Chapitre 4


Alors qu'il donne les coordonnées de l'avocat de son père à Marinette, Adrien surveille les réactions de son amie avec une certaine inquiétude. Ce n'est pas qu'il soit contre le plan d'Alya, mais il a peur qu'un tel harcèlement ne soit excessif.

Et manifestement, ses craintes sont justifiées.

De là où il est, Adrien peut surprendre le moment exact où la patience de Marinette arrive à bout. Il se tient suffisamment prêt d'elle pour ne pas manquer de remarquer la façon dont ses immenses yeux bleus s'écarquillent. Dont ses joues s'empourprent de colère. Dont les muscles de sa mâchoire se contractent brusquement. Sans compter ses doigts, qui s'agrippent au rebord de son bureau avec tant de hargne que le jeune homme s'étonne presque qu'ils n'y impriment pas leur marque.

Marinette vibre d'une telle rage qu'Adrien a l'impression de la ressentir de manière physique. De sentir des ondes de fureur irradier depuis son amie et le frapper de plein fouet, le laissant paralysé de stupeur.

Et avant qu'Adrien n'ait le temps d'amorcer le moindre geste de recul, de prononcer ne serait-ce qu'une parole pour tenter de désamorcer l'explosion à venir, Marinette bondit de son siège.

- « J'en ai ASSEZ ! », hurle-t-elle en abattant violemment ses mains sur son bureau, ses paumes heurtant le bois avec un fracas terrifiant. « Pour la dernière fois, MON. COPAIN. NE. ME. FAIT. PAS. DE. MAL. Il va falloir que je vous le répète dans combien de langues avant que vous ne le compreniez ? »

Marinette se redresse de toute sa hauteur, menton fièrement levé, et fusille tour à tour chacun de ses camarades du regard.

- « Vous vous trompez TOUS », s'époumone-t-elle de plus belle. « J'ai des bleus parce que je me COGNE. Parce que je TOMBE », martèle-t-elle avec insistance. « Pas parce que je me fais battre par quelqu'un qui ne lèverait JAMAIS la main sur moi. Donc quoi qu'on vous ait dit, ce n'est qu'un immense malentendu », conclut-elle en se tournant vers Alya.

Interrompant un instant sa tirade, Marinette prend une profonde inspiration dans un effort évident de retrouver son calme.

- « Je sais que tu t'inquiètes pour moi », reprend-elle d'une voix tremblante de colère, « et en temps normal, j'apprécierai. Mais là, les choses vont trop loin. BEAUCOUP trop loin. J'aimerai que tu me fasses confiance quand je te dis et que je te répète que mon copain ne me frappe pas. Et surtout, j'aimerai que tu me laisse TRANQUILLE en ce qui le concerne ! »

Alors qu'Alya se tasse honteusement sur sa chaise, Marinette laisse échapper un grognement rageur.

- « Quand je pense que vous avez TOUS cru que... Que mon... Qu'il me... Que j'étais... Raaaaa ! », s'exclame-t-elle en foudroyant de nouveau ses amis du regard. « Je savais qu'Alya était la reine des plans tordus et des conclusions rapides, mais vous avez TOUS cru que je me faisais réellement frapper. Vous ne nous êtes pas dit UNE SEULE FOIS qu'Alya pouvait avoir tort. Vous n'êtes pas venus me voir UNE SEULE FOIS pour me poser la question ! »

Les yeux étincelants de Marinette s'arrêtent brusquement sur Nino, qui rentre instinctivement la tête dans les épaules.

- « Pourtant TU savais que je disais à Alya qu'elle se trompait », lui lance-t-elle avec hargne, sa voix montant dans de dangereux aigus à chaque nouveau mot qui s'échappe de ses lèvres. « Tu étais là pendant nos conversations. Mais non, il faut que tu la suives dans ses délires ! »

Avant que Nino n'ait le temps d'articuler la moindre parole pour sa défense, Marinette tourne lentement la tête vers Adrien. Le jeune homme se sent blêmir alors que le sang fuit de son visage. Jamais il n'a vu son amie dans un pareil état de fureur et le fait d'être clairement la prochaine victime de son courroux n'est pas pour le rassurer.

