36. CELUI QUI N'AIMAIT PAS LA GRANDE ROUE
Après la discussion avec ma mère, cette dernière s'était montrée curieuse. Trop curieuse, d'ailleurs. Si bien qu'à plusieurs reprises, durant la même semaine, j'avais dû fuir, et trouver de bons prétextes pour m'échapper d'une discussion qui allait prendre une drôle de tournure. Mon père voyait tout cela d'un œil bienveillant, se moquant même parfois de moi, et de mes réactions face à ma mère qui ne cessait de m'épater. Mais clairement, les questions du genre « tu prenais toutes tes précautions avec Eden ? » ou les remarques comme « si tu as des questions Louis, tu sais que tu peux me les poser ! » je n'en pouvais plus. Elle tentait de rattraper le temps perdu, mais... c'était gênant plus qu'autre chose. À chaque fois, j'acquiesçai, je souriais bêtement et elle avait l'air heureuse. Tant mieux, parce que moi, j'étais clairement mal à l'aise. Disons que ma mère n'était pas vraiment la première personne vers qui j'aurais eu idée de me tourner pour ce genre de questionnements.
– Eh, Louis, tu m'écoutes pas en fait ?
Eden claqua des doigts sous mes yeux et je sortis de mes pensées.
– Si si, pardon...
– Alors je disais quoi ? m'interrogea-t-il, le regard suspicieux.
Ok, touché, il m'avait eu.
– D'accord, je ne t'écoutais pas vraiment...
– Bon, du coup, ce jean ?
Je le regardais des pieds à la tête. Eden était bien la seule personne qui pouvait me traîner dans un centre commercial à perpète de chez moi sans que je râle. Il était doué pour me faire flancher. Et évidemment que son jean lui allait bien. J'étais prêt à parier que même avec un sac-poubelle sur le corps, Eden serait le plus beau garçon que cette terre eut porté.
– Il est très bien Eden...
– Ouais mais, j'prends en noir ou kaki ?
– Kaki.
Le noir lui donnait l'air plus âgé. Il n'avait pas besoin de ça. Beaucoup de gens pensaient qu'il était à la fac, majeur et vacciné, on n'allait pas en rajouter une couche.
– Tu devrais essayer celui-ci !
– Euh je ne pense pas que...
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase qu'il me tira dans la cabine, un sourire que je connaissais bien, sur les lèvres.
– Tu essayes, ce n'était pas vraiment une question en fait.
– Si ça te tiens à cœur... Tu sors ?
– Il y a la place pour deux Louis.
– C'est pas vraiment le problème abruti....
– Je t'ai déjà vu en caleçon., fit-il en arquant un sourcil.
– Tu m'fais chier, tu le sais ça ?
Je levais les yeux au ciel pour accentuer mes mots et essayai son stupide pantalon. Immanquablement, le rendu ne fut pas du tout le même sur moi. À quoi s'attendait-il ? Je soupirais, mal à l'aise, mais il m'agrippa par les épaules pour me faire tourner sur moi-même, comme un vendeur du magasin.
– Un peu grand.
– Carrément trop grand, j'te rappelle qu'on ne fait pas exactement la même taille.
Je le retirai en grommelant dans ma barbe, sous le regard amusé de Eden.
– Avoue, tu voulais juste me voir en petite tenue, lançais-je.
– Bien vu.
Il éclata de rire.
– J'ai eu l'impression d'entendre Adel l'espace de trois secondes, fit-il, toujours en riant.
– Pourquoi ? Parce que j'avais eu l'air mort de l'intérieur en le disant ?
– C'est le genre de remarque qu'il m'aurait sorti pour me taquiner. Il avait horreur de faire les boutiques.
– Comme je le comprends..., marmonnais-je.
– Soit pas comme ça, après, on va manger un bagel !
Mes yeux se remirent à briller. J'étais si faible face à la nourriture. Voyant qu'il m'avait eu – une nouvelle fois – il rigola encore plus fort. Nous sortîmes de la cabine, sous le regard curieux d'un groupe de filles qui nous avait entendus rire comme deux gosses. L'une d'elles nous regarda tous les deux d'un air un peu intrigué, et l'autre se pencha vers elle se manière pas du tout discrète pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille.
