24. CELUI QUI SE FAISAIT OUTER

                          Dans quelques jours, c'était les vacances de Noël. J'allais revoir ma meilleure amie. J'allais enfin pouvoir la prendre dans mes bras, et lui parler pendant des heures de tout ce qu'elle avait manqué depuis le mois de septembre. Mais avant ça, j'allais devoir surmonter la soirée des terminales. J'aurais voulu l'éviter, vraiment. À vrai dire, nous étions la veille de ladite soirée, et j'en étais toujours à me demander comment annoncer à Eden que je n'allais pas y mettre les pieds. Mais lui et Inès m'avait fait jurer que j'y serais au moins pour l'ouverture. Et j'avais promis. Je m'étais une fois de plus mis dans la mouise tout seul, comme le grand garçon que j'étais.

Le jour J, je mangeais peu. J'avais la boule au ventre, un peu comme le jour d'un gros examen. Ma sœur ne put s'empêcher de me charrier : de quoi avais-je peur . C'était juste une soirée. Rien de plus. Mais depuis ma nuit chez Eden, j'avais un pressentiment horrible qui ne me quittait pas. La journée au lycée se déroula parfaitement normalement et puis, à la fin des cours, on se donna tous rendez-vous à vingt-heures dans le hall. Je pris le temps de rentrer chez moi pour me changer, et beaucoup firent de même. Inès et Eden restèrent au lycée, trop soucieux de bien tout finir de mettre en place. Aller Louis, ce n'est qu'une mauvaise soirée à passer. Tu peux le faire. 

– J'espère que la pédale s'y connaît en soirée. J'ai vraiment envie de m'éclater ce soir.

Je reconnais immédiatement la voix traînante de Blaise derrière moi. En même temps, avec ces mots, difficile de penser à quelqu'un d'autre. Je ne pris même pas la peine de me retourner. Il posa une main sur mon épaule et se planta en face de moi, l'air soudain très sérieux.

– Tu sais, je vois bien comment il te regarde Verbeeck. Tu devrais faire gaffe, vraiment.

– Blaise...

J'essayai de me dégager, mais il avait l'air de tenir à sa petite mise en garde. J'avais envie de lui en coller une, mais le trouillard que j'étais n'osait même pas lever les yeux et le regarder en face. Je me souvins alors du cas de Joseph. L'an dernier. Quand Blaise avait appris qu'il sortait avec un gars, il avait vu rouge. Mais Joseph n'était pas dans sa classe. Alors tout avait été différent. Il l'avait pourri pendant les pauses, quand il le voyait. Et puis un jour, il avait arrêté, il s'était lassé. Joseph n'était pas dans sa classe, ne le serait jamais car il avait un an de moins. Joseph avait eu la paix. Il se mangeait de temps en temps des remarques désobligeantes, mais rien de plus. J'avais toujours eu de la peine pour lui. J'avais toujours eu envie de lui demander comment il faisait pour garder la tête hors de l'eau. Je n'avais jamais osé. Alors pourquoi faire une fixette sur Eden ? Pourquoi tout était si différent avec lui ?

– Je suis sérieux mon gars.

Et sur ces mots, il tourna les talons pour rejoindre Louis numéro deux et Julien. Pourquoi es-tu aussi con Blaise ? En fait, c'est juste les mecs qui te posent souci. Quand je pense à Isabella et Laurie, tu n'as jamais eu de soucis avec elle. Pourtant, même si elles restent discrètes, ce n'est un secret pour personne qu'elles sont ensemble. 

                  Eden arriva, le visage illuminé comme toujours, visiblement aux anges d'être ici ce soir. Il était admirablement bien vêtu, comme à son habitude, avec ce genre de fringue qui n'allait qu'à lui. Derrière lui, Inès le suivait de près. Elle portait une jolie robe, noire et sobre, qui lui allait à merveille. De toutes les filles que j'avais croisées en arrivant, elle était la plus adorable. J'aimais le rouge sur ses lèvres, et ses cheveux légèrement ondulés.

– Prêt pour la soirée du siècle ? me demanda-t-elle.

Le terme « soirée du siècle » était sans nul doute un peu trop fort, mais je fis comme si de rien était et haussai les épaules. Eden m'agrippa les épaules et je me tendis légèrement quand il me conduisit vers les tables qui avaient été installées pour le buffet.

– Tu sais, me glissa-t-il, je suis heureux que tu sois là. Même si tu n'en avais pas du tout envie.

– Que ne ferais-je pas pour toi, hein, murmurais-je.

Il rigola doucement et attrapa son portable. Il se plaça devant moi et le leva à hauteur de ses yeux.

– Tu fais quoi ?

– Je veux un souvenir de toi dans cette tenue. 

