27. CELUI QUI PARLE AUX PARENTS
Aujourd'hui je me décidais à honorer la promesse que j'avais faite à Maya. Mais aussi à Adel, le soir où nous étions sortis ensemble voir cette exposition de peinture. Et à moi-même, au fond. Mes parents devaient savoir. Et puisque j'étais, de toute façon, enfoncé dans la merde jusqu'au cou, ce n'était qu'une question de temps avant qu'un autre parent d'élève ne leur balance la vérité en pleine poire. Du genre, la mère de Blaise qui travaillait avec mon père. J'étais d'ailleurs très étonné de voir qu'elle n'avait encore rien dit. Car pour sûr, son fils avait dû leur raconter la soirée de Noël complètement foireuse, et les terribles révélations de ce soir-là. Nous étions début janvier, et les cours reprenaient dans quelques jours. Je devais le faire maintenant. 2019 était une nouvelle année, et faire mon coming-out avait été ma seule résolution lors du nouvel an. J'avais donc profité de ce que Sacha soit au cinéma avec des amis pour leur annoncer.
Je n'avais pas lu de bonne manière de faire sur internet. Nous étions tous différents après tout. Pourtant, je devais bien l'avouer, j'aurais aimé avoir un mode d'emploi simple. Il fallait croire que j'étais un peu trop utopiste sur certains points.
– Tu voulais nous dire quelque chose mon chéri ?
Comme toutes les mères à qui un enfant disait qu'il avait quelque chose à annoncer, la mienne était anxieuse. Elle avait les mains jointes sur ses genoux, un air inquiet sur le visage. C'était un truc de maman de se faire cinquante millions de films à la seconde dans ce genre de situation. Mon père, assit à ses côtés, avait l'air relativement calme. J'ouvris la bouche quelques secondes avant de la refermer aussitôt. Conscient que mes mains venaient de se mettre à trembler je m'empressai de les enfouir dans mes poches. Mon père nota aussitôt ce geste et afficha un sourire gêné. Et j'eus comme l'impression qu'il savait déjà.
– Tu veux t'asseoir Louis ? me demanda-t-il.
– Non, ça va c'est juste...
– C'est le lycée ? C'est ça ?
– Non maman c'est...
– J'ai eu peur. Cela fait des semaines que tu ne nous parles plus du lycée, j'avais peur qu'il se soit passé quelque chose. Je -
– Chérie, laisse-le parler.
Je remerciais mon père d'un regard. Il m'encouragea d'un sourire. Il sait, il sait... J'en avais la certitude à présent. Il savait mais il ne m'avait rien dit.
– J'aime les garçons.
Ma mère suspendit ses gestes et leva un sourcil. Voilà, c'était dit. J'avais arraché le pansement rapidement avant de me défiler pour les dix prochaines années. Le sourire de mon père se crispa légèrement avant de très vite se détendre et je cru voir ses épaules s'affaisser, comme s'il était soulagé. Ma mère ouvrit la bouche, surprise.
– Pardon ?
– Je euh...
La main de mon père attrapa celle de ma mère, dans l'espoir qu'elle arrête de gigoter sur le canapé.
– Mais... pourquoi ?
Pourquoi ? Je devais avouer que sa question me prenait au dépourvu . Mes mains n'avaient pas cessé de trembler, et ma mâchoire était si crispée que je me sentais incapable de prononcer un mot de plus. Pourquoi ? Je n'en savais rien maman. Si j'avais pu choisir qui j'étais en venant au monde, et en toute connaissance de cause, crois- moi, je n'aurais pas opté pour cette option-là. Mais c'était là tout le « problème » maman : nous ne choisissions pas qui nous étions. Pourquoi maman ? Parce que je suis comme ça, voilà tout. Pourquoi cette question, hein ? Pourquoi ?
– Chérie, ce n'est pas la question...
– Louis, tu es fatigué...
– Je vais très bien. Et j'aime les garçons, répétais-je avec un peu plus d'entrain.
Elle baissa les yeux et se dégagea de la main de mon père. Je n'aurais peut-être pas dû insister mais... sur le coup, cela m'avait paru nécessaire. Son regard me troubla et elle se gratta la gorge. Sans un mot, elle se leva, m'adressant un regard si triste que les larmes me montèrent aux yeux. Mon père resta dans le salon et le silence s'installa entre nous. Mort de honte je fixais mes pieds. Qu'avais-je fait, hein ? Qu'est-ce que je venais de provoquer ? Ma mère allait me détester.
