Chapitre 6
« Elle était à la fois ma plus grande ennemie, et mon amie la plus fidèle. »
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Les membres endoloris après cette longue journée épuisante, je traînais sans réel but, l'esprit embrumé et les pensées ailleurs, ignorant la pluie qui se déversait sur mon corps meurtri.
Il n'était même pas dix-huit heures, mais je commençais à ressentir la fatigue.
J'avais passé ma matinée à m'entraîner dans notre salle mise en place spécialement pour que l'on se renforce physiquement, et mon après-midi avait été consacrée à une réunion de mise en point.
Car un gang adverse, le King semblait se propager et prendre de plus en plus de territoires, mais si l'on ne faisait rien, il risquait de piétiner nos frontières.
Et il était hors de question qu'on laisse passer ça.
Filipp avait demandé à plusieurs membres de faire un tour dans nos quartiers pour vérifier qu'il n'y ait pas une âme indésirable y mettant les pieds dans l'espoir de se les approprier.
C'était l'une des bases des gangs. Défendre ses territoires, quitte à y risquer sa vie.
Quitte à dérober l'âme de son adversaire.
Et, si à mes débuts, j'étais prête à tout pour protéger nos frontières, je trouvais cela lassant, désormais.
Qui étions-nous pour s'approprier d'un lieu en proclamant qu'il était notre, quitte à terroriser les pauvres personnes osant y mettre les pieds sans y vivre ?
Même les habitants ne se sentaient plus chez eux.
Et, même si je faisais partie du Tabu, j'avais réussi à me trouver un studio en dehors de nos territoires, de nos quartiers, pour ne pas être encore plus noyée, entravée davantage à mon gang qui prenait déjà énormément de mon temps.
Ayoub, par conséquent, vivait au cœur d'un lieu appartenant à notre gang depuis sa naissance.
Moi aussi, avant que mes parents ne décèdent.
Mon quartier était déjà un lieu mal fréquenté, mais ceux appartenant à mon gang l'étaient d'autant plus, c'était pour cette raison que je m'étais battue corps et âme pour m'en détacher. Les habitants y étaient en danger, bien que « protégés » par nos membres, sans être toutefois à l'abri d'être assaillis par nos ennemis, mais jamais pas la police.
C'était l'avantage d'agir dans l'ombre, quand nos rivaux ne cherchaient qu'à briller en s'amusant à se faire remarquer pour semer le trouble, pour terroriser les résidents, leurs adversaires.
Ils aimaient imposer leur présence.
De plus, si le Tabu se montrait être un gang plutôt discret, voire « pacifiste », dans le sens qu'il n'était pas aussi dangereux que d'autres, il apportait malgré tout avec lui le souffle vicieux de la mort et tout autres désavantages liés aux crimes. Personne n'était à l'abri en son sein.
J'aperçus une adolescente, qui devait à peine avoir treize ans, quitter une ruelle en scrutant les alentours d'un œil trouble. Déstabilisée par sa présence, je la dévisageai avec attention, et je me tendis en remarquant qu'elle était très peu vêtue. Peu d'habits couvraient ses courbes encore juvéniles.
Et le maquillage sur son visage... Il était si voyant. Si surprenant pour une fille aussi jeune.
Il n'y avait aucun doute sur la raison de sa présence ici...
Elle marcha pendant une bonne vingtaine de minutes, frissonnante sous les assauts mordants du froid, attirant des regards curieux, mais également lubriques, sur ses vêtements trempés.
Je la suivis discrètement, intriguée quant à sa présence dans notre quartier, mes pieds claquant contre le bitume humide, l'eau tombant à grosses gouttes sur mon visage.
Elle n'était pas du Tabu, alors elle n'avait aucune raison d'être ici.
D'autres questions m'assaillirent quand elle s'éloigna davantage de la ville pour, me semblait-il, se diriger vers l'un des quartiers appartenant aux Kings.
Alors ces enfoirés envoyaient leurs prostituées chez nous ?
Mais ce n'était pas le pire.
Du moins, à mes yeux.
Elle était si jeune.
Et une voix dans mon esprit me souffla que c'était ainsi, la vie au sein d'un gang.
Adolescentes, adultes ou qu'importait, son rôle était de rapporter de l'argent.
Quitte à vendre son corps.
Quitte à ne plus en être propriétaire.
Nous n'étions que des objets dans la plupart des gangs. Aux yeux d'un tas d'individus, le corps d'une femme n'était pas assez massif pour affronter l'adversité, alors s'il n'était pas utile pour combattre, autant qu'il le soit pour apporter de l'argent.