Je levai les yeux au ciel, et je mis ma main à couper qu'il prit la photo à cet instant très précis.

– Je dois te laisser deux minutes, notre prof adoré veut me dire un mot !

Par « notre prof adoré » il parlait de notre professeur d'histoire. Mon estime envers cet homme n'avait cessé de croître depuis la rentrée, et je n'avais de cesse de me demander pourquoi tout le corps enseignant n'était pas comme lui : dévoué, brillant et intéressant. Visiblement, pour la grande majorité des professeurs de ce maudit bahut, se préoccuper de leur élève et de leur bien-être ne faisait pas partie de leurs préoccupations. 

                  La soirée débuta et je me ruais très vite sur le buffet. C'était un peu comme une zone de sécurité : tant que j'avais un verre à la main, ou la bouche pleine, j'estimais que Eden ne pourrait pas venir me demander une danse. De temps en temps, Inès venait me toucher deux trois mots, Eden tentait une approche, et je m'enfermais de plus en plus. C'était plus fort que moi : m'amuser, je ne savais pas faire. Ou du moins, pas avec autant de monde, pas avec les pires cons de ma classe dans la même salle et surtout, pas comme ça. La solution me vint vers vingt-et-une heure : je me faufilai derrière les tables et grimpai au niveau de la petite scène qui avait été érigée pour notre DJ du soir. Bon, c'était un DJ en carton, le genre qui gérait juste la playlist sur son ordinateur et le son en général, mais c'était déjà ça. Je m'installai à ses côtés, lui faisant croire que je m'intéressais soudain beaucoup à ce qu'il faisait. Du haut de mon perchoir, à côté de la lumière des projecteurs qui éclairaient le DJ, je me sentais en sécurité. Je pouvais voir Clara et Sixtine en train de se déhancher comme jamais, Blaise qui se donnait en spectacle et Eden, qui s'était greffé à un autre groupe pour danser. Je me sentis instantanément soulagé en le voyant s'éclater sans moi. 

                 Durant toute l'heure qui suivit, je restais sur mon portable. De temps en temps, le DJ me jetait des coup d'œil un peu inquiet (ou triste, à vrai dire, je n'arrivais pas à savoir) pour savoir si j'allais bien, et si je n'avais pas piqué un somme. Au bout d'un certain temps, il se pencha vers moi :

– Hé, je passe les slows, tu veux y aller ?

Je relevai la tête et lui fit signe que non. Il fit son annonce au micro et aussitôt, je le vis : Eden, qui me cherchait du regard. Il ne pouvait chercher que moi à vrai dire. Je le vis demander à Inès quelque chose et détourna violemment le regard quand il leva les yeux vers le DJ. Il grimpa jusqu'à nous et arriva, essoufflé.

– Louis, tu viens ?

J'ouvris de grands yeux. Bordel. Nous en avions déjà parlé tant de fois. Non, non, et encore non. À côté de nous, le DJ nous lança un regard et peu bizarre et lança la première musique.– S'il te plaît, me supplia-t-il.

– Je... Je peux pas...

– Louis... Comme des amis, ok ? Pas de mains sur les hanches. Pas de baiser. Promis.

 À côté de nous, le DJ semblait avoir tout entendu, mais fit mine de se concentrer sur l'écran sous ses yeux. J'étais déjà rouge écrevisse, et je sentais mon ventre se tordre dans tous les sens. Il ne pouvait pas me faire ça, pas maintenant...

– Juste une danse.

Je ne voulais qu'une chose : fuir. Mais Eden se tenait devant moi, avec la ferme intention de m'emmener danser. Mais tu ne comprendrais jamais, hein Eden ? Que nous n'étions pas pareils toi et moi. Je me levai, les jambes en coton et mon visage changea du tout au tout. Que pensait-il au juste ?

– Pousse toi.

Son expression changea à son tour et il me regarda avec de grands yeux.

– Pardon ?

– Pousse-toi.

– Louis bordel....

À côté de nous le DJ nous lançait des regards de plus en plus insistants.

– Je vais rentrer.

– Putain Louis tu abuses ! cria-t-il.

Et à ce moment-là, la première musique se termina. Et le DJ, complètement focalisé sur notre pseudo dispute ne lança pas la suivante. Mais ça, ni Eden ni moi nous en rendîmes compte.

– Ah oui ? Je veux pas danser. C'est pas compliqué à comprendre ça putain !

– Une putain de danse. Une ! C'est trop de demander ? On sort ensemble Louis, moi ça me paraît pas DU TOUT déplacé !

Il avait hurlé encore plus fort et ce fut là que lui comme moi comprirent pourquoi nous nous entendions si bien tout à coup. Il n'y avait plus aucun son dans la salle. Plus aucun.

