17. CELUI QUI AVAIT RENDEZ-VOUS

                 Mais bordel Louis, que tu es con... Je me maudissais encore d'avoir accepté ce rendez-vous. Sans le dire à Eden. Oui, clairement, je m'en voulais : de ne pas être descendu à notre arrêt habituel en même temps que lui, et de lui mentir sur le fait que je devais rejoindre ma mère en centre-ville. 

À présent, j'étais à la fois nerveux et curieux. Je devais bien avouer qu'avoir rendez-vous avec Adel (dont je ne connaissais toujours pas le nom, d'ailleurs), c'était bien la dernière des choses que je pensais faire cette semaine. Voire, la dernière chose que je pensais faire tout court. J'étais assis sur un banc place saint Projet et pour patienter, je sortis un livre de mon sac. Il m'avait dit dix-huit heures trente, et on y était presque. Je mis alors à espérer qu'il ne me poserait pas un lapin.

– Il est génial ce tome. Clairement, dix fois mieux que le troisième.

Je levai les yeux de mon bouquin. Adel se tenait devant moi, un sac négligemment jeté une épaule, les deux mains dans les poches. Il portait un manteau kaki qui lui descendait presque jusqu'aux genoux, ce qui lui donnait l'air d'être assez petit.

– Ah euh... Ouais, je trouve aussi.

Je refermai mon livre et me levai.

– Du coup... tu voulais me dire quoi ?

Il eut l'air surpris que je rentre directement dans le vif du sujet mais... à quoi s'attendait-il ? Ce n'était même pas comme si nous nous étions vraiment parlé depuis la soirée au bord de la piscine.

– On marche un peu ?
– Si tu veux...

Est-ce qu'il le sentait que j'étais super mal à l'aise d'être avec lui ? Non, parce que clairement, je l'étais. Au fond, je n'avais aucune raison de l'être, je le savais bien mais... Ce garçon me mettait à l'aise. Sans que je ne sache trop pourquoi.

– Je voulais te dire que je ne t'en voulais pas.
– De quoi ?

Du coin de l'œil je crus le voir lever les yeux au ciel. Il s'arrêta devant la devanture d'une boutique et soupira.

– Pour Eden. Je ne t'en veux pas.

Est-ce que ce garçon pouvait être clair juste une fois dans sa vie ? Où voulait-il en venir ? Ce n'était pas comme s'il savait pour Eden et moi. À moins que... Louis, peut-être qu'il émet des hypothèses pour te forcer à avouer ! J'avais envie de le secouer, lui et ses cheveux d'une couleur bizarre, de lui dire d'arrêter de tourner autour du pot. Je l'attrapai alors par le bras, en le forçant à me regarder.

– Tu peux être plus clair ?

Il leva les sourcils. Cet air insolent, j'avais vraiment envie de lui faire bouffer.

– Vous sortez ensemble, non ? Si c'est pas encore le cas, ça ne saurait tarder, alors bon...

Je lâchai sa manche, la main un peu tremblante.

Comment il... Il capta aussitôt l'expression de mon visage et esquissa un sourire fin.

– Tu sais, on était surtout de très bons potes depuis quelque temps. C'était la première fois que l'on sortait avec un gars tous les deux, on avait peur de se dire que l'on avait plus rien à faire ensemble. On a laissé traîner ça, avant de se dire qu'il vaudrait mieux pour lui comme pour moi de tout arrêter. Mais on est toujours amis.

– Ce n'est pas l'impression que j'ai eue la dernière fois que vous vous êtes croisé, lâchais-je.

– Il m'a un peu agacé, j'avoue. C'est typique d'Eden, ça, faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et puis j'avais passé une mauvaise journée, ça n'a pas aidé.

Allons bon. C'était moi ou il se cherchait des excuses ?

– Et puis, on est pas ensemble.
– Ah oui ?
– Pas officiellement.

À quoi bon le cacher, il nous avait cramé. Je fuis son regard et je continuai à marcher.

– Il me parlait tout le temps de toi. Ça devenait lassant. Et c'était égoïste de ma part de ne pas vouloir le laisser partir. On a passé de supers moments ensemble mais bon....

Je crus percevoir de la tristesse dans ses mots. Est-ce qu'il était toujours amoureux ? Et qu'il tentait de le cacher . Je n'avais jamais vécu ça moi. La seule personne avec qui j'étais sortis, c'était Inès, et je n'avais jamais été amoureux d'elle. Peut-être que ce qu'il tentait de me dire avec maladresse, c'est qu'ils avaient vécu le genre de romance adolescente qui ne dure qu'un temps. Celui où on se découvrait, on l'on s'affirmait.

