Ouverture
Bonjour ami lecteur,
Cette fiction est le tome 3 d'une trilogie. Je doute fort que l'histoire vous soit compréhensible si vous décidez de plonger dans l'aventure avec ce tome-ci, aussi je vous encourage à lire tout d'abord le tome 1, "Zodiaque", et ensuite le tome 2, "Les Jeux du Sort".
Si vous êtes déjà familiers de l'histoire, parfait : soyez les bienvenus dans l'aventure =)
Comme d'habitude, attention : l'ambiance et le ton seront très sombres, et le thème tournera cette fois-ci autour du jeu d'échec (comme vous avez dû le deviner ^^).
Je vous souhaite une très bonne lecture =)
Natalhea
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Ploc. Ploc.
L'humidité coule le long des murs du cachot.
Ploc. Ploc.
Une odeur de salpêtre alourdit l'atmosphère, pénétrante, acide. Elle envahit tout et dévore la peau, les vêtements, les chairs. C'est comme cela que je le ressens. Depuis que l'on nous a jetés ici, moi et vingt autres de mes camarades, la lente décrépitude du château m'obsède. J'y vois un reflet de nos illusions, de la guerre que nous venons de perdre. Pendant trop longtemps, nos aînés ont refusé de voir la gangrène qui pourrissait sous leurs pieds. Le colosse aux pieds d'argile qui s'enfonçait lentement dans le sable...
A présent, la gangrène nous a rattrapés. Elle a atteint un stade au-delà duquel on ne peut plus revenir. Nous avons tout sacrifié, nous nous sommes amputés de tout ce qui nous était cher, un membre après l'autre. Mais il est trop tard. Harry Potter est mort. La guerre est perdue.
Assise dans mon coin du cachot, près de la grille, je tente d'accepter l'avenir qui m'attend. L'absence d'avenir, plutôt. Les mots « Sang-de-Bourbe » brûlent dans la chair de mon bras. A la faible lueur des torches, je peux presque les voir scintiller, ces lettres écarlates qui scellent mon destin aussi sûrement que les barreaux qui m'emprisonnent.
Il n'y aura pas d'aube pour Hermione Granger. Pas de salut, pas de sauvetage de dernière minute, pas même un adieu... Au moins, je n'aurai pas à pleurer la mort d'Harry très longtemps. J'essaye de discipliner mon esprit face à la perspective de ma propre mort. De rester calme, de ne pas me révolter, de l'accepter, au fond de mon cœur. Je refuse de livrer comme ultime spectacle à ces monstres la vision de ma peur, de ma rage ou de tout ce qu'ils ont réussi à me prendre...
Il reste une étincelle au fond de moi que je refuse de leur donner. Ma dignité. La fierté amère qui voudrait me voir monter à l'échafaud le dos droit, la tête haute, avec la même nonchalance qu'un héros à l'assaut. Mais je ne suis qu'une adolescente de dix-sept ans. Une part de moi ne parvient pas à l'oublier. Je croyais que la guerre avait effacé toute innocence en moi, mais aujourd'hui, au seuil de ma propre fin, je redeviens l'enfant minuscule et fragile que j'ai réprimée durant toutes ces années... Je voudrais simplement fermer les yeux, me serrer dans mes bras, et oublier que ce monde existe... Il cessera d'exister très bientôt. Ou plutôt, je cesserai d'exister...
Lord Voldemort a été très clair. Le corps d'Harry à peine refroidi, nous avons tous été désarmés et constitués prisonniers. Certains ont tenté de résister, bien sûr. Ginny Weasley a griffé ses assaillants jusqu'au sang. Minerva McGonagall a emporté six Mangemorts dans la mort avant d'être enfin abattue sous les yeux de ses élèves. Neville Londubat, l'épée de Gryffondor à la main, a bien dû réussir à faire quelques moulinets avant que la lame ne lui soit confisquée. Une ultime résistance, un ultime sursaut face à l'inévitable.
Le reste d'entre nous : la famille Weasley, Ron, moi, sommes restés tétanisés face à la vision du corps d'Harry sous nos yeux. Hagrid qui pleurait à gros sanglots. Les cris déchirants de Ginny, lorsqu'elle a compris qu'il était déjà trop tard...
Nous nous sommes rendus sans protester. Sur le moment, nous en aurions été incapables. J'avais l'impression que mon cœur s'était engourdi, qu'il était devenu aussi placide et froid que ces océans aux profondeurs insondables... Je me suis retirée loin en moi-même, très loin, incapable, en vérité, d'appréhender cette nouvelle réalité et tout ce qu'elle impliquait. L'avenir a cessé d'exister pour moi à l'instant où Harry est mort. Ma vie s'est éteinte en même temps que la sienne : je ne suis plus qu'un corps qui vit et respire, attendant le coup de grâce...
