Chapitre 41.1

« Et, si c'était contre lui, que je devais être à nouveau détruite.
J'acceptais »

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Mon regard balayait les tombes qui me surplombaient alors que j'errais entre les allées fleuries, ignorant la tension nostalgique qui cherchait à m'écraser, en accord avec le silence parfois brisé par les petits murmures des personnes venant voir leurs proches défunts.
Il était tôt, donc l'air était plutôt frais, et il avait peu d'individus présents.

Je m'arrêtai devant la sépulture dédiée à Sofia avant de remarquer qu'il y avait déjà des fleurs, mais également une peluche. Mon cœur rata un battement avant que je ne m'agenouille, et mon souffle se coupa en remarquant qu'un mot était attaché sur la tête de l'ourson.
Mes doigts tremblants s'en approchèrent, tandis que l'appréhension me dévorait.

« M.

Du moins, j'espère que c'est toi qui liras ces quelques lignes, et que tu te reconnaîtras.
Je tiens à te remercier. Tu as fait beaucoup pour Sofia. Elle me parlait souvent de sa sauveuse, et j'ai envie de te croire.
Ma sœur était tout pour moi. Elle était mon étoile dans cet univers si sombre.
Tu m'as dit être restée auprès d'elle.
Si tu es bien la personne dont elle me parlait, sache qu'elle prétendait que tu étais un ange. Son ange.
Et, en me disant ça, c'était ses yeux à elle, qui s'étaient emplis d'étoiles.

Merci. Merci pour tout... Reste sur tes gardes, je t'en prie. J'aimerais te revoir pour te remercier de vive voix.

Gab. »

Un soupir tremblant m'échappa.
J'avais eu peur, pendant un instant, de tomber sur une menace.
Mais j'étais surtout très rassurée de le savoir en vie.
Gabriel avait réussi à se sortir de cette prison.

Je levai silencieusement la tête pour contempler le ciel bleu en ignorant mon cœur serré. Brisé après avoir lu ce mot si profond.
Impossible d'ignorer la douleur de Gabriel à travers ces quelques lignes.
Et ça peinait tellement. Il se retrouvait seul, sans sa petite sœur, ni ses parents.
Qu'était devenue sa mère ?
Irait-il la revoir, après ce qu'elle avait fait ?

Je grimaçai avant de murmurer :

— Prends soin de toi, là-haut, mi àngel.

Le même surnom qu'elle m'avait donné.
Qu'elle avait donné à son frère, quand elle me parlait de lui.
J'affichai un petit sourire en repensant à l'image de la petite qui avait chamboulé ma vie.

Par la suite, je m'éloignai pour retrouver les tombes de mes parents afin de leur déposer des fleurs. Je fermai un instant les paupières pour profiter du bruissement des arbres.
Ils me manquaient terriblement.
Ma mère et mon père avaient fait tout ce qui était en leurs pouvoirs pour me rendre heureuse.
Pour que je le sois à nouveau après ce que j'avais subi.
Et je leur en serai éternellement reconnaissante.

Je rouvris les yeux pour m'éloigner. Alors que je marchais en silence, je continuai de regarder les alentours, m'attardant sur les personnes qui se recueillaient, avant de reconnaître une silhouette familière.

Kyle s'agenouillait devant une tombe pour y déposer des fleurs, l'air égaré.
Je m'en détournai avec violence et luttai pour ne pas le rejoindre afin de l'interroger, ignorant la peine qui s'éveilla en mon sein.

Il se dévoilerait quand il le sentirait. Je ne pouvais pas le forcer.

Alors je poursuivis ma route, le cœur lourd, en levant le nez vers le ciel.
Ma journée était calme. Dans la soirée, j'allais devoir retrouver Kyle dans le centre d'entraînement qu'il fréquentait souvent à des heures tardives, avec l'accord de l'un de ses amis.
Ça serait la deuxième fois que je l'y rejoindrai.
La première, je m'étais contentée de le regarder se défouler, trop lessivée par ma journée pour faire également des exercices.

Mais cette fois-ci, je comptais bien m'entraîner avec lui, apprendre des techniques définies, en plus de ce que j'avais déjà appris.
Je voulais être parée, si besoin.

Alors je me décidai à faire un saut dans notre repaire, espérant ainsi retrouver des membres, et peut-être avoir des informations.

