𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑙𝑢𝑑𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑜𝑢𝑖𝑠
° ° °
Décembre 2020.
J'étais malade comme un chien. À bien y réfléchir, je n'avais pas été aussi malade depuis des années. Quand Maya toqua doucement à ma porte, je l'entendis à peine. Cependant, elle entra, un verre d'eau dans la main, une boite de médicament dans l'autre. Je bénissais ma meilleure amie d'être aussi prévenante et aux petits soins avec moi.
– Avale ça Louis, ça ira mieux déjà pour tes maux de tête.
– Mouais...
– Et... Ne reste pas dans le noir, viens dans le salon si tu veux ! Tu n'es pas contagieux. On te voit de moins en moins avec Inès, ça nous rend triste.
– Vous êtes bizarres aussi depuis quelque temps.
Maya me regarda de travers.
– Bizarre ?
– Ouais, bizarre. Vous me lancez des regards de pitié, et j'ai horreur de ça. Et puis, depuis quand Inès est aussi souvent à la coloc, elle qui passait son temps dehors...
– Louis. S'il te plaît. Tu es malade et de mauvaise humeur, mais ce n'est pas notre faute.
– Oui, pardon...
– Allez, habille toi, et viens nous rejoindre.
– J'attends son appel.
– Louis...
– Je viendrais après.
– D'accord.
Elle me laissa seul dans ma chambre, et je m'empressai d'avaler mon cachet. Aussitôt, je m'affalai de nouveau dans mon lit, les yeux rivés sur mon téléphone. Je ne quittais pas l'heure affichée en haut de mon écran. Bientôt, il m'appellerait. Plus que deux petites minutes pour enfin entendre le son de sa voix. Je n'en pouvais plus d'attendre aussi longtemps nos rendez-vous.
Au départ, nous nous parlions presque tous les jours. Et puis, maintenant, c'était seulement deux ou trois fois par semaine. À présent, j'avais de la chance quand j'arrivais à le capter une bonne heure, une seule fois en semaine.
Adel me manquait. Cruellement.
Et cela me rendait malade de ne pas l'avoir prêt de moi. Notre relation à distance me tuait à petit feu, moi ainsi que ma patience. J'avais débuté ma deuxième année avec brio, je voyais bien qu'il était aussi plus qu'épanoui dans ses études, mais... Quelque chose n'allait pas. Venant de lui, venant de moi. Pour nous. Quelque chose n'allait pas.
Adel était resté cet été en Corée du Sud. Pour suivre un programme de bénévolat qui lui tenait à cœur, en partenariat avec son école. Et puis, dans la foulée, il m'avait annoncé la terrible nouvelle : il ne rentrerait pas avant l'an prochain. Il finissait sa licence là-bas. Et il ne rentrerait pas entre temps. Ses parents étaient venus le voir au mois d'Août pour son anniversaire. Que j'avais donc raté pour la seconde fois depuis que nous nous connaissions. Mais lui, ne remettrait pas les pieds en France avant des mois. J'avais eu envie de hurler à l'injustice, de m'arracher les cheveux et, soyons honnête, de l'insulter de tous les noms. Mais il fallait croire que le prix des billets, et son nouvel emploi du temps, les cours qu'il dispensait aux élèves voulant apprendre le français, bref, tout son nouveau planning ne lui avait pas laissé le choix. Adel était toujours à l'autre bout du monde. Et moi, je me m'étais complètement effondré.
Parce que je l'aimais, qu'il me manquait, et que j'avais peur de ce qui arriverait à notre relation. Maya m'avait ramassé à la petite cuillère. En me disant que tout irait bien. Et Adel avait tenu ses promesses. On parlait toujours autant. On échangeait encore plus qu'avant. Mais depuis deux mois, les fréquences avaient drastiquement baissé.
Je soupirai, voyant les secondes défiler beaucoup trop lentement à mon goût. Et quand l'heure fut enfin arrivé, je reçus un message. Mon cœur s'affola aussitôt et, quand je l'ouvris, je déchantais aussitôt.
« Salut Louis ! »
Il ne m'appelait plus Lou. Ce surnom me manquait.
« Hey, tu es dispo ? »
« Pas tellement non... J'ai été convié à une soirée, je dois me préparer. »
« Ah. »
Une soirée. Est-ce qu'il se moquait de moi ?
