Chapitre Deux

Lucien est une ombre au portrait familial. Il est comme un fantôme dont on ne veut pas parler par crainte que cela ravive des souvenirs douloureux. Je n'ai jamais eu la chance de le connaître, il a disparu de la vie des Eastwood quelques années avant notre naissance. Il existe certainement une explication sur la raison de cet éloignement, mais personne n'a pris le temps d'expliquer la raison pour laquelle cet oncle autrefois populaire a disparu de la capitale. Aujourd'hui, j'apprends que cet homme inconnu habite dans un petit village dont je ne connaissais même pas le nom.

― Pourquoi irais-je voir un homme que je ne connais pas ?

― Il représente le dernier lien avec ta famille tout en étant suffisamment éloigné pour que tu ailles le voir. Lucien est une chance pour toi d'obtenir une aide supplémentaire, je ferais de mon mieux à la capitale pour surveiller tes proches cependant cet homme possède certainement des informations nécessaires à ton enquête.

Je passe une main sur mon visage en soupirant. Aux yeux de tout le royaume, je suis morte et enterrée alors il est plus que probable que Lucien soit déjà au courant. Je n'ai aucune garantie que mon oncle m'invite à bras ouverts dans sa maison pour avoir une conversation. C'est un pari bien trop risqué et surtout dangereux. Il pourrait contacter mes parents et révéler la supercherie détruisant les efforts de Cléo.

― Je doute qu'il accepte d'aider une nièce capable de simuler sa propre mort.

― Tu ne peux pas le savoir avant d'essayer.

Lucien est peut-être un homme mauvais et manipulateur comme mon oncle Léander et je n'ai aucune garantie que cela soit quelqu'un de bien. Il n'a jamais voulu connaître ses nièces et neveux alors pourquoi accepterait-il de m'aider ? Je passe un doigt sur l'emplacement où se trouvait ma bague avant de me souvenir que je l'ai balancée dans ma chambre avant de quitter ma chambre.
Inconsciemment, je brisais déjà mon lien avec ma famille.

― Mon domaine est suffisamment équipé pour que tu puisses vivre une vie confortable pendant un petit moment. J'ai envoyé les meilleurs domestiques pour t'aider au quotidien et tu recevras des courses chaque semaine.

― Je vois que tu as pensé à chaque détail...

― C'est à toi de décider de ce que tu veux faire ou non. Je ne fais que suivre tes directives, mais sache que je suis ton alliée et je le resterai aussi longtemps que possible. J'ai conscience que tu ne souhaitais pas cette situation, mais je suis convaincu par ce choix.

Le reste du repas se déroule dans le silence, elle m'accorde le temps nécessaire pour que je prenne une décision. J'ai conscience de ne pas pouvoir rester à la capitale même sous une autre apparence, le risque est trop énorme. Cela me dérange de le reconnaître, mais le plan de Cléo est peut-être l'unique solution pour que je puisse obtenir ce dont j'ai besoin. Cette décision est radicale, un poil trop brutale mais a le mérite de m'apporter la liberté dont j'ai besoin.

Des domestiques ont préparé une autre chambre pour la nuit à mon grand soulagement. Je n'aurais pas supporté de dormir auprès de Cléo après tout ce qui s'est passé. Suis-je capable de lui pardonner ? Je ne peux pas fermer les yeux sur la gravité de ses actes et malgré mon amour pour elle, c'est bien trop grave pour que je parvienne à passer au-dessus. Je ne suis toujours pas convaincue que cela soit une bonne idée de me rendre au domicile de mon oncle Lucien. J'ai besoin de déceler quel genre d'homme il est réellement avant de l'approcher.

Je me laisse tomber sur le lit à baldaquin en poussant un soupir. Il me faut bien plus que quelques heures pour prendre une telle décision, mais j'ai conscience que chaque seconde est importante. Cléo me donne une occasion de tout recommencer avec certains avantages que je ne peux ignorer. Je n'aurais pas besoin de trouver de logement car elle me laisse vivre gratuitement dans celle à la campagne aussi longtemps que j'en aurais besoin. La confusion règne dans mon esprit. C'est peut-être le signe que je dois aller dormir avant de perdre complètement la tête. J'enfile la robe de nuit prêtée par Cléo un poil trop grande pour moi puis me glisse sous la couette. Azaléa Eastwood est morte alors qui suis-je désormais ?

***

Les rayons du soleil éclairent ma chambre et m'extirpe d'un sommeil profond. Je marmonne tout en me redressant avec difficulté. Je n'ai plus de courbature dans le dos, il faut reconnaître qu'un cercueil n'est pas la chose la plus confortable au monde. Les événements de la veille me reviennent en tête cependant je suis plus calme. J'ai besoin de discuter de la prochaine étape avec Cléo afin d'organiser mon départ.

Je quitte la chambre sur la pointe des pieds puis descend l'escalier menant à la salle à manger. Cléo est en conversation avec un homme d'une cinquantaine d'années que je n'avais jamais vu auparavant, je m'empresse de me cacher. J'ignore exactement qui est au courant de ma fausse mort, mais il va falloir que je reste sur mes gardes.

― Il est de notre côté, tu peux venir Aza.

Je croyais être discrète, mais il faut croire que la blonde est plus attentive que je ne le croyais. D'une démarche craintive, je m'avance avec une certaine appréhension. Mon regard se pose sur l'homme inconnu portant un costume sombre et dont les cheveux bruns commencent à grisonner à certains endroits.