Je n'ai même plus l'énergie de protester. Harry avait prévu cette issue depuis le début, il avait tenté de nous y préparer. Nous avons tout livré, tout donné, et à présent... Il ne reste plus rien en moi pour se révolter. Pour ressentir l'horreur et l'injustice du sort qui m'attend... Je pourrais presque être soulagée d'en voir enfin la fin. J'aurais seulement voulu avoir une chance de revoir mes parents au moins une dernière fois... Mais je sais que là où ils sont, ils sont heureux. Ignorants à jamais du fait qu'ils ont eu une fille, un jour, une fille qu'ils ont choyée, entourée, aimée, et qui leur a été arrachée par une foule de barbares ignorants, au nom de la haine et du sang... Non, mes parents n'auront pas à souffrir les outrages qui me seront infligés. Avant de partir dans ce qui ce sera révélé mon ultime voyage, je leur ai offert le cadeau le plus précieux au monde : l'oubli. La tranquillité d'esprit. L'innocence. Que ne donnerais-je pas pour me l'accorder à moi-même, dans mes instants de faiblesse... Mais je ne peux pas. Je ne peux pas tourner le dos à ce qui a été accompli, à tous ceux que nous avons perdu. Je me dois de disparaitre en laissant ma trace parmi les victimes de cette guerre. Je serai Hermione assassinée, Hermione martyr.
Lord Voldemort a parlé. Hermione Granger sera exécutée à l'aube.
Oh, je ne serai pas la seule, bien sûr. De tous les camarades enfermés ici avec moi, la moitié seront morts d'ici la fin de la semaine. Mais je serai la première. Un acte symbolique, à n'en pas douter. Le Seigneur des Ténèbres a toujours eu le sens du spectacle...
Quelques heures à peine après la mort d'Harry, nous avons tous été emprisonnés au sein même des cachots de Poudlard. Ces salles qui nous ont accueillis, en cours, en études ou en dortoirs, depuis des années... Ces salles sont devenues notre prison. Des grilles ont été installées pour délimiter grossièrement des cellules. C'est là que l'on nous a parqués, à vingt par espaces, avec à peine la place de nous tenir debout. On ne nous a rien donné à manger ni à boire, et déjà les effluves d'une trop grande promiscuité empuantissent l'atmosphère. Cela aussi, ils tentent de nous le prendre. Notre santé, notre hygiène, nos besoins les plus élémentaires. Ils nous réduisent à l'état d'animaux, car c'est ce que nous sommes à leurs yeux : rien de plus que des animaux, qui ont eu l'impudence de se prendre pour des hommes...
Ma cellule ne renferme que des Nés-Moldus. Des gens comme moi, que l'on exécutera sans jugement, comme des porcs à l'abattoir. Je reconnais vaguement dans la pénombre les visages de Justin Finch-Fletchey, Dennis Crivey, Dean Thomas... Nous ne nous regardons pas dans les yeux, car il y a trop à faire en nous-mêmes. La perspective de notre mort prochaine nous absorbe totalement, oblitère les derniers liens d'humanité qu'il aurait pu exister entre nous. Nous ne sommes plus des camarades luttant côtes à côtes, nous ne sommes même plus des élèves, et encore moins des amis : chacun d'entre nous doit faire le deuil de ce monde, et de l'individu qui brûle en nous...
Les Sangs-Mêlés sont parqués dans les étages. Ce sont les plus nombreux de tous : je suppose que les Mangemorts n'auront pas de trop avec les salles de Poudlard pour maitriser ces derniers résistants...
Enfin, les traîtres à leur sang. Les Sangs-Purs qui ont choisi de se battre à nos côtés. Ils sont réunis dans quelques petites cellules au bout du couloir qui est le nôtre, un peu plus loin sur ma droite. Je peux apercevoir Ron, si je me penche contre les barreaux, tout contre la grille. Il a tenté de m'appeler plusieurs fois les premiers temps, et au début, j'ai répondu. Mais lorsque ma condamnation a été prononcée, lorsque ses cris se sont mués en fureur contre les murs de pierre... J'ai cessé de l'écouter.
Ron ne partagera pas le destin qui sera le mien. Voldemort ne veut pas verser plus de sang pur que nécessaire. Il forcera la coopération des Weasley, d'une façon ou d'une autre, mais il ne les tuera pas. A ses yeux, ils sont précieux. Ils ne sont pas sacrifiables, comme moi...