***

Avec agilité, je m'élançai dans sa direction en visant sa jambe. Kyle, rapide, para mon assaut, mais je ne lui laissai aucun répit en tentant de frapper sa mâchoire. Son bras le protégea, et il esquissa un sourire en coin face à mon air agacé.

— Si tu continues de rire, Kyle, j'appuie sur tes petits bobos, le menaçai-je.

Ses yeux devinrent plus acérés suite à mes propos, et son rictus devint plus froid.
Plus menaçant.
Cette constatation m'arracha un sourire moqueur.
Le pauvre était revenu d'une affaire dans un sale état. Il avait fait face avec un homme qui serait lié au NAP. Entre une pluie de coups, son adversaire avait fini par s'éclipser en comprenant que face aux brigadiers, il n'aurait aucune chance.

— Eh bien ? C'est tout ce qu'il a, mon entraîneur perso ? C'est décevant, le provoquai-je.

Silencieux, il me fonça dessus. Je retins mon souffle avant de rapidement me positionner quand il envoya un coup vers mon visage. Je me protégeai à l'aide de mes bras pour faire barrière, et me baissai avec hâte pour que son deuxième assaut ne m'atteigne pas. Le souffle commença à me manquer alors qu'il se démenait, me poussant à rester concentré sur lui, sans jamais me détourner.

Il parvint à me repousser. Je titubai avant de le voir envoyer son pied vers mon flanc. Je me protégeai encore une fois en expirant violemment et, agacée, je me rapprochai pour positionner ma jambe près de lui. Vive, je l'attrapai par l'épaule pour le pousser en arrière, afin qu'il se heurte à mon membre. Kyle, surpris, chuta en m'agrippant. Mon souffle se coupa quand je fus emportée avec lui.

Une légère douleur me tirailla quand mon nez s'écrasa contre lui. Un long gémissement m'échappa avant que je ne relève la tête pour plonger dans ses iris pétillants. Je tressaillis quand sa chaleur recouvrit la mienne, et ma bouche s'assécha.
Et, à en juger par son air narquois, il s'amusait bien de cette pathétique situation.

— Eh bien, tesoro, tu veux peut-être également que je t'apprenne à tenir debout ?

— Encore un mot, Kyle, et je te crève les yeux.

Son rictus s'agrandit avant que je ne plaque mes mains contre ses épaules pour prendre appui, ignorant ses muscles se tendant sous mon corps, et son souffle précipité s'échappa de ses lèvres incurvées. Je m'apprêtais à me reculer, mais il posa ses mains contre ma taille pour m'en empêcher, et ses yeux brillèrent davantage avant qu'il ne nous fasse rouler. Me surplombant de ses épaules, il plongea son regard dans le mien. Surprise, je restai d'abord figée avant de scruter attentivement ses traits plus sérieux, puis ses cheveux bruns complètement en pagaille, avant de m'attarder sur le bleu qui couvrait sa mâchoire, et l'hématome près de son œil.

— Je pensais t'avoir mieux entraînée que ça, cara... C'est décevant.

Je me mordis les lèvres quand la sensation de plus en plus familière au niveau de mon bas-ventre s'éveilla. Kyle s'attarda sur mes lèvres entrouvertes et, satisfait face à mon air perplexe, il esquissa un sourire provocateur.

— Oh, mais je suis assez entraînée, tesoro, répliquai-je en essayant de contrôler ma voix.

D'un mouvement rapide, je levai mes genoux pour lui donner un coup dans le dos avant de tourner légèrement le bassin pour lui faire perdre de sa stabilité, et je nous fis rouler à nouveau avant de me relever pour reculer de quelques pas, tout sourire.

Kyle papillonna des cils, surpris par ce qu'il venait de se passer, avant qu'il n'esquisse une petite grimace, bientôt remplacée par un rictus narquois. Il se redressa à son tour en me dévisageant, une lueur insondable dans les yeux.

— J'espère que je n'ai pas blessé ton ego, angelo mio, le défiai-je alors qu'il se dirigeait vers sa gourde.

Il but plusieurs gorgées avant qu'il ne fasse un sourire en coin. Je m'assis sur le banc pour laisser ma tête reposer contre le mur se trouvant dans mon dos avant de l'observer. Je m'attardai ensuite sur le sang séché qui recouvrait son torse, puis les bleus traversant ses côtes.
Décidément, son adversaire ne l'avait pas loupé...