Certaines personnes n'avaient aucun tact. Elles pouffèrent et je leur lançais un regard noir, tandis que Eden repliait consciencieusement les affaires qu'il allait passer en caisse.
– Un problème ?
J'avais fini par craquer, surmontant ma timidité et le rouge qui me montait aux joues. Elles se turent immédiatement et je soufflais, agacé, avant de suivre Eden aux caisses. Lui semblait être complètement passé à côté de tout ce cirque. Ou bien il avait fait semblant de ne rien voir, parce que tout ça devait le gonfler plus qu'autre chose. Nous sortîmes du magasin, les mains remplies pour lui et nous dirigeâmes vers le petit restaurant de bagels dont lui et moi raffolions.
* * *
Je n'avais aucune idée de comment nous en étions arrivés là, et pourtant. Nous y étions. Eden avait un peu insisté, et malgré moi, je m'étais laissé embarquer. Pourtant, j'avais horreur de ce genre de chose : j'avais la peur des hauteurs, le vertige (ce n'était pas du tout la même chose mais si beaucoup de gens aimaient mettre ces deux choses dans le même panier) et par-dessus tout... Je n'avais jamais eu confiance en les grandes roues. Mais Eden m'avait fait les yeux doux, en sachant très bien que je pourrais pas résister. Hier, il me traînait faire du shopping, et aujourd'hui, ça. J'avais l'impression qu'il s'était lancé dans un plan « reconquête de Louis Verbeeck ». Ou alors je me faisais des idées. J'étais plutôt doué à ça.
Quoi que... Non, Louis, arrête.
Quoi qu'il en soit, j'y étais. Au sommet, tout en haut, dans une cabine minuscule rose bonbon (sérieusement, le choix des couleurs de cette attraction me dépassait...), avec un Eden réjouit à côté de moi qui ne cessait de sautiller sur place, le nez collé à la vitre.
– Arrête de bouger, la cabine va se décrocher, et on va mourir tous les deux..., marmonnais-je d'un ton plat, mais peu rassuré.
Il se retourna et me fit les yeux ronds avant de me donner une tape sur l'épaule.
– Mais regarde au moins la vue ! On a vraiment une jolie ville !
– Mmh...
La réalité c'est que je ne pouvais pas. Si je regardais la « belle vue » comme il disait, mes yeux allaient irrépressiblement se tourner vers le bas de l'attraction. Et la dernière chose que j'avais envie de voir, c'était les Bordelais faire la taille d'une fourmi. Et ainsi, me rappeler que j'étais bien trop haut du sol.
– Rappelle-moi pourquoi je t'ai laissé me traîner ici déjà ?
– Parce que je suis très doué quand il s'agit de te convaincre.
– Pfft... Pourquoi la grande roue... On n'aurait pas pu... je sais pas, juste flâner en bas...
– Parce que mon âme romantique me pousse à aimer ce genre d'attraction !
– C'est très cliché.
– Je suis un mec cliché, Louis. Au cas tu aurais encore des doutes, rigola-t-il.
– Tu comptes me demander en mariage maintenant alors ? Ou quand notre cabine se sera arrêté tout en haut ?
Parce que oui, nous continuions de monter. Pour mon plus grand malheur. Eden rigola encore plus fort et essuya une larme au coin de ses yeux. Visiblement ma blague avait eu de l'effet.
– Oh non, j'ai laissé tomber cette idée mon gars !
Il reporta son attention sur le paysage et quant à moi, je me sentis soudain encore plus mal. On y était, la cabine se stoppa. Nous étions au point le plus haut. Je fermais les yeux, prenant une grande inspiration pour me dire que tout allait bien se passer. Les forains savaient ce qu'ils faisaient. Je n'avais jamais entendu parler d'une grande roue qui se casse la figure sur la place des Quinconces* (nda fin de chapitre). Si ? Oh, merde, je n'en savais rien. Il fallait que je pense à autre chose, et vite.
Sentant ma détresse, Eden se tourna vers moi. Il me posa une main sur l'épaule et esquissa un sourire doux.
– Ça va aller ? J'te jure, ce n'est pas si terrible...
Je voulais bien le croire ! Mais mon corps, lui, n'était visiblement pas d'accord.
