18. CELUI QUI ÉTAIT EN WEEK-END
Ce soir j'allais chez Eden. Ce soir j'allais chez mon petit ami. Secret, certes, mais mon petit ami quand même. Il était neuf heures, et j'étais déjà impatient. D'ailleurs je devais agacer Inès, assise juste devant moi, car elle se retourna, les sourcils légèrement froncés.
– Louis, arrête de tapoter la table avec tes doigts. C'est stressant, chuchota-t-elle.
Rooh, mais elle ne savait rien, elle ! Elle n'avait pas le droit de gâcher ma joie comme ça. Je haussai les épaules et j'arrêtai, le temps qu'elle se retourne et de son côté, Eden esquissa un sourire. Lui aussi attendait la fin de cette journée, il me l'avait confié ce matin, en arrivant au lycée. Cependant, il arrivait à garder son calme, pas moi. Et voilà, je recommençais à tapoter la table du bout des doigts, j'étais intenable... Sans doute pour me calmer, Eden effleura le dos de ma main. Je souris... avant de perdre ma joie dans la seconde qui suivit.
Clara me regardait, son air hautain collé à la figure, les deux sourcils relevés. Je retirai ma main, foudroyai Eden du regard et je me remis à écrire le cours que notre prof dictait d'une voix morne. Elle a tout vu. Je suis foutu. Elle va le dire à ses copines. Elle va se faire des idées. Et moi j'ai... j'ai trop mal regardé Eden je... Il me lança un drôle de regard et je compris que je l'avais vexé. Pardon Eden, pardon mais... Mais je ne pouvais pas. Voilà tout. S'il voulait me toucher, il allait devoir attendre que nous soyons seuls, ou la fin de la journée. Point barre.
La sonnerie a retenti, et je rangeai mes affaires, et Eden ne m'attendit pas pour aller au cours suivant. Merde. Merde, merde et MERDE.
– Eh Louis !
La voix de Clara me hérissa le poil.
– Oui ?
– C'est moi ou il tente de te draguer ?
– Je crois pas, non.
– Mmh, je vois.
– Tu vois quoi, Clara ? pestais-je.
– Un problème ma belle ?
Oh non. Pas elle. Je n'avais pas besoin de Sixtine en plus dans l'équation. Vraiment pas.
– Louis est embarrassé, Eden le drague.
Que...
– Oh merde alors !
Et Sixtine éclata de rire.
– T'es pas gay, faudra lui préciser Louis !
J'en avais marre. Je levai mes yeux au ciel.
– Ouais ouais, je penserais à lui dire.
Et je me barrai. Qu'est-ce qu'elles en savaient, d'abord ? C'était quoi le souci des gens à me mettre dans une case, à me coller une étiquette et à penser pour moi ? C'était quoi leur putain de problème ? J'ai profité de nos cinq minutes d'interclasse pour filer aux chiottes, agacé comme jamais.
Je rentrai dans une cabine en claquant la porte. Je ne m'agaçais jamais, parce que j'étais le genre de mec à tout garder pour moi. Tout le temps. Mais là... Je foutus un grand coup de pied dans la porte des toilettes dans lesquelles j'étais enfermé.
– PUTAIN !
Bon sang ce que ça faisait du bien. Je n'avais même pas vérifié si j'étais seul avant de m'énerver, mais ces toilettes n'étaient pas les plus prisées du lycée.
– Louis ?
La voix qui venait de la cabine juste à côté de moi me surprit.
– Eden ?
On ouvrit nos portes au même moment et on se regarda quelques secondes sans rien se dire. J'avais envie de m'excuser pour tout à l'heure, mais les mots restaient bloqués dans ma gorge.
– Ça va pas ?
Je secouai la tête, au bord des larmes. J'en avais marre, tout simplement. Marre du lycée, marre des cons qui s'y trouvaient, marre de cette classe imbuvable, marre de toujours voir les mêmes têtes autour de moi, les mêmes depuis la maternelle... Il s'avança vers moi et me pris dans ses bras. Je ne me dégagais pas cette fois-ci.
– Je voulais pas tout à l'heure... Mais Clara a...
– Oui ?
– Elle a vu, et tu sais comment elles sont...
Je sentis Eden soupirer. Il se recula, d'un pas, et prit ma main dans la sienne.
– J'espère qu'un jour je pourrais te tenir la main sans que ça te gêne Louis. Et sans que ça gêne les gens autour de nous.
