Chapitre 1


L'averse ne cessait de tomber sur toute la ville, tambourinant sur les carreaux de la chambre d'Emma, lui offrant une vision maussade du temps qui s'abattait par la même occasion sur son humeur.

Elle devait bien avouer que la pluie refroidissait la chaleur devenue trop lourde de ces derniers jours. Le battant était légèrement ouvert pour y laisser entrer un peu d'air frais. Son regard suivait chaque gouttelette qui glissait le long de la vitre.

La jeune fille appréciait être dans sa tanière, s'y enfermer, souvent pour s'isoler et lire. Seulement, aujourd'hui, elle n'en avait pas envie. Elle aurait bien aimé être chez son meilleur ami. Malheureusement, dès le premier jour de la pré-rentrée, il avait dû s'installer dans sa chambre sur le campus, tout comme sa sœur, Caroline. Elle pouvait évidemment aller les voir, mais sortir par ce temps ne la tentait guère.

Dès le lendemain, les cours commençaient et elle pourrait être avec eux.

Les jumeaux avaient la possibilité de rester dans la demeure familiale. Seulement, ils avaient toujours voulu connaître la vie d'étudiants et ils retournaient chez eux chaque week-end.

Emma aurait pu faire comme eux, mais elle avait préféré continuer à vivre avec son frère. Tous deux avaient leur propre maison, achetée par leur mère des années plus tôt. À présent, la demeure appartenait à Shaun et Emma. De ce fait, pourquoi loger dans une chambre universitaire qui coûterait certainement les économies de la demoiselle ? Elle n'en voyait pas l'utilité et était sûre de son choix.

Nathalie occupait un loft depuis un an au cœur de Namur. Elle aurait pu rester habiter avec ses enfants, mais quelques mois après le divorce, elle avait ressenti le besoin et l'envie de s'envoler de ses propres ailes, de reprendre son avenir en main, d'exister enfin pour elle. Et les deux jeunes l'y avaient encouragée. Nathalie en avait assez bavé, elle pouvait s'autoriser cette liberté. Ils la voyaient régulièrement, et Emma adorait les moments qu'elle passait avec sa mère. Rattrapant ainsi ce qu'elles n'avaient pu vivre du temps où Gaël partageait leur quotidien.

Emma appréciait sa vie tranquille avec sa mère qui lui apportait souvent un souffle d'air, les jumeaux qu'elle adorait et son frère qu'elle aimait plus que tout.

Pourtant, il y avait deux ans de cela, ce n'était pas le cas. Elle était seule, brisée et en larmes. Le cœur déchiqueté en mille morceaux. Mais cela faisait partie du passé à présent. Elle n'était plus cette fille-là. Celle qui pleure et s'apitoie sur son sort.

Elle était bien plus forte désormais.

Sa première année commençait dès le lendemain. Après un débat avec ses meilleurs amis, elle avait finalement accepté de s'inscrire à l'université de Namur qui comprenait six facultés différentes, dont celle de droit, dans laquelle elle comptait se jeter à corps perdu.

Elle imaginait déjà les dégâts qu'elle allait devoir gérer avec ses deux meilleurs amis.

Eux, qui aimaient tant la montée d'adrénaline et qui n'en faisaient qu'à leur tête la plupart du temps...

***

L'Université de Namur pouvait être impressionnante. Elle possédait un campus géant, des bâtiments partout, des couloirs interminables, des escaliers gigantesques et des amphithéâtres pouvant contenir des centaines d'étudiants. Les gradins semblaient monter jusqu'à l'infini et il y était difficile de retrouver ses amis. Quand on était nouveau et qu'on ne connaissait pas les lieux, c'était encore plus compliqué.

Emma trouva sa salle de cours au bâtiment 14 de la faculté de droit et pénétra dans la pièce à moitié remplie. Elle s'installa au centre, pour être certaine que Caroline la repère et sortit un livre de sa besace. Elle en avait toujours un avec elle, peu importait où elle allait. Elle aurait pu se balader avec une liseuse, mais n'aimait pas trop ces machines. Elle préférait de loin toucher l'ouvrage, les pages, percevoir les grains sous ses doigts, sentir l'odeur... C'était une véritable accro des bouquins !