« C'est une soirée au sein de mon université, entre élèves, professeurs, et futurs employeurs, rien de folichon. Mais je ne peux pas la rater. »
« On se verra un autre jour, donc ? »
« Tu es libre quand ? »
Pour toi ? Tout le temps, avais-je envie de lui hurler à la figure.
« Quand tu veux. Je m'arrangerais. »
« Alors disons... »
Tout de suite. Je voulais le voir tout de suite. Non, mieux, je voulais le serrer dans mes bras et l'embrasser. Je ne voulais que ça. Avoir mon copain de nouveau auprès de moi. Mais je ne pouvais pas. Il fallait croire que quelqu'un là-haut avait décidé que mes moments de joie et bonheur devaient cesser, et que désormais, j'allais devoir attendre.
« Je peux mardi ! »
Mardi, dans trois jours. J'avais encore plus envie de pleurer.
« C'est parfait mardi ! ♥ »
Je m'efforçais de rester optimiste.
« Je dois y aller. Bisous Louis, je t'aime ! »
« Moi aussi ! »
Et c'était peut-être ça le souci, je t'aimais trop, Adel. J'attendis dix bonnes minutes devant mon écran espérant que quelque chose se produise. Un rien, pas grand chose. Peut-être un nouveau message de sa part me disant que sa soirée allait être annulée ? Il n'était que treize heures ici, je pouvais encore attendre toute la journée s'il le fallait. Je ne travaillais plus au musée ce mois-ci (pour des raisons administratives obscures, je me devais d'attendre un mois entre deux renouvellements de contrat), j'avais donc tout mon temps. Tout mon temps. Juste pour lui. Et puis, ne voyant rien arriver, je resserrais un peu plus mon poing contre mon pauvre téléphone portable, et poussai un hurlement de rage. Le pauvre appareil se retrouva propulsé à travers la pièce, ricocha sur la porte et je hurlais de nouveau. Il ne fallut pas longtemps à mes deux amies pour accourir, l'air apeurées dans ma chambre, au moment où je me réfugiais à nouveau sous mes draps.
– Louis ? Oh, mon dieu, Louis...
La voix d'Inès me paraissait si lointaine, et à la fois, si proche. Bientôt, deux bras m'encerclèrent à travers les couvertures, et je les sentis se positionner d'une part et d'autres de moi.
– Ça va aller, d'accord ?
– Tu veux nous en parler ?
Je secouais la tête, au bord des larmes. Elles savaient déjà tout, de toute façon. Inès souleva un pan de ma couette, et Maya l'imita, et elles se glissèrent dessous pour me tenir compagnie.
– Ne reste pas tout seul Louis, d'accord ?
Je haussais les épaules. Je ne comprenais même pas pourquoi elle perdait autant de temps à essayer de me remonter le moral. Inès posa sa tête sur mon épaule et me prit dans ses bras. Maya l'imita de son côté.
– On est pas obligé de parler. On peut juste rester avec toi.
Et pour la première fois depuis le début de la journée, j'esquissais un sourire timide. Inès le nota, passa une main froide sur ma joue et y déposa un baiser plein de douceur. Maya me couvait du regard, et me fit signe de me détendre. Ce que je fis. Et puis, doucement, les larmes dégringolèrent sur mes joues, et aucune des deux essaya de m'arrêter de pleurer.
* * *
– Je crois que... ce prof veut notre peau.
– J'ai... Lamentablement échoué, gémit Flora à côté de moi.
Nos partiels de décembre, enfin, la première partie, venaient de se terminer. Et Flora et moi... Étions dans tous nos états. J'avais révisé comme un dingue pour réussir, et je n'avais pas l'impression d'avoir réussi une seule de mes épreuves. J'espérais qu'il s'agisse là d'un simple pressentiment, et rien de concret. Je m'étais littéralement noyé dans mes révisions depuis un mois. Je ne faisais que bosser, bosser, sans sortir de chez moi. Je voyais Flora à l'université, je voyais Maya et Inès chez moi, et ça me suffisait. De temps en temps, Eden venait squatter. Et de temps en temps, Maya faisait une soirée chez nous. Dans ces moments-là, nous étions bien trop nombreux à mon goût. Je ne supportais plus de voir autant de monde. Ils m'étouffaient. Avec leur bonheur ambulant, leur joie de vivre... Je n'en pouvais plus. Ce n'était pas de la faute de Isaac et Eden. Ni celle de Flora et Victoire. Mais les voir aussi épanouis m'agaçait. Je crevais de jalousie. Et ça, tout le monde l'avait remarqué. Alors je quittais les soirées plus tôt pour me réfugier dans ma chambre, et leur fichais la paix.
