Chapitre 46

« Je lui avais arraché une partie de lui parfolie, et il avait cherché à me faire souffrir par amour.  »

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— Tu es sûre de vouloir te retrouver seule avec elle ? me demanda Dalila, postée devant la porte fermée sur une cellule.

D'un hochement de tête, je confirmai ses propos en ignorant la pression de sa main contre la mienne, comme si ce geste me permettrait d'avoir davantage de courage.

— Oui. Elle répondra peut-être plus à mes questions si je suis seule. Kyle n'a pas réussi à la faire parler, la dernière fois.

— Il a buté ses hommes, en même temps... Tu m'étonnes qu'elle se soit braquée.

— Je doute que cette vision l'ait braquée, avouai-je dans un souffle hésitant. Elle m'avait clairement dit qu'elle voulait qu'il devienne fou... Elle se fiche que ses hommes soient morts de sa main. Ce qu'elle veut, c'est détruire les personnes qui lui font face en appuyant là où ça fait mal.

Dalila fronça les sourcils et haussa les épaules, peu convaincue par mes dires.
Mais je savais que j'avais raison.
L'Impitoyable, de son vrai nom, Ciara Ryan, était une personne profondément dérangée.
Profondément mauvaise.
Les membres du Tabu l'avait traqué sans jamais abandonner.
Et ils avaient réussi à lui mettre la main dessus.
Depuis maintenant deux semaines, elle était prisonnière.
Certains membres du NAP avaient également été emmenés ici, mais trois d'entre eux avaient été tués des mains de Kyle quand il avait entendu leurs aveux.
Ces monstres avaient pris un grand plaisir à torturer leurs prisonnières avant de souiller leur corps jusqu'à ce que certaines finissent par se suicider.

Kyle, sous mes yeux, sans rien exprimer, les avait passés à tabac avant de les tuer.
Aucune émotion.
Rien, si ce n'était cette lueur furieuse qui avait illuminé son regard en entendant leurs propos.

Et je savais qu'il prenait sur lui pour ne pas en finir avec Ciara qui le provoquait sans pourtant qu'il ne perde patience.
Elle savait frapper là où ça faisait mal, pire encore avec lui, puisqu'elle le connaissait. Qu'elle connaissait son géniteur.

— Vas-y alors, je vais t'attendre ici m'annonça mon amie en posant sa main contre mon épaule.

Je lui lançai un petit sourire avant d'entrer à mon tour dans la cellule, bientôt assaillie par une odeur âcre, écrasée par la froideur de cette pièce. Mon regard s'ancra immédiatement dans celui, vitreux, de Ciara.
De l'Impitoyable.
Ligotée à une chaise en bois, elle était dans un pathétique état.
Mes coéquipiers prenaient un malin plaisir à la faire souffrir autant qu'elle avait fait souffrir.

Kyle, lorsqu'il lui faisait face, dans son cas, se contentait de l'interroger, luttant contre son désir brûlant de lui faire du mal.
Peut-être étaient-ce ses principes qui lui soufflaient de se retenir de frapper une femme ?
Ou était-il tant répugné par ce qu'elle était qu'il en était incapable ?

— Tiens..., joli cœur..., haleta-t-elle.

Une violente quinte de toux l'interrompit avant qu'elle ne crache du sang, et elle retroussa ses lèvres en un rictus cruel, ses yeux de jais retrouvant une certaine vivacité. Je la toisai en croisant les bras, m'attardant sur ses cheveux roux, ternes et crasseux, retombant négligemment devant son visage amaigri.
Mon attention s'attarda sur ses doigts ensanglantés, démunis d'ongles après que quelqu'un lui ait arraché.
Elle était dans le même état que moi, quelques semaines avant...

Et elle méritait un sort encore plus terrible, après ce qu'elle avait infligée aux femmes qu'elle avait revendu...

— Tu n'es pas... Avec le bâtard de Finn... Aujourd'hui ?

Elle baissa la tête un bref instant quand une violente quinte de toux ne l'assaillit. Elle cracha du sang en sifflant comme un serpent.
Non. Kyle ne m'accompagnait pas, aujourd'hui.
J'allais lui faire face seule, cette fois.

Seule face à celle qui m'avait fait vivre un cauchemar pendant de longues semaines, je m'avançai en la toisant. Elle soutint mon regard, un éclat dangereux dans ses yeux.

