19. CELUI QUI FAISAIT CRAQUER INÈS
Le 25 novembre marqua le début de la fin pour moi. Cela faisait exactement vingt-huit jours où Eden et moi étions ensemble. Vingt-huit jours à se planquer, à s'embrasser furtivement à l'arrêt du bus le matin, quand les rues étaient encore désertes. Vingt-huit jours à mentir à mes amis, mes parents. Vingt-huit jours à éviter le regard de Clara qui me disait bien « met lui un râteau, Louis ! ». Vingt-huit jours que je n'arrivais plus à me passer de mon petit ami. Eden avait bien tenté, à plusieurs reprises, de me faire passer le cap. D'aller me balader dans Bordeaux main dans la main avec lui, à où personne ne nous connaissait... Mais croiser des gens de notre bahut était trop risqué. Au cinéma aussi, il essaya. En vain. Je sentais que tout ça l'agaçait, mais il gardait bonne figure. Et puis, il eut ce jour. Celui où Inès décida de m'achever pour de bon.
– Tu me plais, Louis.
Trois mots que je ne voulais SURTOUT pas entendre sortir de la bouche d'une fille. Encore moins d'Inès, mon ex. Elle avait attendu que Eden parte chercher une ration de rab à la cantine pour me sortir ça, sereine comme jamais. Quand Eden était revenu, avec une assiette pleine (la dame de cantine avait encore craqué devant ses beaux yeux), il nous jeta un drôle de regard. Inès me regardait fixement, en écrasant du plat de sa fourchette son steak de soja qui ne ressemblait plus à rien, et moi, j'avais toujours ma cuillère pleine de yaourt, à deux centimètres de ma bouche.
– Ouah, j'ai raté un truc ?
Sous la table, il me donna un coup de genou et je me repris aussitôt.
– Non, rien !
– Aller, faites pas genre. Je vois bien à vos têtes que j'ai raté un truc.
Inès se tourna enfin vers lui et reposa sa fourchette.
– J'ai déclaré ma flamme, et je me suis pris un vent. Louis était en train de me dire que ce type était sans doute un peu lent, et qu'il fallait sans doute lui laisser le temps de digérer.
Hein ? Mais qu'est-ce qu'elle... Putain.
– Oh ! Du temps ? Du temps pour quoi ? Tu es géniale Inès !
– Je me le demande bien ! s'exclama-t-elle.
J'avais envie de les frapper, tous les deux. Eden parce qu'il ne voyait rien, Inès parce qu'elle prenait un malin plaisir à me torturer ainsi. Elle me fit un sourire immense avant de recommencer à manger son... truc qui ne ressemblait plus à rien.
– Je peux savoir qui c'est ? Ou c'est un secret entre vous ? nous glissa-t-il, penché par-dessus son assiette pleine.
– Oh, ce n'est pas un secret, répliquais-je, elle ne m'a pas donné son nom.
Et toc. Manges-toi ça. Elle me fit les gros yeux et je crus la voir rougir un peu.
– Aaaah, tu nous fais des cachotteries Inès ! Si jamais, tu sais que tu peux nous le dire, hein ?
Je voulais bien voir ça. Dire à Eden qu'elle craquait sur moi. Juste pour voir sa tête. Elle haussa les épaules, l'air de rien, et changea de sujet de conversation deux secondes plus tard.
Un peu plus tard dans la journée, c'était le retour de l'humiliation en cours de gymnastique. Sauf que dans deux semaines, je passais mon BAC de sport dans cette épreuve et que... je n'étais pas prêt du tout. J'avais bien tenté d'apprendre un enchaînement correct, mais le sort s'acharnait. Je restais mauvais. En parallèle, Eden faisait des miracles, la mâchoire du prof se décrochait à chaque cours, Blaise bouffait les tatamis de jalousie et la moitié des filles étaient en transe à chacun de ses passages.