– Tu veux me faire culpabiliser, c'est ça ?

Il se tourna vers moi, l'air offusqué.

– Mais pas du tout ! Mais euh... Non !
– Je vais prendre mon bus ici.
– Je suis maladroit, pardon ce n'est juste que...
– J'en ai un dans deux minutes, le coupais-je.

Son visage se rembrunit.

– Tu ne m'aimes pas beaucoup, hein Louis ?
– Ouah, t'as deviné ça comment ?

Il fronça les sourcils.

– Ne dis pas à Eden que l'on s'est vu.

Je ne répondis pas. Mon bus arriva en avance (une première dans l'histoire mondiale des bus) et je grimpai sans même lui adresser un signe d'au revoir. Il m'avait piqué au vif. Et il l'avait bien compris. C'était le rendez-vous le plus cours de l'histoire des rendez-vous.

               Une heure plus tard j'étais de retour chez moi, affalé à mon bureau. J'avais mon portable sous les yeux, et les textos de Maya devant moi. Il fallait que je lui dise. Tout. Alors je pris une profonde inspiration et je lui racontais tout. Il fallut plusieurs messages, mais au bout de dix minutes de rédaction, de réflexion pour mes tournures de phrase, d'effaçage et retapage de texte, j'envoyai. Je n'eus pas de réponse dans l'heure qui suivit, sans doute était-elle occupée. 

En fait, la réponse est venue bien après. Une fois douché, couché, je vis mon portable clignoter. Elle m'avait répondu !

« Hey hey ! Désolé pour mon temps de réponse, j'étais chez le médecin, j'ai chopé une crève pas possible. Et toi, tu me sors ça comme ça ! Non mais... je te jure ! Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ! Non mais ! Bon, par où commencer... Va falloir que tu me présentes ton copain quand je viendrais te voir pour les vacances. JE VEUX RENCONTRER EDEN. C'est pas négociable. Et bordel, qu'est-ce que je suis deg de ne pas être avec toi...

Pour Adel, dis le a Eden. Ne commence pas ta relation avec des mensonges. C'est pire que tout. »

Sur ce dernier point, je devais bien avouer qu'elle avait raison.

« J'ai hâte que tu rentres alors ! » j'ai tapé à toute vitesse.

« Et ok, je vais faire ça. »

Bon. Comment allais-je tourner ça moi ? Je soupirai, attrapai le livre que j'avais entamé cette après-midi. L'inspiration me viendrait bien dans la soirée...

Échec. Je m'endormis.

Et je me réveillai en sursaut vers trois heures du matin. Merde. Le message à Eden ! Maya m'avait dit de le faire le plus vite possible. Ou bien j'allais commencer à m'en vouloir, à culpabiliser dans mon coin... C'était déjà le cas. J'attrapai mon portable.

« Coucou, j'espère que je ne te réveille pas. Tu sais, hier je t'ai dit que j'avais rendez-vous avec ma mère en ville... ce n'était pas vraiment ça... »

J'envoyai ce premier bout de message. Bon. Et après. Il était trois heures du matin, mes neurones fonctionnaient au ralenti. Et puis... Il me répondit. À cette heure totalement improbable.

« Ouais je sais. :) »

Que... comment ça il savait ? Il m'avait suivi ? Il avait traqué le GPS de mon portable ? Non non non, ce n'était pas possible ! Je me sentis suer à grosse goutte dans mon lit.

« Ah ? »

« Adel me l'a dit. »

Oh putain. Celui-là. Maintenant j'avais vraiment envie de le découper. À quoi il jouait ? Il m'avait pourtant dit de ne pas lui dire et... Est-ce qu'il s'était joué de moi ? Complètement. Bravo Louis. Tu t'es fait enfler comme jamais.

« J'allais te le dire. »

« Je m'en suis douté. »

« Je te promets. »

« Je te crois. »

Bordel. Ne pas voir sa tête m'agaçait. Je n'avais aucune idée de la tronche qu'il tirait son écran, si de son expression faciale et... J'avais horreur de ça.

« Il ne voulait pas que je te le dise. »

« Ça aussi, je sais. »

C'était terrible. Dans quoi j'étais en train de m'enfoncer ?

 « C'est tout Adel ça. Il voulait juste voir si tu étais le genre de mec à cacher des choses aux autres. T'y peut rien, il adore tester les gens. »

J'ouvris de grands yeux derrière mon écran. Voilà que l'autre mal coiffé me faisait passer des tests maintenant. On marchait sur la tête. Je croyais rêver.