— Je ne comprends pas pourquoi tu as fait toutes ces horreurs..., lui dis-je soudainement. Tu m'avais dit que tu en avais marre de voir que les femmes n'avaient aucune considération au sein des gangs. En agissant comme tu l'as fait, penses-tu avoir changé les choses ? Tu as été pire...

— On ne change pas les mentalités..., siffla-t-elle difficilement. En agissant comme je l'ai fait, j'ai réussi à m'imposer parmi des hommes... Ces requins...

— En vendant des femmes innocentes ? En laissant tes hommes abuser d'elles ? crachai-je. Tu...

Je m'interrompis, furieuse, et reculai de quelques pas, par peur de perdre le contrôle et de me jeter sur elle pour lui retirer la vie.
J'en mourrais d'envie, pourtant...
Elle méritait un sort atroce.
Bon sang, elle avait fait un trafic de femmes ! Comment pouvait-elle se regarder dans un miroir et avoir la conscience tranquille ?
Pour peu qu'elle en ait une...

— J'ai seulement prouvé que je pouvais être aussi impitoyable que les hommes..., me chuchota-t-elle avec difficulté. Les autres gangs ne pouvaient plus me considérer comme inférieure à eux... Rien à foutre de devoir faire des sacrifices, pour ça... C'est comme ça, quand on est une femme dans un gang...

Ses paroles me troublèrent avant que l'éclat dément dans ses yeux ne s'intensifie.
Mais pourquoi agir avec tant de contradictions ? Elle prétendait être lasse de la considération des femmes dans ce monde sinistre, et pourtant, elle nourrissait cette mentalité...

— Finn était redouté..., poursuivit faiblement sa voix. J'ai continué de mener le NAP comme il l'aurait fait, c'est ce qu'il aurait voulu... Son fils aurait dû en faire autant...

— Kyle n'est pas comme Finn. Jamais il n'aurait repris les rênes du NAP. Jamais il n'aurait agi comme tu l'as fait.

Parce qu'il avait des valeurs.
Parce qu'il ne voyait pas les femmes comme de vulgaires objets.
Il n'était pas un monstre comme eux.

— Bien sûr qu'il n'est pas comme Finn..., déglutit-elle en me fusillant des yeux. Il n'a aucun courage... Il n'a jamais réussi à obéir aux ordres de son père...

Ses lèvres se retroussèrent en un rictus glacial. Quand la colère l'enveloppant tenta de m'entraver, je fronçai les sourcils en me tendant.

— Il n'a même pas été capable de toucher l'une des putes de Finn quand son père lui en a donné l'ordre à ses douze ans... Déjà gamin, il n'avait aucun cran... Il pensait qu'en refusant d'agir... Il impressionnerait son père... Tout ça parce qu'elle les suppliait...

Mon souffle se coupa suite à ses paroles.
Il avait poussé son fils à...
Mais à quel point était-il tordu ?
Parce qu'elle pensait qu'abuser d'une femme, c'était avoir du cran ?
Je ne connaissais pas Finn, mais je savais qu'il était cinglé. Il fallait l'être pour pousser son propre enfant à faire du mal à une femme...
Et elle l'était autant que lui...

— Son père était tellement... déçu... Je m'en rappelle encore, quand il m'avait raconté ça...

Un fou rire traversa l'orée de ses lèvres avant qu'elle ne tressaute, les yeux larmoyants, et elle ajouta :

— Finn l'avait puni comme il le fallait, en espérant faire de lui un vrai homme... Quel homme ! ... Il a tué son propre père... Ce bât...

Ma main claqua contre sa mâchoire déjà meurtrie dans un bruit sourd qui fit écho entre les murs. Son souffle se suspendit quand je m'agenouillai pour être à sa hauteur, le visage assombri par la colère, ignorant l'odeur qui se dégageait d'elle.
Un vrai homme ? Finn me répugnait... S'il n'était pas mort, j'aurais pris un malin plaisir à le faire souffrir...

Le vrai homme, c'était Kyle qui, gamin, avait fait face à son père pour lui refuser cette ordre cruel...
Je ne savais pas comment ça s'était passé par la suite, mais je ne doutais pas que la punition en question était terrible...
Au point de le pousser à tuer son père.

— Pour une femme qui se fait appeler l'« Impitoyable », lui soufflai-je en retroussant mes lèvres, tu inspires beaucoup de pitié.