Sois belle, et tais-toi.
Voilà la mentalité des hommes, de certaines femmes également, dans ce monde criminel.
Et pas seulement.
Le sexe féminin était bien trop souvent sous-estimé.
La femme, dans notre société, ne valait rien face aux hommes, si ce n'était un cœur à prendre et à corps revendre.
Si seulement les mentalités pouvaient changer.
Je rêvais d'un monde où il était possible d'errer dans les rues sans ressentir une inquiétude profonde, une peur dévorante, à se tourner constamment pour vérifier que personne ne nous suive à la trace.
Où le danger ne rôdait pas à chaque coin de rue, dans chaque regard trop appuyé.
Il était si lassant d'avoir cette impression de n'être qu'une proie, et que chaque sortie donnait l'impression de devenir une partie de chasse.
Mais je pouvais rêver. Que l'on soit une femme, ou un homme, ce sentiment de malaise et d'inquiétude était présent, persistant.
Parce que, finalement, le danger se fichait de notre sexe.
L'esprit embrumé et le cœur m'assourdissant, je repris mes esprits et remarquai que l'adolescente n'était plus là.
Je scrutai vivement les alentours sans percevoir grand-chose à cause de la pluie, et je reculai de quelques pas, écrasée par un sentiment d'angoisse.
Je n'avais rien à faire ici. Si je m'attardais trop, je risquais de croiser un membre des Kings, et Dieu seul savait à quel point ils étaient redoutés.
Et je devais également prévenir Filipp, car ses doutes étaient fondés.
Alors je m'éloignai rapidement, ignorant la pluie qui tombait à petites gouttes, mes yeux balayant les alentours, à la recherche d'une présence quelconque, d'un danger potentiel.
Je ne souhaitais pas tomber sur un adversaire.
Je sortis mon téléphone de mon sac et m'empressai d'écrire à Ayoub en continuant de marcher rapidement, agacée par ce temps pluvieux. Je le prévins que le gang du King semblait s'étendre jusqu'aux frontières de nos territoires en envoyant leurs prostituées.
Mon cœur s'accéléra d'appréhension avant que je n'envoie ces quelques mots.
Oh oui, je m'inquiétais de ce que mon boss ferait en apprenant cela.
Il risquait d'y avoir un conflit entre nous et nos adversaires.
Mon téléphone s'éteignit quelques secondes après l'envoi de mon message, et je jurai en comprenant qu'il n'avait plus de batterie.
Décidément, c'était bien ma veine...
J'accélérai le pas, les cheveux trempés, bien que la pluie s'arrêtait enfin, et je poussai un soupir d'agacement mêlé à quelque chose de plus profond. De plus douloureux.
Je balayai mes tourments en relevant le menton avec arrogance et continuai ma route en essuyant mon visage trempé, le sang bouillonnant.
Je n'étais plus une enfant.
Il ne fallait pas que je prenne peur quand la solitude m'enlaçait.
Elle était à la fois ma plus grande ennemie, et mon amie la plus fidèle.
J'aperçus bientôt une personne se trouvant plus loin, agenouillée près d'une masse sombre. Une odeur âcre, mêlée à celle de la terre humide, effleura bien vite mes narines pour me retourner l'estomac. Je me figeai net en comprenant que la mort planait, et que j'avais plutôt intérêt à rester prudente, si je ne voulais pas la voir abattre son souffle glacial sur mon âme.
Avant que je ne puisse m'éloigner, la personne présente près du corps tourna la tête vers moi, toujours près du corps. Je retins mon souffle, et des sueurs froides perlèrent le long de mon front.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? entendis-je.
En reconnaissant la voix de Kyle, mes yeux s'écarquillèrent de stupeur, et mes lèvres se tordirent en une grimace. Il se redressa pour se positionner devant le cadavre, comme pour m'empêcher de poser le regard dessus, et ses pupilles sombres me toisèrent. Je manquai de vaciller, écrasée par la froideur se dégageant de ses traits.
— Tu n'as rien à faire ici, Melina !
Je balayai mes appréhensions et m'approchai en plongeant ma main près de mon armée cachée, prête à la dégainer en cas de besoin. Bientôt, je fis face à Kyle qui se tenait près du corps.
Le corps d'une femme. Je me détournai rapidement pour soutenir le regard froid du jeune homme, les membres frissonnants d'appréhension.
