39. CELUI QUI HÉSITAIT

Louis Verbeeck, tu es un imbécile. Je n'avais pas eu de nouvelles depuis deux jours d'Adel. Soit depuis vendredi. Et je venais de passer le week-end le plus long de ma vie. À rien faire. Juste à méditer sur ma misérable existence, et à me dire que j'avais un chic pour toujours tout foutre en l'air. Il fallait croire que je n'étais juste pas foutu de vivre joyeusement, sans me prendre la tête. Dans ma tête, c'était le foutoir. J'avais contacté Eden pour parler. Et il avait juste tout bonnement esquivé le sujet, et puis, par SMS, c'était tellement plus simple. Puis, dimanche soir, j'avais reçu ce message de sa part, celui qui avait achevé de me plomber le moral.

« J'ai parlé avec Adel, désolé d'avoir été un peu distant avec toi, je me suis tout de suite imaginé que c'était à ton initiative que vous vous étiez embrassé. On en parle lundi, mais excuse moi de m'être barré comme ça du CDI sans t'avoir laissé m'expliquer la situation. »

Adel, bon sang, qu'as-tu fait ? C'était la question qui tournait en boucle dans ma tête désormais. Il n'avait quand même pas pris toute la responsabilité de mes actes si ? Ça y ressemblait fortement. D'un côté, ça me gonflait : je n'étais pas un damoiseau en détresse qu'il fallait venir chercher en haut d'une tour. Et puis de l'autre... Pourquoi ?

* * *

Eden s'était d'abord confondu en excuses. Et moi, je me sentais comme un idiot. D'abord parce qu'il me mettait mal à l'aise, et ensuite... parce qu'il n'avait pas du tout la bonne version des événements de cette fameuse soirée.

– Eden, écoute...

En plus de ça, Inès était au courant de tout. Elle nous regardait, les bras croisés sur son torse, comme elle regarderait une série télévisée.

– C'est moi qui ai commencé...

Je refusais de lui mentir.

– Il m'a dit que tu dirais ça., soupira Eden, l'air peiné.

Oh bon sang. J'avais une impression de déjà vue. Adel avait vraiment assuré mes arrières. Je le maudissais pour ça. Mais bon sang, qu'y gagnait-il ? Eden me tapota l'épaule.

– Écoute, on n'a qu'à... passer à autre chose, d'accord ?

Tout cela n'était qu'un vaste sketch. Oui, c'était ça.

– On en a parlé, on a mis les points sur les « i », et...

– Eden...

– Non, vraiment.

Je refermais ma bouche aussitôt devant le sourire qu'il me lança. Il fallait que je parle à Adel, et au plus vite. Il me devait des explications. 

Je fixais le bout de mon crayon depuis dix bonnes minutes. Devant le tableau, notre professeur d'économie déblaterait contre son cours à toute allure, comme pressé de terminer le chapitre sur lequel il traînait depuis trois semaines déjà. À côté de moi, Eden prenait des notes, en bien élève consciencieux qu'il était. Deux chaises plus loin Inès s'appliquait quant à elle à dessiner sur ses mains. J'avais beau se dire que ce cours était important pour notre examen de fin d'année, je n'arrivais pas à se concentrer. Les paroles de Eden, ainsi que les agissements d'Adel, refusaient de me laisser en paix. 

À quel moment ma vie avait-elle décidé de prendre ce tournant aussi improbable ? Je me souvenais encore du jour de la rentrée, où je n'avais souhaité qu'une chose : que l'année passe vite, et sans accroc. Elle défilait à vive allure, certes, mais pour les accrocs... C'était à revoir. La tête appuyée sur mes mains, mon crayon désormais au bout des lèvres, mon esprit divagua très vite chez la soirée que j'avais passée chez Adel. Je me souvenais de tout, et dans les moindres détails. Le seul bémol : je n'avais pas du tout envie de me souvenir de tout ça. Sauf que mon cerveau n'en faisait qu'à sa tête, et que bientôt, ce fut les souvenirs de ce premier baiser dans son appartement qui m'assaillirent. Et puis ceux du lendemain, allongés sur son lit. L'espace de quelques minutes, je m'étais senti si bien dans ses bras. 

– Louis ?

Je mis deux bonnes secondes à émerger. Eden me tapota l'avant-bras pour me ramener sur terre.

– Mmh ?

– Tu as entraînement ce soir ?