– Ça va le faire pour toi, j'en suis sûre.
– Croisons les doigts. Je refuse de carburer encore plus au second semestre pour sauver mon année...
– Et moi donc !
Flora me jeta un dernier coup d'œil avait de ranger ses affaires, comme pour s'assurer que j'allais bien. Flora avait très à cœur le rôle de « gardienne » qu'elle s'était attribuée cette année. Gardienne de ma personne, évidemment. Inès et Maya ne pouvant pas m'avoir à l'œil, je savais que ces deux-là avaient demandé à Flora de le faire à leur place. Je faisais mine de me rendre compte de rien. J'étais à la fois touché et agacé par ce comportement.
Dans la poche arrière de mon jean, mon portable vibra plusieurs fois d'affilé, et, curieux de savoir qui tenait à tout prix à me joindre, je l'attrapais, faisant signe à Flora de partir devant moi. Et quelle ne fut pas ma surprise quand je vis son prénom, écris en lettre capitale sur mon écran. Mon doigt trembla pour appuyer sur la touche décrocher. Et le son de sa voix me fit frémir. C'était bien comme si je ne l'avais plus entendu durant des siècles.
« – Lou ? »
Lou. Mon cœur fit un bond. Un énorme bond. Si gros que j'en eus les larmes aux yeux. J'étais vraiment à fleur de peau ces derniers temps.
« – Adel je... Je ne pensais pas que... Mais il est quelle heure chez toi ?
– Vingt-trois heures.
– Oh...
– Comment tu vas ?
– Bien, bien ! »
Je lui mentais, évidemment. Je ne voulais pas qu'il s'en fasse. Ou pire, qu'il culpabilise par ma faute. En arrière-fond j'entendais des bruits de verres qui s'entrechoquent, des rires et plusieurs voix se mélanger.
« – Tu es en soirée ?
– Je sors du restaurant, ouais. J'avais envie de t'entendre. »
Je souriais comme un idiot derrière mon appareil.
« – Et je m'en veux tellement pour l'autre jour.
– Ce n'est pas grave. On se parle demain.
– Je sais. Mais j'avais quand même envie. Louis... »
J'eus l'impression d'entendre sa voix craquer un peu.
« – Tu me manques, tu sais ? »
Mon rythme cardiaque accéléra un peu. Derrière lui, je parvins à entendre la voix d'une fille – sans doute Moon – et de d'autres gens, qui visiblement se moquaient gentiment de lui. Je me fiais bien sûr uniquement au son de leur voix pour en déduire une chose pareille : je n'étais pas bilingue coréen. J'avais déjà du boulot à faire avec l'anglais... Vous êtes lourd les gars ! La voix de Adel me fit sourire.
« – Ils me charrient, ils sont agaçants...
– Mon pauvre chou...
– Oh, ne t'y mets pas !... Hein ?... Quoi ? »
Je devinais que quelqu'un lui parlait à l'autre bout du fil. Et puis, soudain, un bruit de baiser humide. Tout près de son téléphone.
« – Eurk, t'es dégoûtante Moon !
– C'était quoi ça ? »
Je n'avais absolument pas maîtrisé le grand de ma voix, un peu sec et cassant.
« – Moon un peu bourré qui me témoigne toute son affection.
– Mmh. Je vois.
– Comment vont les filles ?
– Change pas de sujet...
– Hein ?
– Pourquoi elle te témoigne toute son affection ?
– Parce qu'elle est torchée ? Et qu'elle m'apprécie, je suppose ?
– Adel...
– Oh, Lou. T'es adorable.
– Arrête ça.
– Fidèle est mon troisième prénom.
– Le deuxième étant ?
– Sarcasme. »
Il m'avait eu. Je me mis à rire tout seul dans les couloirs déprimants de ma fac, sous l'œil amusé de Flora, un peu plus loin, qui jouait sur son téléphoner.
« – Je vais me vexer, que tu penses ça de moi... Je sais me tenir.
– Je n'en doute pas.