- « Et TOI ! », hurle-t-elle en tendant un doigt accusateur vers lui. « Je pensais que tu serais plus raisonnable que les deux autres réunis ! Parce qu'autant pour EUX je peux comprendre, mais normalement TOI, tu es sensé avoir un minimum de bon sens ! »

Adrien déglutit péniblement. Devant lui, son amie hurle, tempête, laisse éclater cette colère orageuse qui couvait en elle depuis bien trop longtemps.

La classe entière reste tétanisée par ce violent accès de fureur. Tout comme ses camarades, Adrien n'ose pas esquisser un geste ni prononcer une parole, de peur d'alimenter de plus belle l'ouragan qui se déchaîne devant lui. Même les akumas - dont le jeune homme guette l'apparition avec inquiétude - ne semblent guère enclins à venir affronter son amie.

Et Adrien les comprend. Au vu de la lueur de rage qui étincelle dans ses yeux, Marinette va finir par tuer quelqu'un.





Marinette va finir par tuer quelqu'un. C'est certain.

Elle le sent, au plus profond d'elle-même.

Alors, avant que ses gestes et ses paroles ne dépassent les limites de l'irréparable, la jeune fille profite d'un ultime instant de lucidité pour opérer une prudente retraite. Mains tremblantes sous l'effet de la colère, elle fourre hâtivement ses affaires dans son sac et sors de la salle de classe en fulminant.

Elle n'a pas le souvenir d'avoir jamais été dans un tel état de rage.

Son cœur bat furieusement entre ses côtes, tonnant au rythme de la tempête qui se déchaine dans tout son être. Elle a l'impression de ne puis sentir que cette pulsation lourde, insistante, qui alimente sa colère à chaque seconde. Dans un effort désespéré pour garder sa maîtrise d'elle-même, Marinette serre ses poings tellement forts que ses ongles s'enfoncent douloureusement dans la paume de ses mains.

Certes, les interventions intempestives d'Alya partent d'une bonne intention.

Mais Marinette n'en peut plus de la voir accuser sans cesse Chat Noir - SON Chat Noir - d'être une personne abjecte. Il mérite mieux que ça. Jamais il ne devrait être la cible de ce mépris, de ces médisances, de ces innombrables calomnies qu'elle n'a que trop entendues et qui lui soulèvent le cœur. Marinette avait déjà trouvé pénible que sa meilleure amie ait mit Nino et Adrien au courant de ses théories. Mais qu'elle ait entrainé avec elle toute leur classe et peut-être même toute l'école, c'est trop.

Trop absurde.

Trop cruel.

Trop injuste.

Juste... Trop.

Marinette a ses limites, et ces dernières ont été largement atteintes. Elle a besoin d'air, de calme, de temps. De s'éloigner un instant de ces personnes qui ne veulent que son bien mais qui ne font que la blesser sans le savoir.

Il ne faut à Marinette qu'un instant pour arriver chez elle. Elle salue à peine ses parents et traverse son salon comme une tornade, avant de se précipiter en direction de sa chambre. Puis, sans perdre une seconde de plus, elle balance rageusement son sac sur son lit, se transforme et s'élance par la fenêtre.





Le soleil commence à disparaître à l'horizon et, perchée sur les toits de Paris, Ladybug ne décolère pas. Mâchoires serrées, elle balaye les alentours du regard, ses yeux d'un bleu perçant semblant défier quiconque de venir à nouveau attiser son mécontentement.

La jeune héroïne se passe la main sur la figure en laissant échapper un grognement contrarié, avant de sursauter légèrement quand une exclamation surprise s'élève derrière elle.

- « Ma Lady ? », articule son partenaire en s'approchant prudemment d'elle. « Est-ce que ça va ? »

Ladybug sent la peau de ses joues se réchauffer doucement sous son masque, signe d'une indéniable manifestation d'embarras.

- « Désolée, chaton... », s'excuse-t-elle avec un petit sourire contrit. « J'ai eu une mauvaise journée... »

- « Bienvenue au club... », soupire Chat Noir en se laissant lourdement tomber à ses côtés.