– Ouais. Tu veux venir ?

Je posais la question, mais je connaissais déjà la réponse : Eden adorait – pour une raison qui m'échappait – m'accompagner à mes entraînements, et ça, depuis la première fois qu'il avait mis les pieds là-bas. Son sourire s'étira et il hocha la tête.

– Tu sais, si tu veux faire parti de l'équipe, tu n'as qu'à demander...

Eden pouffa.

– Je suis sérieux. Je suppose que tu es bon au volley, puisque de toute façon, tu es bon partout.

– Ne dis pas n'importe quoi !, rigola-t-il en me donnant un coup de coude.

Le professeur nous jeta un rapide coup d'œil agacé avant de débiter encore plus vite son cours qui me paraissait déjà bien interminable. Eden haussa les épaules.

– Peut-être, l'an prochain... Si je reste par ici pour mes études.

– Tu comptais partir ?

– Je ne sais pas trop... j'ai ce qu'il faut ici comme formation, mais aussi un peu dans le sud.

– Oh.

– Et toi ?

– J'en sais toujours rien. Je vais finir par prendre une filière au pif à la fac, juste pour ne pas m'ennuyer l'an prochain.

– Inès y va l'an prochain. Elle a déjà tout de prêt. Et fait gaffe, on doit faire nos vœux dans pas très longtemps...

– Je sais., soupirais-je.

La vérité, c'est que je ne sais franchement pas quoi faire de ma vie. C'était déjà un joyeux bordel, et voilà que le sujet des études supérieures revenait au galop. Inès savait exactement quoi demander l'an prochain : elle souhaitait de lancer dans une licence d'anglais et espagnol. Elle rêvait de devenir traductrice, et il me semblait qu'elle venait de trouver la bonne voie. Maya m'avait parlé de plusieurs écoles d'art, mais se tâtait encore au niveau des différentes filières. Mais une chose était sûre : elle revenait à Bordeaux l'an prochain. Pour elle, hors de question de vivre à Paris. Et quant à Eden... Avec ses résultats actuels, il pouvait absolument tout tenter. J'étais le seul paumé dans cette joyeuse bande d'adolescents de dix-sept piges.

* * *

Ce soir-là, après mon entraînement de volley, mon capitaine me demanda très sérieusement si Eden ne comptait pas rejoindre notre équipe. C'était à croire que tout le monde aujourd'hui voulait qu'il nous rejoigne. Eden m'attendait dehors, comme d'habitude, en grande discussion avec Jules que j'identifiais rapidement. Eden s'entendait bien avec les gars de l'équipe. Ce n'était un secret pour personne que nous étions sortis ensemble, encore moins les circonstances de notre rupture, et désormais, ils s'étaient tout fait au fait de voir Eden à chaque entraînement. Je me souvenais encore d'Isaac me demandant comment nous faisions pour rester amis. Et je lui avais tout simplement répondu qu'en fin de compte, c'était peut-être ce qui avait toujours été prévu pour nous deux. Et plus les jours passaient, plus je me confortais dans cette idée. Et puis, au fond, tout cela nous aidait à aller de l'avant. Même si avec toute cette histoire avec Adel, je ne savais plus où donner de la tête. J'avais cru que Eden allait me piquer une crise de jalousie, au lieu de ça, il avait esquivé le souci aussitôt après en avoir parlé avec le principal intéressé. J'étais paumé. Encore.

Un bruit de scooter nous alarma et Jules fit un signe de la main vers le garçon qui arrivait tranquillement sur son engin. Arrivé à leur hauteur, le garçon ôta son casque quelques minutes pour les saluer et je me décidais à approcher. Je n'en revenais encore pas de ne pas avoir capté que Jules avait un mec. Sérieusement. Depuis tout ce temps. Eden fit son effet habituel, il se présenta, l'autre rigola. Et je levai les yeux au ciel. Sérieusement ? Est-ce qu'un jour j'allais croiser quelqu'un ne tombant pas sous son charme dès le premier regard ? Hormis Blaise. Blaise ne comptait pas pour mes sondages. Je les saluais en arrivant près d'eux et l'autre garçon (une sorte de gars beaucoup trop grand, beaucoup trop bien bâti qui aurait pu me soulever par le col avec une seule main) me fit un signe de la main. 

– On y va Jules ?

– Ouais ! Bye les gars !

