07. CELUI QUI ACHETAIT UNE VESTE
Toute cette nuit, la phrase d'Eden me resta dans la tête. Je me repassai en boucle, encore et encore. Ça et l'étreinte que je lui avais offerte. C'était plus une étreinte de réconfort qu'autre chose, mais j'avais sentis mon cœur s'emballer, et le sien aussi. C'était léger, mais c'était là, je le savais. Et voilà, une fois de plus, Louis Verbeeck se faisait des films. Ça ferait un bon titre de bouquin ou de série pour adolescents tient...
La sonnerie de mon téléphone me fit sursauter. Quand je vis le nom d'Eden sur mon écran, je crus rêver un instant. Et puis, je vis l'heure en haut de mon écran. Huit heures. J'avais cours dans une demi-heure, et j'en étais encore à phaser sur mon bol de céréales.
« – Allo ?– Louis ? Tu es en route ?
– Je... Je pars de chez moi dans trente secondes. »
Mensonge mensonge !
« – Ne te presse pas surtout ! Les cours de ce matin sont annulés. Il y a une grève ou je ne sais trop quoi, j'appelais pour te prévenir puisque je suis arrivé en avance.
– Oh ! Euh, hé bien, merci Eden c'est vraiment sympa...
– C'est normal. Tu veux faire un truc aujourd'hui du coup ?
– Du genre ?
– Je sais pas, un ciné, une virée au centre commercial, juste se balader, un truc quoi ! On n'a rien à faire pour le reste de la semaine alors j'me disais...
– Pourquoi pas !
– Génial ! On se retrouve devant le lycée ?
– Yes. À toute ! »
Inutile de vous dire que mon cœur m'avait déjà lâché. Il battait tellement fort que j'avais l'impression de l'entendre. Ma sœur, qui déjeunait en face de moi me lança un regard perplexe.
– Tu ne savais pas pour les grèves aujourd'hui ?
– Parce que toi, tu étais au courant ? Bordel Sacha, tu aurais pu me le dire !
Elle haussa les épaules.
– Du coup, tu fais quoi debout à cette heure-là ? T'en profite pas pour faire le gras mat' ?
– C'pas mon genre, répondit-elle en enfournant une nouvelle cuillère pleine de céréales molles dans sa bouche. Du coup... C'était qui l'autre au bout du fil ?
– Un pote.
– Je vois.
Ma sœur avait beau n'avoir que quinze ans, elle était perspicace. Elle était comme Maya. Un vrai cauchemar quand elle s'y mettait. Alors avant qu'elle ne se lance dans un véritable interrogatoire, je me levai pour fuir la cuisine.
* * *
Je ne m'étais jamais autant appliqué pour choisir ma tenue qu'aujourd'hui. Le tout en moins de dix minutes. Parce que Eden m'attendait, et que je lui avais dit que j'étais en route. Il allait bien se douter que j'avais déconné quelque part mais... Bref. J'arrivai au lycée le plus rapidement possible. Il m'attendait, penché sur son portable, assit à côté de son sac de cours. Ce jour-là il portait un jean slim noir et un sweat à capuche de la même couleur. Il aurait pu ressembler à rien avec ça sur le dos – parce que je ne comptais plus le nombre de garçons qui portaient ce genre de pantalon alors qu'ils devaient se sentir serrés comme jamais là-dedans – mais non. Eden était parfait, comme chaque jour depuis cette rentrée. Putain Louis, t'as genre... zéro recule, c'est triste. Mais voilà, il avait encore coiffé ses cheveux d'une manière différente, et une fois de plus son visage était rayonnant.
– Salut !
– Salut ! Faut croire que nous étions les seuls de la classe à ne pas être prévenus. Enfin, c'ma faute, je viens de voir que Inès avait posté sur notre groupe de classe.
Je n'avais même pas pensé à y faire un tour. Pourtant tous les soirs c'était ma routine, je me rendais sur messenger juste pour ça. Notre classe avait toujours su très bien s'organiser, surtout quand il fallait passer le mot d'un prof absent et d'une journée de grève. Hier soir, regarder les nouvelles m'était complètement sorti de la tête.
– Je n'ai pas songé à regarder non plus, lançais-je.
Il se releva et attrapa son sac.
– Puisqu'on a du temps libre, ça te dit d'aller faire du shopping ?
J'avais une sainte horreur de ça. Vraiment. Parce que quand j'entendais shopping, je me voyais traîné par ma mère au centre commercial. Je me voyais attendre sur un tabouret en face d'une cabine d'essayage. Je me voyais argumenter sur des tenues que ma sœur voulait à tout prix essayer et me montrer. Pire, je revivais ma relation avec Inès, qui adorait faire les soldes et s'acheter des tonnes de petits hauts très mignons.