Zéro.

C'était le silence le plus total. Et les projecteurs qui éclairaient notre DJ avaient glissé lentement jusqu'à nous et l'intégralité des terminales du lycée avait désormais les yeux braqués sur notre pitoyable duo. Ils avaient tous entendu. Absolument tout. 

                 Je tournais ma tête lentement pour voir les regards agacés des uns, choqués des autres, de ceux qui ne me connaissaient même pas vraiment mais qui faisaient semblant du contraire. Je croisais le regard meurtrier de Inès, celui de Blaise, complètement sous le choc, et celui de tous les autres. Le DJ avait la bouche grande ouverte, se rendant compte de la bourde monumentale qu'il venait de faire. Il relança une musique complètement au pif, augmenta le volume jusqu'à nous broyer les tympans.

Je poussai Eden d'un geste brusque et dévalai les trois marches de l'estrade pour me ruer sur la sortie. Blaise m'attrapa le bras, l'air complètement hors de lui.

– Alors ça c'est la meilleure ! Louis est une pédale lui aussi !

Je n'ai pas su d'où me venait cette force, mais je le repoussai, les yeux rivés sur ma sortie de secours. Inès tenta de m'arrêter elle aussi, mais je la dégageais facilement. Une fois dehors je ne pris pas le temps de m'arrêter : il fallait que je me barre d'ici au plus vite.

– Louis !

La voix de Eden me parut lointaine. Mais ce con était plus sportif et rapide que moi : il me rattrapa assez rapidement.

– Louis revient !

– Je suis foutu ! hurlais-je. FOUTU !

– Tu...

Les larmes que j'avais tentées de retenir dévalèrent sur mes joues. S'en était fini de moi. Pour de bon.

– Pourquoi tu as fais ça ?!

– Tu n'allais pas continuer à le cacher éternellement de toute façon ?

– Tout ce que je te demandais, c'était d'attendre !

Je sanglotais : j'avais horreur de ça. Mes mots s'enchaînent sans pause, je me comprenais à peine.

– Putain de DJ de merde !

– Ce n'est pas lui Louis, c'est moi ! J'ai mis sa putain de playlist en pause parce que je voulais que tu m'écoutes, mais tu n'écoutes rien ! Rien du tout !

J'arrêtai de marcher pour me tourner lentement vers lui. Tu as fais quoi ? Mais à son air sérieux, je devinais qu'il ne me mentait pas. Il s'était arrêté lui aussi et me fixait avec ces yeux verts que j'aimais tant. Je détournai le regard, et avant de me retourner pour de bon, levai un doigt vers lui, menaçant.

– Ne t'approche plus de moi. 

Ce soir-là, je ne réussis pas à m'endormir. Maya m'avait envoyé un message, pour savoir comment c'était déroulé ma soirée. Ma réponse fut brève, puis j'éteignis mon portable.

« J'ai envie de mourir. »

Et ce n'était pas tout à fait faux. Et ce fut à ce moment précis que je mis les doigts sur ce que je n'avais pas voulu voir depuis le début de l'année.

Tu étais parfait Eden. J'avais voulu que tu sois parfait, alors tu l'étais devenu. Pour moi. À mes yeux tu n'avais aucun défaut. Zéro. Nada. J'avais volontairement enfilé des œillères pour ne garder que ce que je voulais de toi. Au final, j'étais passé à côté d'un tas de choses. De ton malaise, quand tu étais avec moi, et que tu voyais notre couple rester au point mort. Je n'avais pas voulu voir que tu étais resté proche de son ex parce qu'il te rappelait une période où tu pouvais être toi-même tout le temps. Je n'avais pas voulu voir que tu ferais tout pour me faire avouer aux gens que j'étais gay. J'avais voulu garder tout le meilleur de toi. J'avais été aveugle depuis le début. Tu n'étais qu'un connard égoïste. 


* * *

Hey hey, me revoilà pour un chapitre pas vraiment rigolo, mais je me devais de l'écrire, et Louis devait passer par là. Il y a de l'eau dans l'gaze. Pour ceux qui lisent SEVEN, vous savez que je ne suis pas fan des histoires d'amour mignonnes et simples, ou tout va bien dans le meilleur des mondes xD J'aime bien le piquant moi, du coup, j'aime en distiller dans mes histoires 8D On se dit à toute, au chapitre prochain ! 


*OUTING;  L'outing est le fait de révéler l'homosexualité, la bisexualité , la non-binarité, l'asexualité, la pansexualité, la transidentité d'une personne sans son consentement, voire contre sa volonté. On dit alors que la personne en question a été « outée ». (def. wikipédia)

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