Au bout de quelques minutes, elle releva le visage et, subitement, son rythme cardiaque s'accéléra. Elle se replongea immédiatement dans sa lecture, mais ne pouvait aligner deux mots tant ça se bousculait dans sa tête.

En un coup d'œil, elle avait reconnu Lucy Ray. Elles étaient amies autrefois. Plus maintenant. Plus depuis que Lucy l'avait trahie.

Il y avait deux ans, elle avait quitté le lycée subitement. Tout s'était abattu sur elle comme une chape de plomb. Un mal pour un bien, peut-être...

Caroline arriva enfin près d'Emma, elles échangèrent un sourire et la demoiselle s'installa sur le siège à côté de son amie qui rangea son livre.

— Tu t'es perdue en chemin ?

— Ne rigole pas, cet endroit est immense ! J'aurais dû suivre ma coloc', elle m'aurait sûrement aidée.

— Pour ça, il faut se lever quand le réveil sonne, la nargua gentiment Emma.

En réponse, Caroline lui tira la langue.

Cette dernière possédait une personnalité assez déroutante. Elle pouvait être attentive, à l'écoute, sérieuse et, la seconde d'après, agir comme une gamine de dix ans, sans jeu de mots. Elle avait gardé ce côté bon enfant qui la rendait tellement insouciante.

La première heure passa et elles durent changer de salle pour le cours suivant. La matinée s'écoula. À midi, les filles rejoignirent Benjamin sur la pelouse du campus, à un point de rendez-vous. Celui-ci était facilement repérable avec son tee-shirt orange.

Les deux têtes blondes préférées d'Emma animèrent les cinquante minutes de pause et lui tirèrent plus d'une fois un sourire. Ensemble, les jumeaux étaient irrécupérables !

Peu avant la reprise des cours, ils marchèrent un peu. Emma les écouta se chamailler gentiment, les enveloppant d'un regard doux.

Le reste de la journée se déroula tranquillement et elle se retrouva assommée par l'emploi du temps chargé qu'elle devrait concilier avec son travail au café.

Elle laissa les deux jumeaux, qui se dirigèrent vers le dortoir. Benjamin agita la main tout en bâillant. Les lèvres d'Emma s'étirèrent. Elle le savait, il allait s'écrouler sur son lit... Il s'était couché après quatre heures du matin, ce qui n'était pas vraiment une bonne idée lorsqu'on avait cours.

La jeune fille quitta le campus pour rentrer chez elle. Shaun n'était pas encore là, étant au travail ; il bossait en tant que caissier au supermarché. Elle alla dans sa chambre où elle se laissa tomber sur son lit.

Pour une fois, les deux têtes brûlées ne l'avaient pas tirée pour flâner dans les rues, l'un vers les jeux vidéo, l'autre dans les boutiques de vêtements. Heureusement, quand cela se produisait, elle était capable de faire des compromis, les satisfaisant à tour de rôle.

Emma s'entourait de peu de personnes. Avoir beaucoup d'amis ne l'intéressait pas. À ses yeux, ça ne servait à rien. Elle préférait n'en avoir que quelques-uns sur lesquels elle pouvait compter sans réserve. Qui étaient prêt à crier « présent », de jour comme de nuit. Et c'était ce qu'elle avait trouvé en Caroline et Benjamin.

Elle ne faisait pas attention, ou très peu, aux personnes inconnues qu'elle croisait ou dont elle n'était pas proche. C'était quelqu'un de solitaire. Elle aimait s'isoler, pianoter sur son ordinateur portable, gribouiller dans un calepin ou, encore, regarder une série avec Shaun. Elle ne souriait pas beaucoup, sauf à son entourage. Elle avait dressé une muraille autour d'elle et de son cœur. Une forteresse haute et solide pour se protéger.

Autrefois, Emma n'était pas ainsi. Elle arborait une mine chaleureuse constante, ses yeux pétillaient de vie et elle faisait confiance à n'importe qui. Elle rougissait facilement, était sensible et pouvait s'attacher fort et rapidement. Elle pleurait également très vite. On pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert, mais ça, c'était avant.