J'esquissai un sourire. Bientôt, bientôt... dès que je quitterais cet endroit pourri. Et que je pourrais enfin m'affirmer. Il pouvait me croire, je ne rêvais que de ça en ce moment. Moi aussi je voulais crier au monde entier que j'avais un petit ami. Je voulais pouvoir me balader main dans la main avec lui. Lui adresser des regards complices sans que cela ne gêne personne. Mais autour de moi, personne n'était prêt.
– On y va ?
Je hochai la tête. En revenant en cours, je vis Eden prendre soin de marcher derrière moi. Sans doute pour éviter d'attiser les ragots chez les filles.
Et ça m'a brisé le cœur. Vraiment.
Tu t'en prenais plein la gueule. Je n'avais aucune idée de comment tu faisais pour tenir. Venir ici tous les jours, supporter le regard mauvais de Blaise et sa bande. Je me disais que tout ça allait passer. Tu étais le premier mec gay que cette classe de demeurés voyait mais... J'étais mal pour toi. Avec les autres classes, tu n'avais aucun souci. Alors pourquoi ça coinçait avec la nôtre ?
Je passais le reste de ma journée totalement déconnecté du monde qui m'entourait. J'entendais d'ici la voix de ma mère qui me disait de me concentrer un peu si je voulais avoir une note décente au BAC. Mais moi, je préférais rêvasser sur mon week-end à venir.
* * *
Je passais prendre mes affaires pour les deux jours à venir chez moi après les cours. Ma mère m'arrêta dans l'entrée, au moment où je posai ma main sur la poignée.
– Louis ?
– Oui ?
– Tu seras raisonnable ce week-end d'accord ?
Je me suis retenu de lever les yeux au ciel. Mais je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir : ma mère se faisait toujours du souci pour moi, ou que j'aille. Or là, j'allais carrément passer mon week-end ailleurs. Ce n'était arrivé que pour aller chez Maya, et ma mère n'y avait jamais vu de problème. Mais là...
– Et hum... Enfin, si jamais... Prends tes précautions avec cette fille, d'accord ?
– Maman !
– Il fallait bien que je t'en touche un mot ! Ton père n'est pas là, râla-t-elle.
Avec cette fille. Rien qu'avec cette phrase j'avais envie d'aller me pendre au seul arbre de mon jardin. Parce que oui, j'avais dit à ma mère que j'allais passer le week-end chez une fille. Elle avait insisté pour savoir qui, je lui avais balancé que c'était une pote d'Inès que j'avais rencontré lors d'une soirée. Et ma mère en avait déduit que je tentais de lui faire passer subtilement le message suivant : j'avais quelqu'un dans ma vie. En soi, elle n'avait pas totalement tort, mais ce n'était ni une pote d'Inès, ni « une » tout court.
– Je serais sage, promis. À lundi !
Je sortis presque en courant avant que ma mère me fasse un savant cours de SVT sur des trucs que je connaissais déjà. T'inquiète maman, je suis loin de te mettre une fille en cloque par accident... Sois rassuré ! que j'avais envie de lui dire. En route je racontais tout ça à Maya qui ne put s'empêcher de se marrer.
« Pourquoi tu ne leur dis pas pour Eden et toi ? »
« Ils ne sont pas prêts. »
« Non Louis, c'est toi qui ne l'est pas... »
« Si tu le dis. Mais dans tous les cas... Ce n'est pas le bon moment. »
« Je vois... Bonne soirée à toi alors. Tu n'oublieras pas de TOUT me dire. »
« En fonction de, peut-être pas tout... »
« Louis ! »
J'éclatai de rire devant son message offusqué.
Une fois arrivé devant la maison des Verdier, je fus pris d'un petit pincement au cœur. Le genre qui arrivait sans prévenir dans une situation stressante. Pourtant, je n'avais pas à stresser... J'étais venu ici plusieurs fois. Je connaissais leur maison sur le bout des doigts. Et puis, c'était chez Eden. Je m'approchais de la porte d'entrée avant d'appuyer timidement sur la sonnette. Alors pourquoi avais-je l'impression de venir pour la première fois de ma vie ? La porte s'ouvrit et Eden apparut, dans une tenue différente que celle qu'il avait portée toute la journée. Souvent j'oubliais à quel point ce garçon aimait les fringues...
