02. CELUI QUI ÉTAIT INVITÉ
Ma première déception de l'année fut de constater que mon premier cours serait de la philosophie. À huit heures. Le lundi matin. Y avait-il plus inhumain de nous mettre cette matière-là à une heure pareille ? Je ne crois pas non. Ah si, nous mettre l'économie juste après. À coup de quatre heures, avec la pause déjeuné au milieu. C'était un enfer. Passé ce moment de frustration, je m'agaçais de voir Eden saluer Blaise et ses potes avant moi, le gars qui lui avait fait visiter le lycée. Et puis, je me repris, en me disant que de toute façon, traîner avec Blaise apportait plus que de traîner avec moi, et qu'il faisait le bon choix. Peut-être que je m'étais montré trop froid lors de notre première rencontre ? Sans doute. Pourtant j'avais fait des efforts. De gros efforts. Tant pis.
– Louis !
Cette voix stridente, c'était celle de Clara. Clara, la fille que ma meilleure amie n'avait jamais pu voir en peinture, et vice-versa.
– Je suis tellement triste que Maya ne soit pas là cette année.
Menteuse. Mais la moue de Clara était convaincante, de même que celle de ses deux potes derrière elle. Cette nana pouvait embrasser une carrière d'actrice.
– Mais bon, on a un canon à la place, je ne vais pas me plaindre.
Ah, la voilà, la vraie Clara. Celle que je connaissais si bien depuis plus de dix ans.
– Tu lui as faits visiter le lycée hier, non ? Il est comment ?
– Il est sympa.
Elle s'attendait à quoi, venant de moi ? Clara me connaissait, elle savait comment j'étais.
– Je vais organiser une soirée. Genre ce week-end.
Je me retins de lever les yeux au ciel. Pitié. Pas ça. Non. Faite qu'elle ne m'invite pas. Qu'elle me dise juste ça pour me faire rager dans mon coin.
– Et tu es convié.
Merde. Shit, shit et shit comme disent les américains.
– Tu feras passer le mot à ton nouveau voisin de table ?
– Ok.
J'avais cinq ou six jours pour me préparer mentalement. En soi, je n'avais rien contre les soirées, tant qu'elles restaient sobres. Mais la dernière fois, Blaise avait fini à poil dans la chambre de mes parents, avec Clara. Julien son meilleur ami avait vomi dans la baignoire. Et j'avais passé le reste de la nuit à nettoyer, à tout ranger et... c'était aussi la dernière fois que j'avais proposé de faire une soirée chez moi.
Eden était déjà assis à notre bureau quand je suis arrivé en salle de cours. Je notai qu'il avait aussi plus de matériel sous les yeux que le jour de la rentrée.
– Salut !
– Salut.
De l'autre côté de la classe, Clara me lança un drôle de regard et me fit un signe de la main. Minute papillon.
– Dis, Clara, la fille brune là-bas, organise une soirée chez elle ce week-end. Histoire de... bien démarrer l'année, d'apprendre à tous se connaître.
Il n'y avait pas pire invitation que celle-ci. Apprendre à tous se connaître. Alors que... bref.
– Tu peux venir si tu veux, tu y es convié.
Le regard de mon voisin de table s'illumina.
– Mais carrément !
Clara me sondait toujours du regard et je hochais directement la tête pour lui faire signe qu'il était d'accord.
– Je dois ramener des trucs ?
– Ce qui te fait plaisir, ouais.
Je n'en savais rien, mais au pire...
Je passais le reste du cours à admirer la capacité de ce garçon à suivre un cours intégralement, sans bailler, sans griffonner dans la marge de son cahier, sans regarder autour de lui ou par la fenêtre... Il gardait un air concentré tout du long et c'était épatant.
– Tu reluques tout le monde comme ça pendant les cours ?
Mon cœur a fait un bond à ce moment-là.
– Euh...
– Non mais... il y a pas de mal, c'est juste que ça devient angoissant au bout d'une heure.