– Parfait, je te remercie.
– Désolé.
– Louis...
– Pardon. »
Je me sentais très bête tout à coup.
« – J'ai compris, ça va, ne t'en fais pas !
– Je voulais quand même m'excuser, Adel Sarcasme Fidèle Kang. »
J'avais envie de le voir rire sous mes yeux. De voir ses yeux se plisser de malice, ses lèvres se retrousser légèrement, comme quand il s'apprêtait à éclater d'un rire sonore, comme maintenant. Tout chez lui me manquait.
Et je m'en voulais, l'espace de trois secondes, d'avoir imaginé quoi que ce soit avec cette fille. Que je ne portais pas dans mon cœur. Parce que je l'avais déjà vu sur des photos avec mon petit ami, que je la trouvais trop proche, trop jolie, et que, par pur principe, j'étais jaloux d'elle. Et je n'aimais pas me sentir ainsi. Je ne voulais pas être le genre de petit ami jaloux et possessif, qui s'imaginait les pires horreurs dès que son copain s'éloignait un peu trop. Je ne voulais pas étouffer Adel. Je ne voulais pas le fliquer non plus. Mais plus le temps passait, et plus ce genre d'idées germaient malgré moi dans mon esprit. C'était peut-être la faute à ma paranoïa constante et cette peur de voir les gens m'oublier. Ou bien, cela était dû à la distance qui nous séparait. Je n'en savais rien, mais cet état dans lequel je me trouvais de plus en plus souvent me rendait mal à l'aise.
* * *
Février 2021.
Inès avait refusé de se rendre à une soirée. Depuis le début de l'année scolaire, c'était bien la cinquième ou sixième fois que cela arrivait. Et cela ne lui ressemblait pas. Elle ne sortait plus qu'avec nous, et exclusivement avec nous. Et Maya et moi n'étant pas de grands fêtards... Inès ne sortait quasiment plus en soirée. Jusqu'à ce soir. Ce fameux soir où moi, Louis Verbeeck, décidais de foutre en l'air tout ce que j'avais de bien dans la vie.
Victoire avait organisé une soirée. Et j'étais convié, évidemment, ainsi que mes deux colocataires. Au départ, j'avais un peu traîné des pieds. Après tout, j'avais une montagne d'exposés et de dossier à rendre pour la semaine qui arrivait, et la moitié n'étaient réalisé qu'à cinquante pour cent. Mais Inès eut raison de moi, pour une raison qui m'échappa, Maya aussi, et je me retrouvais dans le salon de Victoire, avec d'illustres inconnus dont je me foutais éperdument. Je regrettais que Eden ne soit pas présent. Eden était le genre de personne qui savait me mettre à l'aise, et qui détendait une atmosphère en un claquement de doigt. Mais je devais me faire une raison, ce soir-là, il n'était pas pour me sauver les fesses, j'allais devoir faire des efforts.
Depuis que j'étais rentré à la fac, je devais bien avouer que ma timidité en avait pris un sacré coup. Pour commencer, je ne rasais plus les murs, et je n'avais pas de souci à aller vers des gens pour leur poser des questions, ou me présenter si besoin. Cependant, Rome ne s'était pas faite en un jour, et je n'allais pas changer du tout au tout en à peine un an et demi. Je ne pouvais pas balayer presque dix-huit ans de timidité maladive d'un seul coup. Et ce soir, cette soirée avait un goût de déjà vu.
Victoire avait une piscine. Inès était posée à côté de moi dans un transat. Elle ne s'était pas mise en maillot de bain, et n'avais aucune envie d'aller se baigner. Nous étions deux. Maya, quant à elle, était en grande discussion avec Flora un peu plus loin, mangeant de la pizza à ne plus en finir. Il y en avait au moins une de nous trois qui semblait passer une bonne soirée.
– On n'est pas d'humeur à se baigner ?
– Pas encore..., répondit-elle., Pas ce soir même.
J'étais quasiment sûr d'avoir déjà eu cette discussion avec Inès, et le tout était plus que troublant.
– En tout cas le gars en face te mate depuis cinq minutes.
– Ah.
Ma réponse n'était ni enjouée, ni agacée. Elle n'était pas grand chose en fait. J'avais juste la tête ailleurs, et pour une fois, je n'avais pas le cœur à tout détailler autour de moi comme je savais si bien le faire. J'avais envie d'être dans mon lit, devant un bon roman, ou une série. J'avais envie de m'évader, loin de la réalité ennuyante qui m'entourait.