Ladybug lui jette un coup d'œil incisif. D'ordinaire, leurs rendez-vous mettent son coéquipier d'humeur joyeuse, mais aujourd'hui n'a clairement pas l'air être le cas. Au contraire, au vu de la façon dont il peine à sourire et dont ses yeux fuient les siens, Chat Noir semble particulièrement abattu.

Comme cela lui arrive parfois après une longue et rude journée.

Comme cela lui arrive parfois après une dispute avec son père.

Ladybug ignore ce qui chagrine son compagnon, mais comme à chaque fois, elle sent son cœur se serrer en le voyant ainsi. Instinctivement, elle tend la main vers lui et entrelace tendrement ses doigts avec les siens.

- « Tu veux qu'on en parle ? », lui propose-t-elle avec un faible sourire.

- « Pourquoi pas... », soupire Chat Noir. « Qui commence ? »

- « Vas-y », lui propose Ladybug en hochant légèrement la tête en signe d'encouragement. « Je t'écoute. »

Le regard perdu dans le vague, Chat Noir laisse échapper un nouveau soupir.

- « Je me suis disputé avec une de mes amies », commence-t-il avec hésitation. « Enfin, c'était un peu à sens unique, c'est plutôt elle qui m'a hurlé dessus. Ce qui revient plus ou moins au même, j'imagine. Elle est en colère contre moi. »

Alors que Chat Noir marque un léger temps d'arrêt, Ladybug serre doucement ses doigts dans les siens pour lui montrer silencieusement son soutien. En dépit du masque qui lui dissimule une partie du visage, l'expression mortifiée de son coéquipier est clairement visible.

- « La situation est un peu... compliquée... », reprend Chat Noir en se passant machinalement la main sur l'arrière du crâne. « Je ne sais pas trop comment résumer ça simplement. »

- « Tu peux toujours essayer, si tu veux », réplique Ladybug avec un petit sourire. « Promis, si je ne comprends rien, je te le dirais. »

- « Merci, ma Lady », répond-il en s'inclinant légèrement vers Ladybug pour déposer un baiser sur sa joue. « En fait, cette amie... Sa meilleure amie est persuadée qu'elle se fait battre par son copain. Parce qu'elle a tout le temps des bleus sur les bras, et qu'elle n'a jamais aucune explication sur leur origine. Et qu'elle ne dit jamais rien sur son copain. »

Ignorant le hoquet de surprise presque inaudible qui échappe à Ladybug, Chat Noir poursuit son récit.

- « Bref », continue-t-il en laissant de nouveau errer son regard sur la ville qui s'étale à ses pieds. « Mon amie n'arrête pas de dire qu'il ne se passe rien. Mais sa meilleure amie est persuadée du contraire, du coup elle nous a demandé d'intervenir. Et par 'nous', je veux dire toute la classe. Il y a des personnes qui ont essayé de lui parler plus ou moins subtilement de sa vie amoureuse, d'autres lui ont proposé de la protéger si besoin, par exemple au cas où elle aurait eu peur de quitter son copain... Quelqu'un a même fait un exposé sur les violences conjugales ! », renchérit-il avec un petit rire embarrassé. « De mon côté, je me suis contenté de lui donner le numéro d'un avocat, mais... C'est vrai que c'était beaucoup. Pour mon amie, je veux dire. Je ne l'ai jamais vu aussi en colère ! Elle... »

Alors qu'il tourne légèrement la tête pour poser son regard sur sa coéquipière, Chat Noir s'interrompt brusquement.

Quelque chose ne va pas.

Sous son masque, Ladybug est livide. D'une pâleur effrayante, presque cadavérique. Ses pupilles sont dilatées de stupeur, comme si elle venait d'apercevoir un fantôme, et elle est à présent tellement immobile qu'elle pourrait aisément passer pour une statue de cire.

- « Ma Lady ? », murmure-t-il d'une voix perplexe, tout en se penchant vers elle.

Mais sa partenaire ne semble pas l'entendre. Puis, soudain, ses yeux reprennent vie. Ils se mettent à balayer frénétiquement le visage du jeune homme, scannant, analysant, scrutant le moindre de ses traits, comme si elle le voyait pour la première fois.

Ladybug n'aurait pas eu l'air plus abasourdie si son monde avait explosé devant elle.

