Chapitre 15.1
«Mais pourquoi me protéger de la mort, s'il me soupçonnait de danser en son sein ? »
_________________
La route défilait sous mes yeux depuis une quinzaine de minutes, laissant parfois quelques réverbères illuminer l'intérieur de l'habitacle et projeter leurs lumières sur le visage insondable de Kyle qui gardait le silence.
Comme moi.
La gêne que je ressentais à l'idée d'être seule avec lui dans une voiture me muselait, m'entravait.
Je me sentais idiote d'avoir accepté qu'il m'emmène en ville, tout en me méfiant intensément de lui.
N'était-ce pas contradictoire ?
Peut-être aurais-je dû refuser pour éviter d'avoir le cœur tant serré et la gorge aussi nouée ?
Pathétique.
J'avais évolué dans un milieu dangereux, m'étais mise à dos de nombreuses personnes, avais fait face à des criminels redoutés, mais j'étais incapable de me détendre en présence d'un homme.
J'étais lasse de cette peur enfouie en mon sein.
Oh oui, j'étais fatiguée d'être effrayée constamment, incapable de garder la tête haute pour faire face au monde qui m'entourait.
Est-ce qu'un jour, cette effroi s'en irait ?
Mon cœur parviendrait-il à battre à nouveau normalement sans ressentir la moindre peur ? Pourrait-il se libérer de ses entraves ?
Dans un mouvement à peine perceptible, je tournai le nez vers Kyle en ignorant mes membres lourds. Concentré sur la route, il ne laissait aucune émotion venir assombrir ses traits indéchiffrables. Ses yeux d'un bleu profond brillaient dans la pénombre de l'habitacle, miroitant parfois les lumières extérieures pour s'illuminer dans un ballet céleste.
S'il semblait calme, à cet instant, je percevais pourtant son trouble dans son regard et dans sa mâchoire serrée.
Peut-être se méfiait-il de moi, lui aussi ?
En remarquant que je le dévisageais, il me lança un bref coup d'œil avant de froncer les sourcils, en opposition avec le léger sourire narquois qui incurva ses lèvres.
— Un problème, Melina ? me lança-t-il.
Je haussai les épaules avant de répondre :
— Je me demandais seulement comment tu t'y étais pris pour me voler mon porte-monnaie sans que je ne remarque rien. Ne faut-il pas de l'entraînement pour en arriver à ce résultat ?
Alors que je pensais qu'il se braquerait, son sourire se fit plus large, et une lueur arrogante traversa ses pupilles qui se vrillèrent dans les miennes le temps d'un instant.
— Je sais pas trop, à toi de me le dire.
Malgré moi, un rictus peignit mon visage, et je me détournai pour contempler à nouveau la route.
La lune en croissant défiait les nuages qui cherchait à la recouvrir, pourtant, elle continuait de resplendir.
— J'avoue que j'aurais donné cher pour voir ta tête lorsque tu t'es aperçue de sa disparition, ajouta-t-il finalement.
Mon visage se tordit en une petite grimace avant que je ne tourne à nouveau la tête vers lui. Il me lança un coup d'œil furtif sans se démunir de son air narquois. Je me contentai de hausser les épaules, honteuse quant à l'angoisse que j'avais ressenti en cherchant mon porte-monnaie.
— Dommage pour toi, tu étais trop occupé à m'attendre sagement dehors..., lui lançai-je, piquante.
— Ce fut un réel plaisir, tesoro. J'adore patienter dans le froid pour pouvoir discuter avec toi.
Je roulai des yeux en ravalant un sourire amusé. Ne s'arrêtait-il jamais ? Et ce surnom ridicule...
— Alors dis-moi ce que tu as à me dire. Je doute que tu m'aies attendue seulement pour me rendre mon porte-monnaie, ni pour profiter de ma douce présence, pas vrai ?
Autre coup d'œil de sa part. Je le contemplai en croisant les bras, ignorant difficilement le silence pesant régnant dans l'habitacle, mêlé par les battements sourds de mon cœur.
— T'as tout faux, Melina.
Son regard pers se mêla au mien pendant un bref instant, et il reporta son attention sur la route plongé dans les ténèbres. J'aperçus ses doigts serrer davantage le volant, et il fronça les sourcils en une moue plus sérieuse. Je continuai de le détailler, troublée par son air sombre. Ses lèvres s'entrouvrirent, mais il ne poursuivit jamais, car des phares à l'arrière percèrent l'obscurité et illuminèrent l'habitacle jusqu'à nous aveugler.
La mâchoire de Kyle se crispa, et il accéléra sans mot dire. Surprise, je lançai un coup d'œil à la voiture qui roulait derrière nous à vive-allure, sans jamais pourtant nous dépasser. Mon sang se glaça d'appréhension quand le brun appuya un peu plus sur l'accélérateur, une colère sourde émanant de ses pores.
