11. CELUI QUI S'ÉTAIT DISPUTÉ
Le mois d'octobre fila à une telle allure... que déjà nous nous trouvions dans sa dernière semaine. Et qui disait fin de mois, disait: devoirs à la chaîne dans la plupart de mes matières, histoire de nous assommer bien comme il fallait avant les vacances de la Toussaint. Autant vous dire que le 20 octobre, j'allais être le plus heureux des hommes d'être en vacances. Je vous l'assure. Dans l'immédiat, j'étais en train de faire un pseudo commentaire d'un texte historique qui nous parlait de l'économie européenne après la seconde guerre mondiale. Un sujet sans doute palpitant pour tous ceux qui aimait cette période – et ce genre de sujet – mais pour moi...
Pourtant j'avais une place à tenir, en histoire, j'étais toujours très bon, alors je me donnais à fond. Dans un sujet où je maîtrisais peu de choses, certes, mais d'un autre côté, j'étais toujours persuadé que ma copie serait meilleure que celle de Louis numéro deux, qui n'avait jamais su où placer la Pologne sur une carte.
Je sortis du devoir à la toute fin, soulagé d'avoir passé l'une de mes pires évaluations. Maya, qui pour sa part était déjà en vacances (parce qu'elle était parti en avance, et que ses parents n'avaient aucun remords à lui faire sécher deux jours de cours), m'avait envoyé des tas de photos de son séjour en Allemagne et je devais bien le reconnaître : j'étais un poil jaloux de ne pas bouger de chez moi, une année de plus, pendant les vacances. J'avais des parents qui n'avaient jamais eu le goût du voyage, à mon grand désespoir.
Eden sortit deux minutes après moi, et visiblement, il avait dû rater quelque chose. J'avais remarqué ce matin que ses traits étaient plus tirés que d'habitude, et qu'il avait les cheveux mal coiffés. Pas le mal coiffé qui lui allait bien, le mal coiffé qui lui donnait un air de hibou tombé du nid. Et si j'avais bien appris un truc sur lui : il était toujours tiré à quatre épingles. Même lorsqu'il voulait se donner un style négligé, il le faisait bien.
– Ça allait pour toi ?
Il me lança un drôle de regard avant de finalement me sourire.
– Oh oui, ça va. J'aurais aimé tomber sur un autre sujet, mais bon, on fait avec...
– Tu manges ici à midi ?
– Non. J'ai envie d'aller manger à l'extérieur. On a une heure et demie, j'ai le temps de me poser.
Il du voir ma mine un peu triste, parce qu'il reprit aussitôt :
– Si tu veux, tu peux venir, je suis seul.
En temps normal, c'était avec Adel qu'il mangeait à l'extérieur. Une fois par semaine. Oui, ça aussi faisait partie des choses que j'avais noté chez lui. Non non, je n'étais pas un stalkeur malsain, juste un fin observateur. Et aujourd'hui, l'autre ne venait pas.
– Dans ce cas, je te suis !
Je sentis des ailes me pousser dans le dos, vraiment. Il en fallait peu, me diriez-vous, mais bon, j'étais comme ça. Eden n'a pas décroché un mot pendant le chemin, hormis des « mmh » ou des « ah ouais » à mes questions sur le devoir. Je n'avais pas vraiment envie de lui demander pourquoi aujourd'hui j'avais le droit à la soupe à la grimace. Je commençais à le connaître un peu : il me dirait tout en temps voulu. Eden, c'était le genre de garçon qui ne gardait pas longtemps ses sentiments pour lui. Et visiblement, dans la classe, j'étais la seule personne à qui il avait décidé de parler ouvertement quand il en ressentait le besoin. Et j'étais tellement heureux de tenir ce rôle... vraiment.
– On prend à emporter et on va se poser dans le parc ?
– Si tu veux !
