Chapitre 31

TW : Allusion à un traumatisme (abus sexuel)

« — Ce n'est pas bon de tout garder en soi, car à force de tout porter sur ses épaules, on finit par s'écrouler sous le poids denos problèmes. »

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— Filipp m'agace fortement, avec ses plans à la con ! siffla agressivement Ivy en rangeant son téléphone dans sa poche. Quelle idée débile, putain. Il veut qu'on bute le proprio de ce bar pour prouver qu'il a la plus grosse ?

— Non, pas seulement, répondit Ayoub en retenant un rire, le regard rivé sur la route. Le père du gérant a une sacrée notoriété, et les affaires se sont mal passées avec Filipp. Ce qu'il veut, c'est prouver à ses adversaires qu'on ne peut rien lui refuser. En s'en prenant à son fils, il terrorisera les habitants de ce quartier et il pourra s'en approprier... Il veut élargir son pouvoir.

Et ça lui montait à la tête...

— C'est bien ce que je dis, c'est une idée à la con ! persifla la jeune fille. Qu'est-ce qu'il veut qu'on fasse, à seulement nous trois, contre je ne sais combien de personnes ?

— D'autres membres guettent, ils se déploieront si besoin, lui répondis-je. Il suffira qu'on prévienne Ayoub qui restera dehors.

Une réunion avait eu lieu récemment, entre Filipp et le père du gérant de ce bar qui, aux premiers abords, semblait propre sur lui.
Mais il avait la main mise sur divers quartiers, et était le propriétaire d'une grande entreprise pharmaceutique dont les employés étaient corrompus, livrant ainsi un tas de drogues à cet individu pourris jusqu'à la moelle.
Mon boss avait tenté de s'allier à cet homme pour bénéficier également de ce trafic qui apporterait gros au Tabu.
Cependant, sa proposition avait été refusée.

Filipp aurait pu fermer les yeux sur ce refus, oui.
Mais à quoi bon, à part prouver à ses ennemis qu'il n'avait aucune crédibilité ?
Il connaissait les risques. En nous envoyant agir, il déclarerait la guerre à cet homme, mais aussi à ses alliés.
Une guerre parmi tant d'autres.
Pourtant, il proclamait que ce conflit était nécessaire pour qu'on atteigne le pouvoir. Pour qu'on prouve que le Tabu était redoutable.
Létal.

— Donc en bref, on entre là-dedans, on gratte des infos, on tente de faire face au fils de ce connard, on essaye de le butter, et en cas de problèmes, on prévient les membres pour qu'ils attaquent ? Putain, mais qu'est-ce que je fous là, marmonna Ivy. La dernière fois qu'on a voulu agir comme des espions, ça s'est mal fini.

J'ignorai l'image qui traversa mon esprit. Celle du corps sans vie de Rosa, de son regard vitreux, après qu'elle se soit faite tirer dessus.
Oui. Cette mission s'était mal passée, mais cette fois-ci, nous étions préparés.
Du moins, je l'espérais.

— Agissez comme des clientes normales, nous dit Ayoub en s'attardant sur moi avant de froncer les sourcils. Je ne vous demande pas de chauffer les hommes présents pour mieux atteindre le gérant, c'est un plan tordu de Filipp, ça. Contentez-vous de rassembler des informations avant de nous donner le feu vert pour qu'on attaque si y a un souci. D'après les infos récoltées, l'homme qu'on vise est toujours là, à se bourrer la gueule et à jouer au billard. Vous n'aurez donc pas de mal à le croiser.

— Personnellement, ça me dérange pas de devoir chauffer quelqu'un, répondit Ivy. Ça serait pas la première fois. Et on sait tous qu'un mec se montre moins méfiant face à une femme qui flirte.

Mauvaise idée. Oui, charmé un adversaire pouvait aider à mener à bien une mission.
Mais ça pouvait prendre une tournure plus dangereuse en seulement quelques secondes...

