30. CELUI QUI FAISAIT UNE CONNERIE
Ma mère m'ignora une nouvelle fois du regard alors que je tendais la main pour avoir la carafe d'eau. Je vis du coin de l'œil Sacha lever les yeux et ciel et souffler bruyamment, mais cela ne changea rien. Et puis de toute façon, depuis le temps, je m'y étais habitué, aussi triste que cela pouvait paraître. Mon père n'était pas là ce soir, et le dîner était glacial, comme toutes les fois où il devait s'absenter. J'avais bien tenté de lancer une discussion avec ma mère, mais hormis hocher de la tête, répondre quelques « mmh » ou quelques « oui, d'accord », je n'avais pas réussi à lui faire cracher d'autres mots. Sacha était agacée par cette situation, tout comme moi. Au départ, j'avais été triste. Triste que ma propre mère en me regarde plus dans les yeux, comme si le regard pouvait filer des maladies mortelles. Et puis, au bout de plusieurs jours, je m'étais agacé, comme ma sœur.
– Comment se passe le lycée ma chérie ?
Ah oui, j'avais oublié de préciser un détail important : parler à Sacha de sa vie, ses amours, sa scolarité devant moi ne lui posait aucun souci. Et je voyais bien la gêne envahir ma sœur à chaque fois qu'elle le faisait.
– Bien, bien, marmonna-t-elle.
Ma sœur avait un garçon qui lui plaisait, au lycée. Elle me l'avait confié il y a quelques jours. Mais elle refusait d'en parler à ma mère, de peur que cette dernière me fasse une belle leçon de morale sur ma sœur parfaitement normale, et moi qui avais choisi (évidemment, choisi) un chemin complètement différent. Elle gardait ça pour elle, et pour moi. De temps en temps, elle venait me voir et me parler de ce garçon qui la faisait rêver. Je l'écoutais, je la questionnais, et je m'inquiétais aussi un peu, parce que j'étais trop protecteur dès que ça parlait de mecs et de ma sœur.
La suite du repas se déroula dans un silence quasi total, et puis, ma mère monta se coucher. Mon père rentra deux heures après, parla quelque temps avec nous. J'étais prêt à parier que ma mère écoutait. Et j'espérais qu'elle regrettait son comportement. C'était celui d'une gamine de douze ans.
* * *
Nous étions samedi, et pour fuir le climat un peu étouffant de ma maison, Inès m'avait invité à sortir en ville. Inès et moi, ça allait mieux. J'avais l'impression qu'elle avait en quelque sorte, passé l'éponge sur toute cette histoire. Ce jour-là, elle avait pris une grande résolution, celle de ne plus prêter attention au regard des gens sur son style vestimentaire et capillaire. Je me retrouvais donc assis chez un coiffeur, à la voir trépigner sur place, les joues rouges.
– Ça va aller tu sais, on n'est pas à un examen de maths !
– J'angoisse Louis. Et si ça ne me va pas ? Et si – elle baissa d'un ton – le coiffeur me rate ?
– Tu te barres sans payer, rigolais-je.
Elle me tapa l'épaule. Inès voulait dire adieu à sa couleur artificielle, d'une part, mais surtout à une longueur de cheveux qu'elle n'avait jamais vraiment voulue. Elle rêvassait devant les modèles aux cheveux plus courts, aux franges minuscules. Elle montra son modèle au coiffeur qui se fit une joie d'en parler avec elle, et il donna les premiers coups de ciseaux. À son corps complètement figé dans le siège du coiffeur, je devinais qu'elle n'était pas à l'aise. Mais plus les mèches décolorées tombaient au sol, plus je redécouvrais la vraie Inès, celle qu'elle avait toujours voulu être.
Au bout d'une petite heure, Inès faisait face à moi, rayonnante. Nous venions de sortir de chez le coiffeur, et elle me confia qu'elle avait l'impression de renaître.
– Ça te va super-bien en tout cas, vraiment.
– Merci Louis...
Je la vis rougir légèrement et détourner le regard. Souvent j'oubliais quels étaient ses sentiments à mon égard et je me sentais con. Mais elle et moi avions eu une discussion là-dessus : cela ne devait pas me gêner, elle ferait avec. Elle posa une photo sur son instragram, reçut une tonne de compliments (mais pas de ses « amies » du lycée, étrangement) et j'eus l'impression que c'était à nouveau Noël pour elle. Nous finîmes au cinéma, devant un navet total pour nous détendre encore plus.