Donc oui, Ron vivra. Ginny vivra, et monsieur et madame Weasley, George, Neville, Luna, toutes ces personnes qui me sont encore chères sur Terre... Ils vivront, et je peux sur ce point partir avec l'esprit apaisé. Le monde où je les abandonne sera terrible, mais ils vivront... Et tant qu'ils vivront, tout restera possible.
C'est un autre qui attire mes pensées à présent. Dans mes pensées, dans mon cœur, mon choix est fait depuis des mois. Alors que le temps m'est compté, je ne souhaite plus songer aux horreurs passées, à notre défaite, à mes regrets, aux morts et au grand vide qui m'attend. Je ne veux plus souffrir, je ne veux plus m'en vouloir, ni imaginer les dizaines de scénarios possibles qui auraient pu aboutir à une fin différente. Tout est vain, désormais. Il est inutile de lutter. A l'heure où le temps me manque, je ne veux plus songer qu'à une chose : la chaleur d'un bain autour de mon corps. La caresse de bras tendres sur ma peau. La sensualité d'une étreinte, d'un baiser, dans le silence intimiste de la salle de bain des préfets, dans un instant qui a été et restera immortel, unique, hors du temps. Rien ni personne ne me prendra cet instant, pas même Voldemort.
J'ai découvert ce que cela signifiait d'aimer cette nuit-là, et toutes les autres nuits ensuite. Aimer, être aimée, se découvrir comme on découvre l'autre, et toujours s'enlacer, s'émerveiller, plonger, loin dans la palette de l'inexprimable. Rien que d'y penser, je ressens à nouveau ce désir brutal, palpitant et pur qui caractérisait nos étreintes, à Drago et à moi. Jamais je n'oublierai ces instants qui m'ont permis de devenir celle que je suis aujourd'hui : amoureuse, femme, et sereine face à ma propre mort.
Parce que Drago aussi vivra.
La guerre nous a séparés, comme elle avait toujours promis de le faire. Nous nous sommes tenus l'un et l'autre sur les deux bords d'un immense précipice, et le sort vient de trancher : mon côté s'effondre... Mais Drago vivra. Du côté des vainqueurs, du côté de l'ombre, peu importe. Je sais qu'il s'en sortira. Il trouvera cette force en lui... Si ma mort ne l'anéantit pas. C'est la seule angoisse qui puisse encore m'atteindre, et j'ignore si je la surmonterai... Dans le salon du Manoir Malefoy, lorsque des Rafleurs nous avaient capturés, Drago a eu le sang-froid de me laisser aux mains de sa tante qui me torturait. Il a compris le message implicite dans mon regard : « Laisse-moi. Laisse-moi pour que tu puisses vivre, et te battre ». Mais il n'était pas question de mourir à l'époque. Pas encore. Drago sera-t-il là, dans la cour du château, au milieu de tous ces gens qui me haïssent, lorsque le sortilège de la mort s'abattra sur ma tête ? Aurai-je la grâce d'un regard ami au milieu de la foule, un échange, le réconfort de sa présence auprès de moi, dans le secret de nos cœurs ?
Je l'espère. Et en même temps, je ne peux lui souhaiter d'assister à pareil spectacle...
Toute créature vivante sur Terre meurt seule. Je ne veux pas mourir seule...
Les heures s'écoulent lentement. Impossible de distinguer le jour de la nuit dans ces boyaux sinistres. Les cachots me font déjà l'effet d'un caveau, catacombes englouties qui confondront nos noms, nos corps et nos cendres... Seul le « ploc ploc » régulier de l'humidité vient rompre le silence. Et toujours, l'attente.
Je ne ressens plus la faim qui me taraude, ni aucune sensation physique. C'est comme si mon corps quittait ce monde avant l'heure. Pénétrant lentement dans un au-delà fait d'autre chose, d'éther et de vent, d'immatériel et d'ombres... J'ignore ce qui m'attend par-delà ce voile. Harry ne croyait pas à une vie après la mort, je le sais. Il voyait la mort comme une délivrance, et appelait de ses vœux un néant où il n'aurait plus à être l'Elu pour qui que ce soit. Mais moi, même à la toute fin, je veux croire qu'il y a encore de l'espoir...
Le bruit d'une serrure que l'on tourne me tire brusquement de mes pensées. Tous, nous sursautons, et instinctivement, tous les regards se tournent vers moi. Je peux presque sentir une onde de crainte traverser le couloir : les poils de mes camarades qui se hérissent, et cet instinct qui les pousse à s'éloigner de moi, même de manière imperceptible, moi pour qui la mort va venir très bientôt...