Bientôt, la voiture d'Ayoub se gara. Il nous observa avec attention, et je l'aperçus hésiter à ajouter quelque chose à mon attention, mais il garda le silence.
Nous étions toujours en froid, depuis notre dernière altercation.
Soit depuis deux longues semaines.
Et je devais avouer qu'il me manquait...

Ivy laissa ses cheveux retomber devant ses oreilles, cachant ainsi le micro qu'elle avait sur elle, et je vérifiai que mon arme soit bien en place, le cœur battant à tout rompre.
J'appréhendais tant cette mission préparée depuis pourtant un moment. Mais la mort de Rosa m'avait tant marquée.
C'était les risques, j'en avais bien conscience, mais j'étais lasse.

Bientôt, on entra dans le bar. J'observai d'un œil scrutateur ce qui nous entourait en essayant de repérer le gérant, en passant par les nombreux billards qui se dressaient fièrement, entourés de clients qui jouaient et buvaient. La moquette rouge assombrissait davantage le lieu illuminé seulement par quelques lustres.
Un escalier menait à l'étage, quand un autre descendait, mais l'accès me semblait être interdit.
Et ça, j'en étais sûre, ça prouvait qu'ils baignaient dans autre chose. Une chose bien plus sale...

— Regarde, me souffla Ivy. C'est lui le proprio.

Je suivis son regard alors qu'on s'approchait du bar pour commander deux verres. L'homme aux cheveux châtains, qui avait à peine la vingtaine, jouait au billard avec trois individus nous tournant le dos. Il puait la richesse. Ses vêtements exubérants et son sourire trop hypocrite le prouvaient. Ivy me lança un coup d'œil en efforçant un sourire charmeur au barman qui nous déposa nos boissons.

— On va s'approcher de lui pour lui demander de faire une partie. Je m'occuperai de le chauffer, toi, tu essayeras de gratter des infos à lui et ses hommes...

J'opinai, peu convaincue. On s'approcha donc des hommes qui nous lancèrent un coup d'œil perplexe. Je blêmis quand l'un d'entre eux crocheta mon regard, et qu'il fronça les sourcils de surprise. Ivy retroussa ses lèvres maquillées en un sourire aguicheur et prit la parole :

— Beau doigté.

Surprise par ses propos, je manquai de m'étouffer et me raclai la gorge avant que le gérant ne papillonne des cils, troublé par les dires directs de la jeune fille qui poursuivit :

— Une partie ? Mon amie ici présente ne me croit pas, lorsque je lui dis que je sais bien m'y prendre avec une queue de billard...

Toujours sous le choc de faire face à Kyle et l'homme que j'avais aperçu dans le centre-commercial, je retins mon souffle, avant de réagir aux propos de mon alliée.
Mais elle était dingue !
Je forçai un rictus alors que le fils du gérant nous couvrait d'un regard mêlant à la fois la surprise et la lubricité.
J'en avais des frissons...

— Approche, dans ce cas. Nous allions commencé une nouvelle partie.

L'autre, mesurant probablement deux mètres, lança :

— Et toi, ma jolie, tu joues aussi ?

Je lançai un coup d'œil au groupe et grimaçai avant de dire :

— Je me contenterai de jouer parfois à la place de mon amie.

Et elle me répondit par un regard complice. Bientôt, le fils du gérant nous annonça son nom : Andreï.
Nous le savions. Nous avions eu des informations avant de venir. On ne lui révéla jamais nos noms, on se contenta de trouver un sujet pour qu'il ne s'y attarde pas. Je remarquai le regard brûlant de Kyle, qui devait se douter qu'on préparait quelque chose.

Ivy se montrait entreprenante avec Andreï. Elle s'amusait à l'effleurer lorsqu'il se concentrait pour faire un tir, et lui soufflait des paroles sensuelles.
Je voyais bien qu'il n'était pas indifférent.
Kyle, lui, semblait être dans son élément.
Mais je me questionnais quant à sa présence ici.
Voulait-il seulement profiter en compagnie de son collègue, ou avait-il une autre raison ?