– Ce film était...
– D'une nullité absolue, termina-t-elle.
On continua de papoter, de rire. Comme autrefois, je terminais avachi dans son canapé, elle avec la télécommande dans les mains à zapper toutes les chaînes de la télé jusqu'à tomber sur le programme le plus con qui soit, et sur lequel nous pourrions cracher dessus ensemble. Je n'avais pas passé une après-midi aussi géniale depuis longtemps avec Inès, je me devais de le reconnaître. En fait, je ne me souvenais même plus de quand remontait notre dernière vraie après-midi ensemble. Avant, c'était avec Maya. Je ne sortais qu'avec Maya parce qu'elle était la seule à bien vouloir de moi, et surtout, à me connaître par cœur, sur le bout des doigts.
Et puis, je ne sus par réellement comment tout ça arriva, mais on termina face à face, rouge de honte, à se regarder comme deux merlans frits.
Inès venait de m'embrasser. Et j'avais répondu à son baiser sans trop comprendre pourquoi. Maintenant je me sentais super mal, elle aussi, et aucun de nous d'eux n'osait prendre la parole. Là, dans l'immédiat, je voulais me téléporter super loin.
– Euh je... bafouilla-t-elle.
Elle ne savait plus où se mettre, moi non plus.
– Je vais euh...
– Ouais tu devrais...
Nos paroles n'avaient aucun sens, mais nous nous étions compris. Je chopai ma veste et me ruai dehors. Je marchais à toute allure, sans aucune idée d'où mes pas me menaient.
« Maya, j'ai fait une connerie. »
« Explique Chou »
« J'ai embrassé Inès. »
« Enfin non, Inès m'a embrassé. Et j'ai répondu. »
Pas de réponse. Mais merde, où avais-je la tête ? Maya n'aimait pas Inès.
« Ah. »
Merde, ça, c'était la pire réponse qu'elle pouvait me faire.
« Tu veux que je te dise quoi Louis ? »
« Je sais pas, je suis sur Bordeaux là, et je sais plus où me mettre. »
« J'en sais rien non plus. Faut que je file, j'ai une soirée entre amis. »
C'était la première fois qu'elle laissait en plan ainsi.
– Fais chier !
Je marchais à toute allure, tête baissée, sans me rendre compte que je fonçais droit sur quelqu'un qui tentait d'ouvrir sa porte d'entrée.
– Bordel !
La voix, je la reconnus aussitôt, et j'eus envie de me pendre. Adel me regardait, à moitié l'air agacé – très agacé – et surpris.
– Pardon je... Tu fous quoi ici ?
Il éclata à moitié de rire.
– Bah j'habite ici, j'ai le droit non ? Et toi, tu fous quoi ici ? À foncer dans les gens ?
– J'étais chez une amie qui habite pas loin.
En fait, je marchais déjà depuis quinze minutes, et je n'avais même pas fait gaffe au quartier dans lequel je venais d'atterrir.
– Je peux ouvrir ma porte où tu comptes continuer de m'engueuler ?
Je levais la tête vers la bâtisse en face de moi. Alors il habitait ici ? C'était sympa. Comme toutes les vieilles bâtisses du centre-ville de Bordeaux, elle avait un certain charme. Adel leva les yeux au ciel, et repris d'une voix morne et dénué de toute émotion :
– Tu n'as pas l'air bien, tu veux monter boire un truc ?
– Mmh...
– Je vais prendre ça pour un oui, aller, entre. Troisième étage, appartement numéro huit.
Je montais en silence, jusqu'à un appartement bien rangé. Nous entrâmes directement dans un petit salon, meublé d'un mini-canapé, d'une petite table basse que beaucoup d'étudiant avait chez eux, et d'un meuble surplombé d'une télé d'un bleu électrique étonnant. En enfilade se trouvait la cuisine, et je devinais que les deux seules portes closes de l'appartement devaient donner sur sa chambre et sur la salle d'eau.
– Heureusement pour moi, tout était à peu près rangé ici. Je ne suis pas super-ordonné comme garçon, rigola-t-il.