Oh bordel. Une heure ? Je n'avais pas pu passer la première heure à le regarder, si ?Je m'étais perdu à ce point dans mes contemplations ? J'avais envie de me donner des claques. Parce que j'étais trop con, et qu'il l'avait remarqué en plus. Du coup, j'en déduisais que j'étais tout sauf discret. Eden voyait bien qu'il venait de me mettre mal à l'aise, et comme pour détendre l'atmosphère, il me donna une tape amicale sur l'épaule.
– J'te taquine, ce n'était pas super-passionnant, on part vite dans nos pensées quand c'est le cas.
Ce n'était peut-être pas passionnant, mais en attendant, lui avait suivi tout le cours.
Je fuyais vite la salle de cours comme la peste. Dans l'immédiat, j'allais aller me noyer dans la queue pour la cantine, et tenter de me faire oublier. Malheureusement pour moi, Blaise et ses potes me chopèrent avant. C'était quoi leurs soucis à tous ? Pourquoi ce regain d'intérêt pour ma personne ? J'avais toujours su me faire discret. Je n'étais pas mal aimé par ma classe, mais disons que je faisais ma vie, dans mon coin, et que cela ne dérangeait personne que je sois là, ou non. Et jusqu'à maintenant, tout fonctionnait à merveille. Mais depuis le jour de la rentrée...
– Comment va Maya ? me lança Louis.
Un autre Louis. C'était le truc embêtant avec mon prénom, il était répandu. Et Dieu avait voulu que l'on soit deux dans la même classe. Depuis la maternelle. Un vrai plaisir. L'autre Louis avait aussi toujours eu un faible pour Maya, ma Maya, et ne s'en était jamais caché. Au fond, j'étais persuadé qu'elle était ravie de s'être débarrassé de ce gros lourd.
– Très bien, elle s'est déjà fait tout un tas de potes.
Il fit une petite moue et reporta son attention sur la queue de la cantine qui avançait à deux à l'heure.
– Vous en pensez quoi, du nouveau ?
Je n'avais aucune idée de pourquoi je venais de leur poser la question. Julien haussa les épaules.
– Les filles ont l'air de l'apprécier.
– Je suis sûr que c'est une pédale, marmonna Blaise.
Ah. Je n'avais aucune idée de ce qui lui faisait dire ça mais... Ah. Moi qui pensais que Blaise allait lui mettre le grappin dessus pour lui faire rejoindre sa bande, je me trompais. Blaise avait du mal avec ce genre de sujet, et il le faisait savoir. Ce que Blaise ignorait, c'est que moi, les garçons, j'aimais ça.
J'avais toujours aimé les garçons. D'aussi loin que je me souvienne. C'était Maya qui m'avait aidé à l'accepter et puis, entre nous, c'était devenu un sujet de discussion comme un autre. Elle était la seule à savoir, hormis ma sœur qui elle non plus, n'était pas restée dupe très longtemps. Je n'avais ramené qu'une fille à la maison en dix-sept ans d'existence, Inès, une amie de Clara, et cela s'était vite terminé. Je n'avais jamais trouvé le corps féminin très attrayant d'ailleurs. Les filles, c'était chouette, mais en tant qu'amie. Et ça, Blaise ne le savait pas. C'était mon secret, et je le gardais précieusement rien que pour moi. Au moins jusqu'à la fin du lycée.
Le rire débile de Louis me fit émerger de mes pensées. Pourquoi diable voulaient-ils traîner avec moi... pourquoi ?
– Bah tu n'auras qu'à lui demander Blaise !
Le principal intéressé lui donna un coup de coude, et le surveillant nous fit signe d'avancer.
– Si s'en est une, il ne me touche pas.
C'était mon problème avec Blaise. En plus d'avoir l'esprit aussi étroit qu'une éprouvette, il était con. Con et vraiment méchant quand il le voulait. Avec des idées arrêtées que je n'essayais même pas de comprendre. Il avait un blocage avec ça, et je n'avais aucune idée d'où il le sortait. C'était peut-être son éducation, ou quelque chose dans le genre, et... Il avait les potes qui allaient dans le même sens que lui, même s'ils ne devaient pas toujours partager les mêmes convictions.
