Chapitre 35

« Il voulait un rendez-vous ? Il avaitintérêt à emmener un bouquet, car il préparait sa propre tombe... »

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— Tu es sûre de vouloir retourner chez toi ce soir ? s'enquit Dalila, assise sur son canapé.

Je hochai la tête en lui souriant.
Les inconnus s'étaient infiltrés chez moi il y avait pratiquement deux semaines. J'avais dormi chez Kyle une nuit, avant d'appeler mon amie pour lui demander si je pouvais rester chez elles quelques jours, trop lâche pour retourner dans mon propre appartement.
Et trop également pour rester auprès de Kyle.

— Oui, certaine, lui répondis-je en lançant un coup d'œil à la tasse fumante qui se trouvait devant moi. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, vous avez été déjà super sympas de m'accueillir tout ce temps.

— C'est normal, surtout ! répliqua-t-elle en secouant la tête. Tu ne nous déranges pas, Mel'. Tu peux rester aussi longtemps que tu le voudras.

— Ouais ! s'éleva la voix de Chris qui se trouvait dans la salle de bain. T'es la bienvenue !

— Tu vois ? Même Chris le dit, ricana Dalila.

Tout sourire, je lui lançai un coup d'œil chaleureux.
Mais, malgré leurs propos bienveillants, je ne pouvais pas accepter.
J'étais retournée chez moi, accompagnée d'Ayoub, deux jours après l'attaque, pour changer la serrure, histoire de me sentir un peu plus en sécurité, incapable, pourtant, d'y dormir.
C'était bien trop tôt.
Mais maintenant, je me sentais assez forte pour affronter ma propre demeure.
Du moins, je m'en persuadais.

Je ne pouvais pas passer ma vie à fuir.
C'était épuisant...

J'apportai la tasse à mes lèvres en perdant mon regard dans le vague, ignorant Dalila qui, je le savais, me dévisageait avec attention.
Dormir chez elle m'avait apportée beaucoup de bien. Elle et Chris m'avaient changé les idées, et je leur en étais grandement reconnaissante.
Qu'aurais-je fait, sans eux ?
Kyle m'avait proposée de rester, mais j'avais refusé, pas uniquement à cause de cette peur régnant en mon sein, mais bien parce que je ne pouvais pas.

Il était déjà bien trop mêlé à mes histoires. Je ne pouvais pas l'impliquer davantage.
Et puis, même s'il n'était plus vraiment un inconnu, il n'en restait pas moins un homme au passé trouble.
Un adversaire.
Il était donc plus logique que je reste chez des amis fréquentant le même monde que moi.
Des amis en qui je faisais entièrement confiance.

— Filipp est toujours injoignable, me dit Dalila en attachant ses cheveux d'ébène. C'est bizarre, quand même. Impossible de le tenir au courant par rapport à l'assaut de ces sales types.

— Ce n'est pas la première fois qu'il se barre en laissant le Tabu se débrouiller, marmonnai-je. Il fait assez confiance à ses bras-droits pour tirer les rennes. Et puis, quand il part aussi longtemps, c'est qu'il est sur une affaire compliquée. J'espère seulement que ça ne nous mettra pas davantage dans la merde.

Il était parti pour un prétendu voyage d'affaire, d'après les dires. Je me souvenais encore de son départ précipité. Aucune explication. Rien.
Et c'était assez troublant. La dernière fois qu'il s'était montré aussi pressé, c'était après s'être mis à dos un homme propriétaire d'une entreprise pharmaceutique, qui l'avait menacé d'arrêter l'alliance qu'ils avaient formé, ce qui l'avait terrifié, puisque cette personne, en grande partie, était celle qui lui permettait de s'approprier de drogues.
Au final, Filipp avait calmé le jeu.
Mais après une rude bataille.

Dalila fit la moue et s'affala sur son canapé, les yeux levés vers son plafond, sur lequel un lustre était suspendu. Elle l'observa en silence avant de souffler :

— Qu'est-ce que te voulaient ces hommes, tu crois ? Je veux dire... C'est bizarre, quand même. Leur chef les a envoyé pour qu'ils t'emmènent quelque part. Mais pourquoi ?

J'ignorai ma bouche qui s'asséchait et avouai piteusement :

— J'en sais rien...

Et ça me terrifiait plus que je ne voulais l'admettre.
Parce que c'était bien la preuve qu'ils en avaient après moi.
Et seulement moi.
Rosa avait été abattue par ma faute.
Lorsque nous avions été traqués, Kyle et moi, c'était également à cause de moi.

