La Manœuvre du Fou
La situation est critique. Je n'ai pas l'habitude de me sentir acculé, mais cette position inconfortable semble être devenue mon quotidien depuis près d'un an maintenant. Depuis bien trop longtemps...
Je n'ai pas l'habitude d'être une proie.
Aujourd'hui, je suis parqué dans une cage comme un animal, traité comme moins qu'un sous-homme, moins que le pire des rebuts sur Terre... Peut-être que c'est ce que je suis. Peut-être que c'est tout ce que je mérite.
Malgré moi, je ne peux retenir un sourire. Cela m'amuse d'entretenir ce genre de pensées, de temps à autre. La conscience de ce que je suis. Mais j'ai beau tester les limites de ma morale aussi loin qu'il m'est possible... Jamais je n'arrive à déceler la moindre étincelle de remord au fond de moi. Je suis ferme, lisse et calme, comme les eaux d'un lac. La colère qui couve en moi dort très loin sous la surface. Car on peut peut-être mettre Dean Thomas en cage, mais on ne peut pas le forcer à se soumettre...
Regardant autour de moi, j'examine rapidement mes compagnons d'infortune. Ce sont eux qui m'exaspèrent le plus, je dois dire. Ils tremblent, ils crient, ils se plaignent, ils puent, ils pleurent... Certains se réveillent en hurlant la nuit, tenaillés par des horreurs qui ne peuvent pas m'atteindre. D'autres ont perdu le sommeil et gardent les yeux exorbités sur le vide, hantés par la perspective de leur mort imminente. Rien ne m'ennuie davantage que de devoir jouer la comédie au milieu de tous ces couards. Jouer l'affectation, alors que la seule chose qui me préoccupe, c'est ma survie et les moyens de la garantir.
J'ai déjà un plan, bien sûr. J'avais un plan avant même qu'on ne m'enferme dans cette cellule. Mais ce plan ne pouvait se départir d'une part de hasard : un fragment d'incertitude auquel j'ai dû remettre ma vie, avec angoisse et exaltation mêlées, presque comme un jeu. Un jeu délicieux, mortel et donc... grisant. Rien ne m'a jamais réellement fait peur. Parfois, j'éprouve presque comme une fascination malsaine pour les brebis parquées avec moi, et la terreur que je lis sur leur visage... C'est quelque chose que je ne pourrai jamais éprouver. Je peux le feindre, avec plus ou moins de succès, mais cet instinct primitif n'obscurcit jamais mon jugement. Je suis un prédateur. Je suis fait pour inspirer la peur, pas pour l'éprouver.
Un souvenir s'impose soudain à moi, interrompant ma rêverie. Je sens aussitôt mes pensées s'assombrir. Si je veux rester honnête avec moi-même, je dois avouer qu'une seule personne a su susciter quelque chose s'approchant de la peur, chez moi... Une seule personne pour faire battre mon cœur plus vite, hérisser les poils sur mon corps, et attiser ce pincement désagréable, juste derrière ma nuque, mes yeux, au creux de mon ventre...
Luna Lovegood.
Mes lèvres se tordent tandis que je revois la jeune fille blonde en esprit. De tous mes oubliables camarades d'école, Luna Lovegood est sans doute l'une des rares à avoir retenu mon attention, dès le tout début. Contrairement à une Ginny Weasley, un Seamus Finnighan, ou à n'importe quel autre de mes jouets, je ne voyais pas en elle une victime potentielle. Non, c'est elle qui m'a vu la première. Voilà ce qui m'a toujours rendu mal à l'aise en présence de Luna Lovegood : sa clairvoyance, son regard, et la certitude, limpide et absolue, qu'elle pouvait voir tout au fond de moi... Percer à travers les masques et les couches du personnage soigneusement ciselées autour de mon âme. Elle seule a su me voir pour ce que j'étais vraiment, dès le départ. Seamus aussi m'a vu, avec le temps, mais son amour pour moi l'a toujours aveuglé au point de fuir la réalité. Luna, au contraire... Luna me craignait, mais elle n'avait pas peur de me regarder. Elle n'avait pas peur de fixer bien en face le monstre en moi, de lui faire savoir qu'elle était là...