Ils me dévisagent comme une pestiférée, car ils savent que le bourreau vient pour moi. Ils savent que je suis la prochaine, et déjà, l'aura glacée de la mort exerce sa fascination sur eux, me sépare du reste des vivants...
Je me force à lever les yeux pour affronter mon destin en face, mais ce n'est pas la mort qui croise mon regard. C'est Drago.
Je l'observe, incapable d'y croire, avec dans ma gorge le cri étranglé du danger qu'il court à venir ici :
- Tu n'aurais pas dû venir ! je murmure aussitôt malgré moi. Tu n'aurais pas dû venir, Drago, tu es complètement fou ! S'ils te trouvent ici, tu...
- Chut.
Il presse un doigt contre ses lèvres et s'agenouille doucement près de moi. Il a encore maigri depuis la dernière fois que je l'ai vu. Les cernes creusent son visage, preuve qu'il n'a sans doute pas dormi depuis la mort d'Harry. Aucun de nous ne l'a pu. Pourtant, il est terriblement élégant dans son impeccable costume noir, avec ses cheveux en brosse coupés courts et ses ongles manucurés. La tenue des vainqueurs.
Il s'agenouille près de moi, dans la poussière et les flaques humides, et il entoure les barreaux de ses doigts :
- Je n'ai pas peur qu'ils l'apprennent, chuchote-t-il.
- Drago, ce qu'ils risquent de te faire...
- N'a aucune importance.
Il hausse les épaules :
- Nous avons gagné. Je suis un Sang-Pur, ils ne me tueront pas.
- Non, mais ils te puniront !
- Je le sais.
Ce qu'il y a dans ses yeux bloque la répartie sur mes lèvres. Une forme d'acceptation froide, dure, irrévocable. Cela me terrifie, m'attriste, et dans le même temps... m'exalte. Cela fait si longtemps que nous sommes séparés, Drago et moi. Ces quelques minutes volées à la mort me donnent cruellement l'envie de me battre. Surtout lorsque je vois la résolution qui brûle dans ses yeux... J'ai peur de comprendre :
- Tu cherches à les provoquer ? je demande à voix basse. Tu veux qu'ils te tuent, pour ne pas avoir à le faire toi-même ? Je t'en supplie, Drago, dis-moi que ce n'est pas ça !
- Ce n'est pas ça.
Toujours ce ton calme, très bas... Il me rappelle le jeune homme magnétique qui a su m'envoûter au bord de l'immense baignoire des préfets, en pleine nuit. Lui aussi affichait déjà ce calme résigné envers le sort qui l'attendait...
- Je ne veux pas mourir, poursuit-il. Je ne veux pas vivre non plus, d'ailleurs. Ce que nous voulons n'a plus aucune importance, tu ne crois pas ?
J'avale ma salive douloureusement :
- Effectivement...
Timidement, je tends mes doigts vers les siens, effleure sa peau. Cela semble tellement surréaliste de le toucher, pour la première fois depuis si longtemps... Ces doigts qui m'ont procuré tendresse, douceur et plaisir, amour et compassion, soutien, réconfort... Que peuvent-ils pour moi aujourd'hui ?
- Je ne veux pas qu'il t'arrive du mal, Drago..., j'articule en sentant les larmes déborder de mes yeux. Quoi qu'ils me fassent demain, je ne veux pas que tu laisses ma mort te détruire, tu entends ? Je ne veux pas que tu renonces à vivre... ni à te battre.
Il me regarde dans les yeux, ses magnifiques iris pâles ne trahissant pas la moindre émotion. J'ai simplement la sensation qu'il peut lire tout au fond de moi :
- La lutte n'est pas terminée, je m'entends murmurer avant même de le réaliser. Tu es le meilleur atout, le meilleur espoir que nous possédions, Drago... Tu es de leur côté ! Tu as gagné ! Tu as le pouvoir de frapper en plein cœur lorsqu'ils s'y attendront le moins, de changer le cours des choses...
Il inspire profondément, porte mes mains à ses lèvres et respire leur parfum. Pendant longtemps, il ne dit rien. C'est presque comme s'il priait.
- Je sais tout cela, souffle-t-il enfin.
Il relève la tête :
- Et je ne vais pas renoncer. Je te le promets. Je sais ce que je représente, je sais ce qu'il me reste à faire désormais. Je ferai tout ce qui sera nécessaire... Tout ce qui sera nécessaire.
