31. CELUI QUI ALLAIT À L'HÔPITAL

Eden se pencha vers moi, et, d'un air taquin, me souffla à l'oreille.

- Tu crois qu'il va réussir ?

- Il a passé tout le trimestre à glander... ça serait franchement injuste, soufflais-je.

Il pouffa et je l'imitai. C'était le grand jour pour Blaise. Jour qu'il avait repoussé pendant plusieurs semaines. Monsieur avait décrété qu'il se sentait souffrant lors de son évaluation de gymnastique, en décembre dernier. Maintenant, il ne pouvait plus reculer. Concrètement, notre professeur avait besoin de lui coller une note pour le bac, et il ne pouvait plus faire demi-tour, ni supplier sa mère de lui trouver des excuses. Blaise n'était pas une bille en sport, mais en gymnastique, il ne brillait pas comme sur un terrain de football ou de basket. Et après la prestation époustouflante de Eden (le professeur lui avait donné la note de vingt car il n'avait jamais « un élève aussi brillant en barre parallèle dans ce foutu lycée ») aucun des garçons de la classe ne se sentait très à l'aise de passer après lui. Moi, je m'en fichais, je savais que Eden n'allait pas me juger de toutes les façons.

Depuis que nous avions mis les choses à plat, tout allait mieux entre nous. Je n'irais pas jusqu'à dire que tout était comme avant, mais nous nous supportions plutôt bien. De temps en temps, il prenait ma défense quand l'un des garçons me lançait une pique sur la soirée de Noël, il s'en prenait plein la figure, mais se contentait d'encaisser, comme s'il avait fait ça toute sa vie.

Et Blaise s'élança. Au départ, tout allait bien. Et puis il croisa le regard d'Eden, et je le vis. Je vis parfaitement les lèvres d'Eden s'étirer. En un long sourire narquois dont seul lui avait le secret. Blaise sembla blêmir. Eden leva les sourcils. Et Blaise perdit tous ses moyens. Il se cassa la figure pour un simple sourire, et s'étala de tout son long. Certains rigolèrent bruyamment, Sixtine et son pot de colle favori se jetèrent sur lui pour lui demander si tout allait bien. Notre prof, en retrait, fit comme tous bon professeur d'éducation sportive dans de telles situations ; il leva les yeux au ciel et lança un « oh là, tout le monde, on se calme là... » avec son accent du sud qui le caractérisait si bien. Je me tournai vers Eden, les yeux ronds et ce dernier haussa les épaules. Je connaissais le regard qu'il avait fait à Blaise. Je connaissais ce mouvement de sourcil. Il adorait me le faire, du temps où... nous étions encore ensemble.

- Eden, sérieux...

- Bah quoi ? Il me cherche depuis des semaines. S'il n'est pas foutu de résister à un sourire, qu'est-ce que ça doit être quand une meuf le -

Je ne le laissais pas finir et plaquai une main contre sa bouche en pouffant.

- Bordel Eden !

Il rigola contra ma main et je me détendis aussitôt. Inès nous jeta un regard intrigué mais je lui fis signe que tout allait bien. Elle devait être la première ravie de voir que Blaise s'était étalé de tout son long : ce dernier ne s'était pas fait prier pour lui signaler que les cheveux courts lui donnaient des airs de lesbienne refoulée. Inès l'avait mal pris, et lui avait répliqué qu'elle au moins, s'assumait parfaitement sans avoir besoin d'une troupe de connards pour la supporter. Blaise avait critiqué son poids, ne sachant pas quoi répondre, et elle avait juste fini par lui faire un doigt, et par lui souhaiter de se casser la gueule à son évaluation. Je me tournai à nouveau vers Eden, amusé.

- Ne me dit pas que... Inès ?

- J'ai entendu sa dispute avec Blaise. Et on sait tous les deux qu'un garçon qui aime d'autres garçon, ça déstabilise ce pauvre chou.