Et le monstre s'est mis en colère. J'ai détesté Luna à la seconde où j'ai compris l'emprise qu'elle pourrait avoir sur moi. Et je l'ai craint, pour avoir su me percer à jour là où j'excellais à paraitre aux yeux de tous les autres. Qu'aurait-elle pu me faire, pourtant ? Qui l'aurait cru si elle avait tenté de révéler ma véritable nature ? C'est elle que l'on surnommait « Loufoca Lovegood », après tout...
Je secoue la tête, furieux de me laisser rattraper par des inquiétudes qui n'ont plus cours. Luna Lovegood s'est approchée un peu trop près du scorpion, et le scorpion l'a piquée. Luna Lovegood n'est plus. La coquille vide qui l'a remplacée sert de jouet de plaisir au Seigneur des Ténèbres et à ses sbires, pour autant que je le sache. Elle n'était pas enfermée avec les autres Sang-Purs que l'on a déménagés du couloir quelques jours plus tôt.
Avec un élan de chaleur, je me souviens de notre confrontation, dans le sous-sol du manoir Malefoy, alors même que nous étions déjà prisonniers tous les deux... A cet instant-là, j'avais surmonté ma répugnance, pour oser regarder tout au fond d'elle, comme elle voyait au fond de moi. Et je l'ai vue. La brisure. La faille qu'il suffisait d'exploiter, pour que Luna Lovegood soit chienne et mienne...
Je ris tout seul. Il me faut me reprendre au plus vite pour ne pas attirer les soupçons de mes compagnons de cellule. Bah, et puis après tout, ils croiront sans doute que je suis devenu fou, moi aussi.
Luna, petite Luna. C'est ta folie qui te protégeait toi aussi, d'une certaine manière. Qui aurait cru que derrière ce joli minois, ces airs rêveurs et ces traits délicats, se cachait un secret aussi sombre et aussi odieux ? Même pour moi qui ne me soucie guère des bonnes mœurs, l'inceste a quelque chose d'ignoble... Peut-être parce que Xenophilius Lovegood est une loque sans envergure. Dire qu'il a profité de toi pendant si longtemps... Ça me répugne de l'imaginer ravageant ton petit corps, et pourtant, je ne suis pas porté sur la compassion, encore moins vis-à-vis de toi. Heureusement que depuis, j'ai eu l'occasion de prendre sa place...
Mon sourire s'agrandit. Luna, j'ai bien vu la raison se retirer de ton regard, lorsque tu as compris que je savais, et que je t'ai prise. Où t'es-tu réfugiée ? Serais-tu capable de revenir, pour que je puisse te torturer à nouveau ? Autrement, tu n'as plus beaucoup d'intérêt... Il n'y a rien de pire qu'un jouet cassé. D'habitude, je fais très attention : il me faut un animal dressé, mais pas brisé... Mais entre toi et moi, tout a toujours été un peu hors norme, pas vrai ?
Je me demande dans quel monde ton esprit si étrange s'est retiré. Es-tu restée coincée sur l'horreur que je t'ai forcée à revivre ? Est-ce que tu la revis, à chaque fois que le Seigneur des Ténèbres fait de toi sa chose ? Je ne peux m'empêcher d'être jaloux. C'est à moi que devrait revenir le privilège de te tourmenter...Est-ce qu'à toi aussi, je te manque ?
Cette fois, c'est un gloussement que je dois étouffer, mais il n'échappe pas à mon voisin de droite. Une fois encore, je lis la peur dans son regard. La peur, la peur partout, sauf pour moi...
Nous étions vingt lorsqu'ils nous ont parqués dans cette cellule pour attendre d'y mourir, l'un après l'autre. Maintenant, nous ne sommes plus que sept. Chaque jour, comme tous les autres, j'ai attendu que le couperet tombe, et chaque jour, le sort m'a épargné... Un soupir de soulagement, mais pas pour le répit accordé. Non : chaque prisonnier emporté loin de cette cellule était un obstacle de moins vers ma liberté... Et ma liberté, à présent, se rapproche.