La sentence est terrible, dans ces seules paroles. Brusquement, je crois comprendre ce qu'il cherche à me dire, et la terreur cristallise mon cœur :
- Tu ne cherches pas à les provoquer..., j'énonce très lentement. Tu ne viens pas me dire au revoir, ni même me faire évader...
- Non.
Je pleure tandis que nos doigts s'enlacent :
- Tu veux qu'ils t'ordonnent de me tuer...
Il ne lâche pas mon regard tandis que la vérité perce ma poitrine et déchire tout :
- Ils le feront, dit-il alors. Lorsqu'ils apprendront que je suis venu ici pour te faire mes adieux... Lorsqu'ils sauront que je tenais à toi... Ils m'ordonneront de te tuer, pour mieux pouvoir m'humilier, m'asservir...
- Et tu le feras.
- Et je le ferai.
Drago caresse ma joue, avec une infinie douceur, intense au point d'en être douloureux :
- Merci..., je sanglote, dévastée par ce qui nous attend. Je préfère que ce soit toi... Je préfère que ce soit toi...
- Moi aussi.
Il embrasse mes doigts :
- Je suis désolé, Hermione. Pour tout. Nous ne pourrons le dire qu'une seule fois : après, cela ne vaudra plus la peine de se lamenter sur l'inéluctable. Je vais devenir tout ce qu'ils veulent me voir devenir. Je tuerai ceux qu'ils m'ordonneront de tuer, je violerai celles qu'ils m'ordonneront de violer, je torturerai ceux qu'ils me désigneront comme victimes... Je vais me perdre totalement, jusqu'à devenir l'arme qui finira par se retourner contre eux dans leur sommeil.
Je hoche la tête. Ma gorge se serre face au gâchis monumental que je pressens dans ce couloir obscur. Il reste encore un peu de l'homme que j'ai aimé dans ces iris gris pâle, un peu, un tout petit peu... Mais cet homme va bientôt mourir. Il mourra en même temps que moi demain soir, en prenant ma vie. A travers sa mort, peut-être sauvera-t-il tous les autres...
- Mais ce soir..., dit-il. Ce soir, je peux encore être moi. Une toute dernière fois.
Il approche son visage du mien, et, sans hésiter, j'avance à sa rencontre. Les barreaux glacés qui pénètrent ma chair ne m'arrêtent pas. Je peux sentir le regard stupéfait de mes compagnons de cellule, la rumeur qui se répand tout le long du couloir, jusqu'à Ron qui se plaque aux barreaux pour nous observer... Je n'en ai strictement rien à faire. Pour Drago et moi, seul compte cet instant. Comme nos nuits dans la salle de bain des préfets. Seuls comptent ses lèvres sur les miennes, son odeur, et la sensation d'être aimée, plus que tout le mal que l'on a cherché à me faire...
Les Mangemorts m'ont volé mes parents, ma vie, mes amis. Ils ont cherché à me dépouiller de tout espoir, de ma dignité, et même de toute intimité. Mais je n'en ai rien à faire. Je vais mourir demain. Alors plus rien n'a d'importance, à part les doigts de Drago qui s'insinuent entre la grille, sous mes vêtements, et ma main qui fait de même. Quelle tristesse d'en être réduits à ce contact bridé, à travers des barreaux, sous les yeux de tous... La barrière qui nous a toujours séparés, matérialisée pour de bon entre nos corps... L'humiliation d'une union pauvre et dérisoire...
Je savoure malgré tout ces doigts qui pénètrent l'intimité au creux de mes cuisses, et je rends par de lents va-et-vient tout l'amour et le désespoir que je m'interdis de hurler au monde entier. Drago m'embrasse ; ses lèvres, sa langue, ses gestes à la fois précis et haletants : tout se confond et se bouscule en moi, réveille la vie, détruit tout. Il ne reste rien des malheurs qui nous habitent lorsque nous jouissons l'un et l'autre. Seulement nous.
Eperdue, je reprends mon souffle, tétanisée à l'idée d'attendre à nouveau. Pourtant, je sais qu'il le faudra. Et que j'en serai capable. Drago m'en a donné la force : je croiserai à nouveau son regard, demain, à la toute fin... Lui aussi me regardera. A cet instant, plus qu'en aucun autre moment, nous ne formerons plus qu'un seul être, une seule âme.
- Je t'aime, murmure-t-il à mon oreille.
- Moi aussi, je réponds.
Moi aussi... C'est tout ce qu'il reste au fond de mon cœur, désormais. Moi aussi.
Je t'aime.
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