D'accord, il était fort. Très fort. Blaise allait le lui faire payer en l'insultant deux fois plus que d'habitude, mais je devais reconnaître que mon ex avait la classe et que j'avais envie de me jeter dans ses bras pour le remercier.

La chute de Blaise allait rester dans les mémoires de cette journée. Une fois remit de sa chute il se leva, jura, se fit réprimander par notre professeur qui le congédia et fonça déverser sa haine dans les vestiaires. Eden et moi n'avions d'autres choix que d'attendre avant de retourner nous changer. Je m'attendais à ce que Blaise foute en l'air les affaires de Eden, mais il n'en fut rien. Je fus d'ailleurs très surpris de voir qu'il n'avait même pas coulé un bronze dans son sac, ce qui était pourtant à la hauteur de sa mentalité. D'ailleurs, Eden fut aussi surpris que moi.

Si j'avais su. Si seulement.

* * *

Ce soir-là, Inès m'avait accompagné au volley. J'avais l'impression que depuis l'épisode du baiser, elle cherchait à se racheter par tous les moyens possibles. Elle s'était confondus en excuses dès que nous nous étions revu, et j'avais fait de même, parce que'près tout, en y répondant, je lui avais donné un peu trop d'espoirs.

- Ça ne te dérange pas si je viens alors, hein ?

- Oui Inès, ça ne me dérange pas, ne t'en fais pas...

- D'accord, génial !

- Et tu sais, tu n'es pas obligé de porter mon sac... Bon sang, pose ça !

- Mais ça me fait plaisir !Je levai les yeux au ciel et lui arrachai mon sac des mains.- Inès, bordel. Tu ne vas pas te transformer en bonniche parce que tu m'as embrassé et que tu t'en veux...

- O-oui... Mais...

- On oublie ça. Point, final !

J'avais envie d'en rire, mais cela serait sûrement mal venu. Inès haussa les épaules, les joues un peu rouges et fit comme si de rien était.

Notre capitaine avait décidé de passer à la vitesse supérieure concernant notre entraînement. En cette fin de journée, j'avais l'impression qu'il s'était mis en tête que moi et mes coéquipiers avions une endurance inépuisable... J'étais concentré comme jamais sur le discours de notre capitaine, quand la voix d'Inès, les fesses posées sur le banc de touche, captiva mon attention. Pour le coup, ce fut toute l'équipe qui se tourna vers elle, les sourcils froncés. Elle se ratatina légèrement sur le banc et agita un portable dans sa main. Mon portable. Bordel mais que...

- Ça fait deux fois qu'il appelle... ça avait l'air urgent euh...

- Désolé les gars je reviens, marmonnais-je en me dirigeant vers Inès.

Une fois à sa hauteur, je lui arrachai à moiti la téléphone des mains.

- Tu crains Inès, c'est quoi l'urgence ?

Je portais l'appareil à mon oreille avant d'aboyer à moitié sur la personne à l'autre bout de fil :

« - Ouais ? C'est quoi l'urgence ?

- C'est moi, Adel.

- Sans dec tu-

- Il faut que viennes à l'hôpital.

- Pardon ?

- Je t'ai envoyé l'adresse Louis, c'est urgent, il faut que tu viennes, c'est Eden il...

- J'arrive. »

Je lui raccrochais au nez, soudain paniqué. En moins de deux secondes j'étais devenu livide. Inès guettait la moindre de mes réactions, le visage grave.

- Il faut que j'y aille...

- Louis ? Tu reviens ?, me demanda mon capitaine.

- J'ai une urgence les gars.

- Oh mais tu....

- Je vous expliquerai. Inès, on y va.

Je ne pris pas la peine de me changer, à vrai dire, je jetai en vrac mes affaires dans mon sac avant de me ruer dans le premier bus qui partait en direction de l'hôpital indiqué dans le message d'Adel.

- Louis ?

Je restais silencieux.

- Ça va aller ?

- Je suis trop con.