Le moteur gronda un peu plus, et la voiture de Kyle s'élança davantage. Mes ongles s'enfoncèrent dans le cuir du siège alors que ma gorge se serrait d'inquiétude. En remarquant les jointures blanchies du brun, les pulsations de mon cœur s'affolèrent.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demandai-je en me doutant pourtant de la réponse.
Il lança un regard dans son rétroviseur en serrant la mâchoire, et il hésita à me répondre. Pourtant, quand il me lança un énième coup d'œil, il dut lire sur mon visage que je n'en démordrai pas.
— Cette voiture nous suit depuis un moment... Si j'avais des doutes au début, je suis maintenant sûr que c'est bien le cas.
Je me figeai et enfilai rapidement un masque froid pour ne pas le troubler, et me tournai en plissant les yeux, aveuglée par les phases de nos poursuivants. Je compris ensuite la raison pour laquelle Kyle avait quitté l'autoroute à la première sortie, et pourquoi il avait emprunté des routes plutôt isolées.
Il voulait voir si cette voiture le suivrait.
Décidément, à chaque fois que je me retrouvais avec lui, nous nous faisons traquer comme des bêtes.
Peut-être qu'il était moins angélique qu'il ne le laissait paraître.
Peut-être qu'au fond, mes doutes à son sujet étaient fondés et qu'il cachait bien des choses malsaines ?
Pourquoi, sinon, serait-il traqué ainsi ?
— Super..., fut la seule chose que je parvins à dire.
La voiture qui nous prenait en chasse accéléra et frôla celle de Kyle qui jura, les yeux noircis par la colère. Je frissonnai à cette constatation en m'enfonçant dans mon siège, l'estomac retourné à cause de la vitesse.
Soudain, il bifurqua à droite dans un crissement de pneu pour emprunter un chemin étroit. Je tressaillis en remarquant que nos poursuivants nous suivirent sans même ralentir. Kyle pressa l'accélérateur, le visage voilé par un sentiment sinistre, un éclat sauvage luisant dans ses pupilles.
Je tournai à nouveau les yeux vers l'arrière, dans l'espoir de voir le visage du conducteur de cette voiture, ou au moins sa plaque d'immatriculation.
En vain.
Un bruit détona pour me figer le sang, et je retins mon souffle en comprenant que l'un de nos poursuivants tirait sur nous. Kyle, qui l'avait sûrement compris avant moi, ne laissa rien transparaître. Il se contenta de bifurquer à nouveau dans un crissement de pneu pour s'élancer sur une route formant une ligne droite et large, vide, avant de ralentir. Je lui lançai des coups d'œil affolés avant qu'il ne retire l'une de ses mains du volant pour soulever légèrement son haut afin de saisir un flingue.
Le front moite de sueur, j'écarquillai les yeux face à son air sinistre, et il me lança :
— Ils ont réussi à toucher une roue. Je vais m'arrêter, et on va sortir de la voiture en vitesse pour les déstabiliser, j'ai réussi à les tenir à distance, le temps qu'on puisse s'éloigner de la voiture avant qu'ils ne se rapprochent.
— Mais-
— On n'a pas le choix, Melina.
Je serrai les dents et opinai avant de me figer quand j'aperçus nos poursuivants se rapprocher davantage de la voiture qui s'était arrêtée. Kyle, le visage incernable, se détacha et me lança un regard lourd de sens. Tremblante, je retirai à mon tour ma ceinture avant d'ouvrir la portière quand il me fit signe, et je sautai en fermant les paupières, avant de rouler pour m'éloigner du véhicule en ignorant la douleur qui me lancina quand mon corps s'écrasa contre le sol.
Bientôt, j'entendis d'autres coups de feu. Les balles sifflèrent, fendirent l'air, alors que mon souffle se faisait de plus en plus court tant l'appréhension m'enserrait la gorge. Tremblante, je m'empressai de me relever en reculant pour m'éloigner de la voiture de Kyle et constatai que le véhicule de nos poursuivants s'élançait toujours en faisant de drôles de bruits, comme si le conducteur avait perdu le contrôle de son véhicule. J'aperçus par la suite que leur pare-brise était criblée de balles, tout comme les roues.
Bien vite, Kyle se posta face à moi, comme pour faire barrage, et pointa son arme vers le véhicule qui ralentissait de plus en plus dans un nuage de fumée, percutant le nôtre dans un bruit assourdissant qui me glaça le sang.
— Reste derrière-moi, m'ordonna-t-il.
Je me retins de dire quoi que ce soit et laissai Kyle reculer en me contraignait à suivre le mouvement. Il garda son arme pointée vers le véhicule de nos poursuivants, prête à tirer.