On se prépara pour sortir, mais son téléphone sonna. Il me lança un petit coup d'œil, mais je lui dis :

— Je t'attends dehors.

Et je lui tournai le dos pour sortir du bâtiment. Un frisson m'échappa quand le froid me rongea. Serrant mon sac d'entraînement contre moi, je saisis une clope et l'apportai à mes lèvres avant de m'adosser à un mur, les muscles noueux.
Si je me montrais, en surface, détendue, ce n'était pas le cas.
Je n'arrivais pas à repousser les questions qui me tourmentaient sans cesse, que ce soit au sujet de Kyle, du NAP, ou de leur mystérieux chef.

Avant que je ne me perde davantage dans mes pensées, j'entendis les bribes d'une conversation. Prudente, je m'approchai de la voix et j'aperçus un homme faire les cents-pas dans une ruelle, les traits assombris par la colère.

Le cœur battant la chamade, je sortis mon téléphone pour taper quelque chose dessus, et je m'approchai discrètement.

— L'Impitoyable la veut vivante, ouais, siffla-t-il rageusement. Je m'en fous, je suis seulement les ordres ! Je ne l'ai jamais vu, je reçois seulement les directives.

Tapie dans l'ombre, je tendis l'oreille pour écouter.

— Je l'ai vu entrer dans le bâtiment y a un moment, je l'attends dehors, depuis, et je commence à en avoir ras le cul, et ton appel tombe mal, faut pas que je la loupe !

Je retins mon souffle quand il cracha ensuite :

— Deux fois que je loupe mes cibles, entre hier et aujourd'hui... Ce chien de Gab est un putain de traître, et un lâche ! J'étais à rien de le buter, la veille !

Mon sang s'enflamma alors que j'assimilais ses propos.
Gab était donc aussi une cible... Mais le mot et les paroles de cet homme prouvaient qu'il s'en était sorti, cela me rassurait un peu.
J'inspirai profondément pour me calmer, et je me lançai. Je passai devant lui en traînant des pieds, le regard rivé droit devant. Je sentis l'attention écrasante de l'homme sur moi alors que je m'enfonçais dans la ruelle, profitant du fait qu'elle soit vide, empruntant la route que j'aurais prise pour rentrer chez moi.

Discrètement, je rapprochai ma main de l'étui caché pour frôler mon arme, ravalant une grimace quand j'entendis ses pas dans mon dos, et sa voix chuchotant quelque chose à son interlocuteur.

Quand ses pas se rapprochèrent davantage, je continuai ma route en l'ignorant, le sang bouillonnant dans mes veines. Un réverbère intensifia la scène macabre en s'éteignant parfois dans un grésillement, quand mon souffle régulier s'élevait entre les murs qui nous entouraient.

Je sentis mes muscles se crisper quand un homme sortit d'une intersection, l'air menaçant, un rictus cruel tordant son visage d'une pâleur extrême. Je m'arrêtai en le dévisageant avant d'expirer l'air emplissant mes poumons, mes doigts prêts à dégainer mon arme, le menton levé avec arrogance.
D'un coup d'œil, je lançai à l'inconnu que j'avais entendu au téléphone avant, se trouvant dans mon dos :

— Il me semble avoir entendu que tu m'attendais depuis un moment. Je ne me serais jamais doutée que tu serais trop timide pour venir seul à un rendez-vous... C'est mignon, d'avoir appelé un ami pour t'encourager.

Et je dégainai mon arme pour menacer celui qui me faisait face, ignorant le second qui me prenait aussi en joute, l'air meurtrier.

— Qui est ton chef ? lui demandai-je.

— Suis-nous, et tu le rencontreras probablement, me répondit-il. Et puis, tu ne tireras pas, sinon, tu te feras tuer sur place par mon coéquipier...

Une intonation s'éleva, suivie par un hurlement de douleur. L'homme qui avait été au téléphone tomba à genoux, du sang s'écoulant de son jean. Ses traits se déformèrent avant que son coéquipier ne recule de surprise.

— Elle va devoir décliner votre invitation, siffla la voix menaçante de Kyle qui s'approchait, son arme pointée vers le second homme.

— Putain, s'affola celui qui me menaçait. Vous nous avez piégés ?

Je haussai les épaules avant de pencher la tête sur le côté, tout sourire. Sans hésiter, il tourna les talons pour s'enfuir, mais je tirai sur sa jambe dans une vaine tentative de l'arrêter, mais ça ne l'empêcha pas de détaler.