C'était exactement à cause de ce genre de personne que je restais dans mon placard.
* * *
L'emploi du temps avait décidé de nous achever en fin de journée avec deux heures de sport. J'adorais le sport, surtout le volley, mais... En fin de journée, j'étais surtout épuisé, et avec qu'une seule envie en tête : rentrer chez moi, m'allonger sur mon lit et mater une série Netlfix.
– Louis Verbeeck ? Arbitrage ?
Parfait. C'était parfait. Je levais un pouce en l'air pour faire signe à notre professeur de sport que j'étais partant. Derrière moi Inès râla de s'être fait voler sa place favorite. Pour une fois qu'elle allait devoir courir celle-là... Cinq minutes plus tard, les matchs débutaient. Et dix minutes plus tard, j'étais dans la lune, perdu dans mes pensées. Elles étaient toutes tournées vers notre nouvel élève, qui se défendait plutôt bien à ce sport. Elles étaient d'ailleurs beaucoup trop tournées vers lui, parce que je ne vis pas le ballon, lancé maladroitement par Clara, m'arriver en pleine tronche.
Le choc fut brutal et je me retrouvai sur le cul, à moitié sonné.
– Louis ! Pardon, pardon je suis vraiment nulle je...
Clara se confondait en excuses (et elle était sincère, pour une fois) et Inès passa une main sur mon front, comme pour me prendre la température. Celle-là, elle n'en ratait pas une.
– Ça va mec ?
Eden s'était rapproché aussi, suivi du reste de l'équipe, curieux.
– Ouais ouais, ça va...
Il me tendit une main pour m'aider à me relever.
– Tu peux marcher ? me demanda-t-il.
– C'était juste une balle, j'en ai vu d'autres, marmonnais-je.
– Elle a fait un sacré bruit en heurtant ton front quand même... ajouta Inès.
Eden m'avait pris par les épaules avant de plonger son regard dans le mien. Et là, j'ai eu l'impression que tes mains ont brûlé ma peau. Pour de vrai. Que j'arrivais à les sentir à travers le dossard vert immonde que je portais. Je me dégageai d'un geste vif pour lui signifier que je n'étais pas totalement KO.
– On peut reprendre... bredouillais-je.
– Génial, alors on s'y remet ! hurla le prof qui avait tout observé dans son coin.
* * *
Sacha parlait sans s'arrêter depuis une bonne quinzaine de minutes, et moi, je l'écoutais d'un air distrait. J'avais toujours cette sensation étrange sur moi. Celle qui était apparu quand il m'avait demandé si tout allait bien. Celle qui était apparu quand il avait plongé ses iris clairs dans les miens. Et celle que j'avais cru sentir ses mains brûler ma peau. C'était quoi mon putain de problème ? La dernière fois que j'avais ressenti ça, j'avais quinze ans. J'étais en colonie, à la plage, et j'étais tombé raide dingue d'Anthony, un gars que je n'avais plus jamais revu après nos quinze jours de vacances en commun. À cette époque j'avais senti mon corps s'embraser d'une manière qui me déplaisait franchement, et j'avais paniqué. Aujourd'hui... Aujourd'hui c'était différent. Ce moment tournait en boucle dans ma tête, depuis que j'avais quitté le lycée.
Mais bon sang, je ne le connaissais que depuis quelques jours. Quelques jours Louis. C'était absurde de se sentir attiré par quelqu'un aussi vite. Absurde, oui, mais pas impossible, me souffla une petite voix dans ma tête. J'avais cherché son compte Instagram, juste pour voir. Et j'avais envoyé une demande, qu'il avait acceptée dans la demi-heure qui avait suivi. Je m'étais senti chanceux, heureux à ce moment-là. Avant de me dire que c'était tristement banal, tout ça.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top