Ivy me lança un coup d'œil et me tendit la queue du billard en disant à Andreï :

— Je vais m'asseoir un peu, je crois que j'ai fait un faux-mouvement, ma cheville me lance.

Il hésita et elle recula avec lenteur en forçant sur sa cheville pour lui donner un air clopinant, une grimace peignant ses traits. Le jeune homme s'empressa de lui proposer de l'aider, et ils prirent tous les deux places sur le canapé en cuir se tenant près de nous.

Devant son regard brillant, je compris qu'elle comptait sur moi pour attirer l'attention des autres hommes afin qu'elle puisse mieux faire face à Andreï.

Bon sang.

Alors d'un pas confiant, je m'approchai du billard et lançai aux hommes présents :

— Un pari, ça vous tente ?

Ils me lancèrent un regard intéressé. Kyle se tendit quand j'affichai un sourire se voulant confiant et que je poursuivis :

— Si je gagne, laissez-moi vous demander tout ce que je désire.

— Et si on gagne ? contra l'homme de deux mètres.

Mon sourire s'élargit, en opposition aux battements irréguliers de mon pouls.

— Ça n'arrivera pas...

— Si tu joues à mes côtés, tu mettras toutes tes chances de ton côté, ma jolie, répliqua-t-il.

Mais je n'avais aucune envie de jouer avec lui... Je voulais seulement attirer son attention sur ma personne pour qu'Ivy poursuive son petit jeu avec Andreï.
Il fallait que je me montre futée. Plus que cet homme inconnu qui semblait baigné également dans les affaires d'Andreï. Son regard ne trompait pas.

Et puis, en gagnant, je pourrais lui demander ce que je voulais. Si je jouais avec lui, ma proposition tomberait à l'eau.

— Je n'en doute pas, répliquai-je enfin en penchant la tête sur le côté. Mais je ne pourrai pas te demander ce que je veux.

Sans aucune hésitation, je me tournai vers Kyle et son ami qui gardaient un œil sur moi, s'interrogeant quant à ce que j'avais en tête. Je finis par demander au brigadier m'étant si familier :

— On fait équipe ?

Histoire de pouvoir lui poser mes questions.
L'ombre d'un sourire malicieux étira ses lèvres, et il s'approcha en me couvrant d'un regard luisant d'interrogations. Son coéquipier et lui se lancèrent ensuite un coup d'œil complice, alors que le titan affichait un air goguenard.

— Je ne sais ce que tu as en tête, Melina, me souffla Kyle en se postant près de moi. Mais tu prends des risques...

Je ne répondis pas de suite, encore troublée quant à sa présence ici.
Après notre face-à-face, quelques semaines avant, nous nous étions recroisés plusieurs fois, que ce soit au cimetière, ou sur la plage, sans jamais vraiment s'attarder.
On apprenait seulement à accepter un peu mieux la présence de l'autre, en continuant de se mettre des barrières.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? lui chuchotai-je en observant notre adversaire qui traçait la ligne de zone, concentré.

Kyle garda le silence, son attention rivée sur l'homme, et devant la lueur emplie de défi qui luisait dans ses pupilles, je m'interrogeai quant à ce qu'il voulait, lui.

L'homme commença. Il observa longuement la cible qu'il voulait heurter, et il fit un limage pour se préparer. Bientôt, il se lança. La bille touchée roula pour percuta une bande afin de la faire changer de direction.
Mais elle s'arrêta sans en toucher une autre.
Les muscles noués, j'expirai doucement de soulagement en faisant si du rire des autres clients, se mêlant au bruit des verres qui tintaient.

Bientôt, ce fut à mon tour. J'ignorai le regard lourd de mes adversaires, et celui, plus curieux, de Kyle, avant de réfléchir à mon angle de tir.
Je parvins à mettre assez de puissance dans mon geste pour que le tir soit précis.
Sans pourtant qu'il y ait d'effets.