— Tu fais la maligne, haleta-t-elle, alors que tu étais complètement vulnérable, chez moi... Tu es aussi faible que le fils de Finn...

— Peut-être, oui, murmurai-je sans me démunir de son rictus.

Mais faible, je l'avais toujours été, au fond.
Elle, elle avait été redoutée, intouchable.
Pour quoi ?
Pour être prisonnière, entre la vie et la mort.
Ne valait-il pas mieux être au plus bas et réussir à s'élever, plutôt qu'être constamment au-dessus de tout et s'écraser ?

Je me redressai en saisissant mon poignard que je dépliai en silence. Elle loucha sur le tranchant luisant avant de perdre légèrement son sourire. Je penchai la tête sur le côté et, soudain, j'entaillai sa joue, comme elle avait tant aimé le faire avec moi, jusqu'à ce qu'elle se débatte.

— Mais malgré tout ce que tu as fait..., lançai-je quand elle haleta.

J'éloignai ma lame de sa joue en contemplant le sang qui s'en écoulait, satisfaite de l'entendre gémir, un sentiment malsain brûlant en moi.

— ... Je ne vais pas te tuer..., ajoutai-je en relevant un regard pétillant vers son visage déformé par la douleur.

Je frôlai le tranchant couvert de sang du bout des doigts, les oreilles sifflantes et le cœur battant à tout rompre, insensible à l'odeur âcre effleurant mes narines.
Ignorer la pitié. Ignorer la culpabilité.
Pas après ce qu'elle avait fait.

J'avais déjà tué. Je pouvais bien la faire souffrir.

— Non. Je vais te laisser te vider de ton sang pour que tu te remettes en question. Pour que tout le mal que tu as fait te revienne en pleine gueule...

D'un mouvement maladroit, j'envoyai mon pied s'enfoncer dans son estomac. Une légère grimace crispa mes traits quand mes plaies me lancèrent avant qu'un bruit sourd ne s'élève quand sa chaise tomba en arrière, et que son crâne frappa le sol. De la poussière virevolta autour d'elle dans un ballet sinistre, rappelant que sa place était plus bas que terre.

Elle se débattit violemment en m'injuriant entre deux souffles sifflants. Je relevai la chaise en la contemplant, l'air amusé, m'efforçant de ne pas lui montrer que mon mouvement m'avait épuisée, et je soufflai à son oreille :

— Tu vas mourir seule. Personne ne viendra te voir. Qu'ils cessent de te torturer, tu n'en vaux pas la peine...

— Com..., tenta-t-elle de dire avant qu'un gargouillis ne s'échappe de ses lèvres ensanglantées.

Je relevai son visage à l'aide du bout de ma lame pour qu'elle affronte mon regard brillant probablement de fureur, et mes lèvres se retroussèrent en un rictus, en contradiction avec mon cœur martelant contre mes tempes tant il battait vite..

— Le karma peut être Impitoyable, tu sais ? l'interrogeai-je en enfonçant davantage le tranchant dans sa peau.

Elle gémit quand du sang en perla. Mon rictus se fit plus froid encore devant ses yeux agités, et j'ajoutai :

— Mais ne t'en fais pas... Tu rejoindras bientôt ton bâtard, joli cœur.

Et, bientôt, ma lame fendit l'air dans un sifflement menaçant pour se plonger dans sa chair, s'enfonçant jusqu'à atteindre l'artère fémorale. Long hurlement déchirant.
Mon cœur, en l'entendant, manqua de vaciller.
Pourtant, je reculai en m'attardant sur sa cuisse meurtrie, ouverte sur une plaie où du sang gicler abondement, avant de relever les yeux vers elle, l'air insondable.
Ignorant ses cris douloureux, je lui tournai le dos et quittai la cellule avant de refermer la porte dans mon dos. Bientôt, le poids de la culpabilité m'écrasa. Je me laissai glisser sur le sol, le regard vide.

L'Impitoyable allait mourir.

De mes mains.

Je les apportai devant mes yeux et constatai qu'elles étaient couvertes de son sang, tremblantes. Bientôt, une silhouette s'agenouilla devant moi pour chercher mon regard. Dalila, la mine curieuse, me dévisagea avant que je ne retrousse mes lèvres en un rictus.

— C'est fini, lui avouai-je.