Je n'avais rien à faire ici ? N'était-il pas mal placé pour me dire cela ? Pourquoi était-il sur une scène de crime ? Il avait dit lui-même qu'il n'était pas flic. Alors, dans ce cas, n'était-ce pas étrange qu'il soit là ?
Je le passai rapidement en revue, méfiante quant à sa présence. Aucune trace d'hémoglobine sur ses doigts, ni même sur ses habits trempés par la pluie qui s'était déversée plus tôt. Rien ne prouvait qu'il était fautif quant au meurtre.
Mais rien ne l'innocentait non plus.
— Et toi, alors ? envoyai-je à Kyle, la voix contrôlée. Qu'est-ce que tu fiches là ? Tu prends du bon temps ? Tu profites de cette belle journée ensoleillée entre deux meurtres ?
Kyle fronça les sourcils et serra la mâchoire. Il s'approcha encore pour me contraindre à reculer, peut-être dans l'espoir de me faire peur.
Ou pour m'éloigner davantage de ce spectacle macabre.
Parce que, à ses yeux, je n'étais pas de ces personnes côtoyant la mort chaque jour.
— J'aurais aimé me dire que tu manies le sarcasme aussi bien parce que tu es en état de choc, mais ton visage me prouve que, bizarrement, tu n'es pas perturbée par ce que tu viens de voir, répliqua-t-il en fronçant les sourcils.
J'entrouvris les lèvres pour renchérir, mais il me devança en poursuivant :
— Mais là n'est pas le sujet. Je suis là pour Peter. Ce corps que tu vois là n'est pas mon œuvre. Déçue, j'imagine ?
Déstabilisée par son air indéchiffrable, je ne dis rien. Je me contentai de reporter mon attention sur le corps sans vie de cette pauvre femme, les oreilles sifflantes.
Son crâne laissait du sang s'écouler sur l'herbe sur laquelle elle gisait, ses yeux ouverts et révulsés par la peur. Ses bras étaient mutilés, tout comme ses lèvres, entrouvertes dans un cri silencieux, pour former un sourire factice.
Le sourire de l'ange.
Je frissonnai à nouveau avant de remarquer l'entaille formant un K au niveau de sa clavicule.
Le gang du King...
Je sentis le regard brûlant de Kyle sur ma personne. Un long soupir m'échappa avant que mes traits ne se crispent de pitié pour cette femme, mais également de colère. D'appréhension.
Le fait que je tombe sur cet homme pile devant un cadavre n'arrangeait en rien mon cas, et je n'avais aucunement envie qu'il se pose davantage de questions quant à mon sujet...
— Pourquoi Peter t'enverrait seul ici, si tu ne bosses pas pour lui ? demandai-je en me tournant vers lui, la mine neutre. N'est-il pas imprudent de venir sur une scène de crime sans qui que ce soit ?
À moins d'être le coupable...
— Tu comptes vraiment me poser des questions maintenant ? En compagnie d'un corps ?
— T'attarder ici ne semblait pas te déranger avant que je ne te croise, le piquai-je en ignorant difficilement mes vêtements encore humides et le froid mordant.
Il serra la mâchoire, probablement agacé par mon entêtement, et se détourna sur la pauvre femme, le regard vide.
J'étais bien idiote de rester là, alors qu'il cherchait à me percer à jour. Mais sa présence ici m'intriguait. Beaucoup trop, même.
Et si c'était dangereux, cela m'importait peu.
Je côtoyais le danger chaque jour.
Kyle, qui s'était à nouveau agenouillé près du corps pour le prendre en photo, lança à mon attention :
— Je trouve ton comportement plutôt suspect. T'arrives à faire de l'humour même après avoir vu un cadavre. Tu cherches à paraître forte, ou c'est une question d'habitude ?
Et il retroussa ses lèvres en un rictus narquois.
Ne lâchait-il donc jamais l'affaire ?
Mais cela me prouvait bien qu'il ne lisait pas en moi comme je l'avais appréhendé.
Il n'avait pas entrevu la peine qui me rongeait face à l'état de cette femme.
Kyle ne voyait qu'une pointe d'humour là où mon cœur priait l'âme d'un être vivant.
Mais il avait raison sur un point. J'avais l'habitude. J'avais vu de nombreuses choses sinistres pendant ma misérable vie.
J'avais moi-même du sang sur les mains. Ne serait-ce pas un comble que je me montre désemparée alors que j'avais ôté la vie ?
