aurait été beaucoup trop simple, voyez-vous. Alors quand pour cinquantième fois de l'heure son portable vibra, Inès s'en empara, plus vite que la lumière. Une lueur de panique passa dans le regard du garçon assit en face de moi et ses yeux verts nous fusillèrent tous les deux du regard.

– Rends-moi ça, Inès.

– À qui tu parles comme ça ? demanda-t-elle avec un sourire bien trop immense sur le visage.

– Ça ne te regarde pas, bougonna-t-il. 

À ce moment-là, Inès se tourna vers moi, avec cet air victorieux sur le visage.

– Tu entends ça, ça ne nous regarde pas Louis !

– Je n'ai pas envie de répéter..., lança Eden en agitant la main sous son nez dans l'espoir de récupérer son précieux appareil.

Inès zyeuta l'écran, et Eden se jeta par-dessus la table pour le lui arracher des mains.

– Rends-moi ça !

Elle sursauta et Eden fourra immédiatement son portable dans la poche de son sweat.

– C'est qui Isaac ?

Je tournais la tête vers Eden, les yeux ronds.

Mon Isaac ?

Son Isaac ?

– Ce n'est pas ton Isaac.

Cette conversation devait sans doute paraître très drôle d'un point de vue extérieur. Allait-on continuer d'énumérer tous les pronoms possessifs ?

– Depuis quand tu parles avec Isaac ?, demandais-je, curieux.

Il ne répondit pas de suite, levant d'abord les yeux au ciel.

– Je sais pas, quelques jours.

Il eut un petit blanc.

– Ou semaine, je sais plus.

Quelques jours ou quelques semaines... je lui assénais un coup de classeur sur la tête : ce n'était pas du tout la même chose !

– Aïe ! Mais ça va pas ?

– Idiot !

Inès pouffa.

– Isaac est un mec de mon équipe de volley., précisais-je à cette dernière.

J'avais l'impression que les joues de Eden étaient un peu plus rouges que d'habitude.

– Oooh ! Il est comment ?

– Très gentil.

Je n'avais pas laissé répondre Eden qui pourtant, avant déjà ouvert la bouche pour le faire. Nos regards se croisèrent et mes iris bleus croisèrent les siennes. Il m'avait déjà mentionné Isaac. Mais j'avais tout de suite pensé qu'il l'avait fait pour me taquiner.

– Quoi, tu vas me dire qu'on ne peut pas se parler parce que vous êtes coéquipiers ?

– Pas du tout.

Et je crois que ce fut précisément à cet instant que je compris : je n'en avais rien à faire. Pas dans le mauvais sens du terme, j'aimais Eden. Je l'aimais assez pour m'inquiéter de ses fréquentations, de savoir comment il allait. J'avais à cœur de savoir s'il allait bien. J'aimais sortir avec lui dans Bordeaux, et j'acceptais qu'il me traîne à faire les boutiques avant d'aller manger un bagel. Et c'était justement pour ça, que je n'en avais rien à faire. Isaac était un mec sympa, et qu'ils s'entendent bien ne me posait aucun souci.

– Louis ?

Visiblement, je devais tirer une drôle de tête, parce que mes deux camarades me regardaient bizarrement.

– On aurait dit que tu as vu la vierge..., marmonna Inès.

– Non, je viens juste de réaliser un truc.

– Ah ?

Eden était confus. Autant que Inès. Et de mon côté, tout était enfin limpide. Lui comme moi avions véritablement tourné la page de notre relation chaotique, et Isaac en était la preuve.

– Tu l'apprécies beaucoup, hein, Isaac ?

– Hein ? Non, enfin, Louis, je euh...

Il bafouillait et moi j'avais eu la réponse à ma question.

– Je ne veux pas que tu... euh...

Inès nous regardait l'un après l'autre en essayant de décrypter la scène.

– Et puis il n'est pas....

– Tu n'en sais rien, tente ta chance.

Ses yeux s'écarquillèrent quelques secondes. Et Inès me dévisagea à son tour.

– Bah quoi ?

Silence. Aucun des deux ne répondit immédiatement.

– Mais...

– Attends, tu ne pensais quand même pas que j'allais t'empêcher de côtoyer un de mes amis, si ? 

Eden baissa la tête.

– Sérieusement, Eden.

– Je ne sais pas. Je m'étais dit que, peut-être, la situation serait un peu gênante et euh...

Alors, pouvait-il faire plus gênant que moi embrassant son ex plusieurs fois au cours de la même soirée sans qu'il ne soit au courant ? Sans doute pas. 

– J'te préviens, si tu le fais pas, je le fais pour toi, lâchais-je.

– Non ! Non, Louis, s'il te plaît.

Inès sembla se détendre, voyant que je plaisantais plus qu'autre chose.

– Je rigolais Eden, ne t'en fais pas...

– On ne sait jamais quand tu es sérieux aussi..., grommela-t-il.

– Tu devrais lui répondre, du coup.

– Ah euh, oui...

Il s'empressa de sortir son téléphone et pianota quelques instants dessus, nous glissant de temps à autre des regards gênés.