Bientôt, un homme sortit du côté passager, du sang maculant sa mâchoire, et face à son regard fou, je sentis mes jambes fléchir sans pourtant céder sous mon poids.
— Vous êtes morts, tous les deux ! Vous l'avez buté ! hurla-t-il en s'approchant de nous, armé également d'un flingue.
Kyle ne cilla pas. Il se contenta de soutenir le regard de l'inconnu qui semblait être en état de choc, à en juger par ses yeux révulsés et ses membres tremblants.
Je compris bien vite qu'il faisait allusion à son partenaire, probablement le conducteur, et que le sang maculant sa mâchoire ne venait pas que de lui...
L'homme leva son arme dans un geste tremblant, et j'aperçus Kyle se crisper avant qu'il ne se dresse de toute sa hauteur, toujours devant moi. Je fronçai les sourcils en remarquant l'avant-bras tatoué de l'inconnu qui cracha d'autres injures. Et, bien vite, il s'apprêta à appuyer sur la détente, mais le brun fut plus rapide. Il tira sans aucune hésitation, et la balle fendit l'air pour se loger dans le crâne de notre adversaire.
L'homme émit un gargouillis sinistre avant qu'il ne s'écroule sur le bitume dans un bruit sourd, baignant dans son propre sang. Je me raidis, retournée par tout ce qu'il venait de se passer. Kyle garda un œil sur lui, prêt à lui tirer à nouveau dessus, et en constatant qu'il était bel et bien mort, il abaissa son arme avant de se tourner légèrement vers moi pour me couvrir d'un regard brûlant et scrutateur.
Je reculai d'un pas face à ses traits sombres et à ses yeux enténébrés. Il se détendit imperceptiblement avant de pousser un long soupir. Ses doigts se plongèrent dans ses cheveux bruns, qu'il ébouriffa nerveusement, avant qu'il ne souffle :
— Rien de cassé ?
La gorge sèche, je secouai la tête avant de réussir à dire :
— Je ne peux pas en dire autant de ta voiture...
Il lança un coup d'œil à sa voiture bien amochée à cause de celle de nos poursuivants. Le choc entre les deux véhicules n'avaient pas été aussi violents, puisque Kyle avait ralenti le conducteur en lui tirant dessus, mais assez pour qu'elle ne soit plus apte à nous ramener chez nous... Je contemplai la carrosserie de nos adversaires et aperçus la silhouette du conducteur, raide mort, la tête reposant sur son volant ensanglanté. Je me détournai en grimaçant.
— Est-ce que ça t'arrive souvent, ce genre de choses ? demandai-je, dans l'espoir de détendre l'atmosphère.
Mais comment le pouvais-je, quand moi-même je ressentais une terrible angoisse en mon sein ?
Nous avions été poursuivis par des inconnus, pour une raison qui m'échappait, et Kyle avait tué deux personnes de sang-froid, comme s'il était habitué...
Mais, qu'il soit familier à ce genre de choses ou non, le fait était qu'il nous avait sauvé...
— Tout dépend de ce que « souvent » veut dire, pour toi, répondit-il en retrouvant l'ombre de cette lueur narquoise propre à lui brillant dans ses yeux.
Pourtant, malgré sa réponse, comme lui, je fus incapable de sourire vraiment.
Car deux personnes étaient mortes, ce soir, et s'il n'y avait aucun témoin, nous ne pouvions pas faire comme si de rien n'était.
Pire encore, car Kyle était lié à Peter, d'une manière ou d'une autre.
D'un pas hésitant, je m'approchai de l'inconnu qui gisait dans son propre sang avant de m'agenouiller prudemment sans jamais le toucher, et mon attention se posa sur l'encre couvrant son avant-bras.
Lorsque je reconnus le symbole, un vertige me prit d'assaut. Ma vue se troubla un bref instant, et un haut-le-cœur souleva mon estomac. Pourtant, je le détaillai pour imprimer dans ma mémoire l'encre formant deux ailes déployés en formant des flammes. Je me redressai, comme si j'avais été brûlé, et aperçus Kyle se rapprocher de moi, les sourcils froncés en un air méfiant.
Peut-être pensait-il que j'étais chamboulée par la mort de cet homme ? Que la vue de tout ce sang me rendait malade ?
Pourtant, je me fichais bien du sort de cet inconnu, du moins, je voulais me le persuader.
Le problème était son tatouage, et seulement le tatouage.
Car j'avais vu le même symbole sur les hommes qui avaient tué Rosa, ce jour-là.
Et si je ne comprenais pas son sens, je savais cependant qu'il signifiait que des choses graves se préparaient...
Ces flammes... Elles ne pouvaient représenter que destruction et cruauté, j'en étais persuadée...
Ils n'en avaient pas après Kyle, mais après moi...