L'inconnu sourit malicieusement alors que l'allié de Kyle, répondant au nom de Zack, se positionna.

— Trouve une excuse pour partir, Melina, me souffla Kyle discrètement.

— Quoi ? demandai-je dans un murmure en vérifiant que nos adversaires ne nous écoutaient pas. Pourquoi ? Donne-moi des explications.

Il s'apprêta à me répondre, mais l'homme titanesque releva le nez vers nous en attendant que je joue mon tour. Je me mordis les lèvres et pris mon courage à deux mains pour dire :

— Bon sang, je suis rouillée, je crois. J'ai l'impression d'avoir perdu la gestuelle.

Et j'efforçai un sourire se voulant sensuel en demandant à Kyle :

— Tu me montres comment on fait ?

Puis je papillonnai rapidement des cils en espérant que l'homme pense que je cherchais à charmer Kyle en agissant ainsi.
Histoire de ne pas éveiller ses soupçons...

Kyle hésita. Il fronça les sourcils et opina en s'approchant d'un pas traînant. Ses pupilles s'attardèrent sur son coéquipier qui dit à l'homme :

— Je me sens de trop. Pas toi ?

Et il plaisanta en lui balançant plusieurs choses que je ne compris pas. Je m'approchai davantage de la table de billard en laissant Kyle s'avancer. Son regard se plongea dans le mien quand il se posta derrière moi, prêt à me montrer comment il fallait s'y prendre, aussi tendu que moi.
Il devait se sentir gêné, lui aussi, après tout ce qu'il s'était passé...

J'ignorai mes muscles crispés et laissai sa chaleur m'envelopper en luttant pour ne pas vaciller. Son bras se tendit pour qu'il referme ses doigts sur la canne avant que ses lèvres ne frôlent mon oreille sans jamais les atteindre. Je pris sur moi pour ne pas m'éloigner violemment, le souffle court, en sachant qu'il faisait ça pour tromper les autres.
Mon estomac se tordit douloureusement, quand des picotements parcouraient ma peau.
Kyle finit par murmurer :

— Les deux hommes, là-bas, sont avec moi.

Et, discrètement, je suivis son regard pour apercevoir deux hommes se tenir plus loin, scrutant les alentours. Kyle fronça les sourcils en voyant mes traits crispés, pourtant, je m'efforçai de supporter sa présence qui semblait se déployer tout autour de moi, assourdie par les battements de mon cœur. Il s'éloigna un peu pour me permettre de reprendre pied, et ajouta dans un chuchotement :

— Dans même pas cinq minutes, d'autres vont se déployer, ils viennent de me faire signe pour me prévenir. Il faudrait que tu partes avec ton amie pour ne pas en être mêlée...

Sonnée par ses dires, je ne réagis pas de suite. D'un geste calculé, il m'aida à tirer pour que je percute la bille dans un bruit mat. Elle roula avant de frapper celle qu'on visait qui glissa dans la poche. Je laissai mes yeux heurter les siens en réfléchissant à ses paroles, toujours enveloppée de sa chaleur qui s'amusait à me malmener.
La trachée brûlante, je cherchai une solution, tout en essayant d'ignorer mon corps suppliant.
La brigade antigang allait agir pour arrêter le propriétaire.
Mais le Tabu patientait pour assaillir également.
Si je traînais trop, ça serait un véritable bain de sang.

— On est déjà sur le coup, lui répliquai-je discrètement. Trouve-toi un autre pion...

Et j'ajoutai d'une voix forte :

— Joli coup ! Merci !

Je vérifiai que l'homme continuait de discuter avec le collègue de Kyle pour reprendre une bouffée d'oxygène, angoissée quant à la tournure que prenait la situation. Le grand brun esquissa un sourire amusé suite à mes dires et souffla :

— J'avais bien compris, oui, m'apprit-il. Mais il vaudrait mieux que vous lâchiez l'affaire, si vous ne voulez pas être appréhendés. Ne vous en mêlez pas.

