05. CELUI QUI ALLAIT CHEZ EDEN
– Tu vois, c'est pour ça que je me suis barré de mon ancien lycée.
Je n'ai pas trop su pourquoi Eden était venu vers moi pour parler ce matin-là. Nous étions au CDI, faute d'avoir cours. Je levai mes yeux vers lui, comme pour l'inciter à poursuivre.
– J'en ai eu marre des remarques, des regards à la con. Et puis quand j'me suis fait cogner, j'ai décidé que je ne ferais pas ma rentrée dans le même bahut.
Ok, des tonnes de questions se bousculaient dans ma tête. En le voyant comme ça, j'avais vraiment eu du mal à imaginer quelqu'un vouloir lui refaire le portrait. Et puis merde, les gens faisaient encore ça de nos jours ? Réponse, oui, je le savais, et j'en étais franchement écœuré.
– C'est... horrible.
Il haussa les épaules.
– Qu'est-ce que tu veux... J'en avais marre de me planquer. J'avais seize ans, je voulais vivre ma première histoire d'amour comme les autres.
Moi je me planque. Toujours et encore.
– Tu as eu le courage de le dire. C'est déjà quelque chose, soufflais-je.
– Je n'étais pas tout seul. Mes parents ont toujours su. Et j'avais Adel à mes côtés.
Ah oui, lui. Je l'avais presque oublié avec toute cette histoire. J'avais envie de lui dire que moi aussi, je pouvais l'épauler, être à ses côtés. Mais ça me paraissait déplacé. Pourtant, qu'est-ce que j'en avais envie.
– M'enfin, je plombe l'ambiance ! lança-t-il d'un air soudain.
Il se redressa sur sa chaise et piocha un stylo dans sa trousse.
– Non non, pas du tout, le rassurais-je.
J'eus envie de lui dire que ça me faisait vraiment plaisir qu'il se confie comme ça à moi, mais les mots restèrent bloqués. Il s'était replongé dans ses devoirs, et je me retrouvais encore à l'épier entre deux bouquins. Je ne savais pas trop ce que j'aimais le plus chez lui. Il avait des cheveux qui avaient l'air vraiment doux, toujours bien coiffés, chaque jour de manière différente. Et puis il y avait ses yeux... deux magnifiques iris vert clair qui dégageaient une douceur infinie. Je crois que c'était la première fois que quelqu'un arrivait à m'émerveiller autant.
* * *
Une semaine s'était écoulée depuis notre petite discussion au CDI. Et Maya – à qui j'écrivais tous les jours ou presque – suivait ma vie de terminale comme une série télévisée. Elle avait retrouvé ridicule la réaction de Blaise, adorable la façon qu'avait eu Eden de se confier à moi, et me glissa de me méfier d'Inès. Pourquoi Inès ? Une fois de plus, je n'en savais rien, Maya et ses dons divinatoires me surpassaient encore totalement.
« Tu viendras me voir pendant les prochaines vacances ? »
Je devais bien l'avouer : j'étais clairement en manque de ma meilleure amie.
« Pas les prochaines, je pars avec mes parents en Allemagne... Mais je serais là pour les vacances de Noël. Coco, tu n'as pas le choix, je m'invite chez toi pour quelques jours ! »
J'étais à fois triste de ne la voir qu'en décembre, mais aussi super-heureux de savoir que, dans deux petits mois, nous nous reverrons.
« J'ai hâte alors. Tu me manques. »
– À qui tu écris comme ça ?
Je manquai de tomber de ma chaise, pris de surprise. Eden se tenait juste derrière moi, les mains dans les poches et les yeux pétillants de malice.
– À ma meilleure amie. Maya. Elle... elle a déménagé cette année. On était super proches.
– Flûte, je pensais avoir découvert le secret d'une petite amie cachée, rigola-t-il en s'installant à mes côtés.
Je n'ai pas pu m'empêcher de piquer un fard. Combien de fois les gens avaient pu penser ça ? Des tonnes de fois. Maya était le genre de fille très tactile, qui adorait me prendre dans ses bras, et puis les gens nous associaient toujours l'un à l'autre.
– Oh non, ce n'est pas... 'fin c'est juste ma meilleure amie. Comme une deuxième sœur, m'empressais-je de rajouter.
– Tu as une sœur ?
– Ouais, Sacha. Elle a quinze ans. Et elle est ici aussi, dans ce lycée.
– Je ne savais pas ! On en apprend tous les jours sur toi, Louis.