Eden avait donc dû déteindre sur lui, ou lui faire de bonne leçon sur le rangement. Je me surprenais à sourire en pensant à ça. Il tapota la première porte.
– Salle de bain, avec les chiottes, si jamais. Et là c'ma chambre, mais pour le coup, c'est en bordel monstre, donc tu ne verras pas la couleur du papier peint. Tu peux t'installer hein ?
Je posais mes fesses sur le canapé, continuant de regarder autour de moi. Quelques cartes postales tout droit venue de Corée du sud décoraient le mur derrière la télévision. Quelques photos aussi, d'une vieille dame avec un vieux monsieur, qui devaient être des membres de sa famille.
– Ma grand-mère, me dit-il en suivant mon regard. Elle vit toujours en Corée. Et elle adore m'envoyer des cartes de là-bas, même si elle a un téléphone avec internet.
– Ça a son charme, murmurais-je.
– Elle rêve surtout que son petit-fils aille la voir pendant les vacances.
– Tu n'y es jamais allé ?
– Si, deux fois. Mais j'étais tout gosse, les souvenirs sont loin. C'est plutôt elle qui vient, mais elle se fait vieille, voyager c'est plus trop son fort, elle devrait venir une fois cette année, mais ce n'est pas sûr. Mais je lui ai promis, j'ai mis de côté pour aller la voir avant la fin de cette année.
Je m'étais levé pour regarder de plus près les cartes postales et les photos. Le regard de la vieille dame me frappa : c'était un copier-coller du garçon que j'avais à mes côtés. Juste le regard. Un regard un peu trop sournois, mais qui au fond, ne laissait rien présager de mal.
– Je m'excuse pour la dernière fois au fait...
– Pour ?
– Le message que je t'ai envoyé. Auquel tu n'as pas répondu d'ailleurs.
– Tu voulais que je réponde quoi ? pouffa-t-il.
Touché. Je n'avais aucune idée du genre de réponse que j'avais voulu recevoir à ce moment-là.
– Ça va mieux avec ta mère ?
– Nope. Elle est toujours aussi butée. Eden l'a croisé l'autre jour dans le quartier, elle ne lui a même pas adressé un regard.
Quand il m'avait raconté ça, je m'étais senti mal pour lui. Il n'avait rien demandé, et voilà que ma mère se mettait à lui en vouloir aussi. Adel soupira.
– Ouais, voilà, je ne sais pas qu'en penser non plus, lâchais-je.
Adel disparut quelques instants dans la pièce d'à côté et revint avec une poche de chips déjà entamées.
– Ne juge pas mon régime alimentaire, je me nourris très mal parce que j'ai la flemme de cuisiner.
Je rigolais. Si j'avais été à sa place, je savais que j'aurais été dans le même cas. À me nourrir de pâtes et de chips. Et parfois, d'un fruit que j'aurais eu l'idée d'acheter au moment des courses. Les gars de l'équipe auraient alors râlé car j'aurais sans doute pris dix kilos en une semaine.
– Tu en veux ?
– Pourquoi pas !
* * *
« Tu vois, qu'il n'est pas si méchant ! »
« Maya... »
« Bah quoi ? C'est vrai non ? Moi je lui parle de temps en temps. »
« Traîtresse. »
« Tout de suite les grands mots. Admets au moins que ce n'est pas un petit con, ce que tu pensais au départ. »
« Je l'admets. »
« Amen ! On avance ! »
« Pourquoi tu lui parles d'abord ? »
« Il est marrant. Et puis je lui demande de tes nouvelles, puisque tu ne m'en donne plus trop. »
« Attends je rêve, tout à l'heure c'est toi qui as arrêté de me répondre ! »
« Ce n'est pas la même chose. »
« Pourquoi ? »
« Parce que je veux pas savoir ce que tu fous avec Inès. »
« Tu es jalouse ? 8D »
« Soit pas con Lol Tu sais que je peux juste pas la voir »
« Elle est devenue sympa elle aussi. »
« Si tu le dis... »
« Aller Maya... »
« Pardon pour tout à l'heure... »
« Tu es déjà pardonné. »
« Je t'aime Louis. »
« Moi aussi. »
* * *
déjà 30 chapitres... ! la bise ;)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top