25. CELUI QUI EST SEUL

                  – Tu vas bien mon chéri ?

– Oui maman, ça va.

Non, non ça n'allait pas maman. J'avais passé ma nuit à pleurer comme un bébé. À essayer de me dire que la soirée d'hier n'était qu'un cauchemar. Que cela n'avait pas pu m'arriver. Mais il fallait que je me rende à l'évidence : j'étais foutu, tout le monde savait pour moi et Eden. Et aujourd'hui, j'allais devoir faire comme si de rien était. Aller au lycée la tête haute et affronter leurs regards, leurs remarques. J'allais devoir prendre sur moi. Après tout, peut-être que je m'étais fait des films ? J'avais tendance à voir le mal partout. Mais le monde n'était peut-être pas rempli de cons, hein ? Peut-être que j'avais une chance de m'en sortir. Si Eden était là, alors peut-être... Putain Louis, arrête de penser à lui. Arrête putain. Mon portable avait vibré toute la nuit, et je n'avais même pas regardé.

                Je me levai de mon tabouret et filai m'habiller dans ma chambre. Une tenue simple. Quelque chose qui me rendrait invisible aux yeux de tous. Un jean noir simple. Un sweat simple. Une tenue bateau, sur un type simple qui n'avait rien demandé à personne. Dans le bus, je gardais les yeux rivés sur l'écran éteint de mon téléphone portable. Mon doigt était tenté d'appuyer sur la petite touche du côté pour voir les nombreux messages que j'avais reçus cette nuit. Jamais je ne l'avais entendu vibrer autant. Même le jour où j'avais oublié de répondre à Maya pendant un week-end. Le bus s'arrêta devant mon arrêt et, à regret, je dus quitter mon siège qui ne m'avait jamais paru aussi confortable pendant un trajet. 

Face à moi, le lycée ressemblait étrangement à l'enfer. Je n'avais aucune envie de mettre un pied devant l'autre pour avancer. Je n'avais pas plus envie de croiser les yeux de mes camarades. Et pourtant, il le fallait. Je me fondis donc dans la masse, baissai la tête, capuche rabattue sur ma tête, mes cheveux devant les yeux. Étrangement personne ne m'interpella. J'arrivais à ma classe de cours, et au moment où je pensais que peut-être, j'avais une chance de passer inaperçu, et ne pas avoir de souci, je compris que j'étais en retard. Si personne que je connaissais ne m'avait embêté, c'est parce que la sonnerie avait déjà retenti, et qu'ils étaient tous là. Assis, en cours, prêt à commencer, les yeux rivés vers moi, qui n'était jamais en retard. Une seule place libre, tout devant. À côté de Eden. J'eus envie de vomir.

– Monsieur Verbeeck, puisque c'est votre premier retard, je le passerai sous silence, me lança notre professeur de sciences économiques en guise de bonjour.

Je détournai le regard, cherchant désespérément une autre place. Tout ce que je voulais – et c'était très simple – c'était de ne pas être à côté de lui. Mais je n'avais pas le choix. Mes jambes me parurent alors très lourdes quand il fallut marcher jusqu'à ma place. Inès me jeta un regard si dur que je manquai de ne pas la reconnaître. Sixtine et Clara pouffèrent quand je passai devant elle et Blaise avait quant à lui une expression indéchiffrable sur le visage. À ses côtés, Louis numéro deux attendait un signal quelconque pour me lancer une pitrerie, je le sentais.

– Tu n'as pas répondu à mes messages, me souffla Eden que je me posai à côté de lui.

Je ne répondis pas. À quoi s'attendait-il ? À ce que j'oublie tout ? Je n'avais même pas pris la peine de voir qui m'avait harcelé de messages toute la nuit. Le professeur entama son cours, aussi soporifique que d'habitude, et je m'appliquais à ignorer mon voisin les deux heures qui suivirent. Ignorer ses coups d'œil, ses quelques coups de coudes... Au bout de quinze minutes, il laissa tomber. Eden venait de comprendre que je ne répondrais pas, et que j'étais aussi têtu qu'une mule. Quand la sonnerie retentit, je me levai sans un mot, sans un regard pour lui (ni pour personne d'autre d'ailleurs) et quittais la salle en silence. Dans la poche arrière de mon jean, mon portable se remit à vibrer de plus belle. 

                 J'étais suivi. J'accélérai le pas, direction le CDI dans lequel je pensais trouver la paix. Mais je n'eus pas le temps d'ouvrir la porte qu'une main me tira en arrière et je me retrouvai plaqué contre le mur. Face à moi, les sourcils froncés, ses cheveux ramenés en arrière, Blaise me dévisageait comme si j'étais la pire chose qu'il eut vue sur cette terre.