Comme à chaque fois, je lève les yeux lorsque le bourreau qui délivre la sentence s'arrête devant notre cellule. Deux jours plus tôt, il a emporté un Serdaigle qui suivait le cours de Sortilèges à côté de moi l'année dernière. Et, encore deux jours auparavant, Dennis Crivey. Pas une énorme perte, celui-là...
Je réprime mes commentaires tandis que l'homme nous dévisage tous derrière son masque. Sans doute mon insolence attire-t-elle son attention, car cette fois, il pointe le doigt vers moi et dit :
- Toi. Ton nom ?
- Dean Thomas, je réponds d'une voix tranchante.
- Dean Thomas. Le Seigneur des Ténèbres t'a condamné à mort. La sentence sera exécuté demain matin, à l'aube.
Des chuchotements d'horreur se propagent d'un bout à l'autre des cachots. Je suis presque flatté. Les premiers jours qui ont suivi la mort d'Hermione Granger, Voldemort a obligé tous les prisonniers à assister aux exécutions. Mais la logistique d'un tel dispositif a sans doute fini par le lasser, d'autant plus qu'il n'avait plus de héros à tuer. Aussi les mises à mort qui ont suivi ont-elles eu lieu loin de notre regard... Mais la rumeur que suscite ma désignation semble appeler tout droit à une nouvelle exécution publique. Ne suis-je pas Dean Thomas, après tout ? L'un des amis de toujours, les plus proches et les plus chers, du célèbre Harry Potter ?
Le Mangemort se gratte la mâchoire tandis que la même idée semble lui traverser l'esprit. Il retourne auprès de son maître sans rien ajouter, me laissant, suppose-t-il, dans l'angoisse de ma fin prochaine.
La nuit tombe. Des élans de sollicitude, de pleurs ou de crainte se tendent vers moi. Je les ignore. J'ai besoin de concentration pour ce qui m'attend ce soir. De cette nuit dépendra ma survie... Je m'assois dans un coin de la cellule et je ferme les yeux. Les autres, croyant sans doute que je désire rester seul pour faire mes adieux à cette vie, respectent mon choix et me laissent en paix. Alors, silencieusement, tous mes sens de prédateur en éveil, j'attends.
J'attends que le cachot s'endorme, et avec lui, mes compagnons de cellule.
Nous ne sommes plus que sept à ramper à même le sol. Un garçon et une fille de deuxième année, dont je n'ai pas jugé utile de retenir les prénoms. Un costaud de sixième année qui risque de poser problème. Un vieil homme qui devait déjà faire partie de l'Ordre du Phénix à sa création. Une femme d'une trentaine d'années, qui n'a pas dit un mot depuis son arrivée ici. Et un ancien élève de Poudlard. Justin Finch-Fletchey.
Ouvrant les yeux dans la pénombre, je les analyse tour à tour, cherchant les sillons creusés par la faim et le manque de sommeil sur leur visage. Le vieil homme et la femme ont fondu comme neige au Soleil, de même que les enfants : ils ne m'ennuieront pas. Le lourdaud devra venir en dernier. Et Justin...
Un magnifique hématome s'étend déjà sur son visage, là où le costaud lui a donné un coup pour lui voler sa nourriture quelques jours plus tôt. Voldemort est aussi cruel que sadique : il nous donne tout juste assez de nourriture pour nourrir deux personnes, maximum, dans une cellule déjà surpeuplée de prisonniers affamés. Sans doute cela l'amuse-t-il de nous regarder nous battre et nous entretuer pour quelques miettes de plus, quelques fragments d'énergie qui prolongeront notre vie misérable avant qu'il ne décide d'y mettre un terme...
