Chapitre 3 : Jusque dans le noir
Le lendemain, je suis si fatiguée que j'en tremble de tous mes membres. Chaque pas est une bataille. Ça va faire trois semaines que je n'ai pas dormi correctement. Et c'est horrible.
Je ne veux pas demander à mes parents de ne pas aller au lycée aujourd'hui. Le souvenir de notre dernière dispute flotte encore dans l'air, et la tension qui règne me ferait tomber dans les pommes.
Lorsque j'arrive au lycée d'un pas lent, je remarque Eleonore, qui m'attend, malgré le fait qu'elle soit en retard de dix minutes.
Elle écarquille les yeux et ouvre la bouche pour parler. Mais à la place, c'est une voix bien trop familière que j'entends :
- Est-ce-que...
Un murmure désespéré. J'essaye de ne pas trop m'attarder dessus et demande à Eleonore si elle peut répéter ce qu'elle vient de dire.
Ma voix est enrouée, comme si je n'ai pas parlé depuis quelques semaines.
- Et en plus, tu n'entends rien ?! s'exclame mon amie. Je disais que tu étais très pâle, et que tu ne dormais clairement pas assez. Tu m'inquiètes beaucoup, Frisk. Tu penses que je vais rester comme ça, à te regarder plonger petit à petit jusqu'en enfer ? Maintenant, je ne supporte plus de te voir comme ça. Viens, j'ai quelque chose pour toi avant d'aller en cours.
Elle s'approche de moi et me tend un sandwich. Je le prends, sans vraiment comprendre pourquoi. Puis, Eleonore enroule son bras autour du mien pour m'aider à avancer plus vite, en me faisant signe de commencer à manger.
Mon cœur se serre tandis que je mors dedans, soutenue par mon amie. Je sais pourtant que j'aurai beau lui expliquer mes rêves et visions un milliard de fois, d'une manière différente à chaque fois, elle ne comprendrait toujours pas. Je le sens, mais je suis trop fatiguée pour débattre avec moi-même.
Mais c'est la première fois que j'ai envie de partager mon secret...
Nous arrivons en cours lorsque je finis la moitié du sandwich. Eleonore me dit de le garder pour après. Je pourrai donc le manger au fur et à mesure de la journée. Je le range dans mon sac tandis qu'Eleonore toque à la porte.
Cette fille est trop gentille.
Nous tendons nos billets de retard. Le professeur m'avertit une nouvelle fois que si je continue comme ça, mes parents risquent d'être convoqués chez le principal du lycée, et blablabla...
Ils ne le feront jamais. Ça fait deux semaines qu'ils me répètent tous la même chose, et ils n'ont toujours rien fait.
***
- Suis-je condamné à être ici pour toujours ?
Et ça y est. Les confessions déprimantes du squelette. J'en ai marre, marre, marre...
Je veux faire quelque chose, à part rester derrière et le regarder, l'entendre souffrir...
- Est-ce-que quelqu'un m'entendra un jour ?
Mais moi je t'entends !
Je serre mon stylo dans ma main avec force.
- Bien sûr que non...
Mon cœur se brise une énième fois.
- De toute façon, je n'ai besoin de personne !
La voix vient toujours du même endroit. Et lorsque je m'approche de cet endroit, le son s'intensifie un peu.
Suis-je censée la suivre ? Mais où cela me mènera ?
Je sais en tout cas que je cèderai un jour à la curiosité, qui grandit de jour en jour. Je rassemble tout mon courage et ma détermination pour écarter ces pensées et me concentrer sur le cours.
***
Je ne peux pas le nier : le sandwich m'a beaucoup aidée à récupérer un minimum d'énergie pour la journée. Je compte maintenant en avoir toujours un sur moi, au moins.
Je rajuste mon tee-shirt à rayures rouges et noires et rentre chez moi. Une fois arrivée, je me précipite pour préparer deux sandwichs. Pourquoi deux ? Parce que l'appel de la nourriture est impossible à ignorer.
Après avoir caché mes deux sandwichs dans mon sac de cours, je m'affale dans le canapé. J'y ai aussi rajouté une bouteille d'eau, au cas où je n'ai pas assez de force pour descendre et me prendre un verre d'eau.
Je ferme les yeux et m'endors immédiatement. Je suis épuisée, mais je me sens étrangement apaisée.
- Frisk ! Réveille-toi ! Maintenant !
Quelqu'un me secoue.
Qui ose me déranger alors que, pour une fois, je ne suis pas plongée dans un maudit rêve ?!
Lorsque j'ouvre les yeux, je sens que la personne qui a osé me secouer comme ça va passer un mauvais moment.
- Maman ? je souffle en me redressant.
Elle me fait face, les poings sur les hanches, les yeux brillants de colère.
- Tu m'étonnes qu'après tu dis que tu n'arrives pas à dormir la nuit ! lâche-t-elle d'un coup avec fureur. Si tu passes ton temps à faire des siestes, c'est normal ! Tu ne t'es jamais posé la question ?
Je me lève d'un bond. C'est la colère qui me donne cette énergie, maintenant. Une énergie inépuisable. Pour l'instant...