– Ah moins que ça soit moi..., ronchonna Inès.
Je relevais les yeux, curieux. En temps normal, Inès avait une toute autre réaction face aux gens s'intéressant de près ou de loin à sa personne.
– Ah et... C'est pas trop ton genre ?
– Non.
Pourtant, j'aurais juré que si. Ce gars ressemblait grossièrement à à peu près toutes les conquêtes de mon amie. Mais je ne rajoutai rien, sentant qu'Inès n'avait pas vraiment envie de continuer sur le sujet, je lui proposais de rentrer à l'intérieur de la maison, et elle accepta.
Finalement, ce fut elle et moi toute la soirée. Et quand enfin sonna le gong de notre libération à tous les deux, une main m'agrippa l'avant-bras. J'étais dans la chambre de Victoire, à ramasser les manteaux des filles ainsi que mes affaires, quand le garçon du bord de la piscine planta son regard dans le mien.
– Ouais ?, lâchais-je platement.
L'espace d'un instant, j'eus l'impression d'être dans le corps de Adel. C'était totalement le genre de ton plat et morne que mon petit ami aurait employé en de pareilles circonstances.
– Euh je... Je voulais te poser une question depuis le début de la soirée... Inès et toi, vous êtes ensemble ?
– Non. Mais je vais t'épargner quelques souffrances inutiles, elle n'est pas vraiment dans le mood relation de couple pour le moment, ou même coup d'un soir.
Autant qu'il le sache, je ne faisais que lui épargner quelques tracas.
– Oh, ouais, non.
– Non ?
– C'était plus vis-à-vis de toi, en fait.
– Ah.
Ah merde. J'avais envie de lui répondre que je n'étais pas de ce bord-là, mais j'entendais d'ici Eden me hurler dessus un truc du genre « non mais t'es con ou quoi ? Explique lui juste que tu es pris, à quoi ça sert de mentir ! » mais au lieu de quoi, je me retrouvais à l'inspecter des pieds à la tête.
– J'ai déjà quelqu'un.
– Maya ?
– Maya ? Non, Maya est ma meilleure amie. Non, mon copain est à l'autre bout du monde, tu risques pas de le voir ici avant un baille. Quel veinard je fais.
Les mots m'avaient échappé. Ils avaient coulé hors de ma bouche comme un flot continu, résumant parfaitement mon état d'esprit : je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais plus d'être loin de lui, de devoir expliquer que le garçon que j'aimais était loin, que j'avais bel et bien quelqu'un, mais que c'était comme si je n'avais personne la plupart du temps... Et en face de moi, le regard de l'autre garçon changea. Je ne sus pas vraiment décrire ce qui se passa dans ses prunelles chocolat, mais je le vis griffonner quelque chose sur un bout de papier, avant de me le tendre.
– Si jamais il revient pas. Ou que tu t'as besoin de compagnie.
Et il tourna les talons. Et moi, je me sentais vraiment, vraiment, mal à l'aise. J'avais l'air d'être un gars en manque de chaleur humaine ou bien... ? C'était quelque chose de banal, ce genre de geste ? Ce n'était pas exclusivement réservé aux scénarios de séries américaines un peu moyenne ? Je regardais le bout de papier, silencieux, avant de le mettre dans la poche de mon jean. J'allais l'oublier, et sans doute ce dernier allait-il finir dans la machine à laver.
*
Les mots du garçon me restèrent dans la tête toute la soirée. C'était idiot, parce que je ne le connaissais pas. Mais d'un côté, c'était tout moi ça. Accorder un peu de crédit aux faits et gestes de tous les gens qui m'entouraient. C'était plus fort que moi, il fallait toujours que je me sente jugé. Si jamais il ne revient pas. C'était cette phrase qui resta ancrée dans mon esprit. Pourquoi Adel ne reviendrait-il pas ?, me surpris-je à penser. C'était complètement bête. L'autre ne le connaissait pas. Adel m'avait fait une promesse. Et Adel tenait toujours ses promesses.