Mes dents se serrèrent et j'aperçus les hommes qui accompagnaient Kyle nous observaient. Je m'attardai sur Ivy, qui continuait de flirter avec Andreï, et j'aperçus son pied nu remonter le long de la jambe de l'homme qui la dévorait des yeux avec avidité.

Bon sang. Il fallait qu'on dégage d'ici, et vite...

C'était elle qui était en contact avec Ayoub. Il fallait qu'on lui dise ce qu'il se passait, et qu'on déguerpisse rapidement...
Mais le temps était compté, bientôt, les collègues de Kyle seraient déployés.

— Dépêche-toi de trouver une excuse pour sortir de là, chuchota Kyle à mon oreille.

Je tressaillis quand son souffle s'échoua sur ma peau, et il s'éloigna enfin de mon corps, la mâchoire serrée et les sourcils froncés, les traits voilés d'un doute. Pourtant, il réafficha un masque et retrouva son sourire narquois quand il lança à l'homme :

— Je crois que tu as des points à rattraper. Fais gaffe, elle risque de gagner son pari.

L'homme se crispa et s'empressa de se positionner en marmonnant. J'en profitai pour m'éloigner en plaquant un sourire factice sur mes lèvres afin de rejoindre Ivy, qui affichait toujours son air sensuel, sans éveiller de soupçons. D'un raclement de gorge, je lui dis :

— Tu m'accompagnes fumer ?

Piètre excuse. Andreï fit la moue suite à ma proposition. Je priai pendant un instant qu'il ne nous propose pas de nous accompagner. En voyant mes traits tendus, ma coéquipière opina et se releva en s'excusant, puis elle agrippa mon bras pour feindre être meurtrie par sa cheville. On se dirigea vers la sortie d'un pas pressé. Je lui sifflai ensuite en vérifiant que les personnes qui fumaient dehors ne nous observaient pas :

— Préviens Ayoub qu'il faut que les membres dégagent. Les flics s'en mêlent.

— Quoi ? murmura-t-elle en écarquillant les yeux. Mais...

— Maintenant !

— D'accord ! s'affola-t-elle.

Elle s'empressa d'activer son micro en me suivant rapidement. J'entendis la voix d'Ayoub grésiller alors qu'on accélérait le pas pour retrouver sa voiture, et je remarquai de nombreux hommes vêtus d'une combinaison noire s'élancer dans le bar.
Je me figeai ensuite en entendant une intonation menaçante. Sans hésiter, on s'élança pour s'en éloigner. Ivy jura :

— Je savais que son plan allait foirer !

On aperçut bien vite la voiture d'Ayoub et il démarra immédiatement. Je remarquai ensuite que les véhicules appartenant aux membres prêts à nous venir en aide n'étaient plus présents. Je me détendis à cette constatation. Alors Ayoub avait réussi à les prévenir, mais aussi à les convaincre de ne pas s'en mêler.

Heureusement, dans quel cas, il y aurait eu de nombreuses pertes.

— Comment tu as su que les flics allaient s'en mêler ? me demande Ivy.

— C'est pendant que je jouais au billard, j'ai grillé une discussion entre certains d'entre eux, mentis-je.

Et j'ajoutai :

— Je suis rassurée de voir que personne n'a agi bêtement. J'avais peur qu'Ivy t'ait donné l'alerte avant que je n'aie le temps de la prévenir.

— J'allais le faire quand Andreï a commencé à se montrer bizarre..., nous apprit-elle avant qu'un rictus ne torde ses lèvres. C'est con, putain, j'ai eu quelques informations, mais il a fallu que ces connards de keufs s'en mêlent !

Une grimace peignit mes traits avant que je ne m'égare dans la contemplation de la route qui défilait rapidement, encore tendue.