– Tu parles toujours de ta demande en mariage ? esquissais-je pour oublier la peur qui me nouait l'estomac.
Le sourire de Eden s'agrandit.
– Tu sais, je suis vraiment heureux que tu sois revenu vers moi. Je veux dire... tu aurais pu me détester à vie pour ce que je t'aies fait.
Je haussai les épaules.
– Je crois que tu m'as aidé dans le même temps Eden.
– Si tu le dis. Mais je m'en veux toujours un peu.
– Il ne faut pas.
– Oh que si, j'ai perdu un petit ami génial, et j'ai cru perdre bien plus que ça.
– On est bien aussi, comme ça... non ?
Ma voix avait baissé d'un ton, comme si j'avais peur que les autres cabines nous entendent. C'était idiot. La nôtre se remit par ailleurs en marche et je me sentis plus léger. Nous redescendions. Amen !
– Oui. En fin de compte... Nous étions peut-être destinés à devenir les meilleurs amis du monde !
Cette fois-ci, ce fut moi qui rigolais. C'était la première fois que nous mettions vraiment des mots sur notre relation tous les deux. C'était ça. Eden me plaisait, c'était indéniable. Il était beau, amusant, intelligent... Et j'adorais traîner avec lui. Alors oui, nous étions allés plus loin que de simples échanges entre amis tous les deux mais... en quelque sorte, il m'avait aidé à grandir. À m'affirmer. Et surtout, à ne plus refouler qui j'étais. Pour ça, je lui serais éternellement reconnaissant.
– Du coup, en tant que nouveau meilleur ami !
Je n'étais pas sûr que Maya apprécie le nouveau titre que Eden venait de s'attribuer, mais bon...
– Est-ce que je peux te dire que le mec brun aux cheveux bouclés dans ton équipe de volley est juste canon ?
J'ouvris grand la bouche avant de lui donner un coup de coude, rageur.
– Ha ha, je oulais juste voir ta réaction ! Ok, c'est trop tôt pour parler de nos crushs.
– Eh !
Merde, il trouvait vraiment Isaac mignon ? Parce que j'étais certain d'une chose : Eden était parfaitement sérieux. Je le connaissais assez pour reconnaître les moments où il l'était, et ceux où il ne l'était pas.
Notre cabine arriva enfin tout en bas, et ce fut avec une joie immense que je sortis de là, encore l'estomac et le cœur en vrac. Eden, lui, avait l'air frais comme un gardon. Et évidemment, puisque cette journée était bien trop agréable pour tous deux, il fallut que nous tombions sur lui. Blaise. Qui errait avec son acolyte favoris, Julien. Nos regards se croisèrent et je vis Julien regarder rapidement Blaise, comme pour savoir quelle posture avoir face à nous. Eden, qui portait encore quelques traces de son affrontement avec les deux garçons les toisa, d'un regard mauvais.
– Salut, lâcha Blaise, le plus naturellement du monde.
– Salut.
Nous avions répondu en choeur, ce qui eut pour effet de lui faire serrer les dents. Nous restâmes là, au moins dix bonnes secondes à se regarder dans le blanc des yeux, sans qu'aucun son ne sorte de nos bouches. C'était comme un duel de regard entre Blaise et Eden. Jusqu'à que Julien tapote timidement la manche de son ami.
– On... On y va Blaise ?
– Ouais.
Il dégagea sa main d'un geste dur et nous lança un dernier regard froid avant de tourner les talons. Julien eut un air vaguement désolé, mais puisqu'il avait un rôle à jouer en présence de son grand maître Blaise, il nous snoba, la tête haute.
– Ils me désolent., lâcha Eden.
– De qui ?
– Blaise ou Julien ?
– Les deux. Franchement, Blaise... il pense sérieusement que personne ne va rien remarquer ?
– De ?
– Tu verras.
– Eden ?
– Tu verras je te dis. Je ne voudrais pas te gâcher la surprise pour le moment venue. Mais je ne me suis jamais trompé sur ce genre de chose.
Je n'avais aucune idée de quoi il me parlait. Pourquoi s'était-il mis à me parler en code tout à coup ? Il haussa les épaules et m'attrapa la manche, m'intimant alors de le suivre.