– Tu t'es bien foutu de notre gueule, hein Verbeeck ?

Quand Blaise se mettait à nommer les gens avec leur nom de famille, c'était généralement mauvais signe. J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortis. De toute façon, qu'aurais-je pu dire, hein ?

– Depuis combien de temps ça dure ta petite comédie ?

Mon regard glissa sur ses deux acolytes, juste derrière lui. Louis numéro deux avait l'air aussi con que d'habitude, avec ce sourire béat qui le caractérisait si bien. Quant à Julien, il donnait l'impression d'être là pour une confrontation. Il me fallut prendre mon courage à deux mains pour le repousser.

– Fout moi la paix, crachais-je.

Et dans la seconde qui suivit, je m'étalai de tout mon long dans le couloir. Julien venait de me faire un croche-patte, et n'en était pas peu fier. Ma vue se brouilla l'espace d'un instant et je me relevai, lentement, la mâchoire serrée.

– Les mecs comme toi me donnent envie de vomir.

Après ça, Blaise tourna les talons et me laissa seul dans mon couloir. Toujours au sol, appuyé sur un coude, je m'efforçais de respirer lentement de reprendre mon souffle. Un groupe de fille de seconde passa à côté de moi, et l'une d'entre elles me demanda ce que je fichais pas par terre. Elles restèrent quelques secondes près de moi, à me demander si tout allait bien, et je du me faire violence pour ne pas les envoyer bouler.

– Je me suis juste cassé la gueule, finis-je par souffler avant de me relever pour de bon.

L'une d'elles me tapota l'épaule et elles tournèrent les talons.  


          Je restais debout au milieu du couloir pendant un long moment. À ma gauche, la porte du CDI semblait m'appeler. Si je m'y posais, peut-être aurais-je la paix. Peut-être que je pouvais même y rester toute ma journée, et m'assurer de ne plus croiser le regard hautain de Blaise, de fuir les mots de Eden... Oui, cela me paraissait être la solution idéale. Dans l'absolu j'avais encore une heure de trou dans mon emploi du temps. Et je n'allais pas la passer planquer aux toilettes, ou dans mon coin de la honte. Eden connaissait ces deux endroits. Inès aussi.

Je m'installais donc à une table, tout au fond de la pièce, et sortis un stylo et une feuille de mon sac. Ma motivation pour travailler était au plus bas, alors j'allais au moins faire semblant. Je m'étais volontairement placé loin des baies vitrées qui donnaient dans la cour : la dernière chose dont j'avais envie c'était que l'on capte que je m'étais posé ici. Devant moi, mon portable, avec l'écran toujours éteint. Quelque part, j'avais une envie terrible de voir les messages que les gens m'avaient envoyés la veille, et encore ce matin. La curiosité triompha et deux minutes plus tard, je me retrouvais à parcourir rapidement mes messages. Maya, évidemment, qui me bombardait de questions. Eden, qui s'excusait en boucle, puis qui s'énervait. Même Inès en avait rajouté une couche. Leurs messages tournèrent en boucle dans ma tête, et mes yeux refusaient de quitter mon écran de téléphone.

...

Pourquoi tu as envie de mourir ?

Réponds.

Je suis désolé Louis, est-ce que tu pourrais me donner un signe de vie ?

J'y crois pas, tu t'es bien foutu de ma gueule.

Tu es un connard.

Louis, je m'inquiète, tu pourrais répondre ?

 Ne m'oblige pas à appeler tes parents pour avoir de tes nouvelles !

Va te faire foutre Louis, je pensais qu'on était amis.

Louis, s'il te plaît...

On gère ça comment maintenant ?

...

Le seul que je n'ouvris pas fut celui d'Adel. D'abord parce que cela voulait dire qu'Éden n'avait pas pu s'empêcher de tout lui raconter, et qu'il devait forcément jubiler, de son côté, de la tournure que prenait ma relation avec son ex.

– Tient ! Le voilà !

La voix de Clara m'arracha de mes pensées. Je relevai immédiatement la tête avant de verrouiller mon téléphone. Devant mon air peu avenant, elle reprit de plus belle, un immense sourire sur le visage. Sixtine s'installa à la place devant moi, et une autre de leurs amies l'imita aussitôt.

– Tu es un sacré petit cachottier en fait, hein ?

Mon regard glissa sur ses ongles vernis qui tapotaient la table. Je n'avais pas envie de répondre. Pas envie de m'embrouiller avec la pire peste de ma classe.

