20. CELUI QUI ALLAIT CHEZ LOUIS

          Inès se planta devant moi, les bras croisés sur son torse, les sourcils froncés. Ses yeux chocolat me lançaient des éclairs que je ne pouvais éviter. Qu'est-ce que j'avais encore fait de travers, hein ? À côté de moi, Eden me glissa un regard interrogateur.

– Louis Verbeeck.

Ça commençait mal. Généralement, quand une personne prenait le temps de vous nommer entièrement, c'est que vous étiez mal barré.

– Euh... Oui ?

– Est-ce que tu vas me dire qui était cette fille ?

Ok. J'étais un peu perdu, je devais bien l'avouer. Eden me donna un coup de coude, pas des plus discrets. Et puis, mon mensonge me revint en mémoire. Le week-end passé chez Eden. J'avais dit à ma mère que j'étais chez une fille. Une amie à Inès, pour être plus précis.

– Ma mère a cafté ?

– Ma mère et la tienne sont amies, je te signale. Depuis que nous sommes en maternelle. Les mères, ça parlent.

Malheureusement pour moi, je le sentais.

– Alors, c'est laquelle de mes potes ?

Oh bon sang. Et là, je ne pouvais pas compter sur Eden pour m'aider. Les yeux verts de ce dernier faisaient des allers-retours entre moi et ma camarade, attendant de voir qui allait avoir le dernier mot.

– Hé bien...

Je ne pouvais pas balancer le nom d'un de ces potes comme ça. Non. Vraiment pas.

– Ce n'est pas une de tes potes.

À côté de moi, je sentis Eden souffler. Merde, pensait-il que j'allais tout lui avouer ? Certainement pas non !

– Pardon ?

– Ce n'est pas une de tes potes. Mais j'ai dit ça à ma mère pour qu'elle me foute la paix. Imagine, si je lui avais annoncé que j'allais chez une illustre inconnue que personne ne connaissait... Tu connais ma mère. Elle aurait fait une crise.

Mes mensonges étaient de... mieux en mieux. Ou de pire en pire, je ne savais pas trop. À côté de moi, Eden leva les yeux au ciel, mais je ne le vis pas.

– Ah.

Le visage d'Inès se referma aussitôt.

– Hé bien, ravie de voir que tu as quelqu'un, Louis. Et que tu ne m'en parle même pas. Maya le sait, évidemment ?

– C'est ma meilleure amie.

Je m'enfonçais.

– Et moi alors ?

– Une très bonne camarade de classe.

Elle ouvrit de grands yeux et Eden me donna une tape sur la tête.

– Il veut dire que tu es notre amie, Inès. Mais qu'il ne se sent peut-être pas prêt pour... Voyons, s'afficher avec elle, lança-t-il à la volée.

Il avait bien appuyé sur « elle » et je le foudroyais du regard.

– Mouais.

Elle tourna les talons pour rejoindre Clara et Sixtine, dans un coin de la cour, qui semblaient de nouveau vouloir l'accepter parmi elles.

– T'es pas croyable, souffla Eden.

– Quoi ?

– Quoi ? Hé bah... On pourrait lui dire. Tu pourrais lui dire.

– Certainement pas non. Si c'est pour que les deux autres greluches me tombent dessus, puis la classe tout entière, merci bien.

– Inès sait tenir sa langue.

– À d'autres.

– Louis...

Je me levai au moment où la sonnerie retentit. 

– On a cours.

Eden soupira et se leva à son tour, comprenant que batailler ne servirait à rien aujourd'hui.

* * *

                – Louis ! Hé, Louis !

Mon capitaine d'équipe leva ses deux bras devant moi pour capter mon attention.

– Pardon, j'étais dans la lune...

– Ne le soit pas trop, le match, c'est samedi, il faut que tu sois en forme !

C'est vrai. Le match. Samedi. On devait le remporter. Comme le précédent. Je jetai un rapide coup d'œil sur les bancs de touche, où Eden lisait toujours un livre. C'était véritablement devenu un rituel, lui venait me voir à chacun de mes entraînements. Toute l'équipe le connaissait et l'appréciait. Il était même venu à certaines soirées de l'équipe avec moi, et je soupçonnais très fort notre capitaine de vouloir le recruter pour la saison prochaine. Eden apprenait vite, il lui avait suffi de suivre quelques-uns de nos entraînements pour être aussi au fait sur le volley-ball que je l'étais. Quelque part, c'était frustrant. Mais il avait tenu à en savoir plus sur une de mes grandes passions et... voilà. 

       À la fin de l'entraînement, il m'attendait comme toujours, les mains dans les poches, son éternel sourire éclatant plaqué sur le visage. Je disais au revoir à mes coéquipiers, il m'imitait, et nous rentrions ensemble. Pas main dans la main, mais presque. Sur le trajet il me donnait quelques coups d'épaule, on rigolait, nos doigts s'effleuraient... J'avais l'impression d'être un gosse amoureux pour la première fois de ma vie.

– Tu veux manger chez moi ce soir ?

