Chapitre 20
« C'était un risque de vivre. »
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La mort de Sofia m'avait une cicatrice indélébile dans le cœur. Elle avait rejoint les cieux bien trop tôt, et j'étais furieuse contre le destin de punir des personnes aussi innocentes, de les faire souffrir autant, quand elles méritaient de vivre de belles choses.
Oui, la mort l'avait frappée de plein fouet, l'avait terrassée jusqu'à ce qu'elle émette son dernier souffle. La vie était ainsi. Nous n'étions jamais sûrs de voir un lendemain. Nous n'y prêtions pas attention, mais chaque jour risquait d'être le dernier.
C'était un risque, de vivre.
De plus, personne ne faisait réellement attention au présent. Nous nous plaignions souvent du passé, et nous attendions que le futur arrive sans jamais profiter du jour-j.
Je repris mes esprits pour lancer un coup d'œil à Ayoub qui roulait en me lançant parfois des œillades inquiètes.
Nous devions dîner avec un couple faisant partie du gang Des Indomptés pour parler affaires.
— Melina, souffla doucement mon ami.
Je ne dis rien et gardai obstinément les yeux rivés sur la fenêtre alors que l'odeur du cuivre effleurait mes narines. Une pression se fit ressentir contre ma cuisse. Je me tendis en lançant un regard à Ayoub qui affichait un air de défi.
Il savait que je n'aimais pas ça.
Mais devant mon regard vide, il se crispa davantage.
— Réagis, bordel ! On dirait une coquille vide !
— Je suis fatiguée, c'est tout, répondis-je en haussant les épaules.
Et j'affichai un rictus pour couronner mes propos. Il pressa un peu plus ma cuisse, dans l'espoir de me voir me mettre en colère. En vain. Il se détourna finalement en serrant la mâchoire, mais pas à cause de la couleur. Sa main se reposa sur son volant, et j'aperçus ses iris de jade s'assombrir.
— Melina, tu as beau dire que tu vas bien, que tu es fatiguée, je sais que c'est faux. Je te connais, je sais quand tu me mens... Et ça fait un moment que tu te comportes bizarrement.
Mon sang se glaça dans mes veines alors que je secouais la tête en souriant un peu plus. Pourtant, mon cœur continuait de me faire souffrir.
— Je t'assure, Ayoub, je vais bien.
C'était le cas. Seulement, le vide qui rongeait ma poitrine était bien plus présent. Il s'était davantage creusé, depuis la mort de Sofia, et je savais qu'il grandirait, encore et encore, quand la vie m'assénerait d'autres coups. Peut-être qu'à force de vieillir, les ténèbres finiraient par remplir mon corps et je ne deviendrais plus qu'une coquille vide, plus qu'une vulgaire carcasse.
Ayoub me lança un autre coup d'œil en soupirant. Il garda une main sur le volant, quand l'autre passa dans ses cheveux bouclés, et il murmura :
— Pourquoi est-ce que tu ne me dis plus rien ? Est-ce que...
Sa voix se brisa alors qu'il hésitait à poursuivre, puis il souffla :
— Est-ce que j'ai fait quelque chose qui t'a blessée ?
La culpabilité m'étreignit, et je répondis :
— Bien sûr que non, Ayoub. Au contraire, tu ne m'as jamais fait de mal. Jamais. C'est juste que je pense à un tas de choses. Je ne veux pas t'imposer davantage de tourments. Tu as déjà des choses à régler.
Son regard heurta le mien avant qu'il ne se concentre à nouveau sur la route, et devant le chagrin qui dansait au fond de ses iris, je sentis ma gorge se nouer.
Ayoub était comme un membre de ma famille.
Un frère que je n'avais jamais eu.
— J'avais déjà remarqué que tu étais bizarre, lorsqu'il y a eu cette course, ce soir-là. Je n'avais pas insisté, mais plus les jours passent, plus tu agis étrangement, Melina. Que s'est-il passé ? Dis-moi au moins ce qui t'a chamboulée, ce jour-là.
En repensant à l'homme que j'avais passé à tabac, lors de la course d'automobiles, un frisson dévala mon échine. J'hésitai un bref instant et finis par avouer :
— Je... Un homme agressait une femme... Je m'en suis mêlée... Encore une fois.
