01. CELUI QUI RENCONTRE EDEN

Cette année, j'y allais à reculons. Maya était partie. Elle me laissait seul avec eux. Les autres. Les autres avec qui je n'avais jamais su m'adapter. Les autres avec qui je n'avais jamais su être moi même. Et puis, il est arrivé. Avec son sourire, sa franchise. Il était lui-même. Il était celui qui allait égayer mon année. Il a éclipsé tout le reste. 

* * * 

« Alors, la classe ? » 

« Aucun changement, c'est triste. » 

« Oh... » 

« Et toi ? »

 « Je crois que je ferais mieux de t'envoyer un mail pour tout te raconter. » 

« Ha ha ! Je l'attends de pied ferme. Ah. Attends. Si. Il y a un nom inconnu au bataillon sur la liste. » 

Je levai les yeux de l'écran de mon téléphone pour regarder à nouveau la liste des élèves. Oui, j'avais bien lu. Juste là. Juste sous mon nom à moi. Eden Verdier. Rapidement, après avoir entendu la sonnerie, je pris en photo la liste avant de l'envoyer à ma meilleure amie. Pour la première fois depuis la petite section de maternelle, Maya et moi n'étions pas dans la même classe. Pour la première fois depuis nos trois ans, nous allions devoir affronter la vie, chacun de notre côté.

– Louis !

Derrière moi, Blaise et sa bande de potes venaient de débarquer. Cette rentrée avait comme un goût de déjà vu : exactement comme celle de l'an passé, et celle d'encore l'an passé... C'était toujours la même chose. Petite ville, petit lycée, tout le monde se connaissait, et tout le monde restait généralement dans le même établissement. Si toutefois nous avions tous pris des filières différentes, j'avais toujours cette impression d'être enfermé dans une bulle avec tous ces gens.

– Tu viens ?

Il me donna une grande tape dans le dos et sans sourciller je le suivis, en silence. Dans un vacarme qui caractérisait bien une classe de terminale, je trouvai rapidement une place au fond de la salle, loin de tout. Enfin, surtout loin du tableau, et proche de la porte, ma sortie de secours en cas de besoin. Je n'avais jamais trop aimé être enfermé dans une salle de classe : le sport était la seule matière qui me permettait de m'évader, avec l'art plastique que j'avais pris en option. La salle d'arts plastiques se situait au sous-sol de notre établissement, mais était nettement plus grande et dégagée qu'une salle de cours classique. 

Comme à chaque journée de rentrée, notre professeure principale (qui se révéla être la même que pour ces deux dernières années, quelle surprise !) se lança dans un discours sur la nouvelle année, cruciale et importante pour tout élève de terminale. S'en était si affligeant que je dus me retenir de bailler à plusieurs reprises. Madame Picot avait le don d'endormir son auditoire en moins de dix secondes, et cette réputation lui collait à la peau depuis des années. 

– Je peux m'asseoir ici ?

Il était entré sans faire de bruit, en saluant la professeure d'un air timide.

– Je me suis perdu, madame. Je suis nouveau et je...

Je le regardais, les yeux ronds. C'était qui lui ?

– Je ne connais pas encore l'établissement.

Madame Picot lui décocha l'un de ses plus beaux sourires et l'invita à s'asseoir rapidement. À côté de moi. Évidemment. Cette place avait toujours été celle de Maya depuis notre première année du lycée.

– Je m'appelle Eden.

Le fameux. Le nouveau nom sur la liste.

– Louis.

Il me lança un sourire avant de sortir une feuille et un stylo, le strict minimum pour un jour de rentrée. Que dire de plus ? Je ne décochais pas un seul mot du reste de la réunion. J'étais bavard, mais seulement avec Maya, ma meilleure amie. J'avais toujours eu du mal avec les autres. Ce n'était pas par volonté, j'étais comme ça. Coincé. Bloqué dans mon monde. La sonnerie retentit et je rangeais mes affaires en vitesse pour rentrer chez moi. Sauf qu'une main se posa sur mon avant-bras.

– Excuse moi... Un pion m'a dit que quelqu'un allait me faire visiter les locaux mais...

Eden regarda autour de lui, l'air vaguement paumé. Je ne savais pas trop s'il jouait la comédie du nouveau complètement perdu, ou s'il avait jeté son dévolu sur moi pour être son premier ami dans les parages. Dans ce cas mon gars, c'était un mauvais choix.