– J'aurais dû fermer ma gueule, murmurais-je pour moi-même.
– Non Louis. Je suis très fier de ce que tu viens de faire.
Mon père se leva et contre toute attente, me prit dans ses bras. Je reniflai contre son épaule et il me tapota le dos.
– Ne t'en fais pas pour ta mère, ça va lui passer. Elle est sous le choc, je pense. J'irai lui parler avant de dormir.
– J'ai cru qu'elle... je sais pas... Ce genre de chose ne lui a jamais posé de souci...
Je ne comprenais pas : ma mère avait toujours été ouverte sur le sujet. Alors c'était ça ? Chez les autres, ce n'était pas grave, mais chez soi, c'était une autre affaire ? Je me sentais trahi. Je me dégageais doucement de l'étreinte de mon père et plantais mon regard dans le sien.
– Tu savais, hein ?
– Oui.
Je soufflai légèrement.
– Je ne voulais pas te brusquer et... Je me doutais bien que tu ne tarderais pas à nous l'annoncer. Je n'avais pas envie de te mettre au pied du mur, rajouta-t-il.
– Je suis désolé papa.
Je le vis attraper son portable et tapoter un message rapidement. Que faisait-il ? Je le vis attraper sa veste et la mienne, accrochée près de l'entrée, et ses clefs de voiture.
– Aller, sortie entre gars.
Je clignais des yeux, surpris. Je le suivis sans dire un mot et m'installai dans la voiture.
Le début du trajet se fit en silence, je n'avais aucune idée de l'endroit où mon père avait décidé d'aller. Nous quittâmes la ville pour nous éloigner dans les campagnes environnantes quand enfin il reprit la parole.
– Louis, je ne veux plus jamais t'entendre t'excuser pour ça. Plus jamais.
– Mais je...
– Tu n'as pas à être désolé. Est-ce que je m'excuse d'aimer les femmes ?
– Non mais toi ce n'est pas...
– Pas pareil ? Et en quoi ?
Mon père venait de me scier sur place. Il gara la voiture dans un endroit que je finis par reconnaître. Un coin de campagne où il aimait nous emmener, moi et Sacha quand nous étions encore tout gosse. Il coupa le moteur et se tourna vers moi.
– Écoute Louis, aujourd'hui tu as été très courageux, et je ne pourrais pas être plus fier de toi. À mon tour d'être honnête avec toi.
J'avais peur de ce que j'allais entendre mais... j'étais prêt à tout écouter.
– Quand j'ai compris que tu aimais les garçons, ça m'a déplu.
J'avalai difficilement ma salive.
– Je me suis détesté aussitôt de penser ça. Sans doute parce que j'imaginais que mon fils allait me ramener une jolie fille, ou que depuis mon enfance on me répète qu'un garçon et une fille, c'est la seule voie qui fonctionne. Je me souviens avoir pensé « seigneur, pourquoi ça tombe sur moi ? » et puis... Après j'ai réalisé que tout ça, c'était des conneries. Tu te souviens de Marc ?
– Ton ami d'enfance ? Celui qui a déménagé aux émirats ?
– Lui-même.
– Ouais, il est cool Marc.
– Quand nous étions à la fac, il est sortit avec un garçon.
J'ouvris de grands yeux.
– Et même si cela m'avait surpris au départ, cela ne m'a jamais dérangé. Ils sont restés un an ensemble. Un an de relation planqué à cause des parents de l'autre garçon. Finalement, Marc a rencontré sa femme quelques mois après, et tu sais comme ça c'est terminé. Tout ça pour te dire, je pense que je me sentais mal au départ uniquement parce que c'était toi je... je ne sais pas si tu vois où je veux en venir...
– C'est comme maman, chez les autres, c'est rigolo, mais pas chez soi, répondais-je.
Il soupira.
– Et puis j'ai réalisé que ça ne changeait rien. Tu aimes les mecs ? Très bien. Tu ne t'étais jamais senti à l'aise avec les filles de toute façon. Tu repoussais toutes les conversations que je voulais avoir avec toi sur le sujet, et je ne comprenais pas. Aujourd'hui je voudrais m'excuser pour ces fois-là.
– Tu essayais juste de faire le père cool...
Mon père lâcha un rire franc.
– Je ne sais pas comment prendre ça !
Il reporta son attention sur l'horizon.
– C'est Eden, hein ?
– Mmh ?
– Ton petit ami ?
– C'était. Nous ne sommes plus ensemble.
– C'est que monsieur va vite en plus !