Nous arrivâmes devant chez moi, et Eden s'apprêta à me saluer quand je lui proposai de rester. Il parut étonné sur le coup (parce que, soyons franche, je venais souvent chez lui, mais pas l'inverse) et il esquissa un sourire.

– Avec plaisir...

Je m'apprêtai à ouvrir la porte quand elle s'ouvrit sous nos yeux, laissant apparaître ma mère, visiblement prête à vider les ordures ménagères.

– Louis !

Elle tourna la tête vers Eden et son visage se fendit en un large sourire.

– Eden, comment vas-tu ?

– En pleine forme, merci !

– Je venais de lui proposer de rester manger ce soir...

– Sans soucis, entrez les garçons, mettez-vous à l'aise ! Nous dînons dès que ton père rentre du travail, il ne devrait plus tarder.

J'étais aux anges. Je manquai de le prendre par la main pour lui faire visiter rapidement les lieux, et le traînai à l'étage pour poursuivre ma visite quand Sacha nous rentra à moitié dedans, les bras débordant de fringues qu'elle devait sans nul doute aller mettre au sale. 

– Mais fait gaffe, crétin !

– Sacha, tu connais déjà Ed...

– Eden ! Le fameux ! Le beau, le grand Eden !

– Lui-même, rigola-t-il.

– Une des filles de ma classe est amoureuse de toi. Tu es son crush depuis le mois de septembre. 

J'eus la soudaine envie d'exploser de rire mais me retins. À côté de moi Eden rigola et Sacha continua de nous dévisager quelques secondes.

– Tu manges chez nous ?

– Yep !

– Cool ! À tout à l'heure !

Elle dévala les escaliers en glissant sur la rampe, semant au passage une petite culotte et je levai les yeux au ciel. À mes côtés, Eden n'avait pas cessé de sourire.

– Elle a l'air génial ta sœur, me souffla-t-il.

– Elle l'est, ça oui...

Je poussai la porte de ma chambre pour le faire entrer. Son regard s'attarda sur le moindre recoin de cette dernière, détaillant les quelques rares photos que j'avais de moi et Maya, mon bureau en bazar... Il se laissa tomber sur mon lit et poussa un soupire. Je refermai la porte avant de le rejoindre, tout sourire.

– Elle est vraiment canon, dit-il en me désignant d'un geste du menton, une photo de Maya.

Avec ses cheveux blonds, ses yeux noisette, elle en jetait. Oui. Maya était mignonne, et elle le savait. Je l'avais toujours trouvé spéciale. Depuis le premier jour. Dans sa poche son portable vibra plusieurs fois avant qu'il ne daigne l'attraper. Le prénom de « Adel » s'était affiché sur l'écran et il soupira, mal à l'aise.

– Tu sais, tu peux répondre, ça ne me gêne pas...

Eden haussa les épaules, se leva de mon lit et décrocha. Je lui laissais un semblant d'intimité, feignant d'ouvrir un bouquin et de bouquiner en silence. Mais l'air de rien, je tendais quand même l'oreille pour essayer de comprendre ce qui se disait à l'autre bout du fil. Hormis « mmh » où les « je vois, ok » de Eden, je n'entendais rien d'autre. De temps en temps, il éloignait le portable de son oreille, signe qu'Adel devait un peu s'emballer à l'autre bout du fil, mais sans plus. Au bout d'une minute il raccrocha et revint s'affaler près de moi.

– Alors ? demandais-je, curieux.

– Alors il avait besoin de moi pour un projet à la fac. Un truc vidéo ou je ne sais quoi... Ils doivent réaliser une sorte de mini JT en anglais, mais il leur manque quelqu'un dans le groupe. Et puisque je me débrouille pas mal anglais, il a pensé que c'était une bonne idée.

Franchement, Adel n'aurait-il pas pu aller chercher ailleurs ?

– Je vois... Et du coup ?

– Du coup quoi ?

– Tu as dit oui ?

– Tu as entendu, non ?

– Ce que j'ai entendu c'était un « donne moi une date et une heure ».

– Voilà. C'est juste deux heures, et franchement, il avait l'air en pleine détresse. Enfin, détresse façon Adel mais... Bref.

– Je pourrais venir ?

Eden se tourna vers moi, un peu étonné.

– Si ça te chante, ouais...

Je n'avais aucune idée de pourquoi je lui avais balancé ça. Il allait finir par croire que je voulais le fliquer. On frappa à la porte de ma chambre, et bientôt la tête de Sacha nous apparut, tout sourire.

– Vous venez manger les gars ?

Nous descendâmes, et mes parents nous attendaient, tout sourire. Mon père s'avança vers Eden et lui empoigna la main pour le saluer.

– Eden ! Ravi d'enfin pouvoir te connaître un peu mieux, nous n'avions pas eu le temps de parler au match la dernière fois. Si tu savais comme j'ai entendu parler de toi !

Eden me glissa un regard amusé. Nous nous installâmes autour de la table et ma mère passa les plats à Sacha qui se servit une ration double (voire triple) comme d'habitude.

– Je suis si célèbre que ça, rigola Eden.

Le visage de mon père s'illumina : il avait toujours adoré les gens avec de l'humour et un peu de repartie.