- Mais arrête de m'agresser comme ça ! je hurle en retour. J'étais bien, là, tu m'entends ? Bien. Tu penses que c'est agréable de...
- Ce n'est pas la question, me coupe ma mère. Tu penses que c'est la solution de faire une sieste ? Non. La nuit est là pour dormir. La journée, tu dois...
- Mais je n'en peux plus, tu comprends ? JE N'EN PEUX PLUS, je hurle. Mets-toi à ma place !
- Tu perds du temps pour tes études ! Tu crois que tes notes vont remonter comme ça ?
Elle claque des doigts pour illustrer sa phrase.
- Alors explique-moi comment je fais pour me concentrer alors que je suis prête à m'écrouler de fatigue à n'importe quel moment, je réplique en croisant les bras.
- Eh bien tu fais un effort. Ce n'est pas trop demandé, pour toi ? Juste un tout petit effort ! Tu passes ta journée à te plaindre et à t'endormir en cours !
- Mais je mets toute ma volonté à essayer d'être concentrée, toute la journée ! Chaque matin, je ne fais pas qu'un petit effort pour me lever ! J'y mets toutes mes forces. Et après, il en faut encore plus pour affronter la journée.
- Tais-toi, me coupe une nouvelle fois ma mère. Vas dans ta chambre, fais tes devoirs, révise tes leçons, et use de ta magnifique volonté.
Mon cœur me fait mal. Les larmes ont coulées depuis trop longtemps. J'ai mal, mal, mal...
Apparemment, ma mère en a assez d'essayer de me comprendre.
Alors, je fais ce que quelqu'un de trop familier n'arrête pas de faire.
Je crie.
Mes larmes coulent. Je n'ai pas pris énormément de souffle, alors mon cri est assez court.
Mais il me fait énormément de bien.
J'évacue mon impuissance face au désespoir du squelette. J'évacue ma fatigue mentale constante, ma faiblesse. J'évacue tous les sentiments négatifs du squelette qui m'ont contaminée, à présent.
Puis, j'attrape mon sac et sors de la maison en claquant la porte.
Ma mère est restée là.
Figée.
***
Je cours. Cette sensation m'a beaucoup trop manquée. Je ne sais pas où je vais.
Les cris et les appels du squelette se mélangent dans ma tête. Je craque. Je n'en peux plus.
- C'est une erreur !
Je me rends compte que je me dirige vers la forêt. Là d'où vient la voix. J'accélère un peu, un feu étrange naissant doucement dans mon ventre.
- Laissez-moi !
Ce feu est mon énergie. Je redresse la tête et essaye de réguler mon souffle. Les battements de mon cœur ont atteins une vitesse que je n'aurai jamais pensé avoir un jour.
Je ne sais pas comment je fais pour tenir aussi longtemps. Mais le principal, c'est que j'y arrive.
La voix me mène devant le pied d'une montagne, pas très haute. Mon cœur bat à toute allure. Je m'arrête, épuisée, et tremblante de tous mes membres.
Je m'assois un instant, puis déballe un sandwich et sors ma bouteille d'eau. Je mange et bois avidement. La voix s'est tue. Pourtant dès que je remets mes affaires dans mon sac et commence à faire demi-tour, elle se remet à crier de plus belle. Je m'arrête net. La tentation d'aller voir est si forte...
Et la voix semble tellement proche...
Je ne peux pas résister, même si je suis sur le point de m'écrouler à chaque seconde qui passe.
Je souffle et fais demi-tour, direction la montagne. Il y a un chemin qui monte. Je m'y engage en priant pour ne pas avoir à regretter mon choix plus tard.
***
Ça fait une heure que je marche. La nuit est tombée depuis longtemps. Pourtant, étrangement, je ne faiblis plus. Je continue de marcher à la même vitesse, la voix du squelette criant de plus en plus fort dans mes oreilles.
Enfin, j'atteins le sommet. Je plisse les yeux et distingue dans le noir un trou.
C'est une blague ? Qu'est-ce-que ça signifie ? Je dois sauter dedans ?
La voix, elle, crie comme elle ne l'a jamais fait :
- Laissez-moi ! C'est injuste ! Je suis innocent !
Encore et toujours plus fort.
Je plaque mes mains sur mes oreilles. Rien ne change. Je m'approche avec méfiance du trou.
La voix vient bien de là. C'est clair. Je dois sauter si je veux continuer de la poursuivre.
Et si tout cela n'est que la voix de la Mort ? Depuis le début ?
Je commence à complètement délirer.
Je secoue la tête. Ce n'est pas ça. Je le sens.
Je fais encore quelques pas hésitants en avant. Malheureusement – ou heureusement ? – la nuit ne me permet pas de bien voir ce qu'il y a entre moi et le trou, qui est de plus en plus proche. Je fais alors la chose la plus stupide au monde.
Je trébuche sur quelque chose – une racine ? – et tombe dans le trou.
Dès que je ne sens plus le sol ou quoi que ce soit en-dessous de moi, la voix se tait. Complètement.
Je ferme les yeux et crie dans le noir, tombant...
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