Comme à chaque fin de cours de sport désormais, Eden s'arrangeait pour parler avec notre professeur, ou ranger les tatamis pour aller se changer en dernier. Il avait compris la leçon de Blaise, et je l'avais supplié presque à genoux de ne pas lui rentrer dans le lard. Blaise était insupportable, mais ses parents encore plus, et ils seraient capables d'avoir le dernier mot de l'histoire si jamais ça tournait mal. Et comme d'habitude, je l'attendais. Je m'arrangeais pour ranger mes affaires lentement pour ne pas éveiller les soupçons.
– Ils comment à me taper sur les nerfs ces mecs...
– Ils ne sont pas tous comme Blaise, tu sais...
– Peut-être, mais en attendant, il y en a pas un qui bronche. En début d'année ça ne posait pas de soucis que je sache. Et puis, sans vouloir offenser cette bande de macaques, ils se reluquent déjà tous entre eux. Je ne vois pas la différence avec moi. Ou même toi.
– Moi ils ne savent pas. Imagine s'ils avaient su ! Je n'aurais jamais pu tenir jusque-là...
Eden retira son tee shirt et haussa les épaules. Comme d'habitude, je ne me fis pas prier pour le regarder en détail.
– Non mais vraiment, je vais en toucher un mot au prof d'histoire... Visiblement, ce mec a compris que son job était aussi d'écouter les élèves.
– Si tu veux...
– Tu ne crois pas que c'est une bonne idée ?
– Si. Mais je ne sais pas s'il pourra faire grand-chose.
– Louis...
– Oui ?
– Tu sais que tu es exaspérant parfois ?
Je rigolai doucement. Oui, j'étais au courant. Il s'assit à côté de moi et posa une main sur mon genou droit.
– On a cours dans quinze minutes, tu sais ? soufflais-je en me penchant vers lui.
Tant que tu ne remets pas ton tee-shirt tout de suite, ça me va, crois- moi... pensais-je très fort. Ses lèvres effleurèrent les miennes et je me mis à l'embrasser en retour. Je fermai les yeux, passai une main derrière sa nuque. Je me retrouvai sur ses genoux sans trop savoir comment mais bon sang, ce que j'étais bien. J'y serais resté l'heure suivante si j'avais pu. Il passa une main sous mon tee shirt, tandis que les miennes parcouraient son torse à la recherche de nouvelles sensations. Je sentis une main s'aventurer un peu plus bas dans mon dos, glisser sous la bordure de mon caleçon. Je frémis, continuant de l'embrasser. Bordel. Ça devenait beaucoup trop chaud. Et mon corps n'allait pas tarder à me le faire savoir....
– Louiiiiiis ?
La voix de Inès nous ramena tous les deux sur terre. Je me cassai à moitié la figure en m'éjectant des genoux de mon petit ami et Eden me regarda, baissa le regard et devint rouge écrevisse. En moins de deux secondes, je m'enfermai dans les chiottes et Inès ouvrit la porte à ce moment-là.
– Ah ! Eden ! Tu te changes toujours en dernier... Quelle bande de cons. Tu aurais vu Louis ?
– Aux toilettes.
– Je suis là ! Je termine et j'arrive ! lançais-je derrière ma porte.
– Tu te planques pour te changer ?
– Inès... Ferme-la.
– Rooh, pardon.
Je l'entendis rigoler et levai les yeux au plafond. Bordel. Pourquoi MAINTENANT ? Pourquoi fallait-il que mon corps – très sage en temps normal – se réveille MAINTENANT ? Hors de question d'aller plus loin tout seul dans cette cabine alors qu'ils étaient là, alors j'allais attendre.
– Tu es sacrément bien gaulé dis donc !
– Ah euh... merci...
Arrête de reluquer mon copain toi...
– Louis ?
C'était la voix de Eden.
– J'arrive.
Bon. Le souci avait été de courte durée mais... bordel.
– Salut monsieur le prude, me lança Inès.
– Mmh... On y va ?
J'étais toujours rouge tomate. Et Eden aussi. Chose rare. Il profita de ce qu'Inès marche devant nous en chantonnant pour me glisser :
– On a eu chaud.
– Plus jamais ça. Pitié. J'ai cru qu'elle allait nous gauler.
– Oui. Heureusement pour nous, tu sais gérer tes problèmes assez vite.