Ah ? Comment ça ?
– Dis, pour l'exposé en histoire, tu te mettrais avec moi ?
– Carrément !
– Tant d'enthousiasme, ça fait plaisir. C'est parfait alors, j'irai noter nos noms à la fin de l'heure sur la fiche du prof.
Clairement, ouais, j'avais eu du mal à cacher ma joie.
– On se cale quelques dates pour faire ça ? Tu es libre quand ?
Pour toi ? Tout le temps.
– Euh, j'ai volley le mardi et le jeudi soir. Je suis libre tous les autres soirs.
– Parfait ! Alors disons vendredi, après les cours ?
– Voilà, c'est très bien.
– Je t'enverrai mon adresse alors !
Son adresse. Il voulait que l'on travaille chez lui. Je hochai la tête.
* * *
– Tu vas chez qui déjà ?
– Un camarade de classe. Le nouveau, Eden.
Mon père avait toujours eu une mémoire pourrie pour retenir les prénoms de mes camarades de classe. Je doutais que ce détail lui soit donc très utile. Ma mère, en revanche, s'était toujours sentie ultra concernée. Voire trop. C'était le genre de mère qui demandait des nouvelles d'absolument tous mes camarades de classe, amis ou pas.
– Bon, et bien amuse-toi bien alors !
– J'y vais pour travailler, papa.
Il haussa les épaules et dans le dos de ma mère, me lança un clin d'œil. Sans doute que mon père pensait que j'allais me mettre devant la télé, et jouer à un jeu avec mon nouveau pote. Ou qu'on allait juste sortir en ville. Ou... En fait, je n'en savais rien, de ce que mon père pensait, mais il aimait faire son père « cool » comme ça. Je le laissais toujours faire.
Eden avait fini les cours deux heures avant moi aujourd'hui. Il n'avait pas art plastique en fin de journée, ce qui allégeait son emploi du temps. J'avais noté sur un post-it son adresse. Il n'habitait pas si loin de chez moi. Dix minutes de bus seulement.
Une fois devant la porte d'entrée, je sentis le stress m'envahir. C'était complètement débile. Je connaissais Eden, nous allions juste travailler pour un exposé en histoire et... Je n'avais aucune idée de pourquoi je m'en faisais autant. J'étais du genre nerveux, mais là, ça me dépassait complètement. Après avoir pris une bonne bouffée d'air frais, je me résolus à sonner deux coups comme il me l'avait indiqué dans son message. À peine dix secondes plus tard, la porte s'ouvrit sur un homme tapant facilement dans le mètre quatre-vingt-dix. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il devait s'agir de monsieur Verdier : même yeux verts que son fils, forme de visage quasi identique et sourire tout aussi charmant. Eden n'était pas particulièrement grand, mais en voyant cet homme devant moi, je devinais qu'il n'avait sans doute pas fini de grandir.
– Tu dois être Louis ? Entre, entre !
– Bonjour monsieur...
Ma timidité venait de me rattraper au grand galop. Il referma la porte derrière moi et insista pour prendre la veste que j'avais sur le dos.
– Eden ! cria-t-il. Eden, Louis est arrivé !
La petite entrée donnait directement sur un petit salon, très bien décoré. Je reconnaissais facilement les meubles IKEA, dont mes propres parents raffolaient également. Directement à ma gauche, une porte qui donnait sur une pièce qui se trouvait être le bureau de monsieur Verdier (Eden ou un autre enfant avait scotché avec humour un dessin représentant un monsieur très occupé avec beaucoup de papier sous les yeux et un ordinateur). Le salon était coupé par un escalier moderne qui devait mener à l'étage. De l'autre côté de la pièce, la salle à manger, tout aussi bien agencée et décorée.
– Mais qu'est-ce qu'il trafique ce garçon encore...
Il se retourna vers moi en souriant.
– Le connaissant, il doit ranger les dernières bricoles dans sa chambre. C'est un garçon pointilleux...
– Bonjour !
Une nouvelle venue me fit sursauter. La mère d'Eden, sans aucun doute. Et si son mari cumulait les similitudes avec son fils, ce n'était pas son cas. Elle était petite, ronde, blonde avec un carré bien coupé et des yeux noisette en amande.
– Bonj...
Au même moment du bruit se fit entendre dans les escaliers et Eden apparut sous nos yeux, radieux, comme toujours. Bon sang, est-ce que ce garçon pouvait avoir un cheveux de mal mis de temps en temps ? Ou des fringues qui ne collaient pas à sa morphologie ?