* * *

Ce soir-là dans le bus, Eden évita de croiser mon regard à de nombreuses reprises. Sans doute avait-il encore en tête notre conversation de ce matin. Toute la journée, il avait été bizarre, mais je n'avais pas cherché à le mettre plus mal à l'aise. Lui laisser de l'air me paraissait être la meilleure des options et puis, je me mettais à sa place : j'avais horreur des personnes insistantes. Finalement, quatre arrêts avant le nôtre, il me posa la fameuse question que j'attendais.

– Tu es sûr que ça ne te gêne pas ?

Je me raclai la gorge et me tournais vers lui, un air sérieux sur le visage.

– Pas le moins du monde. Je serais quel genre d'ami si je t'empêchais de voir d'autres gens que moi ?

Il haussa les épaules, et je sentais qu'il y avait autre chose.

– Eden ?

– Adel était plus mécontent.

Je soupirais et levais les yeux au ciel.

– Et je ne suis pas lui. Et puis d'abord, en quoi ça le regarde ?

– Oui, tu as raison.

Le bus se stoppa et nous descendîmes. La question n'était pas – pour le moment – comment Adel avait été au courant avant moi, mais plutôt, pourquoi était-il aussi agaçant sur le sujet.

– À demain Louis ?

– Ouais, rentre bien !

Il me salua d'un geste de la main, et je le regardais partir pendant quelques secondes. Ce fut quand il tourna dans une rue adjacente que je repris ma route. Ma sensation de légèreté ne me quitta pas, sans que je ne sache pourquoi. C'était comme si avoir appris pour Isaac m'avait soudainement libéré d'un poids. J'espérais juste que Eden n'essuie pas une nouvelle désillusion. Il avait déjà donné avec moi, et je refusais que ce genre de chose lui arrive de nouveau. 

Une fois chez moi, je m'empressai de raconter tout ça à Maya. Évidemment. Mais elle se devait d'être au courant, l'histoire Louis x Eden, c'était un peu son feuilleton journalier. Et elle ne voulait pas rater un seul épisode. En parallèle, après quelques hésitations, j'envoyais un message à Adel.

« Hello. Tu sais, Isaac est un bon gars ;) »

Et il me répondit, plus vite que la lumière.

« Il t'en a parlé ? »

« Ta réaction l'a blessé, visiblement. »

« Quel garçon susceptible... »

« Tu lui as dit quoi exactement ? »

« Rien de méchant. »

« Adel. »

« Oh, ça va hein. Je lui ai juste dit qu'il devait se focus sur ses épreuves, et que s'il pouvait éviter un nouvel échec sentimental, ça serait pas mal. Je ne pensais pas à mal. »

« Oh. »

D'accord. Clairement, lui et moi avions le même souci dans le maniement de nos mots. J'étais persuadé qu'en effet, il ne pensait pas à mal. Mais lui sortir ça de bute en blanc... En effet, Eden avait dû mal le prendre sur le coup.

« Tu n'as aucun tact. »

« Tu en as toi peut-être ? »

« Certes non. »

« Bon ben voilà. CQFD. »

« On aurait dit mon père. C'est une répartie de vieux ça, mon gars. »

« Je suis plus vieux, ça tombe bien. »

« Non, genre, de vieux papy. »

« Je t'emmerde. C'est comme ça que vous dites les jeunes ? »

Derrière mon portable, j'éclatais de rire.

« Plus sérieusement, il a cru que tu ne voulais pas qu'il fréquente de nouveau quelqu'un. »

« Je ne l'ai pas empêché de te fréquenter, toi. »

« Tu marques un point. »

« Et puis, il peut parler. Quand il a cru que j'étais intéressé par toi, il m'a piqué une crise de fillette de quatre ans. »

Cette fois-ci, je ne répondis pas immédiatement. Son dernier message me donna comme un coup de massue sur la tête. Pas parce que Eden avait piqué une crise – je me savais capable de la même chose dans mes pires moments – mais pour le reste. J'étais vexé. Non, j'étais triste. La joie quitta immédiatement mon visage. Il fallait que je réponde un truc, et vite, avant qu'il ne se fasse des idées. Mais voilà, mes doigts n'avaient aucune idée de quoi taper. Il n'était pas intéressé par ma personne. Enfin Louis, tu imaginais quoi ? Bien sûr que non il n'est pas intéressé ! 

« Ha ha. »

Je ne pouvais pas faire pire comme réponse. Si là je ne venais pas de me griller tout seul... 

« Attends, rassure-moi. Tu ne l'es pas, toi ? »

Rassure-moi.

Aller hop, il en remettait une couche. 

Mon cœur était en train de s'émietter. Je donnerais tout pour l'avoir en face de moi, pour pouvoir le sonder. Au lieu de ça, il me laissait avec son imagination. 

« Pas du tout. »

Bien sûr que si. Et merde. 



* * *

(' ε ' )♡

Je vous laisse sur ça, hi hi. À la semaine prochaine !

( @auroreboreale_   pour ce que je t'ai teasé, il faudra attendre le chapitre suivant hé hé, oui, je suis fourbe)

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