Mon rictus s'intensifia.

Il était fait...

Alors que je m'apprêtais à le suivre pour le voir tomber dans le piège, le second, blessé, cracha une menace à Kyle, et je l'aperçus essayer de se relever, dans l'espoir de s'enfuir à son tour, mais mon partenaire siffla :

— Tu ne t'échapperas pas une seconde fois.

L'inconnu blêmit davantage et s'apprêta à reculer, mais Kyle s'élança vers lui pour le saisit par le col afin de le plaquer contre un mur dans un bruit sourd. Le crâne de l'homme s'y heurta avant qu'il ne hoquète de douleur, le regard agité.
Menaçant, mon complice plaqua son flingue contre sa tempe, les yeux obscurcis par la haine.

— Je suis au courant de tout ce que tu as fait, poursuivit-il, glacial. Tu t'en es sorti une fois...

L'homme, immobilisé, lança des coups d'œil affolés à l'arme plaquée contre sa tempe. Pétrifiée par la colère qui rongeait Kyle, je ne bougeai pas. Elle le collait à la peau, crépitait dans l'air, et était prête à consumer les malheureux osant s'approcher de trop.
D'un mouvement calculé, Kyle le projeta violemment à terre en pointant son flingue entre ses yeux, la mâchoire serrée.

— Mais pas deux..., ajouta-t-il froidement.

Et il pressa la détente sans hésiter. L'homme s'écroula sur le côté pour se vider de son sang, raide mort. Mes oreilles sifflèrent suite à l'intonation alors que ma bouche s'asséchait. Sous le choc suite à l'excès de rage de Kyle, je l'observai en silence. Les vêtements et la peau couverts de sang, il fusillait encore des yeux l'inconnu.

Ma respiration se coupa lorsqu'il tourna la tête vers moi. Lorsqu'il fit un mouvement dans ma direction, je reculai sans pouvoir me contrôler. Ses épaules se tendirent avant que son visage ne s'adoucisse.

— Ton plan était idiot, Melina, siffla-t-il pourtant en s'assombrissant à nouveau.

— Idiot ? Tu viens de le buter, il aurait pu nous apporter des réponses !

— Oh, j'en doute, répliqua-t-il froidement. C'est son coéquipier, qui peut nous en apporter. Lui, il ne fait pas partie du NAP.

Comment le savait-il ?
Il soupira, et la pression qui semblait l'écraser le quitta légèrement, à en juger par ses membres se détendant.
Mon téléphone sonna, et quand j'aperçus le nom de Chris s'afficher, je répondis en ignorant le regard pesant de Kyle.
Mon ami m'expliqua que lui et mes coéquipiers avaient bien attendu l'inconnu, qui était tombé dans le piège.
Je souris quand il me dit que le plan avait fonctionné, mais me tendis quand il m'annonça qu'il s'était tiré une balle dans le crâne.

Il s'était suicidé.

Les doigts tremblants, je raccrochai pour observer Kyle, le regard vide.

— Le plan est tombé à l'eau..., parvins-je seulement à dire. Il est mort.

Kyle ferma les yeux en soupirant, les traits assombris par l'agacement.
Mon plan était si bien parti...
J'avais remarqué qu'un homme me suivait, lorsque j'avais été en route pour rejoindre Kyle. Alors, en le retrouvant, je lui avais expliqué que je soupçonnais d'être suivie par un membre du NAP, et qu'on pourrait lui tendre un piège pour qu'il nous apporte des réponses.

Et quoi de mieux que d'agir comme un appât, en sachant qu'il chercherait à m'emmener jusqu'à son chef ? Je m'étais doutée qu'il n'agirait pas seul. Il n'aurait jamais pris le risque d'essayer de m'enlever sans l'aide de qui que ce soit.

Alors, le plan était d'agir normalement et de retourner chez moi, après l'entraînement, en sachant qu'il me suivrait.
Mes coéquipiers avaient été mis au courant, et je leur avais demandé de se déployer à l'opposé du chemin dans lequel Kyle me rejoindrait, histoire de les piéger.

Kyle, en entendant mon plan, avait été contre, furieux que je cherche à me mettre en danger, mais il avait fini par accepter lorsque je lui avais dit qu'en agissant ainsi, on parviendrait à avoir des réponses.