Et voilà. Je lui infligeais une nouvelle fois ça. Il ne se remettait pas de ce que sa sœur avait subi, pire encore, il y avait quelques années, j'avais commis une terrible erreur en m'attaquant à un homme qui s'en était pris à une femme...
Ayoub garda le silence. Pourtant, j'aperçus ses mains serrer le volant, et un soupir étranglé traversa ses lèvres. Il fronça les sourcils en un air chagriné, et reprit bien vite ses esprits, le regard dur.
— Il t'a fait du mal ?
— Non.
— Est-ce que...
— Non, il est toujours en vie, l'interrompis-je.
Malgré lui, il émit un souffle soulagé.
Oui, en m'attaquant à cet homme, ce soir-là, j'avais réussi à m'arrêter avant d'en finir.
J'avais réussi à calmer ma fureur avant de commettre une erreur.
Une nouvelle fois.
— T'es forte, Melina. Je ne sais pas si j'aurais réussi à m'arrêter avant.
— Je ne sais pas si on peut dire que laisser vivre une ordure est une force..., chuchotai-je. En les laissant vivre, on regrette en se disant qu'ils agiront peut-être à nouveau, mais si on s'en débarrasse, on est bouffé par la culpabilité, en se répétant qu'on n'est pas mieux qu'eux.
Et il le savait. Il avait tué l'homme qui s'en était pris à Inès, et je savais que sa fureur se confondait encore avec la culpabilité.
Parce que retirer la vie d'un être humain nous rongeait.
Je ne le savais que trop bien, moi aussi.
Nous le savions tous les deux, car nous avions tous les deux du sang sur les mains. Que ce soit pour se défendre.
Mais aussi pour se venger.
Oui, même si on prenait l'habitude d'ôter la vie à des individus, au sein de notre monde, il y avait des visages qui nous hantaient plus que d'autres.
— Je voulais en finir, Ayoub. J'ai ressenti une rage folle, quand j'ai fait face à cet homme. Si tu savais à quel point j'ai dû prendre sur moi pour ne pas lui trancher la gorge.
Ma voix chevrota légèrement, et il le remarqua, car il riva ses yeux dans les miens avant qu'il ne chuchote :
— C'est humain, Melina, de ressentir de la colère.
Et, s'il n'en dit pas plus, je compris ce qu'il voulait dire.
Oui, c'était normal d'être en colère contre le monde entier, contre des individus qui nous rappelaient nos démons.
Je me détournai de son profil pour regarder le paysage qui défilait. Un sourire tordit ensuite mes lèvres en remarquant que des petites particules blanches virevoltaient lentement, berçaient par le souffle du vent, afin de retomber sur le bitume avec douceur.
Il neigeait...
Il n'avait plus neigé depuis tant d'années...
— Et, s'il te plaît, Ayoub, ne te préoccupe plus de moi comme ça. Pense un peu plus à toi, lui dis-je en évitant son regard.
— Tu t'entends, Mel' ? demanda-t-il en haussant légèrement la voix. Ne plus me préoccuper de toi ? Mais n'importe quoi ! Tu me prends pour qui, au juste ?
Je tournai le nez vers lui avant de retenir mon souffle devant ses traits assombris. Il était en colère, déçu, et peiné...
Ayoub se préoccupait bien trop de ses proches, quitte à s'oublier, et je voulais qu'il cesse.
Du moins, qu'il s'inquiète davantage pour lui, plutôt que pour moi... Il devait apprendre à penser à lui.
Quitte à être égoïste.
— Arrête de me regarder comme ça..., dis-je en sentant mon sang brûler. Arrête de me regarder avec pitié, Ayoub...
— Mais Melina, ce n'est pas de la pitié ! s'agaça-t-il en gardant les yeux rivés sur la route. Je m'inquiète pour toi, tout simplement ! Faut que tu l'acceptes. T'es pas toute seule, tu sais ? C'est normal que tes amis se préoccupent de toi, espèce d'imbécile !
Mon souffle se coupa suite à ses propos, et je me pinçai les lèvres, les oreilles sifflantes à la fois de colère, mais aussi de surprise.
— Oui, je sais..., finis-je par avouer.
Puis je grimaçai avant de sourire froidement :
— Tu viens vraiment de m'insulter d'imbécile ? Salaud !
Un rire le secoua, et il me lança un autre coup d'œil, les yeux toujours voilés.