J'ai résisté à la tentation de me battre. Je valais mieux que ça. A la place, j'ai tué et mangé cru le rat qui s'était aventuré trop près de mon oreille trois soirs plus tôt, et je me suis employé, contrairement à mes camarades, à conserver un rythme de sommeil sain. J'ai même fait de l'exercice, faisant croire aux yeux de tous, sans doute, qu'il s'agissait là du seul moyen de me calmer. En résumé, je suis en meilleur forme physique que la plupart d'entre eux, à l'exception du lourdaud, qui a abandonné toute part d'héroïsme ou d'humanité lorsqu'on l'a privé de son troisième repas.
J'inspire profondément. Les plus faibles d'abord. Me levant avec la souplesse d'un lion, je m'aventure auprès des deuxièmes années qui dorment, blottis l'un contre l'autre. C'est l'inconvénient de ce genre de situation. Voldemort a clairsemé la cellule pour moi, me permettant de me mouvoir avec plus de liberté, mais le désespoir pousse les gens à se rapprocher les uns des autres...
Tant pis, je leur règlerai leur compte ensemble. La fillette semble être celle qui dort le plus profondément : d'une pression de mes mains sur ses tempes, je lui brise la nuque sans un souffle. Le garçon a à peine le temps de se redresser : je l'agrippe et lui inflige le même sort. Deux petits corps qui s'endorment du sommeil des morts...
Je regarde autour de moi, le cœur battant à tout rompre, mais plus vivant que jamais. Le cachot dort encore. Personne n'a été témoin de ce que j'ai fait, et une part de moi, échappant à toute logique, en viendrait presque à le regretter. C'est la toute première fois que je tue. Mon premier meurtre...
Je jubile et en même temps, la prudence en moi me rappelle à l'ordre... J'ai toujours rêvé de tuer. Je crois que j'y ai pensé dès mon plus jeune âge. Je ne peux même pas me rappeler quand... Mais combien de fois n'ai-je pas rêvé de serrer la gorge de la délicate Ginny Weasley entre mes doigts, juste un peu plus fort ? Combien de fois n'ai-je pas imaginé franchir cette ligne, ce seuil invisible qui sépare l'amateurisme de la vraie puissance, la puissance à l'état pur... Prendre une vie. Ou ne pas la prendre. Se rendre maître du destin d'un autre. Décider si son inspiration sera la dernière, ou seulement la suivante. Lui faire comprendre qu'à partir de maintenant, chaque souffle d'air m'appartient...
Mais avant cette guerre, jamais, dans mes rêves les plus fous, je n'aurais imaginé tuer vraiment. J'ai des rêves, comme tout le monde. Mais je ne suis pas stupide. Ma survie en ce monde dépend uniquement de la façade que je suis capable de garder. Du masque que je continue d'incarner. Si je me révèle trop, si je pousse les limites un peu trop loin... Alors, plus d'amusement pour ce pauvre Dean.
Certains mégalomanes comme Voldemort veulent massacrer au grand-jour et voir le monde se prosterner à leurs pieds. Je ne suis pas de ceux-là. Pire que ça même : je trouve ça vulgaire. Il faut être stupide pour s'exposer ainsi au risque d'attirer tous les héros saints de la planète, quand on peut agir subtilement dans l'ombre, et prospérer...
Je préfère la méthode douce. Je préfère les ombres. Toujours, j'ai su me maitriser, me retenir : torture-les, Dean, mais ne laisse pas de marques... Fais-leur juste assez mal pour qu'ils s'en souviennent, mais pas assez pour qu'ils te dénoncent. Imprime un sceau de honte dans leur esprit, pour qu'ils n'osent jamais en parler à personne...
Ça a marché, bien sûr. J'excelle toujours dans ce que je fais. Mais aujourd'hui, face à la brutalité bestiale de Voldemort, je dois me résoudre à l'acte le plus extrême de toute ma vie : je dois tomber le masque, si je veux survivre...
Aussi, je savoure ces deux premiers meurtres, dans le silence et l'euphorie totale, extasié par ces petits visages figés dans l'effroi. Comment s'appelaient-ils ? Quand j'y pense, j'aurais dû le leur demander. Un premier meurtre ne devrait pas sombrer dans l'anonymat.