– T'as été rapide ! Entre, entre !
– Disons que j'ai fui ma mère qui voulait me donner un cours de SVT...
– Ta mère sait que tu es chez moi ?
– Elle pense que je suis chez une amie.
Eden fit une petite moue avant de se reprendre. Alors d'accord, en moins de deux secondes il était passé du statut de « petit ami » à celui d'« amie » mais... Il devait commencer à me connaître ! Je n'étais pas prêt. Il attrapa mes affaires et me lança qu'il allait les poser en haut, et que je n'avais qu'à me mettre à l'aise dans le salon. Ce que je fis. J'aimais bien le salon des Verdier. En plus d'être agréable, il regorgeait de photos, par-ci, par-là, d'Eden et sa famille. À chaque visite, j'avais l'impression d'en découvrir des nouvelles. Une de mes favorites était celle d'Eden avec le tutu bleu pâle de sa cousine sur la tête. Il grimaçait, et en arrière-plan, ladite cousine pleurait à chaud de larmes, ravagée par la perte de son tutu. Une fois de plus, je ne pus m'empêcher de sourire devant ce cliché décidément trop drôle. Je l'entendis descendre les marches et bientôt, il noua ses bras autour de ma taille, posant sa tête sur l'une de mes épaules.
– C'est vrai qu'elle est marrante celle-ci, souffla-t-il.
– Tu ressembles à un diablotin.
– Ah ouais ?
– Ouais. Avec ses joues rouges, et ces dents qu'il te manque.
– Ce n'est pas très gentil ça Louis... rigola-t-il.
– Si ça peut te rassurer, mes parents ont une collection impressionnante de clichés compromettants.
– Il faudra que tu me montres ça.
– Je sais pas si tu es prêt à les voir, rigolai-je.
Je me retournai pour l'embrasser, comme je rêvais de le faire depuis le début de la journée. Nullement surpris, il se laissa faire, fermant les yeux et je profitais de cet instant pour glisser mes mains dans ses cheveux que j'aimais tant.
– J'ai eu envie de ça toute la journée... murmurais-je.
– On est deux alors....
Nous passâmes le début de la soirée vautrés sur son canapé, à regarder une saga de films que nous aimions tous les deux. Quand Eden entendit mon ventre crier famine, il déclara qu'il était grand tant qu'il nous prépare un petit quelque chose. Je le regardais cuisiner en sifflotant et réalisais à quel point il était parfait. Trop parfait. Ce mec devait bien avoir des défauts, non ? Mais je n'en trouvais aucun. Zéro. Nada. Et en plus, ce qu'il cuisinait était bon.
Il était une heure du matin quand le dernier générique défila sous nos yeux. Et étrangement, je n'avais pas sommeil. Nous avions tellement commenté les scènes, rigolé à certaines absurdités du scénario, que j'étais encore très frais pour un gars qui dormait les yeux ouvert à son premier cours de la journée. Quand il me proposa de monter dans sa chambre, j'esquissai un sourire pour lui donner le feu vert.
Deux minutes plus tard, nous étions tous les deux allongés l'un sur l'autre, à nous murmurer des niaiseries sans nom. Il passa une main dans mes cheveux, embrassa mes deux joues, descendit le long de mon cou. Il s'arrêta quelques secondes pour plonger son regard dans le mien, et je souris.
– Merci Louis.
– De quoi ?
– D'être là.
Je ne saisis pas trop le sens de ses mots à ce moment précis. Attendait-il une réponse, une réaction de ma part ? Il me regardait toujours, ses iris verts plongés dans les miennes. Je passai une main derrière sa nuque pour l'attirer de nouveau contre ma bouche et fermai les yeux. À ce moment précis, j'en fus convaincu : ce que je ressentais maintenant était unique. Nouveau, aussi, je n'avais jamais été aussi bien avec quelqu'un. Inès avait tenté plusieurs reprises quand nous étions ensemble de me faire ressentir ce genre de chose, en vain. Inès ne savait pas m'embrasser comme Eden le faisait. Je n'avais jamais voulu me retrouver seul dans un pieu avec elle. Alors qu'avec lui, c'était différent. Je sentis l'une de ses mains se faufiler sous mon tee-shirt, et je le laissais faire, trop heureux de le sentir encore plus contre moi.