Après ça, je dis à Kyle de m'attendre chez lui, pour qu'il ne soit pas mêlé davantage à cette histoire, et également pour lui éviter de croiser la route de criminels.
De mes amis.
Quand ils me rejoignirent, ils m'expliquèrent que l'homme qui s'était tiré dessus avait bien un tatouage du NAP.
Par conséquent, l'autre, que Kyle avait tué, n'en avait pas.
Et je comptais bien l'interroger, parce qu'il semblait savoir qui il était avant de l'éliminer sans ciller.

Steven et Chris m'assurèrent qu'ils s'occuperaient de se débarrasser du corps avec l'aide d'autres membres qu'ils avaient contacté, et je repartis pour rejoindre Kyle chez lui.

Et il valait probablement mieux que j'évite, encore une fois, mon appartement...

Une fois chez lui, je pris une douche, assaillie par d'innombrables questions.
Ces deux hommes m'attendaient.
Il me voulait vivante pour leur chef.
Celui au téléphone avait également dit seulement suivre les directives, et n'avoir jamais vu le visage de la personne pour qui il bossait.
Bon sang, mais qui était donc l'Impitoyable ?
Que me voulait-il ?

De plus, quelqu'un avait dû les mettre au courant de l'endroit où je me trouvais.
Mais qui ? J'avais seulement dit à mes proches que je serai en vadrouille, puisqu'ils avaient proposé de se réunir, ce soir, sans leur indiquer le lieu exact dans lequel je m'entraînerai, et à Kyle également, étant donné que j'étais avec lui...
Cela signifiait bien que quelqu'un, dans mon entourage, était un traître.

Gabriel avait sous-entendu de me méfier.
Mais de qui ?

Quand je sortis de la salle de bain, je me postai face à Kyle, qui s'était également douché avant que je ne le rejoigne, et il croisa les bras contre sa poitrine, une lueur mauvaise au fond de ses yeux ombrageux. Je l'affrontai du regard, furieuse également, ignorant la tension qui crépitait autour de nous.

— Qui était l'homme que tu as tué ? demandai-je en croisant les bras. Tu semblais l'avoir déjà vu...

Frustré, il soupira avant qu'un muscle au niveau de sa mâchoire ne tressaute. Malgré la colère qui l'entourait, me menaçant de m'entraver, je ne me détournai pas.
Je voulais des réponses.

— C'était l'homme que j'ai tenté d'arrêter, aujourd'hui, me répondit-il en me dévisageant. Il a commis un tas de meurtres, et pas seulement...

Quand sa voix se fit plus froide à la fin de sa phrase, je compris ce qu'il voulait dire. Je ne répondis rien, me contentant d'opiner, troublée.

— Putain, Melina, siffla-t-il ensuite. Tu as encore pris un risque !

— Je sais ! répliquai-je. Mais j'avais raison depuis le début, il me suivait ! Nous arions pu avoir enfin des réponses !

— On aurait pu s'y prendre autrement ! Ils en ont après toi, agir comme un appât est complètement idiot ! Tu t'es mise en danger !

— Je le suis constamment, on en a déjà parlé ! renchéris-je en haussant le ton. Plus encore depuis que l'Impitoyable en a après moi !

Sa mâchoire se crispa encore, et les muscles de ses bras se tendirent quand il serra les poings avec colère.
Pourtant, il ne dit rien. Ses épaules se voûtèrent avant qu'il ne passe ses doigts dans ses cheveux, les traits assombris par la colère, et les yeux luisants d'un éclat létal, brûlant dangereusement quitte à incendier son être entier.

— Je n'étais pas en danger, Kyle..., lui dis-je plus doucement. Je savais ce que je faisais. Et puis, tu étais là. Mes amis également... Rien n'aurait pu m'arriver.

— Tu n'en sais rien, siffla-t-il avant de soupirer pour se calmer.

Je me mordis les lèvres en ignorant la culpabilité qui me rongeait les entrailles.
Je n'avais pas agi sans réfléchir. Le plan était parfait.
Mais Kyle avait raison, dans le sens que mon acte était risqué.
Qui sait ce qui aurait pu se passer ?
Surtout quand il savait que l'un de ces hommes avait commis des atrocités.
Et je me doutais que c'était ça, qui l'avait rendu fou de rage.