Mais un autre défi m'attend déjà : il sera tant d'apprendre de mes erreurs plus tard. Mes prochaines cibles sont évidentes : le vieillard, et la jeune femme dont je me rends compte qu'elle a les yeux fixés sur moi. Elle ne dit rien. Son visage ne reflète aucune expression, aucune conscience de ma présence. A-t-elle vu ce que je viens de faire ? Si c'est le cas, cela ne semble pas davantage la choquer que toutes les horreurs qui lui ont volé sa voix. Je m'approche d'elle à pas de loup, m'attendant à chaque instant à me jeter sur elle pour étouffer un cri. Mais rien. Elle me regarde, avec dans les yeux presque comme une lueur d'attente, un soulagement...
Je connais ce regard. Celui de la proie qui célèbre son prédateur. Elle est heureuse d'avoir trouvé sa place dans l'existence. Heureuse d'y trouver sa juste fin. La fin d'une existence absurde, et vaine...
Les yeux dans les siens, je plaque une main sur son nez et sa bouche, et elle me laisse faire. Bientôt, ses mains viennent recouvrir les miennes : non pour lutter, mais pour m'encourager dans son geste... Je continue jusqu'à ce que ses yeux se révulsent, son corps s'agite de convulsions malgré elle... Elle sombre dans l'inconscience, et je maintiens ma pression jusqu'à ce que son pouls disparaisse sous mes doigts.
J'éprouve une sensation étrange. Ce meurtre n'a pas été aussi satisfaisant que les premiers. Ce que l'on dit est-il vrai : ce n'est jamais aussi bien que la première fois ? Non, ce n'est pas cela... Je crois que, aussi irrationnel que ce soit, j'ai trouvé cela trop facile... Je n'ai pas aimé qu'elle se soumette. Je suis un chasseur : j'ai besoin de courir après ma proie, de la traquer, de sentir les contorsions de son petit corps cherchant désespérément à échapper à mes griffes jusqu'à la dernière seconde... Je veux de la lutte, de la sueur et du sang, de la terreur à l'état brut, je veux les regarder dans les yeux et voir la vie résister...
Je me tourne vers le vieil homme, presque dégoûté. Ce n'est pas lui qui m'offrira cela. Je le tue comme les enfants : presque sans y penser, et sans qu'il esquisse le moindre tremblement. Nous ne sommes plus que trois à présent : le costaud, Justin, et moi. J'aimerais tellement réveiller Justin, mais je dois garder le costaud pour la fin : ma survie en dépend... Rien ne m'empêche d'agir vite et fort, ceci dit. Un éclair d'anticipation me traverse tandis que je repère la pierre descellée avec laquelle le costaud a frappé Justin, quelques jours plus tôt. Cette pierre repose à présent auprès de lui, mais ce gros tas ronfle si fort qu'il m'est facile de la lui subtiliser sans qu'il ne bronche. Justin est à moi à présent...
Il y a quelque chose dans la magie que j'ai toujours regretté. C'est le manque de contact physique. « Avada Kedavra » : six syllabes articulées machinalement, et le tour est joué. Tout est déjà terminé. Idem pour « Endoloris » : une douleur atroce, certes, mais... Sans doute guère comparable à la sensation de plonger ses doigts dans les chairs de l'autre. De lui infliger mille et une souffrances, mille et un tourments différents, variés, rien qu'avec ses mains... Il existe une telle palette de sensations différentes. Le bourreau qui torture ses victimes à la main doit voir leur corps et ses instruments comme un nuancier. C'est presque un art, en vérité... Un art auquel je brûle de m'initier désormais. J'ai toujours adoré ça, je l'ai dans le sang : et c'est sans surprise que je réalise que je bande plus dur que dans toute ma vie entière, tandis que je lève la pierre au-dessus du crâne de Justin...