« Je lui ai dit qu'il était trop con, et que tu aurais fini par me le dire parce que tu es un mec cool. Et il a répondu qu'il me croyait, et qu'il espérait que l'on soit heureux ensemble. »

Super, il nous donnait sa bénédiction. Non mais pour qui il se prenait ? Je ne répondis pas à ce message, trop énervé.

« Louis ? Tu es fâché ? »

« Pas contre toi. Contre l'autre con. »

« Je le suis aussi un peu, j'avoue. »

Franchement, c'était quoi son souci à l'autre ? Il ne pouvait pas... se contenter de laisser son pote tranquille ? C'était trop demander ? Est-ce que j'allais devoir me justifier de tout avec lui ? Est-ce qu'il allait nous lâcher la grappe ? Quelque chose me disait que non. Voilà, je le savais dès le départ que c'était une connerie de rentrer en contact avec lui. Je m'en mordais bien les doigts maintenant.

* * *

               Le lendemain, j'eus une légère appréhension avant de croiser Eden. Il arriva à l'arrêt de bus deux minutes après moi et me salua au loin d'un geste de la main. Ce jour-là, il pleuvait des cordes, et il portait un manteau avec une capuche immense. Je le vis checker la rue dans laquelle nous étions – désertes à l'heure actuelle – et il me déposa un baiser rapide sur les lèvres, tout souriant. J'eus un léger mouvement de recul, mais je me repris vite.

– Pardon, pas en public ?
– Euh tu... ça va, y'a personne.
– Désolé pour hier soir au fait.
– Non, c'est moi...
– Je sais pas à quoi il joue, on s'est expliqué, ça devrait aller maintenant.

J'avais l'impression d'être une princesse à protéger à tout prix. Super. Il regarda le banc de l'abribus derrière nous, et voyant qu'il était encore sec, s'assit.

– Dis, Louis...
– Mmh ?
– Tes parents savent ?
– De ?
– Que tu es gay.
– Non.
– Ils ne s'en doutent même pas un peu ?
– Comment le pourraient-ils ?
– J'en sais rien. Certains le sentent. Mon père n'était pas surpris du tout quand je lui ai dit. Ma mère, beaucoup plus. Ça doit dépendre des gens. Tu leur diras un jour ?
– Je serais bien obligé. J'ai pas envie de me planquer toute ma vie. L'an prochain, quand j'aurais quitté ce lycée de merde, je me suis promis de le faire.
– Tu vas attendre encore un an ?
– C'est pas si long, depuis le temps que je le sais... Je peux encore attendre quelque mois.

Il n'eut pas l'air convaincu. Et puis, je compris que si je gardais mon homosexualité secrète, lui aussi en devenait un. Un secret.

– Maya est au courant pour nous. Je lui ai dit.

Il releva les yeux, et déjà je notais qu'il avait l'air plus joyeux.

– C'est trop cool ! Elle a dit quoi ?
– Qu'elle avait hâte de te rencontrer. Depuis le temps qu'elle attendait que je sorte de mon placard... J'ose pas imaginer ma sœur si elle savait aussi...
– Pourquoi ?
– Elle serait intenable. Elle est trop curieuse. Elle, m'a cramé directe. Avec Maya, c'est la seule qui sait que j'aime les mecs. Sacha a toujours su cerner les gens très vite.

Je le vis sourire et je me détendis. Au fond, je ne savais pas ce qui me retenait de tout dire à Sacha. Elle me comprendrait. Elle elle serait d'un soutien sans failles, je le savais. Le bus est arrivé, nous sommes montés et nous nous installâmes au fond, comme d'habitude.

– Ta sœur a l'air géniale.
– Elle l'est.

Il allait ajouter quelque chose, mais une tornade auburn fit irruption dans notre champ de vision.

– SALUT !
– Salut Inès !
– 'lut
– Ouah, Louis, cache ta joie ! Vous allez bien ?

Elle se cala sur le siège en face des nôtres et nous adressa un sourire immense. Elle avait l'air en pleine forme aujourd'hui...

– Ça peut aller...

Non, ça n'allait pas. En fait, j'en voulais toujours à ce crétin de Adel pour le coup qu'il m'avait fait. Mais, d'un autre côté, de savoir qu'Eden s'était expliqué avec lui par la suite... ça allait tout de suite mieux.

– Eden je me tourne vers toi puisque je sais que Louis a horreur de ce genre de chose...

Qu'est-ce qu'elle allait raconter encore...

– Tu ne le sais peut-être pas, mais les Terminales organisent toujours une soirée au lycée, avant les vacances de Noël. On fait ça entre nous, ne peuvent venir que les terminales de ce lycée pour éviter les débordements et euh... Bah c'est cool. Chaque classe de terminale désigne deux élèves pour préparer tout ça, j'ai été désigné, et puisque personne ne se porte volontaire...