Je frissonnai en me sentant un peu plus honteuse. Kyle se détourna pour s'asseoir sur son canapé. Il releva la tête vers le plafond, ses cheveux bruns retombant négligemment sur son front, et ses yeux bleus brillants d'un éclat tourmenté. Il finit par saisir une clope qu'il alluma avant de l'apporter à ses lèvres affaissées en un air distant.
Il ne se détendit pas, pourtant.
Au contraire. J'avais l'impression que l'air était électrique, j'en avais la chair de poule.

Hésitante, je m'assis près de lui et osai me lancer :

— Je sais que c'était idiot, Kyle, mais ces hommes m'attendaient.

— Je sais, souffla-t-il dans un nuage de fumée. C'est juste que...

Il s'interrompit en fronçant les sourcils, et il inspira à nouveau de la nicotine, ses yeux bleus s'assombrissant à cause de la colère qui faisait toujours rage en lui.

— La situation aurait pu dégénérer rapidement.

Ses sourcils se froncèrent avant qu'il ne ferme les paupières, le visage voilé. Peu confiante, je posai mes mains contre mes cuisses tressautantes en déglutissant.
Devant ses failles, il m'était impossible d'ignorer la peine qui m'enserrait la gorge.
Je ne savais pas ce qu'il avait vécu, mais le fait était que ce qu'il venait de se passer aujourd'hui le replongeait dans de lointains souvenirs.
Ses démons guettaient, je ne le savais que trop bien.

— Ouvre-toi, Kyle..., lui dis-je dans un murmure. Dis-moi ce qui te ronge.

Kyle s'esquivait à chaque fois que la discussion se tournait vers son passé.
Il cherchait à préserver cette carapace qui l'enveloppait.
Mais combien de temps encore ?
Quand se sentirait-il capable de parler ?
Quand pourrais-je l'aider ?

— Kyle, je ne te force pas à en parler, précisai-je ensuite pour le rassurer. C'est juste que...

Je réfléchis pour trouver les bons mots. En vain.
Comment lui dire que je voulais l'aider, comme il l'avait fait avec moi ?
Que je me trouvais égoïste de le laisser m'aider à gérer mes traumatismes, quand lui ne les confiait pas.
Parce qu'il était évident qu'il avait vécu des choses terribles. Je le voyais bien, et ça m'écorchait de ne rien pouvoir faire.

Perdu dans ses pensées, il observa un point fixe. Un éclat brisé dansait au fond de ses prunelles, mais la furie constante qui l'entourait refit vite surface. Devant cette vulnérabilité, mon cœur se serra.
Bon sang, mais comment pouvais-je lui permettre de s'ouvrir sans souffrir ?
Le pouvais-je seulement ?

— Tu as le droit de lâcher prise, parvins-je à poursuivre. Tu m'as dit que ce n'était pas une tare, de ressentir. Parler également, ça ne fait pas de toi quelqu'un de faible, ou je ne sais quoi...

La lueur vivace dans ses yeux fut balayée, et son regard se fit encore plus lointain.
Encore plus vide.
Preuve que mes dires faisaient écho à quelque chose de plus profond. De plus tordu.
De plus sombre.
Mais quoi ?
Je sentis ma gorge s'obstruer davantage alors que le chagrin m'enveloppait avec violence.
Non, inutile de lui dire tout cela.
Il se fermait bien trop.

— Mon père a fait du mal à un tas de personnes, s'éleva soudainement sa voix.

Surprise, je tournai le nez vers lui et constatai que ses yeux étaient égarés.
Un tas de personnes...
Oui, je le savais.
Mais ça semblait plus personnel, dit ainsi...
Qu'avait fait Finn ? À qui s'en était-il pris pour que Kyle soit autant brisé ?

— Il m'a élevé avec l'espoir que je sois digne de lui.

Un rire fit tressauter ses épaules noueuses avant qu'il ne crache :

— Il ne manquait pas d'idées, pour ça...

Et quand il serra les dents en se crispant, je compris les mots qu'il ne prononça pas.
La bile remonta dans ma gorge alors que le chagrin écrasait mes épaules.
Son père avait fait du mal, oui, mais il en avait également fait à son propre fils.
Tout ça pour qu'il suive ses traces.

Et j'avais peur de découvrir ce qu'il avait pu infliger à Kyle.
Quelles atrocités lui avait-il fait subir pour qu'il soit assez digne, à ses yeux ?
Quelle horreur avait-il vécu ?

Je m'apprêtai à trouver des mots apaisants pour le sortir ses tourments, mais ma voix mourut en me remémorant d'un détail important.