Face à mon air vide, Dalila ne dit rien. Elle se redressa avant que Chris ne déboule dans le salon, les cheveux humides et les traits assombris.

— Ayoub vient d'appeler. Faut qu'on le rejoigne rapidement.

***

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Chris à l'attention de Steven qui faisait les cents-pas dans le squat où quelques membres étaient présents en chahutant.

— Des membres traînaient dans l'un de nos quartiers, et il y a eu une attaque...

— Quoi ? aboya Dalila.

Steven lança un regard vitreux à mes amis et passa une main dans ses cheveux coupés ras avec nervosité, et face à ses traits voilés, mon cœur s'affola.

— Ces mecs sont tarés putain... Ils les ont pris par surprise et ont tiré dans le tas.

Ma vue se troubla et, avant que je ne puisse lui demander davantage d'explications, Ayoub arriva dans le squat avec Tiphaine, et en remarquant leurs doigts couverts de sang, comme leur mâchoire, et leurs yeux agités, ma bouche s'assécha davantage. L'Algérien serra les dents et souffla :

— C'est trop tard...

Tiphaine, les yeux humides, cracha :

— Elle est morte. Je n'ai pas réussi à stopper l'hémorragie.

— Qui est morte ? s'affola Dalila.

Ayoub nous remarqua enfin. Il s'attarda sur Chris, Dalila, et moi, et il se tendit. Steven jura et donna un énorme coup de pied dans la table basse en passant à nouveau ses doigts dans ses cheveux pour les tirer.

— Mais bordel, expliquez ! s'impatienta Dalila.

— Sarah est morte ! siffla Steven. Putain... Ils sont pratiquement tous morts...

— Quoi ? parvins-je à demander d'une voix faible.

— Sarah ? répéta Dalila avant de plaquer ses mains contre ses lèvres. Non...

— Comment ça, ils sont pratiquement tous morts ? Combien étaient-ils dans le quartier ?

Steven inspira profondément, sous le regard égaré des autres membres. L'un d'entre eux répondit à sa place :

— Je crois qu'ils étaient six, en comptant Sarah... Cinq sont morts. La sixième a été enlevée... Il y avait également des passants... Ils ont été tués, eux aussi...

Cinq ? Cinq membres du Tabu avaient été assassinés ?
Et la sixième ? ...
Je sentis mon cœur rater un battement avant que ma vue ne se trouble encore. Incapable de tenir davantage debout, je m'assis à même le sol, le regard dans le vague, trop chamboulée pour réfléchir.
Enlevée ?...

Et des innocents aussi, en avaient pâtis... Ils avaient été mêlés à une guerre perdue d'avance...

— C'est l'un des habitants du quartier qui a appelé Tiphaine pour la prévenir. Sarah était encore en vie, quand elle est arrivée sur place, mais elle se vidait de son sang..., ajouta une femme qui essayait d'apaiser Steven.

— Quels connards ces lâches ! rugit-il en la repoussant légèrement. Putain...

Dalila, les larmes aux yeux, me lança un coup d'œil chagriné. Je ne réagis pas, un mal de crâne se pointant, et l'esprit embrumé.
Nous avions été attaqué...
Il y avait eu cinq morts.
Sarah avait été tué...
Des habitants du quartier avaient été assassinés également...
Et une femme avait été enlevée...
Mais qui ?
En imaginant ce qu'elle risquait de vivre, la bile remonta dans ma gorge.

Quand est-ce que tout ce cauchemar prendrait fin ?

J'aperçus Chris asseoir Dalila et essayer de l'apaiser, alors qu'elle sanglotait, incapable de se contenir davantage.
Quant à moi, j'observai d'un œil vide les membres qui s'agitaient autour de moi, certains profanaient des menaces, quand d'autres se perdaient dans leurs pensées, trop chamboulés pour réagir.
Comme moi.

— Qui d'autres a été tué ? demandai-je d'une voix chevrotante.

Je demandais en appréhendant pourtant la réponse.
Six membres, c'était énorme... Ces lâches avaient bien réussi leur coup.

— Youss, Anton, Mathias et Tiago..., m'énonça l'un des membres présents d'une voix blanche. Lina, elle, a été emmenée...