— D'un côté, le fait qu'ils s'en soient mêlés est une aubaine, lâcha Ayoub. On évite un sacré conflit...

Et il avait raison.
Finalement, même si nous avions perdu du temps pour rien, et que la mission était un échec, il fallait également avouer que nous avions évité un énorme bain de sang, ainsi qu'une future guerre.
Filipp nous en porterait rigueur, je le savais, mais je préférais ça à son idée de départ.

Kyle m'avait permis de me sortir d'un sacré pétrin. Sans lui, nous aurions été mêlés à une sale situation.
Mais pourquoi me prévenir ? N'était-ce pas là une trahison envers ses coéquipiers ?

En repensant à son air sérieux lorsqu'il m'avait soufflé de m'échapper, je sentis ma gorge s'assécher.

— Vous savez, Andreï était bizarre, quand je lui ai demandé ce qui se trouvait dans le sous-sol. Ça cache du sale, siffla Ivy en s'asseyant plus confortablement.

Je ne répondis rien, l'adrénaline circulant encore dans mes veines. Ayoub finit par demander :

— Vous avez vraiment eu de la chance de pouvoir sortir de là avant que ça ne dégénère.

— C'est clair, affirma la jeune femme. Tant mieux, pour une fois que ça se passe sans écarts...

Bientôt, on arriva devant le repaire. Ayoub se gara, et Ivy sortit en s'étirant avant de rejoindre l'entrée. Je me détachai avant que mon ami ne prenne la parole, ignorant la tension glaciale qui régnait dans l'habitacle :

— Je suis désolé.

Surprise, je le dévisageai, et je répondis :

— De quoi ?

Ses lèvres s'arquèrent en un triste sourire avant qu'il ne détaille longuement mes traits, un drôle d'éclat dans les yeux.

— J'ai bien vu que tu n'étais pas bien pendant quelques semaines, avoua-t-il doucement. Et je t'en ai voulu de ne rien me dire. Je t'en ai voulu de ne pas m'en avoir parlé.

Il détourna honteusement la tête en serrant la mâchoire, son regard se perdant à travers son pare-brise.

— Et j'ai mal réagi, la dernière fois, continua-t-il. D'ailleurs, se voir tous les jours sans s'adresser la parole, ça m'a fait chier. On dirait des gosses !

Un sourire fendit mon visage et mon cœur s'allégea.
Je ne pouvais pas lui en vouloir. Je ne lui en avais pas tenu rigueur, d'ailleurs. J'aurais probablement agi de la même manière s'il m'avait caché qu'il n'allait pas bien.
Il était un rouage important dans ma vie. J'avais besoin de lui.

— Tu m'as manqué, petit con, ricanai-je.

Il me couvrit d'un regard chaleureux, doux, et sourit un peu plus. Il me tendit son poing pour que je frappe dedans, en signe de paix. 

Oui. Il m'avait manqué pendant ces quelques semaines d'ignorance.

— Tu ne te sens toujours pas d'en parler ? s'enquit-il.

J'hésitai et me perdis dans mes pensées en évitant son regard, puis j'avalai ma salive pour faire disparaître la boule d'angoisse qui obstruait ma gorge.

— C'est rien, parvins-je à lui dire. Disons que c'était seulement une mauvaise passe... D'anciens souvenirs qui ont refait surface, ça m'a troublée.

Je m'interrompis en ignorant ma bouche sèche. Je continuai de fuir ses yeux cherchant les miens et achevai :

— Mais ça va mieux.

Du coin de l'œil, je l'aperçus se tendre, et il me demanda de le regarder. Ce que je fis. Il secoua la tête en soupirant, et il me tendit la main. Perplexe, je l'empoignai pour profiter de sa chaleur.

— Non, ce n'est pas le cas, je le sais, chuchota-t-il.

Et il serra doucement mes doigts avant de les relâcher pour laisser sa tête retomber contre le siège lorsqu'il leva le nez vers le plafond. Face à ses yeux brillants, un sentiment de peine noua mes tripes.