* * *
Ce soir, une nouvelle fois, je ne pus échapper à ma mère. Depuis qu'elle m'avait fait ses excuses, elle tenait à venir me parler à la fin de chaque journée. Quelque part, j'aimais bien ça. Je rattrapais les semaines perdues, à lui parler de tout et de rien. Mais bien souvent, la discussion dérapait, dès que nous abordions le sujet « EDEN » ou celui d'un autre individu de genre masculin. Sans que je ne comprenne pourquoi, ma mère s'était mise en tête que j'étais le genre de garçon pas vraiment sérieux, à vaguer de mec en mec, sans trop me poser de questions. Sauf que cette fois-ci, nous étions à table, avec ma sœur et mon père. Et clairement, je n'avais pas envie qu'elle remette le sujet sur le tapis une énième fois.
– Chérie, tu l'embarrasses..., annonça mon père en me lançant un regard compatissant.
Ma mère souffla, et le reste du repas se déroula dans le calme. Je remerciais mon père d'un geste de la tête. J'avais clairement le meilleur des pères que cette terre eut portés jusqu'à nos jours. Et je le savais.
« J'ai une question Adel. »
« Vas-y ? »
« Est-ce qu'une fois que la situation s'est arrangé entre toi et ton père, il a commencé à se comporter bizarrement ? »
« Non. Tout est redevenu parfaitement, normal en fait. Pourquoi ? »
« Ma mère me gonfle. Elle me pose 36 mille questions gênantes, jen peux plus. »
« Ah xD »
« Je suppose que je vais devoir attendre que ma sœur lui présente quelqu'un, ça détournera son attention. »
« Je croise les doigts pour toi ! »
Il eut un petit blanc dans notre conversation, jusqu'à qu'Adel se décide à écrire de nouveau.
« Il paraît que vous êtes redevenu amis pour de bon, pour de vrai avec Eden ? »
« Nous l'étions déjà, mais je crois qu'il avait besoin d'officialiser. »
« Lol. Je pense oui. Ça fait une heure qu'il m'en parle. »
« Vraiment ? »
« Tu ne pouvais pas le rendre plus heureux aujourd'hui, crois-moi. »
« Et toi, tu en penses quoi ? »
« Moi ? Pourquoi tu me demandes ça ? »
« Je sais pas, oublie. »
« Je suis content pour vous, si c'est le fond de ta question. »
Oui, ça l'était plus ou moins. Mais je n'avais pas envie de revenir sur l'an dernier, et de sa rupture avec Eden. J'avais toujours cette impression d'avoir fait voler en éclat leur couple – alors que lui comme Eden m'avait assuré une dizaine de fois que je n'y étais pour rien – alors je n'allais pas remettre ce sujet sur la table.
« Faut que j'te laisse, j'ai un rencard. »
« Ok. »
Avec qui ? Où ? Les questions affluèrent alors dans ma tête. Pourquoi me balançait-il ça comme ça ? Ne pouvait-il pas garder ce genre de chose pour lui ? Sans déconner, il savait pertinemment que j'allais me poser trois tonnes de questions après. Tout comme pour sa stupide saint-valentin. C'était plus fort que moi, j'étais comme ça. Et je savais qu'il avait fait exprès. Ça le faisait marrer.
Et puis d'abord, pourquoi j'en avais quelque chose à faire moi ?
* * *
(ര‿ര)
et hop, deux chapitres pour cette semaine ! ♥
*La place des Quinconces est une des places principales de la ville de Bordeaux. Elle fait 12 hectares, oui oui, c'est une très grande place, la plus grande de France, et l'une des plus grandes d'Europe ! Toute l'année, plusieurs manifestations y prennent place, la foire, les antiquaires, des cirques... Breeef. On y retrouve également la colonne des Girondins, érigée en l'honneur des députés girondins victimes de la Terreurs. Son nom lui vient du fait qu'elle soit plantée à moitié d'arbre seulement. Fun fact, je ne compte plus le nombre de prononciations différentes que j'ai entendu pour « Quinconces ». Voilà, pour ceux que ça intriguait, c'était une petite présentation des Quinconces ♥ (et avec l'un de mes jobs étudiant j'ai eu le loisir de bosser des journées entière juste à côté, croyez moi, j'ai eu le temps de la voir, cette grande roue de la mort).
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