La boule d'angoisse dans ma gorge s'obstrua davantage. Youss était l'homme qui m'avait charrié, lorsque j'étais revenue de ma visite à l'hôpital... C'était un ami d'Ayoub et de Chris...
Lina était une récente recrue plutôt timide, très proche de Sarah.
Anton était l'un des plus vieux membres, quand Mathias et Tiago étaient bien plus jeunes...

Je ne dis rien et me contentai d'inspirer profondément en ignorant l'odeur âcre qui planait, dégagée par Tiphaine, couverte de sang.
Du sang de Sarah...

— Ce n'est pas tout..., nous annonça-t-elle d'une voix blanche.

— Parce que ça peut être pire ? ricana l'un des membres froidement. Balance, qu'on en finisse.

Elle le toisa et essaya de garder contenance, mais ses yeux bleus étaient trop hantés pour qu'elle ne leurre qui que ce soit.
Elle avait perdu l'une de ses plus proches amies au sein du Tabu.
Oh oui, la mort de Sarah ne la laissait pas indemne.
Elle ne laissait personne indemne, finalement...

Le monde si cruel dans lequel nous baignions avait eu raison d'elle.
Les ténèbres avaient fini par vaincre l'être lumineux qu'elle était...

— Quand je suis allée chercher Sarah, après son appel, j'ai...

Sa voix se cassa, et son regard s'agita.
Je compris qu'elle avait dû assister à une vision d'horreur.
Comment se remettre de la scène macabre qu'elle avait vu ? Comment garder l'esprit après avoir fait face à un bain de sang, où des amis et des connaissances étaient terrassés, probablement dans un terrible état ?

— Elle a essayé de parler, mais elle perdait bien trop de sang, pire encore après l'effort qu'elle a dû faire pour nous appeler...

— Viens-en au fait, la pressa une femme à la peau extrêmement pâle.

Tiphaine serra la mâchoire et fit un pas vers elle, prête à en venir aux mains, mais Ayoub posa sa main contre son épaule pour la tenir et souffla quelque chose que je n'entendis pas.
La jeune femme toisa une dernière fois l'inconsciente et ajouta :

— Elle avait ça, dans sa main...

Et elle ouvrit ses doigts sur une chevalière couverte de sang. Certains membres réagirent immédiatement. Ils s'affolèrent, jurèrent, quand d'autres, comme moi, gardèrent le silence, sous le choc.

La chevalière de mon père.
De Filipp...

Mais comment Sarah avait-elle pu l'avoir ?

— Je pense que les personnes qui s'en sont pris à nos coéquipiers lui ont donné pour nous menacer..., ajouta Tiphaine. Ces fils de pute sont plus dangereux qu'on ne le pense...

— Ils s'en sont pris à Filipp ? s'affola un jeune membre.

— On n'en sait rien, répondit un autre. Qui dit que c'est vraiment sa chevalière ? Peut-être qu'ils ont donné cette merde à Sarah pour nous faire peur. C'est des menaces en l'air, je suis sûr.

— Des menaces en l'air ? finis-je par rire amèrement. Ils viennent de tuer six de nos membres. Ce n'est pas une menace, c'est une mise à mort.

Une déclaration de guerre.

L'homme se rembrunit suite à mes paroles alors que je me relevais en ignorant mes jambes lourdes, toujours étourdie suite à cette nouvelle sordide.
Nos coéquipiers avaient été tué, et nos assaillants avaient remis une chevalière appartenant très probablement à Filipp pour nous menacer.
La situation était pire que tout...
S'ils avaient réussi à s'en prendre à lui ?
Si notre boss avait été assassiné, le Tabu serait en position de faiblesse.
Voire condamné...

Pourtant, malgré ces sinistres pensées, un mince espoir réchauffa ma poitrine.
Est-ce que la fin approchait ?
Me serait-il enfin permis de me libérer de mes chaînes ?
De tourner le dos au Tabu ?

— On va pas se laisser faire, siffla Steven en bombant le torse. Alexandre est sur le coup. Il fait des recherches et essaye de trouver des infos qui pourraient nous mener jusqu'à ce gang de merde. Il s'est dépêché de retracer le téléphone de Lina. Peut-être que, grâce à ça, on pourra la retrouver, et également trouver l'un de leurs repaires. En plus, on a eu la certitude qu'il est lié à un trafic de femmes.

