33. CELUI QUI ÉTAIT CONVOQUÉ
J'attendais Eden avec impatience. Inès était à côté de moi, et elle aussi semblait mal digérer le temps d'attente qui s'allongeait de plus en plus. Devant nous, le bureau du directeur de notre lycée. À l'intérieur se trouvaient Blaise, ses parents, Eden et ses parents également. Nos cours étaient terminés depuis une heure et demie, mais avec Inès nous avions tenu à rester pour entendre la fin de l'histoire, en direct. Mon corps tout entier bouillonnait, et je n'espérais qu'une chose : que Blaise prenne cher. Et je savais pertinemment que ma camarade de classe en pensait tout autant. De temps à autre nous entendions des voix s'élever. Puis, le ton redescendait d'un seul coup. J'entendais des « c'est scandaleux » ou encore des « je ne reconnais pas notre fils », tout droit sorti de la bouche de la mère de Blaise. Cette vieille harpie grincheuse devait défendre son fils bec et ongles. Contre vents et marées, peu importe ce qu'il faisait. J'étais même persuadé que si Blaise venait à pousser un pauvre malheureux du toit du lycée, sa mère lui trouverait toutes les excuses du monde. Sauf que cette fois-ci, son chéquier et son gros compte en banque ne la sauveraient pas : les parents d'Eden n'étaient pas à plaindre d'un point de vue financier, et ils n'avaient que faire des sous qu'elle avait bien tenté de leur refiler pour tasser l'histoire, et passer à autre chose. Malheureusement pour elle – et son mari que j'oubliais souvent dans l'histoire tant l'homme était invisible – les parents d'Eden étaient décidés à ne rien lâcher. Et ils étaient coriaces, comme leur fils. Dommage.
– Tu penses que ça va durer encore longtemps ?, me demanda Inès en chuchotant.
– Je sais pas... ça va faire une heure et demie qu'ils sont là-dedans...
Et je devais avouer que ça commençait à faire long. En parallèle, mon père, ma sœur, Maya et Adel me demandaient des nouvelles toutes les dix minutes. J'avais l'impression d'être un reporter de guerre en terrain hostile.
– Tu crois que ça va changer quelque chose, tout ça ?
– Je ne sais pas... Eden a porté plainte l'autre jour. Blaise encourt jusqu'à mille cinq cents euros d'amende, et ses parents étaient prêts à payer... Par contre, en ce qui concerne les mesures au sein du lycée... Son père a parlé de porter plainte contre eux, parce que tout ça s'est déroulé devant le lycée.
– C'est un problème ça, non ? Techniquement, c'est en dehors du lycée...
– Oui. Ils savent qu'ils ne pourront pas aller au bout. En revanche, ils essaient de faire bouger les choses. D'où cette réunion.
Parce que le lycée était fautif d'avoir laissé une telle ambiance s'installer. Et de ne n'avoir rien fait quand Eden se faisait harceler. Il avait tout porté tout seul, avec le soutient de notre professeur d'histoire qui s'était gentiment refait mettre à sa place par le reste du corps enseignant. J'étais prêt à faire part de ma propre expérience s'ils le désiraient, j'en avais fait part aux parents de Eden.
La porte en face de nous s'ouvrit enfin, et Inès se ratatina dans son fauteuil. Les parents de Blaise sortirent en premier, et la mère me dévisagea comme si j'étais le dernier des abrutis. Blaise me toisa de haut en bas, avant de souffler. Les traits de son visage étaient tiré, il semblait complètement hors de lui mais, même s'il avait tenté de le cacher, il avait pleuré, et je le voyais clairement. Serait-ce des larmes de regrets Blaise ? Son père passa en silence, le regard complètement dans le vide. Son père en lui ressemblait pas. Je le voyais depuis des années, sans y prêter grande importance, mais je ne doutais pas un seul instant que cet homme regrettait non seulement sa femme, mais aussi son déchet de fils. Son visage jovial était ici si fermé que j'en eus un pincement au cœur. Il nous salua poliment d'un signe de la tête avant que sa femme ne le hèle à l'autre bout du hall du lycée. Il soupira et se dirigea vers le reste de sa famille en traînant presque des pieds.