Nous achetâmes nos sandwichs et avant de nous rendre dans le parc qui se trouvait à moins de dix minutes à pied de notre lycée. À cette heure-là, il n'y avait pas grand monde. Les mères et les pères qui amenaient leurs enfants au parc le matin étaient déjà rentrés pour le repas de midi. Il n'y avait plus d'étudiants dans la même situation que nous qu'autre chose. Une fois assis dans le gazon, j'eus du mal à lancer à nouveau la conversation. Déjà que ce n'était pas mon truc, mais en plus, Eden ne faisait aucun effort. Merde quoi, en temps normal, c'était lui le gars ultra souriant qui savait détendre l'atmosphère ! Aujourd'hui il souriait à peine, et parlait peu. Alors je pris mon courage à deux mains et me lançai :
– Quelque chose ne va pas ?
Il tourna la tête vers moi, la bouche pleine. Parfait, c'était le moment de poursuivre sur ma lancée.
– Je te sens préoccupé depuis ce matin.
Je le regardai avaler sa bouchée et essuyer sa bouche avec un bout de sa serviette.
– Ça se voit tant que ça ?
– Assez, ouais.
Ah, parce qu'il pensait que je n'allais rien voir ? C'est mal me connaître coco, je suis très observateur.
– J'me suis disputé avec Adel. Ce n'est jamais agréable.
Oh. OH. J'ai dû prendre sur moi pour garder un air méga concentré. Mais dans ma tête, c'était un joyeux bordel : Pourquoi ? Comment ? Vous vous en voulez beaucoup ? Ça s'est mal terminé ? Il reporta son attention sur son sandwich et je fis mine de faire la même chose.
– Pourquoi ?
Voilà, j'avais tenu deux secondes avant de finalement l'ouvrir à nouveau. Je n'étais pas croyable.
– Euh...
– Oubli, ça me regarde pas. Je suis juste trop curieux, c'est tout !
Et voilà que je tentais de me justifier en agitant les bras, en faisant de grands signes et en foutant de mon repas un peu partout.
– T'inquiète. C'est juste qu'il est trop sur mon dos, et ça me gonfle.
– Mmh...
– Adel est très fort pour se faire des films. Et pour s'inquiéter pour tout et n'importe quoi. On a juste eu une petite discussion à ce propos.
Enfin, discussion qui avait visiblement tourné en dispute, pensais-je très fort.
– On s'est pris le bec, mais ce n'est rien.
Il n'avait pas l'air du tout convaincu, mais je fis comme si de rien était.
* * *
« J'ai vraiment l'impression de suivre un feuilleton télévisé, c'est génial. Du coup, ils se sont disputé pour ça... c'est intéressant. »
Évidemment que ma meilleure amie suivait tout ça de très près. D'abord, parce que je lui disais tout, en omettant aucun détail, et ensuite, parce qu'elle avait toujours été fan de drama, dès lors que ça ne l'atteignait pas. Et j'étais comme elle, je devais bien l'avouer, elle m'avait transmis sa passion.
« Et Adel, il en pense quoi ? »
« Je n'en sais rien, Maya, je suis ami avec lui... »
Et puis, même si cela avait été le cas... Je ne me serais pas vu aller lui demander plus de détails sur son couple. Je passais déjà pour une fouine auprès de Eden, c'était très bien comme ça. Mon portable vibra à nouveau. Mais cette fois-ci, ce n'était pas Maya qui m'envoyait un message. Mais Eden.
« Dis, l'autre jour tu m'avais parlé de ta compétition de volley. Je suis toujours convié ? »
M
a première compétition de volley de l'année. Mes parents et ma sœur seraient là, comme d'habitude, ils ne rataient jamais le premier match de ma saison. Maya était toujours là aussi, mais cette année, j'allais devoir faire sans elle et son discours de motivation post match. L'autre jour, après l'entraînement, j'avais donc proposé à Eden de venir.