Oui, après notre réunion avec le King, certains de nos membres avaient contacté le gang des Faucheurs pour avoir des informations quant à l'attaque qu'il avait subi. Certaines femmes présentes dans l'un de leurs clubs de strip-tease avaient été enlevées.
Tous en étaient venus à la même conclusion : les personnes derrière l'assaut comptaient prostituer ces femmes, ou les revendre.

Le King avait ainsi cherché des pistes, avec l'aide des Faucheurs. En vain. Les femmes n'avaient jamais été retrouvées.
Et aucune autre n'avait été enlevées.
Ou alors, nous n'avions pas été mis au courant.
Si, autrefois, tous finissaient par se savoir, depuis l'émergence de ce gang mystérieux, il était difficile d'avoir des informations.
D'être au courant de ce qu'il se passait chez les autres.

Et maintenant, l'une de nos femmes avait été enlevée, elle aussi.
Nous savions tous que ce mystérieux gang chercherait à lui réserver le même sort que ses autres victimes...
Mais bon sang, pourquoi ? C'était immonde.
Barbare...

La vue encore troublée, je pris une profonde inspiration en déglutissant ensuite, dans l'espoir de ne pas vomir.
J'espérais de tout mon cœur qu'Alexandre parviendrait à retracer le téléphone de Lina.
Bien qu'au fond, je me doutais que les personnes derrière tout ça n'étaient pas stupides...
Sinon, nous les aurions retrouvés depuis longtemps.

Les membres continuèrent de débattre, cherchant des solutions, recontextualisant la situation. Alexandre contacta Steven pour lui dire qu'il n'avait pas réussi à retracer le téléphone de Lina, ce qui signifiait que les membres qui l'avaient enlevé avaient dû s'en débarrasser sur la route, mais il nous prévint qu'il cherchait encore des pistes, et qu'il essayait de tracer Filipp.

Les heures passèrent sans qu'il ne nous rappelle.
Soudain, mon téléphone sonna. Surprise, je fronçai les sourcils avant de sortir de la pièce pour me diriger vers la cuisine, où personne ne traînait, et je répondis, malgré l'appréhension me rongeant.

« — Bonjour, Melina, retentit une voix rauque. J'espère que tes petits amis et toi n'êtes pas trop chamboulés... »

Mon pouls s'accéléra et l'inquiétude rongea mes entrailles.

« — Qui es-tu ? soufflai-je froidement. Non, dis-moi plutôt ce que tu veux...

— Moi ? Je ne veux rien, ça n'a rien de personnel. Mais si tu veux éviter un énième bain de sang, tu as plutôt intérêt à m'obéir. »

Ma gorge se noua violemment. Je m'apprêtais à renchérir, mais il poursuivit :

« — Écoute ce que je vais te dire, dans quel cas, je frapperai là où ça fait mal. Tu as intérêt à venir, si tu veux que j'empêche un autre assaut aussi violent... »

Il me donna une adresse, et m'expliqua que, si je ne venais pas, ça serait le reste du Tabu qui en pâtirait.
Et plus particulièrement mes amis.
Il était clair que c'était un piège, mais que pouvais-je faire ? Il voulait me voir seule pour une raison qui m'échappait, mais si je prévenais mes coéquipiers, ça serait un véritable carnage...

Adossée au mur, le regard perdu, je réfléchissais à un plan depuis qu'il avait raccroché.
La rage me gagna. Je relevai la tête en serrant les dents.
Il voulait un rendez-vous ? Il avait intérêt à emmener un bouquet, car il préparait sa propre tombe...

Je rejoignis mes amis en ignorant mon sang cognant contre mes tempes. Ils m'apprirent que, pendant que j'avais reçu un appel, Alexandre les avait contacté pour leur indiquer qu'il avait un plan pour s'infiltrer dans un club de strip-tease pouvant peut-être appartenir à des alliés de ce nouveau gang.
Selon lui, certaines femmes seraient liées à ce proxénétisme. Peut-être pourrions-nous les interroger, voire les sauver ?

Certaines femmes acceptèrent de jouer le jeu, histoire d'approcher plus facilement, quand les autres se prépareraient à se déployer au moment opportun.

Je dus trouver une excuse pour ne pas les accompagner afin de rejoindre mon interlocuteur anonyme, la rage au ventre, mais l'inquiétude m'entravant également.
Je devais assumer, et seule...

Hello !

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Des avis quant à l'assaut du mystérieux gang ?
De la mort de Sarah et des autres membres ?

De l'appel anonyme ?

Des théories ?

Bisous !

~Chapitre revu~

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