Quand il m'avait dit qu'il n'était pas Finn, le doute avait teinté son regard.

Il avait peur d'être comme lui...

— Tu penses être comme lui ? lui demandai-je dans un souffle.

Un rictus glacial tordit ses lèvres, en opposition avec ses pupilles embrasés d'un éclat malveillant.
Furieux.
Oh oui, toute cette colère qui l'habitait, cette flamme létale qui le dévorait avait été allumé par son propre géniteur.
C'était lui, qui l'avait alimenté jusqu'à ce que ça devienne destructeur.
Son père avait cherché à le forger pour en faire un être aussi cruel que lui, je n'en doutais pas.
Mais jusqu'à quel prix ?

— Je ne le pense pas, ricana-t-il amèrement. J'en suis sûr.

— Qu'est-ce qui te fait croire ça ? l'interrogeai-je en ancrant mes yeux dans les siens, dans l'espoir de le garder avec moi.

Agité, il ferma les paupières en poussant une profonde expiration, les jointures blanchissantes sous sa crispation. Je ne m'éloignai pas, touchée par la blessure sanglante qui lacérait son cœur.

— C'est sûrement héréditaire, qui sait ? dit-il entre les dents. J'ai fait du mal, moi aussi. Je t'en ai fait.

Déstabilisée, je ne répondis rien, cherchant les bons mots pour apaiser cette tempête qui le bouffait.
Pour l'en extirper et l'aider à reprendre pied.

— Tu m'as également fait du bien, Kyle.

Et, sachant qu'il se terrerait encore, je m'avançai pour ancrer mes yeux dans les siens, qui ne cessaient de s'égarer, avant de froncer les sourcils pour ajouter :

— Alors je t'interdis de te flageoler davantage. J'étais sérieuse, quand je t'ai dit que si je pouvais oublier, tu pouvais le faire également. Et j'ai réussi à te pardonner, parce que tu m'as prouvé que tu n'étais pas cet homme-là.

Prudente, je posai ma main contre la sienne. Je le sentis se tendre davantage, mais avant qu'il ne puisse s'éloigner, je laissai mon pouce effleurer sa peau sans me détourner. Un rire glacial s'échappa finalement de ses lèvres avant qu'il ne se dégage, et il répliqua :

— Comment tu peux tenir ce genre de propos après tout ce qu'il s'est passé, putain ?

— Tu as prouvée à plusieurs reprises que tu avais des principes, répliquai-je. Si tu étais le sale con que tu penses être, tu n'aurais pas fait la moitié de ce que tu as fait pour moi !

Avant qu'il ne puisse renchérir, j'ajoutai plus fermement :

— Tu ne méritais pas ce que ton père a pu te faire subir, Kyle.

Quand sa respiration s'accéléra un peu plus et que ses doigts se mirent à tressauter, je compris qu'il était inutile d'insister.
Pas quand il se mettait dans un tel état.
Alors, prudente, je cherchai à capter son regard brillant d'un éclat fiévreux, avant de voir que ses membres tremblaient.

Encore un peu, et il risquait de sombrer. Je devais lui faire comprendre qu'il n'avait pas à répondre.
Qu'il était à l'abri.

Assourdie par mon sang martelant contre mes tempes, j'entourai son bras avant de m'approcher prudemment de lui. Son souffle se suspendit avant que ses membres ne se crispent. Je pressai mes paupières en lui soufflant :

— Ce n'est pas grave, Kyle. On n'en parle plus. Je comprends, d'accord ? Je comprends...

Oui, je comprenais à quel point il était difficile de se confier. De s'ouvrir aux autres.
C'était souvent douloureux, pire encore quand le poids de nos démons venait nous écraser jusqu'à nous empêcher de parler.
Je ne savais pas ce que Kyle avait vécu, mais je me doutais bien qu'il avait pas mal de boulets. Son père avait dû être un vrai monstre, avec lui...

En constatant qu'il s'était montré plus fort que ses angoisses, et que son souffle était plus régulier, je posai ma tête contre son épaule en profitant de sa présence, sans jamais relâcher ma prise de ses bras, dans l'espoir de l'ancrer à la réalité. De lui permettre de se concentrer sur quelque chose.