Eden et ses parents sortirent à leur tour. Eden le coud toujours en Minerve car ce dernier se plaignait encore de quelques douleurs à l'arrière de la nuque. Son visage portait encore les stigmates de son agression et ni lui, ni Louis ne se leurrait : il allait les porter encore quelque temps. La mère de Eden avait le visage rouge tomate, comme si elle avait passé toute la réunion à hurler, à s'énerver. Ses joues étaient légèrement gonflées, et son mari lui tapotait gentiment le dos, comme lui intimer de se calmer.
– Alors ?, demanda timidement Inès.
– Il est suspendu du lycée. Pendant une semaine, cracha Eden.
– C'est tout ?
– Oui, c'est tout. Et le proviseur s'est engagé à sensibiliser davantage les élèves. Et s'il recommence, il sera renvoyé pour de bon.
– Un avertissement sera également laissé sur son dossier scolaire, si toutefois les écoles de commerce en ont quelque chose à faire, une fois un gros chèque entre les mains..., rajouta sa mère, amère.
– C'était parfaitement injuste.
– Au moins, moi, je n'ai rien.
J'ouvris de grands yeux.
– Au départ, je devais être puni aussi.
– Pardon ?
– Je crois que votre proviseur n'avait pas bien saisi la situation, une fois les choses misent au clair, il a dû se rendre à l'évidence : notre Eden n'a pas choisi de se faire tabasser sciemment devant son lycée.
Le ton de ton père était dur, et je le comprenais. Non seulement son fils terminait à l'hôpital après une journée de cours parce qu'il était homosexuel, et en plus de cela, on avait voulu le punir pour ça. Le monde ne tournait pas rond.
– Merci de m'avoir attendu en tout cas..., souffla Eden.
Inès et moi hochâmes de la tête. Mais elle comme moi, nous pensions la même chose : Blaise n'en avait pas eu assez. Il allait recommencer, plus tard. Pas cette année, ou en tout cas, pas dans l'enceinte du lycée, il n'était pas stupide pour de nouveau risquer sa scolarité. Mais plus loin. Ce garçon était une cause perdue.
* * *
Le soir même, mon père s'inquiéta de la situation et voulut prendre des nouvelles. Je lui rapportais donc ce qui s'était dit que ce que j'avais appris de la réunion de cette fin de journée. Sacha nous écoutait attentivement, oubliant de manger au passage. Elle, suivait toute cette histoire comme un feuilleton télévisé, mais de manière terriblement sérieuse. De temps à autre elle glissa quelques remarques acerbes à l'encontre de mon camarade de classe, et quelques mots gentils pour Éden. Ma sœur l'appréciait beaucoup bien qu'elle ne le côtoyât que très peu. Cependant, je notais que ma mère ne restait pas totalement indifférente à cette discussion. Elle ne participait pas, se contentant d'écouter, mais la voir – pour une fois depuis des semaines – s'intéresser à ce que je racontais me faisait un bien fou.
– J'espère que ce garçon retiendra la leçon..., murmura-t-elle.
Et ce furent quasiment ses seuls mots du repas avec « tu me donnes le sel s'il te plaît ma chérie ? » ou « quelqu'un veut encore des légumes ? ». C'était déjà ça. On était sur la bonne voie pour que, de nouveau, tout le monde se parle dans cette foutue baraque.
« Adel, je crois que ma mère veut faire un effort. Elle m'a parlé à table. Indirectement, mais elle m'a parlé. »
Je n'attendis pas longtemps avant de recevoir sa réponse. C'était le truc pratique avec lui, j'avais l'impression qu'il était h24 sur ton téléphone.
« Tu vois, je t'avais dit ! »
« Tu crois que notre relation redeviendra comme avant ? »
« Elle sera différente. Tu ne peux pas oublier qu'elle t'a ignoré pendant des semaines. Mais tu sais quoi ? Je suis sûr que lorsque ça ira vraiment bien, elle sera ta plus fervente supporter. »
« Tu crois ?»