Avant que l'homme qu'elle aimait plus que tout ne l'abandonne de la plus horrible des façons, qu'il l'humilie et piétine son cœur. Emma s'était crue dans un mauvais cauchemar, sans pouvoir en sortir. Désespérée, démolie.

Rien ne s'était arrêté là. Inconsolable, elle avait dû faire face à la déchéance du couple de ses parents. Être témoin des coups que sa mère recevait de son père, encaisser la même violence. Shaun avait tenté de lui remonter le moral, mais elle s'était enfoncée davantage dans la tristesse. Dans l'urgence de la situation, ils avaient dû partir et quitter la ville pour les préserver tous. Elle avait changé de lycée pour aller là où personne ne la connaissait, dans un autre lieu où elle avait élu domicile : à Dinant.

Elle s'en souvenait comme si c'était hier. Elle avait traversé les couloirs du nouvel établissement avec les yeux bouffis à force d'avoir trop pleuré. Elle n'avait porté aucun intérêt à son entourage, bien trop enfermée dans sa bulle. Ce fut un jeune blond à sa droite qui avait réussi à attirer son attention et à lui faire pivoter le visage avec un seul mot.

— Salut !

Elle l'avait observé tristement et avait été rapidement captivée par ses pupilles pénétrantes et rieuses, ainsi que son sourire chaleureux.

— Tu es nouvelle, non ?

Emma avait tourné la tête de l'autre côté de son corps pour rencontrer un autre regard bleu clair d'une fille au sourire doux et sincère.

— Je m'appelle Caroline Peters.

— Et moi, c'est Benjamin Peters.

Emma les avait fixés tour à tour. Ils se ressemblaient tant et pas que physiquement. Leurs caractères semblaient semblables, du moins au premier coup d'œil. Cependant, elle n'avait pas eu le temps de se présenter que ces deux énergumènes l'avaient saisie chacun par un bras.

— On va te faire visiter le lycée !

Les deux jeunes blonds avaient parlé en même temps et Emma s'était laissée entraîner par ces êtres qu'elle avait trouvé bizarres, mais attachants au premier abord.

Après cela, elle ne les avait plus quittés, et ils participaient à sa joie de vivre à présent. Tout en les côtoyant, elle s'était forgé une carapace et la seule personne qui avait vu ce changement était son frère, Shaun. Quant à ses parents, rien ne s'était arrangé dans l'immédiat. Au contraire, tout avait empiré. Jusqu'au divorce où enfin, ils avaient été libérés tous les trois : sa mère, Shaun et elle-même.

Deux coups contre la porte la firent se redresser sur son lit. Le battant s'ouvrit, son aîné se dévoila et il entra dans la chambre.

— Bonsoir, petite sœur.

— Bonsoir, Shaun.

— C'était quoi ce sourire sur tes lèvres à l'instant ?

— Je songeais à ma rencontre avec Benji' et Caro', c'est tout.

— Ah.

Les yeux marron clair de Shaun détaillèrent la demoiselle. Il se demanda pourquoi elle repensait subitement au moment où elle avait fait la connaissance de ses deux meilleurs amis. Qui, soit dit en passant, lui donnaient un mal de crâne à chaque fois qu'ils les voyaient.

Il se souvint de cet instant où les jumeaux avaient fait irruption dans la vie de la jeune fille, ou plutôt avant que sa famille ne vole en éclat, lorsqu'Emma s'était brisée en mille morceaux et où tout avait commencé.

À cette époque, ils n'avaient pas encore déménagé et il ignorait que sa sœur et son copain avaient rompu. Depuis deux jours, sa cadette s'était enfermée dans sa chambre et ses pleurs s'entendaient dans tout l'étage. N'en pouvant plus d'être spectateur derrière la porte close, il l'avait doucement ouverte, guettant sa silhouette. Il l'avait trouvée repliée sur elle-même sur son lit, assise et se balançant d'avant en arrière sans cesser de sangloter.