« Oui bien sûr ! »
« Génial : D »
« Si tu veux, on peut y aller ensemble. Tu viens chez moi, et mes parents nous conduisent là-bas. »
« Faisons ça, à ce week-end du coup ! »
J'espérais l'avoir mis de bonne humeur. Deux secondes plus tard, je tapais un nouveau message à l'adresse de Maya.
« Devine qui vient me voir au match samedi ? »
« Un très bon ami ? »
Je souris derrière mon écran. Si seulement Eden en avait conscience... De tout le bien qu'il me faisait. J'étais parti pour passer une année en solitaire, et j'étais tombé sur lui. J'étais à la fois triste de ne pas pouvoir aller plus loin avec lui, mais à la fois si soulagé qu'il s'intéresse à un garçon comme moi. Il aurait pu se trouver une autre bande d'amis, traîner avec d'autres gens, d'autres classe. Ou même faire bande à part, rester seul dans son coin, se contenter de ses amis hors du lycée. Mais il restait avec moi. Il s'appliquait toujours à me garder une place à côté de lui quand il arrivait en premier dans la classe, à la cantine. Ce soir-là je m'endormais le sourire aux lèvres, comme depuis que je l'avais rencontré.
* * *
Nous étions tous les cinq dans la voiture de mes parents. Eden au milieu, encadré par Sacha et moi. Évidemment pendant tout le trajet ma petite sœur lui fit passer un véritable interrogatoire sans que je puisse en placer une. Elle n'était pas croyable... Mais ce n'était rien de méchant. Et à ses questions, Eden répondait, toujours souriant. De temps à autre, ma mère jetait un coup d'œil dans le rétroviseur, histoire de me sonder du regard. Je ne savais pas vraiment ce qu'elle cherchait à voir sur mon visage. Du stress par rapport au match que j'allais mener ? Une réaction vis-à-vis de Sacha qui sondait mon nouveau ami ? Ou tout simplement ce que je pensais de lui ?
Ma mère faisait partie de ses parents toujours à l'affût du moindre changement chez ses enfants. Et en l'occurrence, quand je lui avais demandé s'il était possible d'amener avec nous mon nouveau pote... J'étais prêt à parier qu'elle s'était fait une montagne de films. Enfin son fils avait un ami garçon avec qui il voulait faire des activités ! Enfin son fils se décidait à ramener quelqu'un d'autre que Maya au sport !Enfin son fils avait un nouvel vrai ami !
– Nous sommes arrivés !
Mon père me sauva de cette ambiance un peu étrange qui s'était installée dans l'habitacle, et nous descendâmes.
– Je... Je vous laisse, je vais rejoindre l'équipe....
Ma sœur me fit un signe d'encouragement et je tournai les talons. Dans les vestiaires, l'ambiance était déjà au rendez-vous. Je ne remerciais jamais assez mon père de m'avoir poussé à faire un sport en équipe. Pour lui c'était l'occasion de sortir, se vider la tête, et d'apprendre des vraies valeurs. Et il avait eu raison, mon équipe de volley, avec qui j'évoluais depuis trois ans, je l'adorais. Je ne les voyais pas beaucoup en dehors des matchs, mais on avait une complicité certaine, et j'aimais l'aura que dégageait notre groupe. Cela n'avait rien à voir avec ma classe. On parlait de tout et de rien avec les gars de l'équipe, mais c'était toujours dans la joie, et la bonne humeur.
– Vous êtes prêt ?
– Plus que prêt !
C'était un match important, celui de l'ouverture, nous n'avions pas le droit de décevoir notre entraîneur. L'an passé avait été compliqué pour notre équipe quand Max s'était cassé la cheville, mais désormais notre capitaine était de retour, pour notre plus grand plaisir. C'était peut-être celui à qui je parlais le plus dans l'équipe, parce que j'avais noté – au cours de ses trois dernières années – que lui et moi avions quelques points en commun.
– Aller les gars, on se motive, et on va les défoncer !
Nous sortîmes des vestiaires, vérifiant une dernière fois nos lacets, nos genouillères, et nous sommes rentrés sur le terrain.