Elle me tendit la main et m'aida à me remettre debout avant d'entourer ma nuque de son bras pour me rapprocher d'elle. J'inspirai profondément son parfum qui balaya celle du sang qui me collait à la peau, et son regard noisette me détailla attentivement.

— Allez, va te rincer, on va faire un tour... Tu te sens de marcher ?

— Oui, affirmai-je. Ne t'en fais pas.

Mensonge. Même si j'étais revenue de cet enfer depuis un mois, je me sentais toujours vulnérable.
Bousillée.
Mes plaies s'estompaient lentement, mais mes cicatrices, qu'elles soient externes ou internes, ne partiraient jamais.
Elles prouvaient pourtant que j'avais réussi à me sortir d'un second cauchemar...

Dalila m'accompagna me rincer pour enlever le sang de Caria, la vue assombrie par l'assaut de mes questions.
Avais-je bien fait de réagir ainsi ?
Aurais-je dû me montrer plus douce, ou plus violente ?
J'aimais à croire que j'avais agi comme il fallait après tout ce qu'elle avait fait, mais mon humanité, du moins, ce qu'il en restait, me soufflait que ce n'était pas à moi de punir les personnes cruelles.
Mais au destin.

Mais à quoi bon compter sur lui, s'il ne sanctionnait pas les personnes qui le méritaient, et qu'il terrassait les innocents ?

Bientôt, on rejoignit Chris dans le parc que nous fréquentions plus jeunes, et on s'assit sur les balançoires, surplombés par le ciel noir et étoilé.
Oh, ça m'avait tant manquée, de ne plus voir les astres, durant ma captivité...
De plus, il n'y avait personne, à cette heure-ci, et c'était mieux ainsi.

Mon regard s'attarda sur les initiales inscrites sur la planche en ignorant ma gorge qui s'obstruait.

A.M

« Je te fais la promesse que, quoi qu'il arrive dans le clan, je serai toujours-là pour te protéger, ma sœur ! »

Ses paroles résonnèrent dans mon esprit pour intensifier le chagrin que je ressentais.
Ayoub l'avait tenu, sa promesse.
C'était un homme de parole...

Il avait été un allié. Un ami. Mais surtout, un frère.

— Arrête un peu de te morfondre, me souffla Chris en remarquant mon attention posée sur les initiales.

Un doux sourire incurva ensuite ses lèvres alors que Dalila m'observait en silence, peinée. Il leva ensuite le nez vers le ciel obscurci, les traits détendus.

— C'est à cause de moi, leur dis-je.

Chris serra la mâchoire en reposant son attention sur moi, agacé. Dalila posa une main contre son épaule en secouant la tête à mon attention.

— Ce n'est pas de ta faute ! siffla Chris. Tu as empêché ce gars de lui tirer dessus !

— Mais...

— Melina, tu n'es pas coupable, m'interrompit Dalila.

— Il a failli mourir ! haussai-je le ton.

— Il est vivant ! s'énerva-t-il. C'est le principal !

Les muscles tendus, je soutins son regard en me pinçant les lèvres, la poitrine comprimée. Après un long silence, où le chant lointain des oiseaux accompagnait le souffle du vent, je finis par baisser la tête. J'entendis Chris se rapprocher et il s'agenouilla pour plonger ses yeux dans les miens, brillants de chagrin.

— Il est vivant, d'accord ? On a cette chance que notre ami soit vivant... Il y a eu des pertes, Mel', mais notre pote a survécu... Seulement, vous êtes des lâches, tous les deux. Vous vous sentez coupables, alors que ce n'est pas le cas.

Je croisai le regard fuyant de Dalila qui devait probablement lutter pour ne pas pleurer suite aux paroles de Chris.
Oui. Il y avait eu des pertes... Je le savais, on me l'avait dit...
Trop, d'ailleurs... Et je ne doutais pas que c'était là l'intérêt de l'Impitoyable.
Plus de Tabu si la plupart des membres périssaient...
Ce qui m'avait un peu rassurée, c'était de savoir qu'Aya, Tiphaine et Ivy n'avaient eu aucun souci... Du moins, si, Ivy en avait eu, oui... En partie à cause de moi...

Chris m'ébouriffa les cheveux en regardant par-dessus mon épaule, les traits assombris par la tristesse. Je fermai un instant les paupières, chamboulée.