– Il m'a outé devant tout le bahut.
– Il t'a quoi ?
– Il a balancé que j'étais gay. Devant tout le monde, avant les vacances.
Mon père se tourna vers moi, visiblement surpris.
– Louis...
– Ce n'est rien. J'ai fait avec.
– Ça explique donc les semaines que tu as passées dans ta chambre et les messages que j'ai reçus de lui hein...
– Pardon ?
– Il s'inquiétait. Je lui donnais de tes nouvelles de temps en temps.
– Putain...
– Vous avez parlé depuis ?
– Non.
– Il le faudra.
– Je sais....
Le reste de la journée, je la passais avec mon père. Je n'avais pas envie de rentrer à la maison, et j'avais la vague impression que lui non plus. Après avoir parlé de la soirée catastrophique du lycée, nous changeâmes de sujet de conversation. Mais aujourd'hui, j'en avais le cœur net : je pouvais me confier à mon père, le sujet ne le mettait pas mal à l'aise.
* * *
« Je l'ai faits. Je l'ai dit à mes parents. »
« Alors ? Comment ils ont réagi ? »
Maya n'avait pas tardé à me répondre. Elle devait se frotter les mains, à l'autre bout de la France.
« Mon père, bien. Nous avons beaucoup parlé. Nous sommes allés à la campagne, tu sais, là où il aimait bien nous emmener avec Sacha quand on était gamins. Et on est resté là-bas... Chai pas... deux ou trois heures ? »
« Wow. »
« Ouais, wow. Il a été super-compréhensif Maya, j'ai encore du mal à y croire. »
« Et ta mère ? »
« Elle ne m'a plus reparlé depuis tout à l'heure, elle est dans sa chambre. Sacha est allée la voir, mais je crois qu'elle est juste... triste ? »
« ... »
« Je ne sais pas quoi te dire... Je pensais que ta mère... je sais pas... »
« Moi aussi... Je te tiens au jus, il faut que je dorme, je suis claqué, j'ai cours demain, et je ne veux pas ressembler à un zombie. »
« xDD »
« Je suis fière de toi chouchou. Dors bien, et courage pour demain ! »
« Merci ! »
J'avais une dernière chose à faire avant de me glisser sous ma couette.
« Adel, je l'ai fait. »
Je n'avais aucune idée de pourquoi je me sentais obligé de préciser son prénom au début de mon message, mais bon.
« Tu l'as dit ? À tes parents ? »
« Non, au pape. »
Je l'imaginais déjà rire derrière son écran. Son humour m'avait contaminé.
« Et alors, ça c'est passé comment ? »
« Père, ok. Mère, pas ok. »
« Shit. ;-; Mec... Je suis désolé. C'est marrant, mais c'est plus souvent les papas avec qui ça passe pas... »
« Enfin, non, marrant ce n'est pas le mot, sorry, mais euh, t'a compris... »
« T'inquiète. Et ouais, je pensais pas que ma mère allait réagir comme ça, je ne sais pas quoi faire. »
« Laisse-lui du temps, ok ? Moi mon ne père a mis un mois pour piper que ce n'était pas une blague quand je lui ai dit pour Eden et moi. Mais depuis, ça va super bien. »
« Un mois ?? »
« Ouais, il est long à la détente mon vieux. Tu imagines ? C'est ma mère qui a le plus bien pris la nouvelle... Mon père, c'était autre chose, il a grandi en Corée alors tu sais... Là-bas, ce genre de sujet, c'est encore super-tabou bordel... »
« Ça te dit qu'on se voit un de ces jours ? »
« C'est bon, tu es accro ? »
« Soit pas con, tu es le seul ami qui me reste ici. »
« Ami ? Wouah, je suis si flatté. Tu me détestais y'a pas deux mois. »
« Ouais bah, en fait, t'es pas si con. Et t'a réussi à me sortir de ma déprime, aussi. On est pote. »
« Plus amis ? »
« Non, juste pote, cherche pas. Je me suis trompé, on sera peut-être ami, plus tard. »
« Tu me tues. Aller, faut que j'aille m'habiller, je sors. »
« À cette heure-là ? »
« On ne dit pas non à une jolie blonde ! »
« T'es pas croyable... »
Il parlait d'une bière ou d'une fille ?
« Courage pour demain. Ne fuis pas Eden stp. Parle lui, tu as fait le plus dur. »
« Promis. Bye »
* * *
Et watcha, nouveau chapitre ! Est-ce que ça se voit que je tente de reprendre un rythme correct ? J'espère :)
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