– Ne commence pas toi.
Il éclata de rire, Inès se retourna en levant les sourcils.
– Il y a quoi de drôle ?
– Rien rien... grommelais-je.
* * *
À la fin de la journée, j'eus le droit à la soupe à la grimace. Eden me regardait d'un air bougon sans que je ne sache pas trop pourquoi. Manque de bol pour moi, ce soir était le soir où nous avions décidé que réviser chez lui, serait sympa. Il était assis sur son lit, son livre entre les mains, un crayon coincé derrière l'oreille. Et moi, je l'épiais, derrière mes feuilles, en guettant une réaction. Et puis, au bout d'un certain temps, ne tenant plus, je me suis jeté à l'eau.
– Tu boudes Eden ?
– Moi ?
– Non, l'autre Eden. Mais oui, toi...
– Je ne boude pas.
– Ah.
– Parfaitement.
Je me levai et posai mes mains sur ses épaules.
– Alors pourquoi tu fais cette tête ?
– Réfléchis.
– C'est à cause de tout à l'heure ? C'pas de ma faute si tu es terriblement excitant.
Il esquissa un sourire franc. Ok, ce n'était pas la bonne réponse, mais elle avait eu le mérite de le faire rire. Je m'assis sur ces genoux, les bras croisés. J'étais du genre tenace, s'il savait.
– Tu aurais pu me dire pour Inès, finit-il par lâcher.
– Comment ça ?
– Louis, elle me l'a dit.
Bon sang, Inès ! Je décroisai les bras et soupirai. Maintenant, il attendait des explications. Que je n'avais pas.
– J'ai pas envie de sortir avec elle.
– Encore heureux ! lança-t-il.
– J'ai envie de finir ce qu'on a commencé ce matin... murmurais-je, près de ses lèvres.
– Tu iras mettre les points sur les i avec elle ?
– Eden...
Je commençais déjà à batailler avec son tee-shirt. J'étais intenable. Mais je recommençais à brûler de l'intérieur, et j'avais cette envie irrépressible de le toucher, encore et encore.
– Louis ?
– Ok. Je le ferais.
– Tu le promets ? Dès demain matin, huit heures trente ?
– Hé oh...
– Je ne bouge pas tant que tu ne m'as pas confirmé ce détail.
– C'est du chantage, rétorquais-je.
– Peut-être. Alors ?
Je voyais bien à son regard que la situation l'amusait plus qu'autre chose.
– J'irais dire à Inès, demain matin huit heures trente, que je ne peux pas être avec elle.
– Parce que tu as déjà quelqu'un.
– Hé !
Il rigola et je plaquai ma bouche contre la sienne pour le faire taire. Je le renversai sur son lit, au milieu de ses cours de géographie sans me soucier d'autre chose que sa bouche, son torse, et à peu près tout le reste de son corps.
– Tu sais que mes parents sont en bas ?
– Mmh, moui... soufflais-je dans son cou.
Ce n'était pas chez moi que j'embrasserais mon petit ami en toute impunité, certes. Mais chez les Verdier, je me sentais libre. Il devait être aussi à l'aise que moi puisqu'il retira mon haut en rigolant, poussant au passage son sac de cours qui s'écrasa par terre.
– Tu vas me rendre fou, murmura t-il.
Oh non, c'est toi qui vas me rendre dingue à ce rythme, Eden... Il me repoussa avec un grognement, laissa tomber son tee-shirt et me poussa dans ses oreillers en rigolant. Ses lèvres sur mon torse faisaient des miracles. Le corps en feu, je fermai les yeux, oubliant tout le reste. Je le laissais m'embrasser, encore et encore, une main dans ses cheveux, l'autre sur sa nuque. Il s'attardait un peu dans mon cou et revint à l'assaut de mes lèvres en rigolant.
– Demain va falloir que tu couvres ça, je crois que j'ai laissé une trace.
Je ris. Je m'en foutais, sur le moment. Il pouvait laisser ses marques où il voulait, je m'en foutais. Je ne voulais que lui en cet instant. Il arrêta ses baisers quelques secondes, son corps plaqué contre le mien, le sourire aux lèvres.