— Tu ne l'as pas revu depuis ton enlèvement, me fit-il remarquer. Il a essayé de venir te voir, mais il se sentait trop coupable, cet abruti... Et toi, tu le fuyais également, pour la même raison débile !

Il baissa ensuite le nez en esquissant un petit sourire, avant que Dalila ne s'essuie rapidement les paupières en réaffichant un air se voulant sûr. J'ignorai ma poitrine serrée en les regardant tous les deux.
Oui. C'était stupide. Je fuyais Ayoub qui avait la chance d'être en vie, alors que nous avions perdu des amis du Tabu...

— Vous êtes trop débiles, poursuivit-il. Tu es de retour depuis un mois, presque deux. Il est en vie, donc profite de la présence des gens que tu aimes. Sinon, tu le regretteras toute ta vie.

Il se releva en me lançant un coup d'œil affectueux, et il fit un petit signe de tête à Dalila avant qu'ils ne s'éloignent en me laissant seule sur cette balançoire, perdue dans mes pensées, le regard égaré.

Chris avait raison.
Il fallait profiter de la présence de ceux que l'on aimait avant qu'il ne soit trop tard.
Parce qu'une fois que la mort passait, elle fauchait également nos espoirs de les revoir un jour, en plus de prendre une partie de notre cœur.
J'étais idiote...
Cela faisait presque deux mois que l'on m'avait sauvée des griffes de l'Impitoyable qui, elle, m'avait gardé prisonnière un mois...

Depuis, je n'avais plus revu Ayoub...
Pourtant, toutes les fois où j'avais essayé de lui parler, j'avais fini par m'enfuir. Lui culpabilisait trop pour m'affronter.

Nous culpabilisions tous les deux pour rien...

Il me méritait terriblement. Pendant ma captivité, j'avais cru qu'il était mort... Quand j'avais appris qu'il était en vie, je m'étais écroulée à cause du choc.
De la joie.
Joie bien vite éteinte...

— Melina..., entendis-je.

Rapidement, je tournai la tête et croisai le regard émeraude d'Ayoub. Mes lèvres s'entrouvrirent avant que je ne repense aux coups d'œil complices de Chris et de Dalila.
Ils avaient tout prévu !

Je m'empressai de me redresser en détaillant les traits de mon ami qui me dévisageait également.
Il faisait plus âgé. Plus mature... Ses cheveux noirs étaient plus courts alors qu'une barbe de trois jours couvrait son menton pour lui donner un air plus viril. Ses yeux, quant à eux, n'avaient pas changé.
Ils m'observaient toujours de cette manière protectrice.
Rassurante.
Une cicatrice traversait son front.
Cicatrice qu'il n'avait pas avant...

— J'ai été con...

Il s'approcha de moi avant de me plaquer contre son torse. D'abord surprise, je me laissai rapidement aller en enfouissant mon nez dans son cou pour humer son parfum.
Il était bien ici.
En vie.
Ma gorge se noua douloureusement.
Il m'avait tellement manquée...

Ayoub caressa mon dos en murmurant des choses à mon oreille. Une douce chaleur irradia dans ma poitrine alors que je le serrais à mon tour contre moi, par peur qu'il ne disparaisse.

— Je suis sincèrement désolé, Melina... Mais quand je t'ai vu allongé dans cet état, quelques jours après qu'on t'ait sorti de là, je n'ai pas pu rester... Je me suis senti tellement coupable. Tout est de ma faute.

Mes paupières se rabattirent avant que je ne déglutisse.
Ce n'était aucunement de sa faute.
Je profitai de sa chaleur en écoutant les battements de son cœur.
Oui. Oui, il était en vie...

— Tu étais super maigre... Blessée... Pendant un instant, même en sachant que tu étais en vie, j'ai eu l'impression que tu m'avais quittée, Melina..., chuchota-t-il avant que sa voix ne chevrote. Alors j'ai fui comme un con, parce que je n'avais pas le courage de te regarder en face.

Je me dégageai de son emprise pour river mon regard dans le sien. Ses yeux étaient humides, mais il retenait courageusement ses larmes.
Moi aussi, j'avais envie de pleurer.

— Je me sentais coupable, moi aussi... La dernière fois que je t'ai vu, tu étais pratiquement mort... Je n'ai même pas réussi à te sortir du repaire, Ayoub... Pendant ma captivité, j'ai cru que tu avais été tué...

