32. CELUI QUI RENCONTRAIT LE PROF D'HISTOIRE

Le visage d'Eden restait gravé dans ma mémoire. Pas son beau visage souriant et impeccable. Non, c'était celui que j'avais vu la veille, dans un lit d'hôpital. Amoché, meurtri, blessé à tout jamais. Ce soir-là, quand mon père me ramena à la maison, je ne réussis pas réussi à dormir. Il avait eu du mal à me faire quitter la chambre de Eden, et encore plus à me faire lâcher sa main. Mais les médecins étaient formels : Eden avait besoin de repos, et sa famille, d'intimité. Adel avait ramené Inès, complètement sous choc qui n'avait pas réussi à arrêter de pleurer. Il m'avait envoyé quelques messages doux, pour me réconforter, et me proposer de retourner voir Eden demain, après les cours. J'avais accepté. Et Inès aussi. 

Mais cette nuit-là, donc, je me trouvais incapable de fermer l'œil. En réalité, je n'arrivais pas à m'ôter l'image de Eden au sol, roué de coups. Je n'avais rien vu, mais voir l'état dans lequel il se trouvait à présent en disait long sur comment s'était déroulé la scène. Je pleurais comme un bébé. Au milieu de la nuit, ma sœur vint me rejoindre. J'avais l'impression d'être un gosse malade que sa grande sœur cajolait. Mais il n'en était rien. Ma petite sœur avait appris ce qui était arrivé à Eden par la bouche de mon père, et elle semblait tout aussi effondrée que moi. Quand je me réveillai le lendemain matin, elle était partit. En cours, sans doute. Et étonnamment, j'étais toujours là. Ma montrer indiquait qu'il était neuf heures. J'étais à la bourre. Je me levai d'un seul coup, quand une voix derrière la porte me fit suspendre tous les gestes. 

– Arrête chéri, ce n'est pas raisonnable... Il doit aller en cours., c'était la voix de ma mère.

– Louis n'est pas en état. Tu l'aurais vu hier soir, à l'hosto... Tu aurais vu ce gamin, chérie, il était détruit. Je le laisse se reposer, et s'il souhaite aller en cours un peu plus tard, il ira, sinon, il reste ici. J'ai pris ma journée au cas où.

– Je comprends mais...

– Ton fils a été amoureux de ce garçon bon sang !

Le ton montait un peu derrière la porte, je me ratatinais sur mon lit.

– Je te laisse gérer ça avec le lycée, lâcha ma mère.

J'entendis des bruits de pas s'éloigner et la porte de ma chambre s'ouvrit doucement. Mon père apparut dans l'encadrement de la porte, un petit sourire doux aux lèvres.

– Tu vas mieux Louis ? Tu as réussi à dormir ?

Je secouai la tête et mon père lâcha un soupire.

– Tu te sens d'aller en cours aujourd'hui ? J'ai reçu un message des parents d'Inès, la pauvre chérie reste chez elle aujourd'hui. Les parents de Eden ont prévenu le corps enseignant de ce qui s'était passé, alors si tu en te sens pas de...

– Je veux rester ici.

– Bien. Je m'en doutais un peu...

– J'irais voir Eden ce soir, Adel m'a proposé d'y aller...

– Je viendrais avec toi.

– Merci papa.

Il me sourit et referma la porte de ma chambre. J'attrapai mon ordinateur avant de me blottir sous la couette. Je parcourrai le catalogue Netflix sans rien trouver d'attrayant. Je n'arrivais pas à penser à autre chose. Maya m'envoya quelques messages de réconfort : je l'avais mise au courant et évidemment, elle n'avait pas tardé avant d'insulter Blaise de tous les noms, et de le menacer de mort à distance. Ensuite, elle avait pris des nouvelles de Eden. 

Si nos derniers échanges avaient été plutôt froids, j'avais l'impression que aujourd'hui, ni elle ni moi n'en tenions rigueur. Il n'y avait pas souvent eu de bas dans notre amitié, et les rares moments où Maya et moi avaient été en froid n'avaient jamais duré très longtemps : nous étions bien trop proches l'un de l'autre pour s'ignorer ou se bouder plus d'une journée.

* * *

Un drôle de silence régnait dans la voiture. Je jetai un œil à mon père, très concentré sur les bouchons en sortie de rocade.

– Papa ?

Mais j'avais une question importante à poser, et je sentais que c'était le bon moment.

– Maman me déteste toujours, hein ?

– Elle ne te déteste pas Louis...

– Vraiment..., ronchonnais-je.

– C'est plus euh..., comment dire... Raah, mais avances-toi !

Il donna un grand coup de klaxon qui me fit sursauter et la voiture devant nous se mit – enfin – à avancer.

– Elle n'arrive pas à comprendre que l'image qu'elle s'est faite de toi n'est pas la bonne.

– Vous vous disputez souvent à cause de moi ?