– Disons que Louis ne nous parle pas souvent de ses camarades de classe, parce que ce sont les mêmes depuis la maternelle ! Et puis, je travaille avec madame Berges, nous sommes dans la même agence.

Oh non. Pas elle. Pas ce sujet. J'ouvris de grands yeux, et me servis en vitesse. Madame Berges était à l'image de son fils : elle avait des idées bien tranchées. Et comme Blaise, elle n'avait pas sa langue dans sa poche.

– La mère de Blaise ? demanda Eden, soudain un peu refroidis par la tournure que prenait la conversation.

– Elle-même. La pire des vipères.

– Chéri..., le calma ma mère.

Du coin de l'œil, je vis Eden souffler un coup.

– Vous la verriez, tous, c'est un sacré numéro. Toujours à nous parler de son fils parfait, et de ses camarades de classe qui tentent de le corrompre...

Je manquai de m'étouffer avec ma bouchée et Eden esquissa un sourire. Sacha elle éclata de rire.

– C'est un gros con Blaise ! gueula-t-elle en tapant du poing sur la table. C'est lui qui corrompt les gens, pas l'inverse !

Oui, elle n'avait pas tout à fait tort.

– En tout cas, si un jour il vous embête, il ne faut pas hésiter à...

– Papa, on est grand.

– Peut-être, mais tu sais, face aux cons...

– Une aide est toujours la bienvenue, le compléta Eden, faisant sourire ma mère.

– Voilà. Parce que les gens comme Blaise trouveront toujours le petit détail pour vous faire du mal. Même celui qui paraît sans importance.

Je n'avais aucune idée de si mon père tentait de faire passer un message à Eden. Ou à moi. Ou s'il savait pour Eden tout court. Peut-être même pour moi. Ma mère changea de sujet de conversation, et le reste du repas se déroula dans la bonne humeur. À la fin de ma soirée, quand mon père proposa une énième bière à mon petit ami, je décidai de le raccompagner. Sur le seuil de la porte (que j'avais fermé, au cas où) Eden m'effleura les doigts, souriant.

– Tu as une famille géniale. Et ton père... il est archi cool.

– Si tu le dis...

Il se pencha vers moi, après avoir regardé rapidement autour de nous et posa ses lèvres sur les miennes.

– À demain ?

– À demain.

Je le regardai s'éloigner dans le noir, choper son bus in extremis et je rentrai chez moi. 


          Ma mère était déjà monté se coucher, et mon père était toujours là, affalé dans son fauteuil, à regarder une rediffusion de match de rugby qu'il n'avait pas pu voir la veille. Il tapota la place à côté de la sienne et je m'assis à ses côtés. Je n'étais pas très rugby, mais j'aimais ces moments-là avec mon père.

– Il est charmant ce garçon.

– Euh... Oui.

– Je suis content que tu te sois trouvé un ami comme lui. Quand j'ai appris que Maya partait, l'an passé, j'ai eu peur que tu ne te refermes, que tu ne te contentes plus que de côtoyer les gars de l'équipe, deux soirs par semaine. Eden est un bon gars. Peu importe ce qu'en dit la mère de Blaise.

– Je... d'accord.

Je ne savais pas trop quoi répondre.

– Je suis au courant, tu sais ?

– De quoi ?

Je sentis mon cœur louper un battement. Au courant de quoi ? De nous ? De moi ? Juste de Eden ?

– Pour Eden. Je sais qu'il aime les garçons. C'est la première chose que madame Berges a dite à son propos, qu'il faisait partie de ces jeunes en quête de reconnaissance, et qui n'avait rien de mieux à faire que de se prétendre homo.

Je ravalai ma colère pour l'écouter parler. Il avait l'air lancé, et moi, j'étais étonné de l'entendre parler de ça. Ce genre de sujet n'avait jamais été un sujet... disons, de prédilection pour lui. Mon père ne s'était jamais prononcé sur quoi que ce soit. Même lors des nombreuses manifestations pour le mariage pour tous. Ou lorsque ma sœur avait lancé le sujet, curieuse. Il n'y avait que ma mère qui s'avançait. Rien ne la dérageait, elle, du moment où nous étions heureux.

– Je vais te dire, je l'ai trouvé sotte. Si tu veux mon avis, c'est parce que Eden est plus doué que son précieux Blaise qu'elle en fait tout un sang d'encre. Et qu'il a été exclu d'un cours pour avoir fait une remarque déplacée envers lui. Elle a trouvé ça offusquant, moi j'ai trouvé ça normal. Si Eden te pose la question, dis-lui que ça ne me pose pas de soucis. Que je ne pense pas la même chose que cette grosse vache.

J'eus envie de pleurer. Et je le pris dans mes bras. Mon père eut l'air étonné, mais me serra fort quelques instants.

– Un truc à me dire, Louis ?

Oui papa, tellement de choses.

– Tu es le père le plus cool au monde.

Tout simplement. 


* * *

Hop hop, chapitre 20 ! Chapitre un peu plus court que les précédents, mais j'espère qu'il vous aura plu tout autant ♥ Je suis assez contente d'arriver à publier mes chapitres fréquemment. :3

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top