– T'en fais pas, je sais déjà ce qu'il me faut !
Il avait dû voir à ma tête que je déprimais à l'avance. Merci Eden, tu lisais dans mes pensées.
– Alors allons-y !
J'avais essayé de mettre de l'entrain dans ma voix et, wow, j'avais plutôt bien réussi. Un génie. Et voilà Louis, tu te lances encore des fleurs tout seul...
Nous montâmes dans le bus en parlant de tout et de rien. Et cela, jusqu'au centre commercial. Et ce fut à ce moment-là que je réalisai que je n'avais jamais eu ce genre de discussions avec lui. C'était toujours à propos de son déménagement, des gens de la classe ou des cours, tout simplement. Aujourd'hui c'était différent. On papotait séries (les séries et moi, c'était une grande histoire d'amour, j'en dévorais tellement que ça en devenait ridicule), mais aussi voyage (il avait tellement voyagé, je me sentais jaloux moi qui n'étais jamais allé plus loin que San Sebastián, à la frontière entre l'Espagne et la France) et famille. Eden avait toujours rêvé d'avoir une sœur et je lui précisai que cela n'était pas toujours de tout repos. Oui, je charriais Sacha, mais au fond, je savais ma chance d'avoir une petite sœur aussi extra qu'elle.
– Nous y sommes !
Il avait l'air aux anges. Tu m'étonnes, il pensait sans doute s'ennuyer deux heures en mathématiques ce matin, et au lieu de ça, il va faire du shopping. Même moi je suis un peu soulagé de la tournure que prennent les choses...
J'avais beau trouver Eden génial, j'avais tout de même une crainte : celle de m'ennuyer. Mais non. Il rendait même le shopping intéressant. Voire drôle. Ce gars avait un don. Un quart d'heure plus tard j'étais appuyé contre un mur à le regarder essayer une veste (il avait insisté pour que je lui donne mon avis sur les trois coloris existants). Très honnêtement ? Les trois couleurs lui allaient bien. C'était le genre de veste qui faisait honneur à son corps.
– Tu sais, je suis pas un grand spécialiste de la mode ou...
– Parce que moi oui ? Aller Louis, crache le morceau ! fit-il en rigolant. Je prends laquelle ?
La noire lui donnait deux ans de plus, facile. Il n'avait pas besoin de ça. Sinon j'allais vraiment passer pour un gamin à côté de lui. La bleu ciel était sympa mais... Mais voilà, la verte lui irait à merveille. Ce n'était pas le genre de couleur que portaient les gars de la classe, il allait forcément se démarquer. Et puis, le vert était sa couleur favorite, non ? (enfin, ça c'était ma déduction)
– La verte. La verte est très bien.
Son visage s'illumina et il reposa les deux autres sur les présentoirs – après les avoir repliés correctement. Deux minutes plus tard nous faisons la queue à la caisse. Il n'avait pas menti : on ne traînerait pas trente ans dans la boutique, la bouche ouverte à baver devant des fringues et à s'imaginer rentrer dedans un jour et défiler avec au lycée. J'aimais cette mentalité.
– On va manger un bout ?
Je répondis que j'étais d'accord : j'avais super faim. Il était à peine midi, mais que voulez-vous, mon estomac était réglé en mode lycée, il criait famine dès onze heures trente, et à partir de midi, me suppliait de lui faire digérer un truc. Eden me laissa choisir l'endroit où on se poserait et tout naturellement, mon choix se porta sur un restaurant de bagels. Tout naturellement parce que c'était dans ce genre d'endroit que j'adorais me poser avec Maya : elle était une fan inconditionnelle de bagels. Elle aimait en manger quand on sortait en ville, elle aimait en faire, et il n'était pas rare de trouver quelques photos de bagels sur son Instagram, au milieu des autres photos de voyages et de son chat.
– C'est super bon !
Et enfin, un mythe s'écroulait : comme beaucoup, Eden ne pouvait pas manger un bagel bien rempli sans en faire tomber à côté. Enfin un défaut ! Bon, il n'en était pas à avoir de la sauce partout sur les doigts, mais...
– Je venais souvent ici avec ma meilleure amie.
Eden releva ses yeux brillants vers moi.
– Elle est comment ? Maya ?
– Géniale. C'est la fille la plus cool de l'univers. Il n'y en a pas deux comme elle.
– Tu l'aimes beaucoup, hein ?
– Je l'aime tout court, ajoutais-je.