— Tu connais mon passé, continua-t-il. Tu sais pourquoi je suis dans le Tabu, et ça, c'est parce que je te fais confiance, Mel'. Mais toi, tu sembles t'éloigner de plus en plus, et ce n'est pas bon...

Un soupir lui échappa, et il ajouta :

— Ce n'est pas bon de tout garder en soi, car à force de tout porter sur ses épaules, on finit par s'écrouler sous le poids de nos problèmes.

Il reposa ses billes sur moi en esquissant un tendre sourire.
Il avait raison, oui. Mais je ne savais pas comment être honnête.
J'avais peur.

— Alors parler peut te faire du bien, tu sais ?

— Le truc, c'est qu'on a tous nos problèmes, soufflai-je. Ça serait égoïste de faire part de ses soucis à quelqu'un qui croule dans les siens.

Ayoub secoua encore la tête sans perdre son air doux.

— Si la personne est là pour toi, ça n'a rien d'égoïste, au contraire. Tu dois le comprendre. Je me répète, mais tu n'es pas seule.

Le silence nous enveloppa. Je tournai le regard, la gorge nouée. Il ne disait plus rien, attendant que j'ose prenne la parole. Je voulais m'ouvrir, lui dire mes tracas, mais c'était si dur...

— Tu sais que j'ai..., commençai-je avant d'hésiter. Que l'on a abusé de moi, quand j'étais plus jeune.

Ma gorge se noua davantage avant que mes mains ne deviennent moites. Qu'est-ce que c'était douloureux, d'en parler. Il le savait, oui, mais de le dire rendait cet enfer encore plus réel.

— Je le sais, oui, murmura-t-il.

— Je... Si je parvenais à ignorer cette douleur constante, depuis peu, j'en suis incapable..., avouai-je. Ça me bouffe, Ayoub. J'ai mal...

Et mon souffle s'accéléra avant que je ne tremble légèrement. Je déglutis avec peine avant que je ne poursuive :

— J'ai l'impression de devenir folle, confiai-je en essayant de contrôler les chevrotements dans ma voix.

Démuni, Ayoub hésita quant aux gestes qu'il devait avoir. Je tournai le nez vers lui en sentait ma cuisse s'agiter. Je me sentais si idiote de ressentir tant de choses contradictoires. J'avais peur des hommes, mais je faisais des mauvais choix. Constamment. Entre mes angoisses, et mon désir de faire face. Mon effroi inspirée par Kyle, et ma volonté de l'affronter pour me prouver que j'étais forte...
Peut-être qu'au fond, je méritais ce mal ?
Que je méritais ce que j'avais subi ?

Il finit par dire :

— Tu ne l'es pas, Melina. Tu ne l'as jamais été. Tu as subi quelque chose d'atroce, quand tu étais enfant, et tu n'es en rien fautive. Tu comprends ?

Je me détournai à nouveau avant de sursauter quand j'aperçus Chris et Dalila se tenir près de la voiture. Elle toqua à la fenêtre en souriant à pleines dents. Je m'empressai de papillonner des cils en lançant un coup d'œil à Ayoub qui m'observa avec peine, mais également conviction.

— Venez, les gars, ça fait un moment qu'Ivy est revenue sans vous, qu'est-ce que vous foutez ? entendis-je.

On sortit de la voiture, mettant définitivement un terme à notre discussion.
Et si Ayoub prétendait que se confier nous permettait d'aller mieux, je me sentais pourtant écrasée.
Submergée.
J'avais honte d'avoir tant parlé.
De lui avoir confié mes peurs.

Ce fut sur un pas traînant que je suivis mes amis, la tête en vrac.

Hey !

Alors, des avis concernant leur "mission" ? Qu'avez-vous pensé de Kyle ?

Que pensez-vous de Mel et Ayoub ?

J'espère que ce chapitre vous plaira !

Bisous à tous!

~Chapitre revu~

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