Le coup s'abat, précis, apocalyptique. Le crâne de Justin se fend comme un œuf et explose sous mes doigts. Je sens le baiser du sang sur mes lèvres : il éclabousse mon visage et se répand partout, tandis que ma victime prise de tremblements se met à hurler, réveillant le costaud et tout le reste des cachots avec lui. Je frappe sans réfléchir : je frappe encore et encore et encore, jusqu'à ce que chaque coup fasse disparaitre un peu plus le visage de Justin Finch-Fletchey, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un amas de chairs et de sang, jusqu'à ce que ses dents lui rentrent dans la gorge et que ses yeux coulent en larmes gluantes sur la pierre nue.
Il est mort. Il est mort depuis dix secondes et je dois me reprendre : le costaud me regarde, éberlué, encore en état de choc, mais ce répit ne durera pas très longtemps. Déjà, je me jette sur lui, et je comprends immédiatement que ce combat ne sera pas de la même envergure.
Il me reçoit dans ses bras puissants et bloque un de mes poings : je riposte d'un coup de pied, profitant de sa position semi-redressée pour cueillir sa mâchoire en plein vol. Il pèse plus lourd que moi : c'est un avantage et il le sent. Il tente de me renverser sous poids, mais j'anticipe le coup : agrippant ses cheveux, je projette tout mon corps sur lui et lui plaque le visage au sol. Son nez se brise dans un craquement grotesque qui m'arrache un rire. Le temps presse : je le sais, je perçois l'agitation des autres cellules autour de nous, les gens qui crient, qui hurlent, qui ne comprennent pas, et les Mangemorts qui ne vont pas tarder à arriver, attirés par tout ce vacarme...
Mes forces déclinent : il me faut trouver un moyen de neutraliser ce tas de muscles avant qu'il ne me broie en deux. La réponse me vient d'elle-même, évidente, parfaite. Je n'ai qu'à cesser de me retenir. Pour la première fois de ma vie, je serai Dean Thomas, le vrai Dean Thomas. Pour la première fois de ma vie, le monstre va prendre les rennes, et régner au grand jour...
Dans un assaut de sauvagerie qui manque presque de me couper le souffle, j'abandonne les oripeaux qui faisaient de moi un être humain : dorénavant, je ne suis plus que dents, muscles, sang et ongles, je suis un être de folie et de mort qui ne reculera devant rien, n'aura peur de rien, et ce déferlement de fureur pure s'abat sur le garçon de sixième année pour le dévorer jusqu'à l'os.
J'ignore ce que je lui fais exactement. L'espace d'un instant, ma vision devient rouge, et je cesse de voir la scène pour la vivre, la ressentir, au plus profond de mes tripes. Une sorte de transe extatique dont je ressors, les mains écorchées et le visage en sang. Mon sang. Mais surtout celui du cadavre qui git à mes pieds.
S'agit-il du même garçon ? Comme pour ce pauvre Justin, sa mère aurait sans doute du mal à le reconnaitre...
Je contemple les six corps étendus inertes autour de moi, et je ris, un rire incontrôlable, hystérique, où se mêlent l'exaltation du meurtre et le soulagement d'avoir réussi...
Je me laisse tomber à genoux tandis que les Mangemorts déboulent enfin dans le couloir pour découvrir le spectacle. Je gis dans une mare de sang. Mes vêtements déchirés pendent sur les multiples griffures que l'on m'a infligées. Ici et là, des petits bouts de peau, de dents et de chair parsèment le sol. Je suis seul. Je suis seul à me tenir vivant au milieu de six beaux cadavres, et je suis prêt à mourir de rire.
Devant le visage de Finch-Fletchey réduit en bouille, même l'un des vaillants Mangemorts vacille et s'enfuit pour vomir son dîner. Un autre contemple le tableau, et ordonne à son subalterne d'une voix blanche :
- Allez chercher le Seigneur des Ténèbres.
Je cesse de rire, uniquement pour afficher un sourire béat qui me possède tout entier. Déjà, ma respiration se stabilise, mais la liqueur qui coule dans mes veines est divine...
Voldemort ne se fait pas attendre. Tiré du lit au beau milieu de la nuit, je ne m'attends pas à ce qu'il soit dans les meilleures dispositions pour me parler, mais la vision qui s'offre à lui lorsqu'il s'arrête devant ma cellule me garantit que j'ai toutes mes chances. L'odeur du sang et des boyaux renversés me monte à la tête :
- Qu'est-ce que ça signifie ? demande le mage noir d'une voix où perce la menace, mais également la curiosité.