Lentement, cette idée s'insinua en moi. S'il ne revenait pas. Qu'allais je faire ? Je n'allais pas l'attendre éternellement. Je n'allais pas continuer à rêver de mon côté. Celui qui rêvait... C'était derrière moi tout ça. Ce soir-là, je me retournais encore et encore dans mes draps. Finalement, le bout de papier avec le numéro de l'autre garçon atterris dans ma table de chevet.
Et ce soir-là, je me rendais également à l'évidence : je n'étais pas heureux. Je l'avais été, au départ. Mais les jours, les semaines, les mois avaient défilés et quelque chose avait changé. Je n'arrivais plus à me sentir bien. Maya l'avait ressentit, elle avait tiré la sonnette d'alarme à de nombreuses reprises sans que je ne l'écoute. Inès aussi. Eden aussi. Ils avaient tous essayé de me faire sourire, mais j'avais décidé de mon propre chef de m'enfoncer tout seul comme un grand, de m'isoler. J'avais voulu rester connecté avec un garçon à l'autre bout du monde, alors que, je devais voir les choses en face : cela était impossible. Ce n'était plus vivable.
* * *
Mars 2021.
J'en avais parlé longuement à Eden. Et pour la première fois depuis au moins un an, Eden n'approuva pas l'une de mes idées. Pire, il essaya de me faire entendre raison. C'était la première fois que je voyais Eden aussi paniqué en face de moi, triste et prêt à tout pour me faire changer d'avis. Mais il n'y parvint pas. Et maintenant, je tremblais comme une feuille devant mon écran. En face de moi, Adel me parlait joyeusement de sa journée, d'un lieu magnifique qu'il avait enfin pu visiter avec sa grand-mère, et je fis mine de me réjouir pour lui.
Oui, parce qu'au fond, mon cœur me hurlait de ne pas aller jusqu'au bout.
– Je t'ai pris un tas de photo, c'était vraiment trop beau ! ponctua Adel, un sourire immense sur le visage.
– J'ai... J'ai hâte de les découvrir.
– Ça ne va pas Louis ?
Évidemment, Adel me perça à jour. Même à distance, il savait reconnaître quand ça n'allait pas. Il pencha la tête légèrement sur le côté, une petite moue sur le visage. Il était adorable. Tout bonnement adorable. J'aimais le nouveau blond sur ses cheveux. J'aimais aussi la nouvelle manière qu'il avait de les coiffer.
– Je crois qu'il faut qu'on parle.
Adel plissa les yeux, soudain un peu moins enjoué.
– Mmh, tu me fais peur là.
Je lâchais un rire nerveux, ce fut plus fort que moi.
– Tu veux parler de quoi ?
J'ouvris la bouche, avant de la refermer aussitôt. C'était là que résidait le nœud de mon problème : je ne savais pas quoi dire. Tout aurait été tellement plus simple si j'avais eu un script à lire, tout bêtement. Tout aurait été tellement plus simple si je n'avais pas été amoureux, un jour, du garçon en face de moi.
Et c'était là le souci. Le passé dans ma phrase. J'aimais Adel. Mais j'avais l'impression d'avoir perdu tellement ces derniers mois, que ça me ruinait totalement.
– Je...
– Attends, Louis...
Il avait repris un air très sérieux et se redressa sur sa chaise de bureau, les deux mains posées à plat de part et d'autre de son clavier.
– C'est pas ce que je pense, hein ?
– Et tu penses à quoi ?
J'avais presque envie qu'il pose lui-même les bases de cette discussion.
– Joue pas à ça avec moi.
– Je ne joue pas du tout !, fis-je en élevant un peu la voix.
– Bon. Ouf. J'ai cru que tu allais me larguer.
Nouveau silence. Je ne pus m'empêcher de me mordiller la lèvre inférieure, soudain extrêmement mal à l'aise. Et Adel, fidèle à lui même, nota immédiatement ce détail. Ça, ainsi que mon visage qui semblait se liquéfier. Ses yeux s'agrandirent un peu, et il fronça les sourcils.
– Pourquoi ?, souffla-t-il.
Je ne répondis rien. À quoi bon en rajouter une couche, il avait parfaitement compris là où je voulais en venir.
– Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
Il continuait avec ses questions, remuant le couteau dans ma plaie déjà béante. J'avais envie de rabattre mon ordinateur et de prendre les jambes à mon cou. Rester ici, soutenant son regard... C'était l'une des pires choses qui m'étaient arrivé ces dernières années.