— Eh..., chercha-t-il à m'apaiser. Tu m'as sauvé. Tu as empêché ce mec de me buter. J'ai survécu à l'explosion. Regarde. Je suis là, vivant, devant toi.

Ma gorge s'obstrua davantage et je reculai pour m'extirper de sa chaleur.
J'allais craquer, si ça continuait.

— Dalila m'a dit ce qu'il t'est arrivé, avouai-je piteusement.

Ses sourcils se froncèrent et, en comprenant, ses yeux se vidèrent alors que ses muscles se raidissaient. Mon sang se glaça dans mes veines face à cet air brisé.

— Ils t'ont amputé..., chuchotai-je difficilement.

Juste prononcer cette phrase me donna l'impression que mes tripes se tordaient tant j'avais mal pour lui. Ayoub avait perdu une jambe...

Il avait survécu à l'explosion, oui, mais avec des séquelles. Sa jambe gauche avait été endommagée, et les médecins avaient été contraints de l'amputer. Je savais que, désormais, il portait une prothèse.

— Oui, affirma-t-il dans un murmure. Mais je suis en vie.

Ma vue se troubla un instant et je remarquai qu'il affichait un sourire, malgré son regard larmoyant.
Il était si fort.
Si courageux.

— N'est-ce pas le principal ? demanda-t-il. Amputé ou non, j'ai cette chance de vivre.

— Je suis sincèrement désolée...

Il m'enlaça à nouveau. Mes membres tremblèrent dans ses bras, et je n'imaginais même pas la rougeur de mes yeux tant je luttais pour ne pas pleurer.

Ayoub était vraiment fort. Il avait perdu une partie de lui et, pourtant, il gardait le sourire. Il avait compris que, le principal, c'était de ne pas sombrer sous le poids de nos problèmes, mais de voir plus loin, de regarder les belles choses. Il avait un tempérament incroyable.
Malgré toutes les embûches, il gardait constamment la tête haute.
S'il voyait qu'il nageait à contre-courant, il se laissait emporter en sachant qu'il finirait par arriver quelque part au lieu de s'épuiser vainement en luttant contre l'eau.

Je l'admirais.

On discuta, une fois calmés, et il m'avoua qu'il avait vraiment mal digéré son amputation, mais qu'avec les jours, il avait appris à accepter son handicap en se disant qu'il avait réussi à s'en sortir.
C'était un guerrier.

— On est enfin libres, me dit-il en contemplant le ciel. Le Tabu n'existe plus. L'Impitoyable a été arrêtée... C'est fini, Melina.

— Oui, répondis-je en contemplant les étoiles. Nous ne sommes plus entravés au Tabu...

Mais nous étions passés par un véritable enfer.
Il y avait eu de nombreuses pertes. De nombreuses embûches...
Mais le principal était que, désormais, nous n'étions plus suivis à la trace par le danger.
Nous étions libérés de nos chaînes.

Enfin...

Un sourire étira mes lèvres à cette pensée.
Je n'arrivais toujours pas à y croire.
Est-ce que cela signifiait que j'allais enfin pouvoir voyager ? Faire le tour du monde pour le découvrir ?

— Kyle bosse ? m'interrogea-t-il ensuite.

— Oui, affirmai-je. Normalement, il me retrouvera chez moi après.

— Comment ça se passe votre relation ?

Je me pinçai les lèvres avant de sourire tendrement, le cœur moins lourd.

— Bien. Il est égal à lui-même, toujours ce gros con d'arrogant, mais il est tellement patient avec moi...

Oui. Kyle, depuis mon retour, prenait le temps de m'aider à remonter en selle. Plus d'une fois il avait été près de moi lorsque je m'étais réveillée d'un cauchemar en hurlant, avant de m'apaiser en trouvant les bons mots.
Il ne me laissait pas tomber, malgré mes cassures et mon corps hideux...
Corps que j'évitais de regarder. Je n'étais pas prête à l'affronter à nouveau.

Ayoub sourit tendrement avant que le silence ne nous enveloppe à nouveau pendant un instant.

— Je n'arrive toujours pas à croire que Naël nous a trahi, me confia-t-il.

Je lui lançai un coup d'œil et l'aperçus serrer les cordes de la balançoire, les yeux assombris, mais pas par la colère.
Par le chagrin.
Un chagrin que je ressentais, moi aussi.
Parce que Naël avait été une personne importante pour moi...