Je le vis grimper sur le scooter, son sac de sport sur les genoux et enlacer l'autre garçon avec un sourire immense. Enfin, je devinais aisément qu'il souriait sous on casque, c'était tout à fait son genre. Eden se tourna vers moi, après les avoir regardés s'éloigner et soupira.

– Quoi ?, demandais-je.

– Rien rien...

– Eden, soit pas comme ça...

Nous commençâmes à marcher direction le bus qui nous ramenait le plus proche de nos maisons respectives.

– Tu trouveras un mec bien, j'en suis sûr. En tout cas, je veillerai à ce qu'il ne soit pas aussi con que moi.

Eden rigola.

– Ne te rabaisse pas comme ça Louis, franchement... Et puis, tu ne sais même pas quel est mon genre de mec.

Ah. Oui. Effectivement. Ce n'était pas moi son genre ? Et puis je repensais à Adel et secouais la tête : lui et moi n'avions strictement rien en commun.

– Tss, hé bien quoi qu'il en soit, je ne laisserais pas un abruti te tourner autour ! Parole de Louis Verbeeck !

Si elle valait encore quelque chose à l'heure actuelle.

– Je te fais la même promesse alors, parole de Eden Verdier.

Même si le ton de la discussion était léger, j'avais quand même un léger pincement au cœur. Il fallait vraiment que je choppe Adel. Et au plus vite. Il me devait quelques explications.

* * *

Évidemment monsieur avait esquivé mes messages, ainsi que ma demande de rendez-vous. J'avais bien tenté de le capter sur instagram, mais visiblement, là aussi il m'évitait. Je n'avais donc pas d'autres choix que d'aller le voir directement chez lui. Enfin, certes, j'aurais pu me traîner jusqu'à la fac, mais les temps de trajet étant plus ou moins égaux depuis chez moi pour me rendre chez lui ou là-bas...

Ce jour-là, la chance était avec moi : une vieille dame habitant l'immeuble ouvrit la porte au moment où j'arrivais devant. Avec plaisir elle me laissa passer sans plus de cérémonie, se disant sans doute que j'étais un des petits jeunots qui habitaient là. Je n'eus donc pas à sonner. J'allais être une surprise totale. Je grimpais les marches deux par deux et, après avoir rassemblé tout mon courage, je frappais quelques petits coups secs à la porte. Cette dernière ne s'ouvrit pas de suite. J'entendis quelques grognements derrière, et la voix traînante d'Adel s'élever.

– J'arrive, j'arrive... !

Il allait me détester de lui tendre un piège pareil. Mais il le cherchait aussi : c'était lui qui se comportait comme un gamin immature. 

La porte s'ouvrit enfin et le garçon en face de moi se figea immédiatement. Il fronça les sourcils, et afficha une moue contrariée.

– Dites-moi que je rêve...

– Hélas non.

– Je peux savoir ce que tu fiches ici Louis ?

– À ton avis.

– Tu veux encore passer la nuit ici ? Une fois ne t'a pas suffi ?

Mon cœur se serra un peu en entendant ces mots. Aller zou, bim bam boum, ça, c'est pour Bibi !

– Je suis là parce que tu fais le gosse, et que tu ne me réponds plus depuis plusieurs jours.

– Et alors ?

Et alors ? Non mais... Qu'est-ce que ça te coûte de me rassurer, hein ?

– Lâche- moi un peu Louis, on n'est pas marié.

Cette fois-ci je restais muet face à sa repartie cinglante. D'ailleurs, lui aussi sembla se rendre compte qu'il était allé peut-être un peu trop loin puisqu'il ouvrit la bouche d'un air désolé avant de s'excuser. On n'est pas marié. Effectivement, nous ne l'étions pas. Mais vraiment, me balancer ça en pleine poire ? Il se racla nerveusement la gorge en face de moi.

– Désolé, je suis un peu sur les nerfs....

Je ne répondis pas. Ce n'était pas une raison pour me répondre comme ça. Je baissais les yeux, sentant les larmes arriver. Pourquoi étais-je ici déjà ?

– Tu veux rentrer ?

Toujours pas de réponse de ma part. Tout au long du trajet j'avais pourtant préparé mon petit texte. Mais là, j'étais tout bonnement incapable de débiter quoi que ce soit. Je sentais son regard, posé sur ma personne, inquiet de mon absence de réaction. J'avais vraiment touché le fond.

– Non, ça va.

J'avais (enfin !) réussi à articuler trois mots.