« Ouais. C'est exactement ce qui s'est passé de mon côté. »
« Je crois les doigts alors ! »
Peut-était qu'Adel n'avait pas faux, au fond. Peut-être que la situation entre moi et ma mère était vouée à évoluer, et cela, vers le bon sens. Tout ce que je souhaitais, c'était retrouver l'ambiance d'autrefois dans la maison.
* * *
Le lendemain au lycée fut assez curieux. Évidemment en quelques jours la nouvelle avait fait le tour, et si les secondes ou première n'en avaient pas réellement quelque chose à faire, chez les terminales en revanche, c'était autre chose. Tout le monde savait. Et tout le monde jugeait Blaise sans qu'il ne soit là. Lui qui chérissait tant son concept de réputation à la noix venait de descendre en enfer, sans même être présent. La loose, jusqu'au bout. Et au fond, n'était-ce pas ça le pire pour lui ? Bien sûr dans la classe, Louis numéro deux, faisait moins le malin. Il n'avait pas participé au tabassage de Eden, ce dernier avait été formel là-dessus. Cependant, il avait cautionné les actes de Blaise depuis le début de l'année et pour ça, les gens le regardaient de travers.
Parce que oui, il fallait attendre que quelqu'un finisse dans un lit d'hôpital pour que les gens de cette classe de tordus réalisent que l'homophobie, c'était un truc sérieux, et pas un sujet de rigolade. Ils me donnaient tous envie de vomir. Sixtine et Clara étaient les pires. À les entendre, elle avait toujours été contre les agissements de Blaise. Elles me refilaient de l'urticaire. Cependant dans la classe, les gens qui depuis le départ ne c'étaient pas vraiment mêlés de l'affaire n'étaient pas dupes : et les deux pestes s'en prenaient plein la figure.
Le mystère résidait chez Julien. Lui avait été présent quand Blaise avait frappé Eden. Il avait donné un coup ridicule, certes, et c'était contenté de le tenir au sol, mais il était toujours là. Blanc comme un linge, les traits tirés, et une tête de coupable que l'on pouvait percevoir à dix kilomètres à la ronde, mais il était toujours là. Blaise l'avait défendu bec et ongles. Et à l'image de notre justice actuelle, tous les coupables n'avaient pas été puni par la loi. Le lycée – ou plutôt ses occupants – se chargerait donc de le punir à la place du directeur. Julien était ignoré, laissé pour compte, et par-dessus tout, tous les ragots sur lui remontaient à la surface. Sans Blaise, il avait l'air perdu. Et tant mieux. Un spectacle pareil me réjouissait. Je me foutais éperdument d'être mauvais à cet instant : j'avais souffert pendant des semaines. Et Eden pendant des mois.
« Alors, comment ça se passe au lycée ? Eden va mieux ? »
Maya s'inquiétait toujours de la situation. J'avais appris avant-hier qu'elle prévoyait de rentrer sur la région bordelaise pendant quelques jours, et mon cœur avait fait un bond.
« Eden va mieux, Blaise est absent, ça fait un bien fou. Tu les verrais Maya... c'est un spectacle à mourir de rire. »
« J'imagine parfaitement... Si tu savais comme il me tarde de rentrer ! Cette fois-ci, je veux rencontrer Eden pour de bon. Et Adel. »
« Et te réconcilier avec Inès. »
« Rêve. »
« Maya... »
« Si tu veux, je ferais un effort. »
« Merci, tu es la meilleure. »
« Ne crie pas victoire trop vite ! :o »
« Trop tard ! Elle a vraiment changé, je suis sûr que vous vous entendriez à merveille maintenant. »
« Si tu le dis... je dois te laisser, mon cours commence. Je t'aime Louis. »
« Moi aussi chou <3 »
* * *
heya ! peut-être que certain.es sont un peu frustré.es de ce qui arrive à Blaise, et je comprendrais parfaitement... cependant, ce genre de comportement est bien souvent resté impuni, ou bien, dans le cas de Blaise (qui reste un mineur) puni avec quelques reproches. j'ai fais le choix de l'amende en plus, en ayant conscience que bien souvent, les personnes commettant ce genre d'actes n'en voient même jamais la couleur, quel dommage.
j'espère que l'histoire vous plait toujours en tout cas, à la semaine prochaine ! ♥
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