— Moi non plus, avouai-je. Mais je n'arrive pas à lui en vouloir réellement. S'il a fait tout ça, c'est à cause de moi...

Ayoub se pinça les lèvres et hésita probablement à me rassurer.
Mais à quoi bon ? C'était vrai. J'avais tué son frère. Qu'aurais-je fait, à sa place ?

Oui, je l'avais vu souiller une innocente, mais comment se comportait-il avec son petit frère ? Je ne savais pas comment était leur relation, mais ça restait un membre de sa famille...
Je lui avais arraché une partie de lui par folie, et il avait cherché à me faire souffrir par amour.

— J'ai vu à quel point il était perdu quand les hommes qui ont assailli le repaire nous on fait face, à Steven et moi, m'apprit Ayoub. Naël était comme pétrifié. Quand Steven s'est fait tirer dessus, j'ai vu qu'il pleurait. Et en le voyant comme ça, je me suis rappelé que ce n'était qu'un gamin...

Ma gorge se serra quand l'image de Steven s'immisça dans mon esprit.
Il avait été très proche de Chris, d'Ayoub, et plus encore de Naël. Ces deux-là avaient été inséparables.
Et je n'imaginais pas la souffrance que mon ami de toujours avait ressentie en voyant notre coéquipier se faire tuer sous les yeux démunis de Naël.
Ni la douleur que le gamin avait ressentie.

— Il regrettait la mort de Steven, osai-je dire. Il m'en a parlé avant de se faire tirer dessus...

— Quand Ivy a appris la mort de Naël, elle était inconsolable... Heureusement que ses amis étaient là pour la soutenir, ainsi que sa famille. Elle a toujours eu le béguin pour lui...

— Je le sais..., chuchotai-je tristement.

Dix-neuf ans, et déjà touché par la mort de l'être qu'elle aimait.
Je ne savais pas s'il l'avait aimé en retour, mais ça restait destructeur, ce qu'elle avait subi...
La perte de nos proches nous terrassait déjà bien assez, mais je n'imaginais même pas la douleur qu'on pouvait ressentir si c'était l'être à qui on avait offert notre cœur qui partait.

Et ça, je me le demandais constamment, depuis que j'avais appris que Kyle avait perdu son ex.
Nous n'en avions plus reparlé.
Imaginer ce qu'il avait pu ressentir, et ce qu'il ressentait encore, me brisait le cœur.
La femme qu'il avait aimée avait été tuée par son propre père...

Comment aimer à nouveau après cela ?
Était-ce seulement possible ?
Son cœur n'était-il pas paralysé par peur de goûter à l'amour après cela ?
Je me le demandais.
Mais quand il restait près de moi, à me rassurer, à me regarder comme si je n'étais pas hideuse, je me disais que c'était peut-être le cas.
Que son cœur pouvait à nouveau s'ouvrir à une autre femme.

Et, si ce n'était pas moi, cela m'importait peu, car ça signifierait malgré tout qu'il pouvait aimer.
Et je l'espérais tant.
Je voulais qu'il soit heureux.
Après tout ce qu'il avait pu endurer, il méritait de belles choses.
De voir son cœur s'emplir de chaleur.

— Je vais rentrer, c'est l'anniversaire des jumeaux. Tu viens ? me proposa mon ami. Ils seraient contents de te voir. En plus, Chris et Dalila vont également venir.

Un sourire incurva mes lèvres et, quand il se releva en me tendant la main, j'acquiesçai avant de saisir ses doigts, plus détendue maintenant que j'avais discuté avec lui, malgré l'ombre des membres morts ce jour-là.
Parce que je me disais qu'au fond, ils étaient libres, eux aussi, désormais...

— Bien sûr. Mais je n'ai pas de cadeaux !

— T'en fais pas, tu crois que Chris et Dalila en ont ? ricana-t-il. Ils sont rentrés pour se préparer, mais absolument pas pour trouver un cadeau, ces radins !

Un rire m'échappa avant qu'on ne s'éloigne du parc, heureux de nous retrouver, et même si j'étais tourmentée par ce que j'avais fait à l'Impitoyable, je voulais oublier et seulement profiter de ce soir auprès de mes amis.

Hello!

Bon ce chapitre est pas top, j'étais pas inspirée. Il en n'en restera que deux et l'épilogue, ah ça me fait bizarre !

De Kyle ? Melina ? Ayoub ?

Bisous !


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