– Nous, on ne t'en veut pas, tu sais. On est de ton côté.

Je relevai les yeux, l'air paumé. De mon côté ? Parce que c'était un match maintenant ? Il fallait forcément choisir un camp ?

 – J'en ai rien à foutre, lâchais-je.

Elle eut l'air scandalisé, et Clara aussi.

– Ce n'est pas une compétition, y a pas de mon côté ou quoi ! Cassez-vous, foutez-moi la paix. Et tu...

– Je crois tu ne piges pas bien, Louis, me coupa Clara d'une voix sèche. Nous t'offrons notre amitié, et toi, tu nous jettes. Tout le monde sait pour ton petit secret, tu vois ? Le bahut tout entier sera au courant d'ici ce soir. Alors si tu ne veux pas vivre un enfer, soit au moins sympa avec ceux qui viennent vers toi. 

C'était de l'égoïsme à l'état pur.

– Vous êtes pitoyables, murmurais-je.

– Pardon ?

– C'est quoi votre but, hein ? Prendre la défense du pauvre petit mec gay que personne ne peut blairer soudainement ? Si tu veux avoir bonne conscience, et faire des trucs pour les autres, va faire du bénévolat dans une Asso Clara, et fou moi la paix.

Je me levai, foutant mes affaires en vrac dans mon sac. Je la voyais chercher ses mots, tenter de trouver une bonne répartie, mais elle du se rendre à l'évidence : j'avais entièrement raison. Si elle voulait jouer à la bonne mère Thérésa, ce n'était pas avec moi qu'il fallait le faire. 

* * *


           Jusqu'à mon dernier cours de la journée, j'eus le malheur de penser que j'avais évité le pire, et que finalement, la nouvelle de mon homosexualité n'avait pas troublé tant de gens que ça. Ce n'était pas compliqué : les autres classes ne semblaient pas en avoir quelque chose à faire. J'eus le droit à quelques regards intrigués dans les couloirs, mais sans plus. Étonnement, je ne croisais pas Sacha une seule fois de la journée. Bref, alors que je pensais pouvoir avoir la paix, je me trompais. 

J'aurais aimé éviter de voir l'inscription grossière sur le tableau de la salle de classe. J'aurais aimé ne pas entendre les insultes de Blaise et des autres. Éviter les regards de pitié. Eden essaya de me prendre la main pour m détendre mais empira le tout. Je l'envoyais bouler. Au milieu du cours, je me levai, pris mes affaires et claquai la porte. Quelqu'un siffla. Le mot de « tapette » résonna dans mes oreilles tout le long du trajet jusque chez moi. Sur la conversation du groupe, les messages se voulant comiques mais étant plus homophobes qu'autre chose se multipliaient. J'en eus la nausée. Ce soir-là, je prétextais avoir beaucoup de travail et pas assez faim pour rejoindre ma famille à table. 

Vers onze heures, Sacha vint frapper doucement à ma porte de chambre. Je n'eus pas le temps de dire quoique se soit qu'elle se jeta sur moi et fondit en larmes. Elle savait. Bien sûr,'elle savait. Elle murmura qu'elle était désolée, renifla dans mon cou.

– J'ai rien dis aux parents... chuchota-t-elle.

– Ne dis rien, s'il te plaît...

– Tu es sûr que ça va aller ?

– Je vais gérer ça, oui.

– Louis...

– Sacha, ça va aller.

Après cette journée, la fin de semaine me parut incroyablement longue. J'étais épuisé, agacé, triste. Je n'avais toujours pas répondu à Maya. Ni à Inès à qui je j'évitais de parler. Ni à Eden que je voulais oublier. Ma fin d'année fut une horreur. Je continuais de m'en prendre plein la figure sans trop savoir pourquoi. Et je ne disais rien. Ni à mes parents, ni aux amis qu'il me restait, ni à personne. Notre professeur d'histoire manqua de voir qu'il se passait quelque chose, mais il fallait croire que j'étais bon comédien. Le dernier jour de classe de l'année 2018 arriva, et ce fut la libération. 

Tu parles. Ce n'était que la fin du premier chapitre de mon cauchemar. 


*- * -* -*

Et me revoilà ! Après une petite absence des réseaux et quelques vacances, je suis de retour avec un nouveau chapitre. Je vais tenter d'inscrire ECLIPSE aux wattys, je croise les doigts. Ce chapitre n'était pas bien joyeux, mais il me semblait évident. Merci à toi lecteur de toujours être là ♥

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