Chapitre 4 - L'homme du parking
- Tu n'es pas à ce que tu fais ! grogna Paolo, on a dit Sicilienne variante Paulsen. Après 6.Fou e2...
- Pion a6 ! Je sais ! cria Judith en balayant brusquement l'échiquier de la main. Je l'ai joué 10000 fois, tu m'emmerdes !
La moitié des pièces avaient valsé en peu partout sur la table et par terre.
Depuis tout ce temps qu'il s'occupait d'elle, Paolo ne l'avait jamais vue dans cet état d'énervement.
- Ah comme ça, la partie est vite finie, dit-il d'un air venimeux. Tu feras ça contre la chinoise, à Berlin, on verra si l'arbitre appréciera ! Décidément ma cocotte, ça te monte à la tête ces reportages photos. On dirait une gamine capricieuse.
L'entraînement de l'après-midi était en train de tourner court : Judith n'avait pas le cœur à travailler et, depuis le début de la séance, faisait à peu près tout sauf ce que demandait Paolo.
Il se leva et partit vers le petit bar se servir un jus de fruits.
Judith, comme un automate, ramassait lentement les pièces éparpillées.
Paolo semblait furieux. Il but son verre d'une traite et prit son blouson.
- Continue toute seule, dit-il, je vais faire un tour.
Il sortit de la salle en claquant la porte.
Judith se mit à pleurer.
Paolo ne semblait pas comprendre la situation.
C'était un homme qui en imposait, baraqué, à qui personne ne songeait à chercher des noises, et il ne pouvait se mettre à la place de Judith. On aurait dit, pensait-elle, qu'il essayait de minimiser la situation avec cette histoire de lettres. Pour lui, seul comptait le tournoi de Berlin qui se profilait.
Elle n'avait même pas fini de remettre les pièces en place que déjà il revenait.
- Habille-toi, lui dit-il, ce n'est pas la peine de perdre notre temps, tu n'es pas en état de t'entraîner correctement. Je te ramène chez Célia.
Il la déposa sans un mot devant l'entrée de l'immeuble.
Célia était en train de faire du thé. Elle ne travaillait pas, n'ouvrant pas sa boutique le lundi.
- Mais, vous avez déjà fini ? s'étonna-t-elle.
- Oui, je ne peux pas jouer et je me suis énervée contre Paolo. Il a cette fois arrêté de plaisanter sur les lettres mais il ne comprend pas que ça puisse m'inquiéter à ce point.
- C'est un bourrin, déclara Célia.
- Tu sais, si je reste quelques jours ici, il faudrait que je passe prendre des fringues chez moi.
- Oui. Si tu veux, buvons le thé et allons-y, on prend la voiture.
Une heure plus tard, elles arrivèrent à la résidence de Judith et entrèrent dans le parking souterrain où Célia gara la voiture.
- Je vais relever le courrier, dit Judith, le cœur battant la chamade.
- Vas-y, depuis hier dimanche, il n'a pas pu poster de lettre, de toute façon.
Judith ouvrit la boîte.
Il y avait le courrier du matin et, posée dessus, une enveloppe que Judith connaissait désormais.
Aucune adresse n'y figurait mais en grosses lettres capitales, avec la même encre bleue, apparaissait la mention : « MADEMOISELLE JUDITH MALZEN ».
Célia vit que Judith se décomposait. Elle lui prit aussitôt l'enveloppe des mains.
- Donne-moi ça.
Dedans se trouvait, cette fois encore, une unique feuille de papier sur laquelle on pouvait lire :
« Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith - Bobby aime Judith.
Bobby ».
- Eh ben, ça s'arrange pas le siphonné, dit Célia en lui passant la feuille.
- Il est encore venu ici...
- Oui, ça il connaît le chemin. Mais il va se lasser si tu n'es pas là pendant quelque temps. Il va voir que le courrier n'est pas relevé...
Elles montèrent et Judith remplit deux sacs avec des vêtements et diverses affaires dont son ordinateur portable.
Arrivées au parking souterrain, une Mercédès noire était garée derrière la voiture de Célia, le moteur en marche. Elle bloquait le passage pour ressortir.
Un homme était au volant et les regardait fixement arriver avec leurs sacs.
Instinctivement, elles ralentirent le pas jusqu'à presque s'arrêter.
L'homme sortit brusquement de la voiture.
Judith entendait son cœur battre à tout rompre et Célia, si hardie d'habitude, n'en menait guère plus large.
Le type fit le tour de sa voiture. Elles allaient détaler à toutes jambes lorsqu'il dit :
- Vous savez combien je paye par an, Mesdemoiselles, pour la location de cette place de parking ? Non, hein, je suppose que vous vous en fichez, vous vous garez n'importe où. Je devrais appeler le concierge ! Vous partez là ?
- Oui oui, excusez-nous, bredouilla Célia, je ne savais pas que c'était une place privée.
Le gars recula sa voiture et elles filèrent.
Ce ne fut qu'en ressortant à la lumière du jour que Célia vit qu'on avait mis un mot sous l'essuie-glace, à la manière d'un PV.
- Ce con nous a mis un mot pour nous engueuler, dit-elle en rigolant et en montrant le papillon sur le pare-brise.
- Il m'a fichu une de ces trouilles, j'ai cru que c'était Bobby.
- Je vois que vous êtes devenus familiers, dit Célia, tu l'appelles par son petit nom maintenant.
- Tu as de la chance d'être au volant, dit Judith, sinon je te crevais les yeux.
Arrivées chez Célia, celle-ci arracha le mot que l'homme avait glissé sous l'essuie-glace.
Son sourire se figea d'un coup. Elle lut :
« Judith, ma fiancée, n'essaie pas de t'échapper. La salope Célia te cache mais Dieu nous a choisis et te retrouvera partout. Je t'aime.
Bobby ».
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