— Et toi ? C'est dans tes habitudes de prendre en photo des corps en prétendant que c'est pour les remettre à un homme pour qui tu ne bosses pas ? D'être seul sur une scène de crime ?
— Oh, princesse, on ne t'a jamais dit de ne pas provoquer un meurtrier ? m'envoya-t-il sans aucune hésitation.
Je serrai les dents, piquée par le surnom, et il ajouta :
— Quand je disais que tu n'avais rien à faire ici, Melina, j'étais sérieux. C'est une scène de crime, comme tu le dis, alors faisons une chose.
Il se redressa en s'attardant longuement sur le « K » tailladant la clavicule de la femme, et j'aperçus ses iris s'assombrir avant qu'il ne s'avance vers moi, les poings crispés. Je levai le menton, mes doigts frôlant mon arme.
— Tu vas partir d'ici, avant que les flics n'arrivent, parce qu'ils sont en route, et je doute que tu aies envie d'avoir des comptes à leur rendre, et de mon côté, je vais oublier le fait que tu aies errée aux alentours, histoire de ne pas avoir davantage de soupçons à ton sujet.
Et il fronça légèrement les sourcils sans jamais se détourner en soufflant :
— Du moins, je vais faire semblant, parce que si depuis le début tu prétends que tu n'as rien à cacher, c'est loupé, maintenant.
— Excuse-moi, c'est vrai que cet endroit est interdit aux publics et que je n'avais aucun droit d'y venir, j'aurais dû prévoir que je tomberais sur un corps, et sur toi, par la même occasion !
Il poussa un soupir d'agacement et secoua la tête avant que son téléphone ne sonne. J'aperçus le nom de Peter s'afficher, et Kyle me lança un regard indéchiffrable avant de s'éloigner pour répondre.
J'en profitai pour reculer de quelques pas, et je tendis l'oreille pour écouter leur conversation. Je ne perçus que des bribes, et Kyle souffla quelque chose ressemblant à « gang ». Je me tendis et, quand il croisa mon regard, je déglutis avant de me détourner innocemment.
Mais il était évident qu'il avait compris que ce meurtre était lié aux gangs.
Kyle revint rapidement et me lança un énième regard indéchiffrable. Je le lui rendis, les lèvres pincées, avant de tourner les talons, prête à partir, mais sa voix claqua :
— Tu pars maintenant que les choses deviennent intéressantes ? Sérieusement ?
— C'est pas ce que tu voulais depuis le début ?
— Sois honnête, pour une fois, et dis-moi ce que tu fais ici, au lieu d'essayer de t'enfuir.
Je me tournai violemment vers lui, prête à lui dire que la raison ne le regardait pas, mais je m'interrompis en m'attardant une énième fois sur le corps.
— Je...
Je refermai la bouche et fronçai les sourcils quand des voix lointaines résonnèrent.
Des flics ? J'en doutais grandement, car le King était mêlé à ce meurtre, et la police savait que ce gang était dangereux. Rares étaient ceux qui se risquaient de se mêler de leurs affaires.
Et je doutais davantage de l'identité de ces personnes face au regard orageux de Kyle.
— Très bien, Melina. Un conseil, suis-moi discrètement, et évite de faire du bruit, si tu ne veux pas de problèmes, me souffla-t-il en lançant un coup d'œil au corps.
C'était bien ce que je redoutais... Les personnes qui se dirigeaient vers nous n'étaient pas des flics, mais des membres du King, je n'en doutais pas.
Nous étions à proximité de leurs frontières, mais également près de l'une de leurs victimes...
Et j'avais plutôt intérêt à obéir à Kyle si je ne voulais pas que l'un des membres de ce gang me remarque, et que j'ai davantage de problèmes...
J'opinai en pinçant les lèvres, et je suivis rapidement les pas de Kyle qui scruta vivement les alentours sans faire un seul bruit, terrassée par un sentiment d'angoisse.
J'en avais la nausée.
Bientôt, je m'enfonçai, à ses côtés, au cœur des ténèbres, le corps tremblant d'appréhension, et la rage au ventre.
Survivre. Survivre. Encore et encore.
Et il était évident, qu'à cet instant, j'allais probablement devoir me battre pour survivre.
Pour vivre.
Voilà le chapitre 6 ! ❤️
Que pensez-vous de Kyle ? De Melina ?
Que va-t-il se passer par la suite ? Des théories ?
Bisous ! 😘
~Chapitre revu~
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