— Tu me saoules, sérieux. Depuis toutes ces années, tu devais avoir compris que t'es pas toute seule. Dalila, Chris, et tant d'autres personnes se préoccupent de toi. On se préoccupe de toi.
Je ne répondis rien.
Oui, j'en avais bien conscience. Mes amis étaient devenus ma famille, en partie. Je savais que je pouvais compter sur eux, comme ils pouvaient compter sur moi.
Mais je ne voulais pas qu'ils s'oublient...
— Toi aussi, Ayoub, t'es pas tout seul.
J'aperçus ses lèvres se recourber, mais il ne dit rien.
Parce que nous en avions déjà trop dit.
Parler à cœur ouvert ainsi n'était pas dans nos habitudes. Il était difficile de montrer notre vulnérabilité, même à nos proches, plus encore dans ce milieu.
Bientôt, on arriva à destination. Quand on entra dans le restaurant, un serveur habillé somptueusement se dirigea vers nous pour nous saluer poliment.
Je m'esclaffai discrètement face à son accoutrement. Mais qu'est-ce que nous fichions ici ?
Ayoub me lança un regard d'avertissement face à mes lèvres pincées, ce qui me dissuada de rire. Je toussotai pour feindre l'innocence et, après que mon ami lui ait donné nos noms de code, l'homme nous guida vers une table.
Le couple était déjà présent.
On prit place sur nos chaises en défiant des yeux les deux membres adverses. L'homme devait avoir vingt-deux ans, voire moins. Ses cheveux clairs retombaient devant ses yeux noirs, alors qu'il portait une chemise raffinée qui moulait le surplus de ses muscles.
La femme semblait plus âgée qu'Ayoub et moi. Elle avait remonté ses cheveux d'ébène en un chignon qui dévoilait son visage aux yeux noisette. Elle portait un rouge à lèvres qui mettaient sa bouche charnue en valeur.
L'homme sourit face à notre air méfiant, et il prit enfin la parole :
— Détendez-vous, on n'est pas là pour vous déclarer la guerre.
J'efforçai un sourire amusé face à sa blague, et la femme qui l'accompagnait roula des yeux, bien qu'un petit air moqueur teintait son visage.
— Que voulez-vous savoir, exactement ? demanda Ayoub en soutenant le regard malicieux de l'homme.
Je m'enfonçai dans ma chaise en croisant les bras contre ma poitrine. Le couple se lança un regard complice, et le plus jeune reporta son attention sur mon ami, sans se démunir de son air narquois, et il chuchota :
— Notre patron pense qu'un nouveau gang se forme. Nos boss en ont discuté et nous envoient tous les quatre pour qu'on puisse s'informer.
Ayoub fronça les sourcils avant de se pincer les lèvres. Ses doigts tapotèrent la table avant qu'il ne me lance un coup d'œil perplexe.
— On n'en sait pas plus que vous, déclara-t-il en avançant légèrement. Qu'est-ce qui vous fait croire qu'un nouveau gang prend forme ?
La femme, silencieuse jusque-là, nous observa longuement avant de froncer ses fins sourcils. Elle but une gorgée de son vin et étira ses lèvres en un rictus.
— Récemment, alors qu'on devait parler affaires avec des alliés, on est tombé sur leurs corps. C'était un massacre. D'abord, on pensait qu'il s'agissait d'un règlement de compte entre eux et un gang adverse, mais en remarquant les symboles qui tailladaient leur peau, on a compris que c'était plus complexe. On n'avait jamais vu ce symbole avant.
Mon cœur loupa un battement, et je vrillai mes yeux dans les siens, soudainement intéressée. Un symbole ? Quelques gangs signaient leurs victimes pour montrer leur force. Pour effrayer leurs adversaires.
C'était barbare.
— Et à quoi ressemblait le symbole ? chuchotai-je.
La brune, face à mon air curieux, sourit davantage, le visage rayonnant d'amusement.
— Regarde par toi-même, répondit-elle en faisant glisser son téléphone vers moi.
Je lançai un coup d'œil autour de moi. Tous discutaient entre eux, plongés dans leur bulle. Je posai mon regard sur le téléphone pour observer la photo. Je déglutis devant l'état de l'homme. Ses meurtriers étaient de vrais bouchers...
— N'hésite pas à défiler, me lança-t-elle en buvant une autre gorgée de vin.
