Chapitre 1 - La lettre
Le speaker attendit que le calme soit revenu et annonça :
- Et enfin, la gagnante de cette 28ème édition de l'open international féminin de Paris, Judith Malzen !
La salle applaudit chaleureusement et Judith monta sur l'estrade.
Un notable dont, tout à sa joie, elle avait oublié la fonction et le nom, lui remit une grande coupe ainsi qu'un coffret en bois frappé de l'emblème de la fédération internationale des échecs qui contenait le chèque réservé à la gagnante du tournoi.
Le public de connaisseurs continua d'applaudir un moment : ce n'était pas si souvent qu'une joueuse française remportait un tel tournoi. A vrai dire, c'était même la première fois.
Et en plus, elle était jeune, souriante et très jolie, ce qui ne gâchait rien !
Elle redescendit les marches et tomba dans les bras de Paolo, son entraîneur. Il était fou de joie.
Au delà du trophée et du chèque, cette victoire assurait à Judith, à 22 ans à peine, une norme de grand-maître, la récompense suprême du jeu d'échecs.
C'était le fruit de 15 années de travail, de sacrifices, d'espoirs, de déceptions, et de querelles avec ses parents qui auraient voulu la voir suivre de longues études au lieu de devenir joueuse professionnelle.
Le reste de sa petite équipe la félicita une fois encore et la victoire fut célébrée comme il se doit, au champagne.
Il fut convenu qu'une dizaine de jours de vacances ferait du bien à tout le monde avant d'attaquer la préparation du prochain tournoi, le prestigieux International de Dubaï.
Mais dès le lendemain en fin de matinée, Paolo appelait déjà Judith au téléphone : il avait été contacté par deux magazines.
Le premier, un mensuel très connu consacré aux échecs, voulait faire un article sur les parties disputées par Judith à Paris et souhaitait avoir ses commentaires.
Chose plus singulière, le second était un célèbre magazine qui n'avait rien à voir avec le jeu d'échecs et dont la rédaction souhaitait faire un reportage sur des « femmes battantes » comme on avait dit à Paolo.
Les échecs de haut niveau ne passionnant pas spécialement les foules, il paraissait évident que le physique de Judith n'était pas étranger au choix du magazine en question...
En tout cas, c'était bien payé et Judith accepta sans hésiter les deux propositions : sur le plan financier, les échecs, ce n'est pas le football, il est difficile d'en vivre bien.
Les deux interviews eurent lieu dans la semaine.
Rien de très original pour Judith en ce qui concernait le magazine d'échecs, mais le reportage sur la « femme battante » l'amusa beaucoup. Maquillage, photos, interview : elle n'était pas habituée à ce qu'on la détaille ainsi.
Puis arriva le tournoi de Dubaï.
Malgré la victoire à Paris, dont il avait analysé toutes les parties, Paolo avait encore formulé des critiques sur le penchant naturel de sa joueuse à privilégier un jeu prudent.
Prudence toute relative, mais Paolo n'était jamais content. Ils avaient donc de nouveau travaillé dur et Judith se sentait mentalement fin prête.
A Dubaï elle cotoya quelques uns des tous meilleurs joueurs du monde et finit 3ème du tableau féminin. Un bon résultat, avec des points au classement ELO (*), et encore un beau chèque.
A son retour, le magazine était paru.
- Tu es magnifique, lui dit Paolo en feuilletant les pages. La vraie classe, on dirait un mannequin !
- Ah, tu aurais vu ça, dit-elle en riant : maquillage et coiffure pendant 1 heure avant de prendre les photos. Ils feraient ressembler n'importe quelle fille à une star de ciné, tu sais.
- Allez, allez, dit Paolo qui avait presque l'âge d'être son père, tu n'as pas besoin de maquillage pour être superbe et tu le sais bien !
Judith rosit. Elle était un peu gênée de ces photos et de cet interview bidonné où on la présentait sous un jour parfait, l'incarnation même de l'intelligence, de la réussite et de la beauté.
Un peu « too much » se dit-elle.
C'est trois jours après qu'arriva chez elle la première lettre.
Au milieu de son courrier qui était toujours assez abondant se trouvait une longue enveloppe blanche sur laquelle ses coordonnées étaient inscrites en grosses lettres capitales de couleur bleue. L'auteur s'était appliqué à les faire précéder du mot « Mademoiselle » écrit en entier et lui aussi dans cette écriture majuscule.
Cette enveloppe un peu grotesque contenait une unique feuille de papier.
Avec la même encre mais d'une écriture normale cette fois, quelqu'un avait inscrit :
« Ma Judith chérie, tu as tout réussi. Nous pouvons maintenant nous marier. Tu seras heureuse. Je t'aime ma Judith.
Bobby ».
* ELO : classement individuel attribué aux joueurs par la fédération internationale des échecs.
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