Après mon gang.
Mais pour quelle raison ? Pourquoi ? Qu'est-ce que tout cela signifiait ?
Kyle, qui s'était approché prudemment, ne me quitta pas des yeux, troublé par mon air nauséeux. Je me tournai vers lui, le regard vitreux, et murmurai :
— Pardon, je...
Je m'interrompis, incapable de lui mentir.
De trouver un mensonge adéquat.
Alors je gardai le silence, la langue pesant une tonne, et la tête en vrac. Il ferma les paupières un bref instant avant de me contourner pour se placer devant le corps afin de le cacher de ma vue, et il s'avança pour me contraindre à m'éloigner, sans jamais prendre la parole.
Comme si ce geste me permettrait d'échapper à cette vision d'horreur.
Comme s'il souhaitait me préserver.
Mais pourquoi me protéger de la mort, s'il me soupçonnait de danser en son sein ?
— Et maintenant ? murmurai-je.
— Maintenant ? répéta-t-il en me couvrant d'un regard perçant. On va dégager d'ici.
Et, face à mon air perplexe, il m'expliqua :
— Mon téléphone est mort à cause de cette course-poursuite. Pas moyen de contacter qui que ce soit. Puis je doute que tu aies envie d'être interrogée.
— Mais..., balbutiai-je. Tu n'es pas lié à Peter ? Tu n'es pas censé lui rendre des comptes ? N'est-ce pas illégal, le fait que tu comptes lui cacher ?
— Des gens sont morts, Melina, bien sûr que c'est illégal. Mais je vais régler tout ça moi-même, me répondit-il d'une voix froide.
Je me rembrunis et lançai un coup d'œil à sa voiture, puis à son pneu crevé.
Comment allions-nous partir d'ici ?
— Très bien. Je te laisse gérer tes amis les flics, mais laisse-moi au moins contacter quelqu'un qui pourrait nous récupérer.
— Hors de question, siffla-t-il entre ses dents. Qu'est-ce que tu dirais à cette personne ? Comment lui expliquerais-tu la situation ? Veux-tu vraiment mêler quelqu'un à cette histoire ? Je doute que tes proches soient souvent impliqués à ce genre de choses...
J'entrouvris la bouche pour répondre que j'avais des contacts, et je me rembrunis en gardant les lèvres scellées.
Non, il valait mieux se taire.
Il ne savait pas que je connaissais des criminels, que j'en étais également une, d'ailleurs.
Il avait raison, inutile de mêler qui que ce soit, inutile d'éveiller à nouveau ses soupçons à mon sujet.
De les lui confirmer...
Parce que, s'il prétendait douter que mes proches soient impliqués à ce genre d'histoires, j'avais très bien perçu son sarcasme...
— Non, tu as raison, marmonnai-je.
— Ne traînons pas ici. Si cette endroit n'est pas trop fréquenté, il y a souvent des règlements de compte entre des gangs. Je doute que tu aies envie d'être mêlée à une énième histoire.
Je secouai la tête avant de ravaler un rictus en comprenant.
Kyle était rusé. Effectivement, ici, nous étions dans les terres d'un gang. Quoi de mieux que de faire passer cet accident pour un règlement de compte ?
Le gang en question n'était pas ennemi au Tabu, mais pas un allié non plus. Il valait donc mieux que je ne traîne pas ici, bien que je doutais qu'ils sachent qui j'étais. Impossible pour eux d'en être sûrs tant qu'ils ne voyaient aucun signe indiquant qui j'étais.
Le tatouage couvrant ma peau désignant le gang auquel j'étais affiliée était caché sous mes cheveux, sur ma nuque.
— Tu le savais avant de t'arrêter ici ? demandai-je.
Il ne répondit rien, mais face à son regard luisant, je compris que oui.
Oh, il était plus redoutable que je ne le pensais...
Et ce n'était pas bon pour moi.
Si sa dernière phrase n'avait pas fait écho, au début, je comprenais maintenant qu'il y avait un sous-entendu.
« Si cette endroit n'est pas trop fréquenté, il y a souvent des règlements de compte entre des gangs. Je doute que tu aies envie d'être mêlée à une énième histoire. »
L'enfoiré cherchait à me provoquer, je n'en doutais pas.
Il semblait me soupçonnait davantage, ses piques me le prouvaient... Il était subtil, mais ses propos étaient pourtant évidents.
Et j'avais intérêt à me débrouiller pour lui prouver qu'il se trompait à mon sujet...
Mais comment faire, maintenant que j'étais coincée avec lui, dehors, dans un endroit m'étant quasiment inconnu, loin de chez moi, à une heure aussi tardive ?
Pour une fois je le publie à la date prévue ! 😂
J'espère que vous l'apprécierez !
~Chapitre revu~
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top