– Je m'en charge, si tu veux.

C'était la réponse que tu voulais entendre, non ? Sans doute que oui, parce que son visage s'illumina. C'était un beau visage, encadré de cheveux châtains très clairs. 

Notre lycée n'était pas bien grand. Son seul avantage résidait dans sa situation géographique. Légèrement excentré de notre centre-ville, il permettait aux élèves d'avoir un vrai terrain de foot, en extérieur, ainsi que de basket et de volley. Ma visite fut donc assez rapide.

– Tu es d'ici ?
– Ouais. Et toi, tu viens d'où ?

J'essayais d'ouvrir le dialogue. De faire mon monsieur-ouvert à tous. C'était le genre d'efforts que je faisais pour tenter de m'en sortir. D'élargir mes horizons, comme disait mon père.

– Bordeaux.

Ce n'était pas si loin.

– Ça me change, ce genre de lycée.
– Tu m'étonnes...

J'avais déjà eu des échos des gros lycées. C'était le genre d'endroit que je me plaisais à surnommer « enfer ». Trop de monde, trop de vacarme, trop de... trop de monde point. Après, ils restaient des lycées, et comme tous les lycées, ils traînaient avec eux leur lot de soucis. Le souci du nôtre était qu'il était petit, trop petit, et que tout se savait très vite. Trop vite.

– Merci pour la visite, en tout cas. 

Eden plongea son regard dans le mien avant de me lancer un sourire. Encore un. Ce gars avait un sourire magnifique, mais il devait s'user les zygomatiques à sourire autant. 

* * *

Sacha, ma petite sœur, me sauta dans les bras aussitôt que j'eus passé le pas de la porte. Sacha était toujours de bonne humeur, et surtout, jamais fatiguée. Elle avait quinze ans, mais on lui donnait facilement le même âge que moi. C'était d'ailleurs frustrant quand les gens commençaient à nous demander si nous étions des faux jumeaux. Au final, ce gag récurrent était devenu marrant au fil des années, et nous nous en amusions beaucoup.

– Alors cette rentrée ?

– Banale.

– Et celle de Maya ?

J'avais lu son mail dans le bus durant le chemin du retour.

– Hé bien... Les gens de sa classe sont vraiment gentils. Elle sent bien sa nouvelle classe et l'établissement est beaucoup plus accueillant que le nôtre.

– Ce n'est pas difficile d'ailleurs ! Aller, je suis sûre que cette année va être géniale. Pour vous deux.

Ma sœur me mettait toujours de bonne humeur. Elle rentrait au lycée cette année, dans deux petits jours. Il lui tardait.

– J'ai un nouveau dans ma classe.

Ma sœur m'avait suivi dans ma chambre, à l'étage de notre maison.

– Il est comment ?

– Il a l'air sympa.

Il l'était. Je m'en étais déjà persuadé.

– Et il a un beau sourire.

Sacha leva les yeux au ciel, juste pour m'embêter.

– Tu pourras pas le rater, il doit être la seule nouvelle tête de cette année, soufflais-je.

* * *

« Eden ? Il est comment ? »

Je me posais deux secondes avant de répondre au SMS de Maya. Finalement, elle ne m'en laissa pas le temps.

« Le genre qui m'aurait bien plus ? »

« Je crois bien, ouais. »

« Raah, je rate vraiment tout. »

Derrière mon écran je laissai échapper un rire. Il était une heure du matin, et nous papotions encore. Je bénissais mon portable d'être une antiquité, et d'avoir une batterie digne de ce nom. Elle continua de me bombarder de questions vagues sur lui, auxquelles je m'efforçais de répondre.

« Tu me tiendras au jus . »

Je ne voyais pas trop ce qu'elle voulait que je lui dise de plus sur mon nouveau camarade.

« Si tu veux. »

« Bonne nuit Louis ! »

« Bonne nuit Maya. »

Souvent je me faisais la réflexion que Maya lisait en moi, comme dans un livre ouvert. Normal, nous étions inséparables. Mais encore plus souvent, je m'étais fait la réflexion que Maya avait un don, celui de lire l'avenir. Sans déconner. Ce soir, sans que je le sache, Maya se faisait déjà des films de son côté, dans son patelin si éloigné du mien. Ce soir-là elle avait interprété mes mots, ma ponctuation, mes smileys. Ce soir-là, Maya avait décrété qu'Eden allait jouer cette année, dans ma vie, un rôle décisif. 

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