Sa respiration saccadée démontrait qu'il continuait de lutter intérieurement. Peut-être bataillait-il pour ne pas s'égarer ?
Pour ne pas laisser ses peurs l'entraver ?
Jamais je ne l'avais vu aussi vulnérable.
Autant chamboulé.
Et je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir coupable.
Jamais je n'aurais dû parler d'un tel sujet...

— Je suis désolée, chuchotai-je en laissant mon pouce caresser son bras. Je suis désolée...

On resta là, en silence, nos cœurs battant à tout rompre et nos souffles s'élevant par saccades, profitant simplement de la présence de l'autre.
Je ne voulais pas le forcer à s'ouvrir.
Son cœur devait être complètement cabossé, pour qu'il se protège tant avec l'artifice qu'était cette confiance qu'il abordait continuellement.
Derrière son regard si intense devait être tapi une âme saccagée.

Ses épaules se relâchèrent au bout d'un long moment. Prudente, je lui lançai un coup d'œil pour constater qu'il avait fermé les paupières, la poitrine remontant de moins en moins vite, preuve que la crise était passée.
Qu'il avait réussi à lutter.

Quand il rouvrit les yeux, il les ancra dans les miens, et une douleur vive me transperça le cœur devant ses démons y domiciliant, prêts à couvrir la moindre lumière.

— Tu sais, c'est humain, Kyle, d'avoir des moments de faiblesse. Ça ne fait pas de toi quelqu'un de pathétique, murmurai-je.

Même si je me doutais qu'il était persuadé du contraire.
Son père avait dû lui répéter cela, je ne voyais pas d'autres explications...
Et ça me brisait le cœur de le voir croire de telles choses.
Flancher, tomber parfois, c'était dans la nature humaine.
Personne n'était capable de se montrer constamment fort.
C'était impossible de rester constamment debout, sans trébucher.

Puis, sachant qu'il ne parlerait pas davantage, je recourbai mes lèvres en un sourire factice pour le charrier, et également pour changer de sujet :

— Sacrée journée, hein ? Tu as mis une belle droite à ce type.

Pas seulement une droite...
Mais je ne voulais pas parler de ce qu'il s'était passée, et il était évident que lui non plus.
Alors j'affichai un air plus détendu en ajoutant :

— Il sera quand, notre prochain entraînement, d'ailleurs ? Histoire que je te fasse à nouveau manger la poussière.

S'il entendit à mon ton que je n'étais pas aussi légère que je le voulais, il n'en tint pas rigueur. Il se contenta de se détourner un bref instant, avant de répliquer :

— Tu cherches beaucoup pour quelqu'un qui fait un mètre vingt les bras levés.

Un hoquet d'indignation m'échappa, et j'aperçus la lueur intense de ses yeux s'allumer à nouveau, ce qui me réconforta.

— Toi, je crois que tu veux finir émasculer, répliquai-je pourtant en m'approchant de lui. En plus, mon mètre-vingt et moi t'avons mis à terre, caro.

Enfin, ses lèvres frémirent, et avant qu'il ne puisse répliquer, j'approchai mon visage du sien lentement pour ajouter :

— En parlant de taille, tu es sûr de vouloir entrer sur ce terrain-là ?

Son souffle se suspendit un instant avant qu'il ne dévore du regard mes lèvres tordues en un sourire, et un brasier incandescent illumina ses pupilles moins troublées.

— C'est fou de voir toutes les conneries que tu peux déblatérer à la seconde, tesoro...

Et, sans attendre, il réduisit la petite distance qui nous séparait en scellant ses lèvres aux miennes. Un sourire fier peignit mon visage avant que je ne ferme les paupières.
J'espérais qu'ainsi, il parviendrait à s'ancrer davantage à la réalité, qu'il balayerait ses tourments.
Qu'il se changerait les idées...
Jamais je n'aurais dû l'interroger, bon sang...
Il n'était pas prêt à s'ouvrir...

Bien vite, notre baiser devint plus fiévreux, alors qu'un brasier brûlant nous enveloppa, alors que Kyle répondait avec ferveur.
Avec un désir destructeur.

Et, si c'était contre lui, que je devais être à nouveau détruite.
J'acceptais.
J'acceptais, puis qu'il m'avait permis de me réparer moi-même. 

Hello ! Comment allez-vous ?

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Du mot de Gab ? De Kyle, à qui vient-il rendre visite, selon vous ? De l'entraînement de Kyle et Melina ? Du piège tendu ?
De la fin ?

Lâchez-vous !

~Chapitre revu~

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