- Quoi ? Mais ce n'est pas de ta faute...

- Il t'a dit ce qui s'tait passé ?

- Non, juste qu'il fallait que tu viennes.

Pendant le trajet, j'imaginais le pire. Dans quel état était-il ? Que lui était-il arrivé ? J'avais des idées. Des tonnes d'idées, mais je voulais qu'aucune d'entre elles ne soit juste.

J'eus le temps de me faire une centaine de scénario avant d'arriver à l'hôpital, de me présenter, et d'annoncer pour quoi je venais. Mais en face de moi, la femme de l'accueil n'eut pas l'air de vouloir me laisser aller plus loin.

- Monsieur, nous n'autorisons que les membres de sa famille. Votre ami a subi quelque chose de terrible, et pour l'heure, son père et sa mère sont avec lui.

- Et moi.

Je me retournai aussitôt en entendant la voix traînante d'Adel. Les mains dans les poches, un air furieux sur le visage : ses yeux lançaient des éclairs à la dame de l'accueil.

- C'est le patient en question qui a demandé à le voir.

- Oh bon je...

Trois secondes plus tard Adel m'avait agrippé par le bras, moi et Inès pour nous entraîner vers les ascenseurs. Ce ne fut qu'une fois à l'intérieur qu'il nous regarda avec un air vraiment triste, et qui n'avait plus rien à voir avec le Adel provocateur de l'accueil.

- Tu nous expliques ?

- Il s'est fait tabasser après les cours. Il m'avait demandé de le conduire à un de ces rendez-vous après les cours, avec ma voiture, ça va plus vite. Quand je suis arrivé, Blaise lui était tombé dessus avec deux autres connards.

À ce moment-là, j'arrêtais de respirer. L'ascenseur se stabilisa et les portes s'ouvrirent.

- Je l'ai amené ici, j'ai téléphoné à ses parents... Il est encore inconscient, j'ai menti à la femme de l'accueil, mais... je sais pas. Tu devais savoir, et...

Inès posa une main sur l'épaule du plus âgé et réprima un drôle de sanglot. Adel nous emboîta le pas et nous conduisit à une chambre devant laquelle je reconnus aussitôt les parents de Eden. Me voir les fit sourire un bref instant et sa mère insista pour nous prendre - Inès et moi - dans ses bras. Ses yeux étaient rouges, comme son nez.

- Nous ne voulons pas le laisser seul, bredouilla-t-elle.

Le visage de son mari était indéchiffrable.

- Vous pouvez aller vous chercher un petit quelque chose madame Verdier. Nous pouvons rester avec lui. Elle acquiesça et son mari la prit par la main, comme pour l'aider à avancer. Deux mètres plus loin, elle éclata en pleurs. Adel nous ouvrit la porte et je me figeai aussitôt. Inès se jeta sur le lit d'Eden et plaqua une main sur sa bouche.

- C'est les médocs qui l'ont assommé, il n'est pas dans le coma..., spécifia Adel d'une voix basse.

Eden était méconnaissable. Minerve autour du cou, visage violacé, lèvre enflée... Je m'agrippai aux barreaux du lit pour ne pas s'évanouir. Le voir ici, dans un état pareil me paraissais irréel. Alors c'était ça, hein ? À vouloir être soi-même on terminait forcément dans un état lamentable. Je sentis une larme rouler sur sa joue. Adel tira une chaise et s'assit à côté du lit, les mains jointes sur ses genoux.

- Quand je suis arrivé, il venait à peine de commencer tu sais. Quand j'ai compris ce qu'il était en train de faire, j'ai foncé sur Blaise avec ma caisse. J'ai freiné au dernier moment pour leur faire peur. Je crois que j'ai niqué mes pneus sur le trottoir d'ailleurs... Ils sont écartés, et je l'ai vu. Je crois que si je m'étais pointé deux minutes plus tard, il serait dans un état encore pire que celui-là. Quand je l'ai récupéré, il a eu le culot me dire que ça allait, et que je pouvais juste le raccompagner chez lui. Quel con. Et puis, il s'est évanoui, et je l'ai amené ici.