- Mon Seigneur, je déclare en faisant l'effort de me relever. Dean Thomas.
Je m'incline. Dans les cellules avoisinantes, tous les autres continuent de me regarder d'un air médusé :
- Votre serviteur m'a dit que vous m'aviez condamné à mourir demain matin, je reprends en époussetant vaguement le sang sur mes mains. Je voulais vous montrer que vous auriez tort de faire ça. Comme vous pouvez le voir, je suis un atout de premier choix. Et les imbéciles que vous retenez parqués ici ne sont rien pour moi.
Voldemort s'approche de la grille. Ses narines plates se dilatent, excitées elles aussi par le parfum de l'hémoglobine, tel un reptile à l'affut :
- Un Sang-de-Bourbe qui trahit des Sangs-de-Bourbe..., murmure-t-il avec le plus grand mépris. Il faut croire que je n'avais pas encore tout vu.
- Je ne suis pas un Sang-de-Bourbe, je réponds sans craindre de croiser son regard. Ma mère est une Moldue, mariée à un sorcier. Il l'a laissée tomber, et c'est son second mari, un Moldu, qui m'a élevé. Mais le sang des sorciers coule dans mes veines. Si vous ne me croyez pas, peu importe : faites de moi votre serviteur. Envoyez-moi pour les pires missions, les plus dangereuses de toutes. Mieux encore : faites de moi votre bourreau. Je saurai faire parler ceux de vos ennemis qui résistent à l'Endoloris et aux autres méthodes... trop douces.
Voldemort doit voir une lueur passer dans mon regard... Cette lueur que j'ai toujours dissimulée depuis tant d'années, et qui pourrait bien me sauver la vie aujourd'hui...
- Dean Thomas, murmure-t-il, comme s'il l'entendait pour la première fois. N'étais-tu pas l'un des amis les plus fidèles de ce cher Harry Potter ?
Je hausse les épaules :
- Je suis ce que les circonstances exigent de moi. Je suis un survivant. Obligé de me cacher sous Dumbledore, mais libre de vivre au grand-jour sous votre nom.
Mû par un instinct démesuré, je m'approche des barreaux moi aussi, à tel point que je peux sentir l'haleine froide du Seigneur des Ténèbres sur ma peau :
- Vous pouvez me tuer, j'articule, sans la moindre nuance de peur dans la voix. Mais très honnêtement, ce serait du gâchis. Laissez-moi exercer mes talents. Harry Potter, Dumbledore, les Sangs-de-Bourbe, les Sang-Purs, vous... Je n'en ai strictement rien à foutre. Laissez-moi faire ce pour quoi je suis fait, et je le ferai bien. C'est tout ce que je vous demande.
Voldemort sourit. Je sens instantanément que j'ai fait mouche. Je pousse mon avantage avant qu'il ne reprenne la parole :
- J'oserai simplement vous demander une petite contrepartie... Il y a parmi les Sang-Mêlés que vous gardez dans les étages un garçon de mon âge : Seamus Finnigan. Je voudrais le garder pour moi celui-là. C'est mon plus vieux et mon plus important jouet, vous comprenez ? Ne l'abimez pas.
Le sourire de Voldemort s'agrandit. Sans doute s'amuse-t-il du culot que je manifeste alors que je négocie pour ma vie. Mais le monstre en moi sait que cela tourne à mon avantage. Voldemort aussi a un monstre en lui. Entre monstres, on se comprend...
Le Seigneur des Ténèbres fait un signe de tête vers le Mangemort le plus proche, et celui-ci lève sa baguette pour déverrouiller la porte de ma cellule.
J'émerge dans le couloir, couvert d'entailles et de sang, sous les regards effarés de mes proches qui me découvrent enfin et qui refusent encore d'y croire, qui me dévisagent, qui me haïssent...
Je suis enfin moi-même.
Je suis libre.
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