– Je veux juste savoir pourquoi tu as menti à Eden.

Je gardais toujours la tête baissée, par peur de voir sa réaction.

– Parce qu'il tient à votre amitié.

– Et toi, tu ne tiens pas à la vôtre ?

Il souffla doucement. Ma question était légitime, non ?

– C'est différent. Je savais ce que je faisais, ne t'en fais pas.

J'acquiesçai, relevant enfin la tête vers lui. Mes iris croisèrent les siens et on resta là, quelques secondes, à se défier du regard. C'était tout ce que je voulais savoir. On se salua toujours en silence, et il referma la porte de son appartement, tandis que je me dirigeais déjà vers les escaliers et la sortie.

La relation entre Adel et Eden était pour moi un mystère. Depuis le début, en fin de compte. Et je ne m'en rendais compte seulement maintenant.

* * *

La fin du mois d'avril avait sonné. Et déjà, je voyais la fin de l'année arriver doucement, mais sûrement. Et avec elle les examens pour lesquels je n'étais pas prêt du tout, et les choix plus ou moins décisifs pour mon avenir. J'en avais parlé longuement avec mes parents, et ces derniers étaient aussi désemparés que moi : ils ne souhaitaient me forcer à aucune étude que je n'aurais pas choisi, cependant, malgré leur bonne volonté de m'accompagner faire le tour de tous les salons étudiants de la région, je ne trouvais pas chaussure à mon pied. Perdu, je l'étais. Alors que tout le monde autour de moi avait déjà rempli ses vœux. Aujourd'hui était le dernier jour pour se décider. J'étais avec Maya au téléphone (chose rare) et cette dernière m'encourageait. Mes yeux constataient le vide absolu de ma liste de vœux, sur l'écran devant moi.

« – Tu sais, si tu te trompes de voie Louis, ce n'est pas très grave... Beaucoup se réorientent après leur première année !

 Je n'ai juste aucune idée de ce que j'ai envie de faire, Maya...

 Tu aimes quoi ? Le volley ? Pourquoi tu ne te pencherais pas là-dessus ?

– Je... je préfère le garder comme sport tu vois, et pas... pas en faire mon avenir.

– Bon. Euh... je te proposerais bien de tenter les mêmes écoles que moi, mais elles sont chères et tu ne sais même pas tenir un charbon.

– Un quoi ?

– Voilà...

– Hé, te moques pas ! Tu sais comment j'étais pendant nos cours d'arts plastiques au collège !

– Nul.

– Merci de ton soutien.

– Aller Louis, tu as encore trois heures pour te décider !

– Tu ne m'aides pas vraiment là...

– C'est quoi ta matière favorite ?

– J'aime bien l'histoire.

– Bon bah... regarde peut-être ce que les facs proposent ? »

J'étais moyennement emballé. Mais en même temps, nous étions à la date limite, et j'étais toujours sans avenir. Il y a eu des formations proposées avec ce que j'aimais. Pourquoi pas, après tout. Je pouvais toujours tenter ma chance . Mon professeur d'histoire serait plus que fier de mon choix, je le sentais déjà.

« – J'ai trouvé un truc qui a l'air cool...

– Bon, génial ! »

C'était dans la même fac qu'Adel. Mais en même temps, à quoi je m'attendais, il était dans un des plus gros campus du pays.

« – Ça va le faire Louis, on va s'en sortir !

– Toi au moins tu sais où tu vas... et sur tous les plans...

– Ne dis pas ça. Tu vas trouver ta voie Louis, je le sais. Et ton histoire avec Adel, elle va s'arranger, je le sens. »

Et j'étais plutôt bien placé pour savoir que Maya avait un don pour deviner ce qui allait se produire à l'avenir. Alors ce soir-là, je m'endormais serein. 



* * * 

Louis = moi en terminale. Cette scène n'est presque pas inventé. C'était littéralement moi et ma meilleure amie, totalement au désespoir pour nos vies futures. xD Elle avait trouvé une formation au nom alléchant, en histoire que nous aimions toutes les deux. Et on s'est dit, why not, zou. C'est un peu l'histoire de ma vie, en vrai. Un gros chaos rigolo.

I feel you Louis. ♥

Sinon, Adel c'est un bourrin avec les mots, ais-je besoin de le préciser ? Mais on l'aime (ou pas /pan) comme ça, pas vrai ? =°

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