C'était mon amie depuis si longtemps... Et c'était l'une des rares personnes à qui j'avais dit « je t'aime ». Pas dans le sens je t'aime, je suis amoureux de toi. Juste, dans son sens premier. Je l'aimais, parce qu'elle comptait autant qu'une sœur pour moi. Et que je pourrais pas vivre sans elle. Et je le savais, c'était réciproque. Eden reposa son bagel dans son plateau.
– Je ne vous ai jamais vu tous les deux mais... C'est la première fois, je le crois bien, que quelqu'un me parle de sa meilleure amie comme ça. Ça doit être génial.
Je haussai des épaules.
– Les gens ont dû vous demander si vous étiez ensemble un tas de fois, non ?
– Oh oui... Certains oublient que le concept d'amitié existe vraiment parfois, c'est triste.
Eden lâcha un petit rire.
– Que veux-tu, ajouta-t-il, quand on t'associe à quelqu'un, c'est souvent pour la vie. Ou presque. Les gens voient ce qu'ils veulent voir. Dans mon ancien lycée, les gens n'arrivaient plus à me dissocier de Adel. Et c'était chiant, très souvent.
– Comme je te comprends...Le nombre de fois où on était étonné que j'aime telle ou telle chose, parce que Maya, elle, n'aimait pas... Ou ces moments gênants où les gens pensaient que nous nous étions disputés parce que nous ne faisions pas équipe le temps d'un cours de sport... Et Adel, il prenait ça comment ?
Simple question. J'étais curieux d'en savoir plus sur mon rival. Enfin ton rival... mon pauvre gars, tu te fais des histoires tout seules dans ton coin, mais bon... Eden leva les yeux au ciel.
– C'est difficile de savoir avec lui. Il est trèèèès fort pour faire genre que rien ne l'atteint.
Je percevais de l'agacement dans sa voix. C'était même très difficile de passer à côté. D'ailleurs il nota mon air un peu perplexe et s'empressa d'ajouter :
– Pardon, moi c'est l'inverse, on comprend vite quand je suis agacé, ha ha ha.
* * *
J'étais allongé dans mon lit ce soir-là quand mon portable vibra sur ma table de chevet. Je reposai le livre que je m'efforçais de lire depuis maintenant deux semaines et vit le nom d'Eden s'afficher sur l'écran.
« Hey ! Merci encore pour aujourd'hui, c'était super ! À refaire ;) »
« C'était génial ouais ! Eh bien écoute, c'est quand tu veux ! ☺ »
Mon cœur battait à cent à l'heure : c'était fou comme un petit message de rien du tout arrivait à le mettre en joie.
« Bonne nuit, et à demain en cours ! »
« À toi aussi. »
J'avais envie de rajouter une tripotée de cœur, comme avec Maya, mais je me retins de justesse. Et en parlant du loup, à peine trente secondes après cet échange, elle pointa le bout de son nez.
« Alors cette journée ? »
« Grève. Du coup je suis allé faire du shopping. »
« Sainte mère de Dieu. »
Ce qu'elle me faisait rire avec ses expressions du troisième âge.
« Mais tu es malade Louis ? »
« J'étais avec Eden. »
« Oh. OH. OOOOOH. »
Et voilà, elle devait être en train de sauter sur son lit (ou où qu'elle soit d'ailleurs) et de s'agiter dans tous les sens.
« Et ? Et ? Eeeeeeeet ? »
C'était typique de Maya ça, d'appuyer trente fois sur ses touches pour me faire comprendre qu'elle ne tenait plus en place.
« Et alors il a acheté une veste très sympa. Et on a mangé des bagels. »
« J'y crois pas ! »
Mince, était-elle fâchée parce que j'étais allé manger des bagels avec quelqu'un d'autre qu'elle ?
« C'est génial ! »
Ah non.
« Je dois y aller Louis, je vais au ciné ce soir avec des potes mais... C'est trop bien ! Je suis fière de toi ! Bisous ! »
Fière pourquoi, mystère et boule de gomme. Mais j'avais bien compris une chose : Maya était ma supportrice number one dans cette histoire.
* * *
Eeeet wala le chapitre sept o/
J'espère qu'il vous plaira (enfin, qu'il vous a plu si vous lisez le commentaire après votre lecture ~)
Si vous lisez aussi "SEVEN" vous avez compris que j'aime beaucoup écrire sur l'amitié. C'est un thème qui me tient à cœur, que voulez-vous. Je crois que ça se voit dans ce chapitre. ♥
Merci pour vos lectures, vos votes, n'hésitez pas à partager l'histoire (si des amis à vous cherche des lectures dans le genre =°) et mille merci !
* * *
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