― Mademoiselle Eastwood, je présume ?

Il me tend la main que je ne serre pas.

― Vous n'avez aucune crainte à avoir au sujet de votre secret, je ne compte pas le divulguer. Je suis ici pour vous aider à obtenir des documents officiels pour quitter la capitale et vous installer à la campagne.

― A qui ai-je l'honneur ?

― Monsieur Crimson pour vous servir.

Je fronce les sourcils. Les Crimson possèdent la plus grande banque du royaume alors pourquoi l'un d'entre eux trempent-ils dans des affaires aussi sombres ? Cléo presse mon épaule avec douceur pour me rassurer.

― Il est de notre côté.

― C'est un banquier.

L'homme en question se contente de sourire.

― Les affaires sont les affaires, mademoiselle. Je ne passe jamais à côté d'une bonne occasion de me faire de l'argent supplémentaire et d'aider les personnes dans le besoin. Les apparences ne sont-elles pas trompeuses ?

― En effet.

J'ai beaucoup de mal à croire qu'un homme aussi respectable puisse réaliser de faux documents. Il semblerait que le royaume de Slonia camoufle un grand nombre de secrets dans le dos de la couronne. Je garde mon jugement tout en affichant une expression neutre.

― Votre famille est l'une des plus aimables du royaume, j'apprécie grandement votre mère. Elle est de nature très douce et fait preuve de gentillesse envers tout le monde. Je ne m'attendais pas à faire affaire dans ces circonstances le lendemain de votre enterrement.

― Nous avons tous des secrets, monsieur.

Il hoche la tête.

― Je ne compte pas entrer dans les détails de votre vie personnelle, mon unique mission est de vous donner des documents pour votre nouvelle vie. J'aurais besoin d'une signature pour le contrat de confidentialité avant de débuter les démarches.

Monsieur Crimson glisse un document devant moi. On m'a appris à toujours lire les contrats surtout les petits caractères et je ne compte pas laisser passer la moindre erreur. Le contrat stipule que je m'engage à ne pas révéler la conversation qui va suivre sous peine d'une amende s'élevant à plusieurs milliers de pièces d'or. La peine est la même pour le banquier, ce qui me semble tout à fait juste. Je continue ma lecture et ne trouve rien de suspect ou qui mériterait d'être modifié. Je me penche pour prendre la plume et la tremper dans l'encre à disposition puis impose ma signature.

― Maintenant que cette partie est terminée, nous pouvons librement discuter. Dans votre situation, il est de notre devoir de vous construire une nouvelle identité et une vie imaginaire. Personne ne se doutera de la vérité, mais il faut faire les choses correctement.

Il marque une pause puis lève les doigts pour énumérer les points.

― Votre nom, prénom et âge.

― Je ne pense pas qu'elle ait réfléchi à ça en même pas vingt-quatre heures... ajoute Cléo.

― Zélie Stone.

Le banquier note ces premières informations sur un calepin en hochant la tête. Il faut avoir un nom simple pour passer pour une simple sorcière alors j'ai fouillé dans ma mémoire à la recherche d'un prénom simple et efficace. Je me souviens l'avoir utilisé lorsque je suis allée au marché noir sous une autre apparence. J'avais bien apprécié ce personnage aux allures sombres qui menait une mission secrète.

― Au niveau de l'histoire familiale, on part sur quelque chose de simple ou tragique ?

― Simple me semble plus convenable.

Il continue d'écrire puis attend la suite.

― Zélie provient d'une petite famille aristocrate sans importance participant peu aux événements mondains. Lorsque son père fait faillite, elle est contrainte de quitter la capitale et s'exile dans une campagne lointaine.

― C'est ça que tu appelles simple ?! s'écrie Cléo.

Je hausse les épaules.

― Ce sont des choses qui arrivent chaque jour alors je ne vois pas en quoi cette histoire est extraordinaire. On ne connaît pas la moitié des nobles dans ce royaume alors je doute que quelqu'un s'interroge sur la famille Stone.

― Elle a raison, ajoute le banquier.

Nous passons l'heure suivante à évoquer les détails futiles de cette vie imaginaire pour constituer un dossier et préparer des papiers d'identité. J'ai eu beaucoup de mal à me décider pour ma nouvelle apparence. Pourquoi pas devenir blonde aux yeux bleus ? Cela serait opposé à celle que je suis réellement. Je claque des doigts devant le grand miroir afin de changer la nuance de mes cheveux en penchant la tête sur le côté, rien ne me convient. Je veux à la fois être invisible et reconnaissable. Inconsciemment une couleur s'impose dans mon esprit et se matérialise. Un rouge flamboyant. C'est exactement ça ! Je me concentre de nouveau puis imagine un nouveau visage, une chevelure légèrement plus longue et cette magnifique couleur.

― Extraordinaire ! s'exclame monsieur Crimson.

― N'est-ce pas trop voyant cette couleur ?

― On m'a toujours dit que le rouge était ma couleur.

― J'ai tout ce qu'il me faut pour commencer les papiers. Ce n'est qu'une question de quelques jours avant que vous puissiez librement circuler dans Slonia avec une toute nouvelle identité, mademoiselle Eastwood.

― Stone. Maintenant c'est Zélie Stone.

05.06.2024

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top