– Ah, c'est une blague. C'est ça ? Tu as quelques semaines d'avance. Le premier avril c'est pas pour tout de suite.
Il se força à rire, et moi, je ne disais rien. Il scrutait la moindre de mes expressions faciales, à la recherche d'un indice, n'importe quoi pouvant le rassurer. Mais je ne l'aidais pas. Je restais de marbre en face de mon écran, incapable d'articuler le moindre mot.
– Putain, t'es sérieux. C'est pas vrai... T'es sérieux ? Louis ?
J'avais envie de pleurer.
– Louis ? Bordel mais répond !
Il commençait à s'énerver derrière son écran, et je pouvais le voit serrer les poings. Je hochais doucement de la tête, le fuyant complètement du regard.
– Oh non. Dans les yeux. Tu me réponds dans les yeux Louis.
Je ne pouvais pas. C'était trop compliqué, trop dur. Je ne pouvais pas soutenir son regard. Son regard me tuait à petit feu. Mon ventre se tordit dans tous les sens, mes lèvres se mirent à trembler plus franchement.
– LOUIS !
Il hurlait complètement. Et quand je relevais enfin la tête, je le vis. Effondré. En colère. Mais surtout, au bord de la crise de larmes, tout comme moi. Sa grand-mère fit irruption en arrière-fond, et il la rembarra assez rapidement, en la rassurant. Mais je voyais bien que non, rien allait. Elle referma la porte de sa chambre, un air peiné sur le visage que je parvins à voir depuis mon écran.
– Parle moi putain. Qu'est-ce que j'ai fait qui ne va pas ?
– Je...
– Ah, il articule enfin un mot !
Je fermais les yeux, inspirant un grand coup. Un hoquet s'échappa de mes lèvres et ce fut plus fort que moi, je fondis en larmes pour de bond. Je connaissais Adel. D'ici trente secondes, il allait s'énerver pour de bon. Et je savais que dans ces moments-là, il était inarrêtable. Blessant.
– Je comprends juste pas. Je...
– C'est juste que... ça ne fonctionne plus.
– Pardon ? Comment ça, ça ne fonctionne plus ?
– Je vois bien que tu es très heureux loin de moi.
– Ça ne veux pas dire que tu me manques pas ! C'est une blague...
– Moi je ne le suis pas.
– Pardon ?
– Je ne suis pas heureux. Je ne le suis plus.
– Je rentre en juin.
– Peut-être.
– Comment ça, peut-être ? Je rentre en juin, je te l'ai promis.
– Et tu m'avais aussi dit que tu ne passerais qu'un semestre là-bas, à la base.
– C'est petit ça Louis, très petit. Tu m'as encouragé à finir mon année là-bas.
– Mais pas à rester un an de plus à l'autre bout du monde !, m'exclamais-je.
– Je... Je croyais que tu étais content pour moi.
– Oui.
– Bah on aurait pas dit. Et tu crois quoi, je ne vais rester ici indéfiniment ?
– Bah peut-être bien.
– Mais t'es complètement con ma parole.
J'ouvris de grands yeux, blessé.
– J'ai compris, monsieur est en manque de compagnie. Son bonheur avant celui des autres. Bah tu sais quoi ? Largue-moi comme une merde, exactement comme tu t'apprêtais à le faire. Vas-y, Louis. Dis-le-moi. Toi et moi Adel c'est fini, parce que je me fais grave chier tout seul, même avec mes potes en or.
Il avait raison. Et tort. Je ne saurais pas l'expliquer. Mais depuis qu'il n'était plus là, je me sentais incomplet. J'avais l'impression de me priver d'un million de choses.
– Du moment où tu ne me sors pas que tu as trouvé quelqu'un d'autre et que tu me trompe allégrement avec depuis plusieurs semaines, alors ça va. Je vais faire semblant de bien le prendre. De ne pas me froisser. De toute façon, j'ai comme l'impression que je ne te ferais pas changer d'avis, hein ?
– N-non je n'ai pas -
– Amen ! Je suis béni ! Me voilà rassuré. C'est juste donc moi qui suis un petit ami en carton, je note.
– Pas du tout ! Tu...