Les genoux du garçon tremblaient sous le coup de la colère.

- J'aurais du...

- Rien du tout Louis, le coupa Inès.

Elle agrippa la main de Eden dans la sienne.

- Rien du tout, tu entends ? Tu ne peux pas rester h24 avec lui pour t'assurer que des connards comme Blaise ne lui tombent pas dessus. Il faut qu'il porte plainte.

- Ses parents ont prévenu la police, répondit Adel.

Je soufflai. Fallait-il vraiment en arriver là pour que Blaise comprenne la gravité de ses actes ? Dans l'immédiat, j'avais envie de sonner chez lui, et de lui casser la gueule. La simple idée de l'envoyer dans le lit voisin de celui de Eden me réjouissait un peu trop. Ceux qui clamaient que la répondre la violence par la violence n'y connaissaient rien : ils n'avaient jamais vécu une chose pareille. C'était tout con, mais c'était humain. On venait d'envoyer un être qui m'était cher dans un lit d'hôpital, pour un motif bidon.

Il me fallut une bonne minute pour enfin m'approcher du lit. Eden avait toujours les yeux clos. Mal en point, il l'était. Sans doute allait-il lui falloir plusieurs semaines pour s'en remettre. Son beau visage était désormais marqué par les coups d'une violence qui ne devait plus exister. J'effleurai ses doigts, posé au-dessus de ses draps blancs d'hôpital. Il ne bougea pas. Je ne vis pas le regard désolé que me lança Adel, ni Inès qui ne retenait plus ses larmes. Ce dernier se leva pour la prendre dans ses bras et elle accepta en reniflant. Moi, j'avais le regard braqué sur le visage de ce garçon que j'avais détestais pendant plusieurs semaines. Je l'avais maudis, en lui souhaitant le pire. Et le pire était arrivé. Dire que je m'en voulais était un euphémisme.

Sans doute que Eden garderait des traces de cette agression gratuite. Tout ce que je voulais, c'était que Blaise, et ceux qu'il avait entraînés avec lui, paient. Je refusais de le voir demain, en cours, comme si de rien était. Je refusais de le voir sourire fièrement après ce qu'il avait fait à Eden. Dans ma poche, mon portable vibra plusieurs fois. Mes parents me demandaient où je me trouvais. Enfin, mon père. Je lui répondis en deux secondes, expliquant la situation en quelques mots à peine. Dans la minute qui suivit, mon père m'envoya un message comme quoi il venait me rejoindre à l'hôpital. Je n'avais pas spécialement envie de le voir dans un moment pareil mais... Mon père devait se faire du souci. Il connaissait Éden, sans doute voulait-il parler un peu avec ses parents.

Soudain je sentis doucement quelque chose remuer sous mes doigts. Ceux de Eden. Ses paupières papillonnèrent un bref instant avant de s'ouvrir pour de bon. Son œil gonflé ne facilitait pas les choses. Sa bouche s'entrouvrit légèrement, et ses lèvres remuèrent pour former un prénom, le mien. Alarmée, Inès se jeta sur le lit, suivit d'Adel. Dans leur regard, la panique, mais aussi la joie de le voir réveillé. Je le vis essayer de sourire, et la porte de sa chambre s'ouvrit en grand, laissant apparaître ses parents, de retour de la petite cafétéria du rez-de-chaussée. Sa mère manqua de renverser son reste de café et se jeta sur son fils, l'étouffant avec ses baisers et ses caresses sur le front. quant à moi, à ce moment-là, je sentis les larmes couler pour de bon sur mes joues froides.


* * *

hi hi, j'espère que vous allez bien (。◕‿◕。)

Désolé pour le retard de parution, j'espère que ce chapitre (un peu dur sur la fin) vous a plu ! À la semaine prochaine :)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top