Et comme la première fois que tu m'effleuras l'épaule, j'eus l'impression que ta peau brûla la mienne. Tes mains remontaient le long de mon dos dans une caresse, tu m'embrassais, et moi, j'étais au comble du bonheur. Quand tes lèvres descendirent un peu plus bas, je ne put m'empêcher de pousser un soupir d'aise qui te fit sourire. Et puis, sans que je ne m'en rende compte, tu étais de nouveau sur moi, un tee-shirt en moins.
– Euh... Eden ?
– Mmh ?
Merde. On allait être mal tous les deux là. Parce que je devinais assez aisément ce qu'il avait envie de faire, et je n'étais pas prêt. Pas prêt DU TOUT à passer à cette étape-là. Mais bordel c'que tu es beau. Ce n'est pas possible d'être aussi bien taillé pour un mec de ton âge... merde quoi. Pourquoi mes muscles ne ressemblent pas à ça moi ? Si tu es comme ça maintenant, ça va être quoi dans quelques années ? Tu seras encore plus parfait.
– Louis ?
Mince, évidemment, je l'avais coupé dans son élan.
– Je remets mon tee-shirt tu veux ?
– Non non !
Oh non, tu restes comme tu es mon gars...
– On n'ira pas plus loin, t'inquiète.
Il avait compris. Merci Eden d'être aussi perspicace. Et évidemment, j'aurais pu en rester là, hocher de la tête, lui dire merci mais... non.
– Oui euh... je suis un peu fatigué.
Il rigola un peu et se laissa tomber sur le matelas, à côté de moi. Il respirait encore très vite, je le voyais à sa poitrine qui se soulevait plus vite que d'habitude. Il passa un bras autour de ma taille, nicha sa tête dans le creux de mon cou et me déposa un baiser tout doux au même endroit.
– Alors dors, Louis.
Je sentais mon cœur se calmer, le sien faire de même. Je me suis endormi rapidement ce soir-là, Eden blottit contre moi. Cette soirée venait de détrôner toutes les autres depuis la rentrée.
* * *
Ce fut à contre cœur que, le dimanche soir, je rentrais chez moi. Deux jours chez Eden, à manger des cochonneries, à s'embrasser, se toucher, rester dans notre bulle, c'était juste parfait. Je n'avais pas regardé mon portable une seule fois du week-end. À mon retour, ma mère me demanda comment c'était passé mon expédition, et mon père, si j'avais réussi à gérer mon coup. Elle lui donna un coup de coude, il éclata de rire, et moi devins rouge cramoisie, j'étais remonté dans ma chambre plus vite que prévu. Mon père en déduisit donc que j'étais passé à l'acte avec ma petite amie mystère et j'eus envie de m'enterrer vivant dans notre jardin. S'il savait...
Quelques heures plus tard, Sacha vint se poser sur mon lit et essaya d'en savoir plus. Évidemment, je fis comme pour les autres. Je lui inventais un week-end génial chez une nana géniale. Et elle n'en cru pas un mot. Évidemment, puisqu'elle savait. Alors ma petite sœur en déduisit que je n'étais pas encore prêt à tout lui révéler, et je fus soulagé de voir qu'elle ne chercha pas à en savoir plus. Quand je rallumai enfin mon portable, les messages de Maya m'inondèrent.
« Alors ? »
« Tu ne réponds plus ? »
« C'est bon, je ne suis plus ta meilleure amie ? Louis, où es-tu ? »
[insérer ici une bonne dizaine de messages dans le genre]
« Bon, on est dimanche, tu es sans doute rentré chez toi maintenant ! Alors ! Raconte ! »
« Louis, je veux tout savoir. »
« Je suis toujours vivant, Maya. J'avais juste éteint mon tel ce we. »
« C'est possible ça? De vivre sans deux jours ? »
Elle me fit sourire.
« Et je vais bien, c'était génial »
« Il faut que je te téléphone pour avoir les détails ? »
Argh non, pas ça ! Je m'empressai de lui taper un compte rendu de mon week-end avant qu'elle ne passe vraiment à l'acte. Je lui racontais tout sauf l'épisode la première nuit où j'avais mis un gros frein à nos câlins. Je n'avais pas envie d'être jugé, encore moins pas Maya. Ce qui était idiot, elle ne me jugeait jamais.
* * *
Eeeet comme promis, voici le second chapitre de la semaine ! ♥ J'espère qu'il vous a plu. On se retrouve la semaine prochaine pour la suite ;)
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