Je ne savais plus où mettre. Ni quoi dire. Ni quoi penser. La voix de Eden me revint à l'esprit, me suppliant de ne pas aller jusqu'au bout. Et pourtant, j'avais ce sentiment que ma décision était la bonne. Adel allait revenir, un jour, peut-être, certes. Et après ? S'attendait-il à ce que tout redevienne comme avant ? Rien n'allait être comme avant. Cela faisait plus d'une année que je ne l'avais pas vu. Que je ne l'avais pas touché, entendu parler en face de moi. Que je n'avais pas senti son odeur.
En face de moi, le visage de Adel était à présent indescriptible. Trop d'émotions se mélangeaient dans son regard. Sa bouche était pincée, et je voyais bien qu'il se retenait pour ne pas poursuivre sa petite tirade. Mais le pire, c'était la tristesse que j'arrivais à percevoir d'ici. Il semblait attendre que je lui donne le coup grâce, car lui, ne prononcerait pas les mots qui scelleraient notre relation.
Je savais pourquoi je le faisais. J'en avais besoin. Les autres ne comprendraient pas. Mais les autres n'étaient pas moi. Ils n'étaient pas dans ma tête. Ils n'étaient pas à la place de mon cœur qui souffrait tous les jours. Ils n'étaient pas Louis Verbeeck, qui ne vivait sa vie qu'à moitié depuis que son petit ami s'était envolé loin de lui. Je voulais juste profiter de tout, sans me sentir coupable de rire sans qu'il ne soit pas à mes côtés. Je voulais pouvoir parler à de nouvelles personnes, me faire de nouveaux amis, sans me demander ce qu'il en aurait pensé. Il reviendrait en juin, ou pas. Et je savais que je ne pouvais pas attendre jusque-là. C'était beaucoup trop pour moi. Et puis, j'avais peur de son retour, de nous. Notre relation s'était amochée toute seule au fil du temps. J'avais fermé les yeux dessus pendant des semaines et des semaines. Mais je n'y arrivais plus.
Dans la chambre ne résonnaient plus que nos souffles, discrets. Adel ne m'avait pas quitté des yeux, quand enfin, je pris une grande inspiration.
– Adel, toi et moi... ça ne peut plus continuer.
* * *
J'avais mal. Atrocement mal à cet organe si petit, qui battait pourtant si fort. Roulé en boule, dans le noir le plus complet de ma chambre, je n'avais pas cessé de pleurer depuis que les mots avaient franchi ses lèvres. Je ne lui avais même pas laissé le temps de s'expliquer d'avantage, de me proposer de rester de bons amis ou je ne savais quelle connerie dans ce genre. J'avais coupé notre conversation, j'avais envoyé valdinguer mon ordinateur sur mon lit et je m'étais effondré. Je n'avais rien vu venir.
Rien.
Comment avais-je fait pour être aveugle à ce point ? Pour penser que tout irait bien ? Qu'il m'attendrait sagement jusqu'à mon retour ? Au final, peut-être que c'était moi le souci, depuis le départ. Moi et mon âme romantique à deux balles. Moi qui espérais que tout irait bien, sans encombre. Je m'étais fourvoyé. Pendant des mois. J'étais heureux, lui malheureux comme une pierre. Et maintenant, je m'en voulais. J'avais été un boulet pour lui pendant des mois.
J'espère que tu te sens enfin soulagé Louis. Et quand nous nous reverrons...
Non. Je préférais ne pas y penser.
Pour l'heure, tu avais réduit mon cœur en miettes avec tes grands yeux larmoyants et les derniers mots que tu m'avais dits. Tu ne m'avais laissé aucune chance. Tu ne nous avais laissé aucune chance.
Tu voulais qu'on grandisse chacun de notre côté ? Alors c'était ça ?
Ceux qui grandissaient. Et ceux qui se retrouveraient un jour.
* * *
Ahem. Bonjour/Bonsoir ? :DD
Ok, je vais me cacher. >.>
Bon. Nous allons pouvoir rentrer dans les choses sérieuses dès la semaine prochaine, avec la deuxième et dernière partie de cette fiction. ♥ J'espère que ce très long interlude que j'ai dû couper en 5 parties vous a plu autant qu'à moi ! Alors ouiii, je sais, je suis une vilaine auteure. Mais faite moi confiance pour la suite :3 J'ai pu évoquer tous les thèmes qui seront abordé dans ma deuxième partie, et j'espère qu'elle vous plaira autant que la première !
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