– Salut Louis ! Ça va ?
Il s'avança pour me serrer la main et se tourna vers ses parents.
– Bon, c'pas tout, mais nous, on va bosser !
Sa mère m'adressa un petit signe de la main et je me laissai entraîner par son fils à l'étage où se trouvaient les chambres.
– Bon, normalement, tout est en ordre. Mais si tu vois un truc qui traîne, je m'excuse d'avance.
Il poussa la porte de sa chambre et...
Oh. Mon Dieu. C'est quoi ça ? C'était la chambre la plus ordonnée, la mieux rangée, et la plus carrée qu'il m'eut été donné de voir. Et quand on se trouvait là, il était facile de savoir quelle était sa couleur favorite. Le vert. Comme tes yeux. Trois de ses murs étaient en boiserie blanche, mais le dernier pan de mur, celui contre lequel était adossé un grand lit, était d'une belle couleur vert forêt. Le vert se retrouvait par ci, par là, par petite touche. J'aurais pu trouver le tout totalement impersonnel, s'il n'y avait pas eu ce bureau – certes bien rangé comme tout le reste – avec cette multitude de bricoles que l'on amassait au fil de notre scolarité. Il avait accroché au-dessus de son lit une vingtaine de photos sur lesquelles mon regard se posa aussitôt.
– Tu rigoles ? Tu verrais ma chambre que tu tomberais à la renverse.
À côté de ça, c'était digne d'un entrepôt mal rangé. Eden s'était assis sur son lit, en tailleur, et croisa les bras sur son torse.
– Tu es du genre bordélique ?
– J'irais pas jusque-là mais... Disons que là, tu bats même ma mère en matière de rangement. Et ce n'est pas rien.
Eden éclata de rire et je ne put m'empêcher de me joindre à lui.
– Bon alors ! Cet exposé ! Tu te sens inspiré ?
– Pas vraiment.
– Merde... On est deux alors... !
Finalement, après une bonne heure à parler de tout autre chose que notre exposé, nous avions réussis à nous y mettre. Mon manque flagrant de concentration était compensé avec celui d'Eden, qui m'épatait toujours autant. D'un temps à autre je jetais un coup d'œil aux photos punaisées sur le mur. C'était plus fort que moi, j'étais trop curieux. Il y en avait pas mal de lui et ses deux parents. En comparaison, je n'avais qu'une seule photo de famille dans ma chambre. Mais je n'avais sans doute pas le même lien avec mes parents : je les aimais, évidemment, mais je n'avais pas une relation très fusionnelle comme certains pouvaient en avoir. C'était marrant d'ailleurs de voir à quel point Eden avait toujours su sourire de cette manière aussi envoûtante. Les photos ne remontaient pas plus loin que la fin de sa primaire – je dirais – mais déjà, il souriait comme aujourd'hui. Je ne pus m'empêcher de penser que les cheveux qu'il avait aujourd'hui étaient bien mieux que cette coupe au bol un peu bizarre qu'il avait étant gosse. On avait toujours des échecs capillaires après tout mais...
– Louis, tu m'écoutes ?
Merde, il me parlait. Je détournai mon regard des photographies.
– Je sens que je t'ai perdu ha ha !
– Non non c'est juste...
– Que tu mattes les photos depuis deux bonnes minutes, dit-il en pouffant. J'avais neuf ans sur celle-là si tu veux savoir, et je n'ai plus jamais laissé ma mère me couper les cheveux.
Ah, c'était donc ça.
– La mienne aussi s'est acharné. Mais jusqu'à la fin du collège, répondis-je.
Il n'y avait pas de photo du lycée sur le mur. Hormis celle avec Adel. D'ailleurs voilà, du lycée, il n'y avait que lui. Et avec ce qu'il m'avait raconté l'autre jour au CDI, je pouvais comprendre qu'il n'ait pas envie d'avoir des souvenirs du lycée dans lequel tout avait mal tourné. Mal à l'aise devant ces photos où ils étaient trop proches, je détournais les yeux. En réalité, c'était plus que du malaise, j'étais carrément jaloux. Bon sang Louis tu es horrible... horrible !
– Dis Eden, comment tu as su que tu'aimais les garçons ?
Oh bordel. Je ne venais quand même de poser une question aussi personnelle ? Si ? Tuez-moi.
* * *
Et voilà le p'tit chapitre de la semaine ! Merci pour vos votes, pour vos lectures, merci tout court d'être là et de lire ECLIPSE ♥
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