Mon père soupira. Oups. J'avais peut-être posé la question de trop. Mais entre ce matin, et les autres jours où j'avais surpris des conversations plutôt houleuses entre eux... Je me posais réellement des questions. Sans compter dimanche dernier, quand Sacha avait retrouvé mon père dormant sur le canapé du salon. Je m'inquiétais, ma sœur aussi, et j'avais l'impression que tout était de ma faute.

– Louis, en aucun cas ce qui se passe entre ta mère et moi est de ta faute, compris ?

– Mouais.

Il n'alla pas plus loin et je fermais mon clapet : je ne voulais pas mettre mon père encore plus mal à l'aise. J'avais déjà l'impression d'avoir gâché son mariage alors... Je me contentais donc de regarder par la fenêtre, en priant pour que les bouchons se débloquent enfin, que nous puissions arriver à l'hôpital. J'en profitais pour envoyer un message à Adel, lui précisant que j'étais en route. 

Nous arrivâmes à l'heure estimée, et je m'empressai de me présenter à l'accueil. Adel m'attendait devant la chambre de Eden, les mains dans les poches. Mon père, quant à lui, se dirigea vers ses parents pour les saluer et sans doute, parler un peu. Il n'avait pas vraiment eu le temps hier soir.

– Il est réveillé, et vient tout juste de manger., me précisa Adel en poussant la porte de la chambre.

Je fus surpris de ce que je vis en entrant dans la pièce. Eden était assis dans son lit, le dos appuyé contre une pile de coussins blancs. Sur ces genoux, son plateau-repas à moitié vide. Il avait toujours sa minerve autour du cou, et ses bleus étaient un peu moins moches qu'hier soir. Juste un peu. Son visage restait meurtri et un de ses yeux ne parvenait pas encore à s'ouvrir entièrement.

– Louis !

Pourtant, la voix du garçon hospitalisé me frappa de plein fouet. Joyeuse. Comme (presque) toujours. Il semblait oublier l'état dans lequel il se trouvait. Je m'avançai, presque timidement, sans comprendre d'où me venait cette soudaine incapacité à articuler deux mots. Il n'avait pas mangé grand-chose de son plateau.

– Tu vas bien ?

– Ça... euh, c'est plutôt à moi de le demander.

– Je vais bien ! Enfin, si l'on oublie que je vais rester moche pour tout le reste de ma vie maintenant...

– Ne raconte pas n'importe quoi..., soupira Adel en levant les yeux au ciel.

Eden afficha une moue vexée.

– Ne fait pas cette tête Louis, j'ai eu de la chance. Ça aurait pu être pire. Et le lycée a dit qu'il prendrait des mesures, puisque tout ça c'est passé devant l'enceinte du lycée. 

Je hochai la tête. Je n'y croyais qu'à moitié. Notre proviseur était une poule mouillée. Mais d'un autre côté, il y avait Eden, et ses parents. Et la plainte qu'ils avaient déposée à l'encontre de Blaise. Il tapota son lit, comme pour m'inviter à venir m'asseoir et je m'exécutais en silence. Adel quant à lui tira une chaise pour s'asseoir à côté du lit et croisa les bras sur son torse. Quel spectacle nous offrions en ce moment même. Un garçon dans son lit d'hôpital, et ses deux ex qui ne savaient plus quoi dire en le voyant dans un état aussi pitoyable. Finalement, ce fut Eden (quelle surprise) qui rompit la glace en lançant une blague sur la bouffe dégueulasse à laquelle il n'avait pas touché. Seule la compote de pommes avait trouvé grâce à ces yeux. Partant de là, je ne sus pas combien de temps nous passâmes à rire, à critiquer à peu près tout et rien comme une vieille bande de potes. L'espace d'un moment, j'en oubliais que nous nous trouvions dans un milieu hospitalier. Ce ne fut que lorsque quelqu'un frappa doucement à la porte, interrompant alors nos rires, que je repris conscience de l'endroit exact dans lequel je me trouvais. 

– Oui ?

La porte s'ouvrit et j'écarquillais les yeux de surprise. Notre professeur d'histoire se trouvait là, dans l'encadrement de la porte.

– Il paraît que mon élève préféré est enfin réveillé ?

Le voir dans un autre cadre que celui d'un cours d'histoire me faisait tout drôle. Enfin, c'était souvent ça avec nos professeurs, je peinais toujours à les voir dans d'autres situations que celle en train de faire cours. Je me repris aussitôt, fermant ma bouche grande ouverte.

– Je croyais que c'était moi votre élève préféré., ronchonnais-je.

– Mmh, disons que vous l'êtes tous les deux !, rigola-t-il.

Adel pouffa dans son coin, et notre professeur s'avança.

– Comment vas-tu mon garçon ?

– Mieux.

Notre professeur sortit de son sac une chemise cartonnée et un sachet de chocolat au lait.

– Pour avoir déjà fait un séjour ici, je sais que la bouffe est immonde., déclara-t-il. Et ça, c'est votre devoir de la semaine dernière, excellent comme toujours.