Avant que l'arbitre ne siffle le coup d'envoi, je regardai rapidement les gradins. Mes parents s'étaient installés vers le centre du terrain. Ma sœur me fit un sourire immense, aussitôt imitée par ma mère. Mon père avait dégainé son portable et je levai les yeux au ciel : quand allait-il arrêter de me mitrailler comme ça ? Eden leva un pouce en l'air et me fit fondre définitivement. Je ne pouvais pas être mauvais aujourd'hui. Pas devant lui, je me devais de me donner à fond.
L'arbitre siffla et le match commença.
Le bruit du sifflet retentit à nouveau dans mes oreilles. L'arbitre leva les mains pour nous faire signe : tout était terminé. J'étais en sueur, les gars aussi, et nous avions gagné. De peu, mais nous avions gagné. Je me tournai vers Max, qui souriait lui aussi et on se serra tous dans les bras, heureux de notre première victoire. Dans les vestiaires c'était le feu, la joie, et notre entraîneur ne fut pas avare en compliments.
– Vous avez été excellent les garçons, vraiment. Si vous continuez comme ça, on va se qualifier sans mal pour le reste des compétitions de l'année !
Je me changeai à la hâte avant de féliciter encore une fois mes partenaires.
– Tu restes fêter ça avec nous, Louis ?
– Mes parents m'attendent mais... ce n'est que partie remise !
Max haussa les épaules en souriant.
– Comme tu veux ! Rentre bien, et à jeudi prochain !
– Salut !
Mes parents m'attendaient près de la voiture, tout fiers. Ils avaient déjà prévu d'aller manger un bout tous ensemble, et même si j'étais encore transpirant, je ne me voyais pas leur refuser ça : c'était une petite tradition.
* * *
Ce soir-là en m'allongeant dans mon lit, j'avais le sourire aux lèvres. J'avais encore en tête le match que nous avions remporté, et le visage de mon nouveau fervent supporter : Eden. D'ailleurs, c'était avec lui que je parlais depuis dix bonnes minutes au téléphone. Par par message, en vrai. Moi qui avais horreur de ça, quand j'avais vu son nom s'afficher sur mon écran, je n'avais pas hésité un seul instant. Il voulait me féliciter une nouvelle fois, me remercier de l'avoir invité au restaurant mais... je ne sais pas. J'avais l'impression qu'il voulait me dire autre chose. Ou alors, Louis, tu te faisais encore des films comme toi seul savait le faire.
« – En tout cas tu t'es donné à fond, ton capitaine devait être fier de toi...
– Ta présence m'a motivé je dois dire. »
Merde. Voilà pourquoi je n'aimais pas parler en direct. Je ne pouvais pas effacer un message mal tourné ou trop con.
« Ah ? Ha ha, tant mieux dans ce cas. Je retiens, je suis un élément de motivation pour monsieur Verbeeck !
– Non 'fin euh... Si ! »
À l'autre bout du fil il se marrait complètement.
« – J'veux dire j'étais vraiment content que tu sois là.
– Je serais là les fois prochaines aussi alors. »
J'étais rouge cramoisie. Heureusement qu'il ne voyait pas mon visage actuellement parce que... c'était la définition même de quelqu'un sur le point de défaillir. J'avais super chaud, je souriais comme un débile et j'étais incapable d'articuler un seul mot de français (ou d'une autre langue d'ailleurs)
« – Bonne nuit Louis.
– Toi aussi Eden. »
Il raccrocha et je passai une main sur mes joues brûlantes. Est-ce qu'il avait conscience de l'état dans lequel j'étais ? De tout l'effet qu'il me faisait ? Certainement pas non. Et tant mieux, Louis, il irait fuir très loin sinon.
- - - -
Hey hey ! J'espère que ce p'tit chapitre vous a plu ! Je vous souhaite une bonne fin de semaine à tous, merci de me suivre jusque là ♥
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