La pièce était plongée dans la pénombre, les tentures tirées et des vêtements jonchaient le sol, chose très rare chez Emma qui aimait que tout soit bien rangé. En l'apercevant ainsi, le cœur de Shaun s'était serré. Après avoir refermé derrière lui, il s'était approché et avait posé l'une de ses mains sur l'épaule de sa cadette.

— Emma, qu'est-ce qui t'arrive ?

La jeune fille avait simplement relevé la tête, arrêtant son balancement, et Shaun avait écarquillé les yeux. Sa poitrine s'était compressée et son pouls accéléré.

Le visage d'Emma était ravagé par les larmes, une tristesse et une douleur sans nom avaient pris place dans ses belles prunelles, remplaçant sa joie et son bonheur. Ses traits étaient tirés, ses lèvres pincées et tremblotantes. Elle serrait le vêtement de l'homme qu'elle aimait entre ses doigts si fort que ses jointures étaient blanches. Et il avait su que son état n'avait rien avoir avec les disputes et les violences familiales qui sévissaient dans la demeure.

Shaun l'avait attirée dans ses bras, l'entourant fortement, et elle avait éclaté en sanglots. Pendant plusieurs minutes, ils étaient restés ainsi et Emma avait étouffé ses cris de désespoir dans le tee-shirt de son frère.

Ce dernier l'avait pressée contre lui plus fortement qu'il ne l'aurait dû, mais il n'avait pu s'en empêcher. Sa petite sœur qu'il chérissait tant, celle pour qui il ferait n'importe quoi souffrait atrocement. Elle s'était agrippée à lui et il l'avait laissée faire. C'était comme si elle avait recherché un rempart, une bouée de sauvetage.

— Tu veux que j'appelle Cooper ? avait-il chuchoté au creux de son oreille.

Emma s'était redressée et crispée en même temps. De ses yeux écarquillés, elle l'avait fixé et Shaun n'avait pas compris sa réaction.

— Non ! avait-elle hurlé.

Shaun avait posé ses mains sur les épaules tremblantes de sa sœur, le regard doux, essayant de l'apaiser.

— Tu sais qu'il viendra sans aucune hésitation, avait-il affirmé.

Emma s'était davantage agrippée à lui.

— Je t'en supplie, Shaun, ne le contacte pas, ne fais surtout pas ça, cela fait beaucoup trop mal. S'il te plaît...

Les larmes avaient continué de dévaler les joues de la jeune fille et Shaun n'avait pu que la fixer, impuissant, ne comprenant rien. Généralement, elle aurait accepté, il l'aurait appelé et Cooper serait venu pour la prendre dans ses bras, et ce, toute la nuit sans même se plaindre.

— Vous vous êtes disputés ? l'avait-il interrogée.

Emma avait baissé la tête et pleuré de plus belle. Shaun s'était mis à lui caresser les cheveux, mais lorsqu'elle avait murmuré cette phrase entrecoupée de sanglots, il s'était figé.

— On a rompu.

Une tape sur la joue de Shaun le ramena à la réalité. Sa sœur se trouvait devant lui, debout. Il lui attrapa le poignet.

— Ah quand même. À quoi pensais-tu pour ne pas m'écouter ?

— À ta séparation avec Cooper.

Shaun sentit Emma se raidir, mais rapidement, elle se défit de l'étau de la main de son aîné et lui tourna le dos pour aller à son bureau.

— Emma... tu ne m'as jamais dit pourquoi...

— Ça n'a aucune importance, coupa-t-elle.

— Il y a toujours une raison pour qu'un homme largue une fille.

— On s'est séparés d'un commun accord.

— Vraiment ?

— Oui.

Elle fixa son frère, le regard indifférent.

— Vu ton expression, ça doit être vrai. Soirée pizza, ça te tente ?

Elle lui sourit et ils quittèrent la chambre. Lessivée par sa journée comme elle l'était, elle n'était pas contre ce genre de dîner. Shaun passa commande et ils s'installèrent devant une série télévisée. Ils agirent comme si de rien n'était, comme si le passé ne s'interposait pas entre eux. Comme si l'ex d'Emma n'avait pas été mentionné dans leur conversation précédente.

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