Le visage de Eden s'illumina.

– Merci monsieur.

– Ce n'est pas grand-chose. Et par rapport à ce qui s'est passé... J'en ai parlé avec tes parents, et j'ai rapporté aux directeurs le comportement plus que limite que Blaise a eu à ton encontre ces dernières semaines. Je sais que tu ne souhaitais pas que j'intervienne mais...

– Vous avez bien fait. J'aurais dû vous laisser votre travail monsieur...

Notre professeur soupira et acquiesça. Sans doute ne s'était-il pas imaginé que cela irait si loin. Tout ce que j'espérais, c'était que Blaise ne s'en tire pas comme ça. Et visiblement, notre professeur était du même avis. Et depuis que j'avais entendu le début d'une conversation téléphonique entre lui et un illustre inconnu, je comprenais mieux pourquoi. Il continua de parler encore un peu avec Eden et je fis signe à Adel que j'allais me chercher un petit quelque chose à boire au distributeur dans le couloir.

Mon père attendait devant le distributeur, avachi dans un fauteuil qui avait l'air assez confortable, faisant la causette à un gars que je n'avais jamais vu. Les parents de Eden avaient dû rentrer chez eux pour aujourd'hui.

– Tient Louis, j'ai de la monnaie pour le distributeur.

– Euh... merci...

Mes yeux faisaient la navette entre mon père et l'homme à qui il parlait de manière assez enjouée. Ce dernier capta mon regard insistant et se leva pour me serrer la main. Ce fut mon père qui s'empressa de faire les présentations.

– Daniel, son conjoint est en grande discussion avec Eden.

Son conjoint. Le prof. Je serrai la main qu'il me tendait, en souriant bizarrement. L'inconnu du téléphone, c'était lui ? Un homme de grande taille, la peau bronzée, à la taille fine. Il devait avoir quelques années de moins que notre professeur, ou bien un métier moins éprouvant que ce dernier, ce qui expliquait le manque de ride sur son visage. Mon professeur n'était pas vieux, je le savais, j'avais cherché sur internet quand j'étais en seconde, mais son visage fatigué lui rajoutait facilement quelques années de plus dans ces mauvais jours. Son conjoint ressemblait à un mannequin tout droit sorti d'un magazine sportif. Le genre que j'aurais bien vu poser à côté de planches de surf. J'avais essayé de m'imaginer notre professeur en couple, mais je devais avouer que cet homme ne ressemblait pas du tout à ce que j'avais imaginé. Mon professeur, avec son petit air de chercheur de faculté, et lui, qui... Disons que les deux hommes n'avaient vraiment rien à voir l'un avec l'autre, et je trouvais presque ça marrant. Je me demandais comment ces deux-là avaient du se rencontrer d'ailleurs. Bref, je me posais trop de questions, comme d'habitude.

– Enchanté.

– Moi de même !

Je n'aurais jamais cru rencontrer cet homme ici, et encore moins en de telle circonstance.

– Daniel et Joachim sont des amis aux parents de Eden, tu le savais ?

– Euh non je...

L'homme devant moi rigola. Je crois aussi que c'était la première fois que j'entendais le prénom de mon professeur d'histoire évoqué dans un autre cadre que le lycée.

– Joachim fait comme si de rien était au lycée. Pour éviter le moindre malentendu.

Voyant mon air un peu perdu – parce que j'étais certains que Eden ne connaissait pas notre professeur d'histoire avant la rentrée continua.

– Le père de Eden est agent immobilier, c'est grâce à lui que nous vivons dans une maison géniale depuis deux mois !

Ah. Ceci expliquait cela. Et connaissant les parents de Eden, cela avait dû matcher directement entre eux. Donc Eden savait pour notre professeur et son... conjoint. Petit cachottier. À ce moment-là, Joaquim sortit de la chambre de Eden, tout sourire.

– Ce garçon est vraiment génial !, lâcha-t-il.

– Oui..., murmurais-je.

– Tellement de positivité. Il est épatant, continu de prendre soin de lui, Louis.

Il salua mon père, me salua. Daniel l'imita et les deux hommes nous quittèrent. Je remarquais qu'ils prirent soin de ne pas s'effleurer ne serait-ce que la main devant nous. Peut-être que leur couple était récent ? Ou bien peut-être préféraient-ils éviter des regards lourds sur leur personne. Je pouvais comprendre. Mais cela me rendait un peu triste pour eux. 

Ainsi se conclut le dernier jour du premier mois de mon année 2019.


* * *

Hello, vous allez bien ? Il ne se passe pas grand chose dans ce chapitre qui fait vraiment avancer l'histoire, mais il était nécessaire ;) Je profite de cette micro note pour remercier les nouveaux lecteurs/lectrices de mon histoire ! Ça me fait vraiment plaisir de lire vos commentaires, merci merci ♥

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