– J'en suis !

Les yeux de Eden pétillaient par avance.

– Oh ! Fantastique ! Je le dirais au prof principal alors ! Merci beaucoup Eden, t'es trop cool.

Il venait de refaire sa journée, en avait-il conscience ? 

Quand nous arrivâmes au lycée, Eden alla saluer ses potes des autres classes (qui clairement, n'avait aucun souci avec lui au contraire de la nôtre...) et Inès fit quelques pas timides vers Sixtine avant de faire demi-tour, les joues rouges. Elles t'en voulaient toujours, c'est ça ? Elle revint vers moi, et me baragouina une excuse qui ne tenait pas la route sur les filles qui étaient malade et qui ne voulait pas faire la bise et je fis semblant de la croire.


* * * 

 – Franchement, tu y crois toi ? ronchonna Eden à mes côtés.
– Arrête de te plaindre bordel, ce n'est pas la fin du monde, pesta Blaise dans son coin.
– Non, mais si on en est là, c'est parce que notre classe n'a pas pu s'empêcher de faire n'importe quoi en cours, et maintenant...

Nous n'avions pas l'air cons. Vraiment. Tous en train de polir la salle de gym. Parce que notre professeur nous avait jugé trop indisciplinés pendant son cours. Bon sang, ce n'était pas de ma faute si les filles passaient leur temps à glousser quand un de leurs potes était sur la poutre, ou que les gars se faisaient des démonstrations de force entre eux ! Et encore moins que Louis numéro deux ait initié un concours d'exhibition de torse musclé ! Merde ! Je les maudissais tous. À présent j'étais en train de dépoussiérer les vieux tapis de gym, et ce que je trouvai en dessous me donnait envie de vomir. Blaise s'était donné pour mission d'astiquer les barres asymétriques, Sixtine et sa bande se lamentaient sur la poutre qu'elles devaient nettoyer... Et quelque part, je ne pouvais m'empêcher de me dire que ce prof était un génie : il ne nous donnait pas d'heure de colle « officielle », mais il avait gagné le nettoyage de sa salle gratuit. 

Au bout d'une heure et demie, notre professeur estima que nous pouvions aller manger, et que nous avions suffisamment compris la leçon. Ça oui, pour les horreurs que j'avais vues, j'étais prêt à bâillonner toutes les pipelettes de la classe et à affronter les mecs pour qu'ils arrêtent de déconner la prochaine fois. On se dirigea vers les vestiaires et Blaise a arrêter Eden juste devant, une main sur son torse.

– Toi t'attend dehors qu'on ait fini de se changer.
– C'est nouveau ça, tient... siffla le principal intéressé, amer.
– Ouais bah... Question de fierté masculine.

Je le regardai rentrer avec des yeux ronds. C'était quoi ça encore ? Ça n'avait jamais gêné personne que Eden se change dans son coin, les yeux rivés sur le mur. Depuis quand...

– Tu comptes rester planté là Louis ?

Eden me poussa doucement vers eux, et haussa les épaules. Je lui lançais un dernier regard désolé avant que la porte ne se referme. J'ignorais les discussions des vestiaires. J'attendis que tout le monde se change, m'oublie, quitte la salle pour rouvrir les yeux. Eden était devant moi, son sweat jeté sur les épaules.

– Pardon..., murmurais-je.
– Si tu étais resté dehors avec moi, tu en aurais pris plein la gueule aussi, répondit-il.

Il se changea rapidement et me lança un clin d'œil.

– Et puis, maintenant, tu peux apprécier la vue.

Je pouffais, puis rigolais plus franchement. Il n'en ratait pas une. Mon éclat de voix le fit rire à son tour et il fourra ses affaires dans son sac. Il se pencha vers moi, les deux mains posées sur le banc sur lequel j'étais assis et m'embrassa le bout du nez.

– Tu sais que tu es vraiment mignon quand tu rigoles ?

Il pouvait parler.

– Dis, le week-end prochain, mes parents ne sont pas là. Ça te dit de venir à la maison ?
– Évidemment.

S'attendait-il à une autre réponse de ma part ?

– Génial !

Voilà, il venait de me donner un autre but cette semaine, une autre raison de garder la tête hors de l'eau alors que j'étais entouré de tant de gens cons. Maya était loin, elle m'aidait à ne pas suffoquer. Mais Eden était comme une perche qui me ramenait sur la terre ferme. 


* -* -* -* 

hey hey ! avec un jour de retard, voici le chapitre 17 ! j'espère qu'il vous a plu ♥ merci aux lecteurs, aux votants, on se retrouve en fin de semaine pour le chapitre 18 o/

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