Je fis glisser l'écran avant de me figer, et ma gorge s'assécha en voyant la seconde photo.
C'était un gros plan sur le ventre du corps. Il était mutilé pour former un signe que j'avais déjà vu.
Le même symbole que les meurtriers de Rosa, ainsi que nos poursuivants, à Kyle et moi...
Muette, je détaillai le cliché pour mieux voir le symbole qui formait un cercle ailé et, à l'intérieur, y était dessiné un triangle enflammé.
Je remarquai bientôt que mon souffle était saccadé. Alors c'était lui, le nouveau gang ? Ma gorge se noua, et une boule d'angoisse se forma dans mon estomac.
Mais quel était leur but ?
— Je reviens, soufflai-je en me redressant.
Et je m'élançai en direction des toilettes, écrasée par le regard suspicieux du couple, et inquiet de mon ami. Je devais recouvrer mes esprits, et vite. Je suffoquais. J'étouffais...
J'ouvris violemment la porte pour faire faire à une femme qui se lavait les mains. Elle me lança un regard mauvais, la mine sévère, et sortit en me bousculant légèrement. Trop troublée pour réagir, je m'approchai du lavabo et affrontai mon reflet.
Un nouveau gang... Et je leur avais fait face à deux reprises...
Et, à en juger les clichés, les membres étaient de vrais barbares...
Mais que voulaient-ils ? Ils avaient tué Rosa, avant de m'attaquer pour une raison qui m'échappait.
Et ils m'avaient traqué en présence de Kyle.
Ce n'était pas un hasard...
Tremblante, je ramenai mes mains contre mon visage brûlant, en opposition avec ma poitrine glaciale.
J'en devenais dingue.
J'ignorai la sueur qui dévalait mon dos et pris une profonde inspiration.
D'accord. Je leur avais fait face à deux reprises. La première fois, ils s'en étaient pris à Rosa, mais aussi à moi, mais ne s'en seraient-ils pas pris aux autres membres du Tabu, s'ils avaient été présents ?
Mais la seconde fois... Ce n'était pas une coïncidence...
Je n'avais rien fait pour me mettre un gang à dos. S'ils en avaient uniquement après moi, ils auraient encore frappé. Or, ils ne s'étaient plus manifestés.
Du moins, pas directement. Ils s'en étaient pris à un petit gang allié à celui Des Indomptés.
Cela prouvait bien qu'ils avaient un but large...
Mais lequel ?
Pourquoi nous avoir poursuivis, Kyle et moi, ce soir-là ?
Pouvait-il en avoir après lui ?
Je n'y croyais pas, car je l'avais aperçu il y avait quelques jours, en allant déposer des fleurs à mes parents et à Sofia.
Si c'était le cas, je ne l'aurais plus recroisé en allant au cimetière.
Quoi que peut-être dans sa tombe...
Ma bulle éclata enfin. De nombreux sons résonnèrent jusqu'à mes oreilles encore bourdonnantes. Des bruits de couverts. Des voix. Des rires. Mais aussi mon cœur battant la chamade. Je grimaçai en me concentrant sur ma respiration affolée, dans l'espoir de me calmer enfin, et je sortis bien vite des toilettes en affichant un sourire factice.
Je rejoignis ma table et m'excusai :
— Désolée, ça urgeait.
Puis j'esquissai un gros sourire afin de cacher mon malaise. Au moins, ils ne me poseraient pas de questions. Le blond esquissa un rictus moqueur avant de prendre la parole :
— On espérait avoir des infos de votre part, mais le fait est que vous n'avez pas l'air d'être au courant de quoi que ce soit... On se contentera de faire des recherches de notre côté, mais faites-en aussi de même. S'il y a quoi ce que soit, contactez-nous.
Ayoub acquiesça, et on resta quelques heures dans le restaurant pour ne pas éveiller de soupçons. Leur gang était allié au Tabu depuis quelques années, et on faisait parfois affaire avec eux. Seulement, avec cette histoire, il risquait d'y avoir des tensions, puisque chacun se méfierait de l'autre.
Plus qu'à l'accoutumée.
Bonne année à tous et à toutes, voici un nouveau chapitre pour commencer 2017 ! ❤️
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
De l'histoire à propos du nouveau gang ?
Bonne soirée !
~Chapitre revu~
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