– Louis ?
– Mmm ?
– Je peux te toucher ?
J'aurais bien aimé qu'il le fasse sans me demander, vraiment. Parce que maintenant, ma timidité maladive reprenait le dessus, mes joues étaient sans doute aussi rouges que ce matin dans les vestiaires et j'eus une drôle de bouffé de chaleur. Bien sûr, j'en avais envie. J'en crevais d'envie. Pas de plus, pas tout de suite, mais ça... Il attendait toujours une réponse, son visage à deux millimètres du mien. Doucement, je hochai la tête pour lui donner le feu vert. Son nez frôla le mien, il m'embrassa encore, sourit contre ma bouche, visiblement amusé par l'état dans lequel j'étais capable de me mettre.
Mais tu savais me mettre à l'aise, Eden. Tu savais que quand tu m'embrassais à un endroit bien précis dans le cou, tu me faisais tout oublier. Au moment où tu as glissé ta main plus bas, je me suis embrasé. Nos deux corps ne demandaient qu'une chose, c'était de rester soudés l'un à l'autre, je le sentais. À ce moment-là, j'ai eu du mal à me retenir. Tu m'embrassas pour étouffer mes gémissements, et les tiens aussi, d'ailleurs. Je venais de décréter quelque chose : je voulais que tu me transportes ailleurs comme ça tous les jours.
* * *
J'ouvris les yeux dans une chambre beaucoup plus sombre que quand j'étais arrivé. Les lumières étaient éteintes, les rideaux tirés. À côté de moi, Eden me caressait l'épaule en souriant, attendant visiblement que j'émerge. Attends... J'ai dormi ?
– Tu devais être sacrément crevé pour t'endormir comme ça, chuchota-t-il.
Je me redressai immédiatement dans mon lit, avant de jeter un coup d'œil à ma montre. Vingt-et-une heure.
– Merde.
– Mes parents ont prévenu les tiens.
– Que...
– Tu t'es endormi, j'ai prévenu mes parents que tu piquais un somme dans ma piaule. J'ai mangé un bout et, tu t'es réveillé. Du coup, mes parents ont prévenu les tiens que tu dormais chez nous ce soir.
C'pas vrai...
– Aux yeux de tout le monde, tu as tellement bossé que tu t'es écroulé de fatigue.
– J'me suis endormi quand... ?
Pitié, ne me dis pas pendant que tu me faisais du bien, où je vais aller me pendre.
– Tu étais dans mes bras, je te causais de je ne sais plus quoi, et puis tu as arrêté de me répondre. C'était après, si c'est ta question.
Il avait parfaitement compris ma gêne dans mon regard. Il se cala contre moi et posa sa tête contre mon épaule, fermant les yeux.
– C'était la première fois qu'un mec te faisait ça ?
– Que quelqu'un me faisait ça tout court...
Retour de la gêne maximum.
– Et... ?
– Et quoi ?
Il voulait que je lui mette une note ? Hé bien, Eden, je te mettais vingt sur vingt. Heureux ?
– Et j'ai adoré, Eden. Mais ça, je m'en doutais, j'ai répondu, les yeux rivés sur le plafond.
Je le sentis sourire contre moi. Je le pris dans mes bras, sentant les larmes me monter aux yeux pour une raison mystérieuse.
– Reste avec moi Eden.
– Où veux-tu que j'aille ?
Je ne répondis pas. Ce n'était peut-être pas grand-chose pour lui – je n'en savais rien – mais je lui avais donné plus qu'à n'importe qui ce soir-là. Nous étions peut-être allé un peu vite, je n'en savais rien, parce que je n'y connaissais rien en relation de couple, mais j'aimais ça. Ce soir je lui avais donné le feu vert, mais je voulais que l'on y aille doucement. Ce que je voulais, c'était de profiter de chacune de ses étapes avec lui, au maximum.
* * *
Et hop ! Petit chapitre de la semaine ! Comme d'hab', merci aux votants et aux lecteurs de cette petite fiction ♥ des bisous, et à la semaine prochaine !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top