- « A...A... », bredouille-t-elle, manifestement incapable de formuler la moindre parole cohérente.

- « Ladybug ? », insiste Chat Noir, de plus en plus inquiet.

- « Adrien ? », murmure-t-elle dans un souffle.

Pour Chat Noir, le choc est aussi brutal que s'il venait de recevoir un violent coup de poing dans l'estomac. Il sent son cœur effectuer un périlleux looping dans sa poitrine, rebondir douloureusement contre ses côtes, avant de se remettre à battre avec fureur.

La gorge soudain sèche, il se passe machinalement la main le long du cou.

- « Adrien », répète lentement Ladybug. « Adrien. Agreste. »

Et tout à coup, l'évidence frappe Chat Noir. Vite, fort, illuminant son cerveau aussi violemment qu'un éclair déchirant nuit.

La réaction de sa coéquipière ne peut pas être une coïncidence.

Les yeux rivés sur Ladybug, le jeune homme a la sensation que le sol se dérobe sous lui. Comment a-t-il pu ne jamais le remarquer ? Comment a-t-il pu ne rien voir ?

Ces cheveux d'un noir bleuté. Ces sourires lumineux, ces éclats de rire qui réchauffent joyeusement son cœur. Ce visage dont il aurait pourtant juré connaître les traits par cœur et qu'il n'a pourtant jamais reconnus jusque-là. Et ces yeux, d'un bleu limpide.

Ce regard azur qui berce ses nuits et hante ses jours.

Ce regard azur qu'il a vu étinceler d'une façon bien trop familière sur le visage d'une de ses camarades.

Ladybug.

Et derrière le masque...

- « Ma... Marinette ? », balbutie-t-il, le souffle soudain court.

Etouffant un nouveau grognement, Ladybug se presse les deux mains sur le visage.

- « Adrien », grogne-t-elle d'une voix où la frustration est désormais clairement palpable. « C'est toi. C'est toi Chat Noir. C'était toi depuis le début. »

Chat Noir secoue légèrement la tête, incapable de se détacher de cette sensation étrange d'avoir été catapulté en plein rêve. La réalité qu'il connaissait encore ce matin a volé en éclat, remplacée par un nouveau monde qu'il peine à appréhender.

- « Alors c'était ça l'explication ? », articule-t-il péniblement, cherchant encore à retrouver ces esprits après cette incroyable découverte. « Pour tes bleus ? C'est juste que tu es... »

- « ...Ladybug... », complète sa coéquipière avec un soupir exaspéré.

Si Chat Noir reste encore abasourdi, Ladybug retrouve contenance à une vitesse remarquable. En une fraction de seconde, la colère qui l'a dévorée toute la journée semble reprendre ses droits, effaçant le choc qu'elle a ressenti en réalisant qui se cachait derrière le masque de son coéquipier.

- « Je ne fais pas QUE me battre contre des super-vilains », s'exclame-t-elle en levant soudain les bras au ciel, d'un geste si brusque qu'elle manque de heurter la mâchoire de son partenaire. « Je vais récupérer des chats coincés dans des arbres. J'évite des accidents. Je ... Je... Je... Je fais des TONNES de trucs pour lesquels je n'utilise pas forcément mon Lucky Charm ! Et je suis MALADROITE. Chat, tu es le mieux placé pour savoir à quel point je suis maladroite ! »

Ladybug se met debout d'un geste vif. Sous le regard inquiet de Chat Noir, elle se met à marcher de long en large sur le toit où ils ont trouvé refuge. Manifestement incapable d'interrompre sa tirade, elle poursuit son discours avec une véhémence presque effrayante, gesticule dans tous les sens, prenant tout juste le temps de respirer.

Chat Noir la regarde faire avec une certaine inquiétude. Sa Lady lui fait l'effet d'une cocotte-minute prête à exploser, et il la laisse évacuer la pression sans oser esquisser le moindre geste.

- « J'ai déjà failli te causer une commotion cérébrale en te balançant mon yo-yo sur la tête », poursuit Ladybug en appuyant ses propos de grands gestes de la main. « Deux fois. La semaine dernière, j'ai failli tomber d'un toit en voulant aider une vieille dame dont le linge s'était envolé à cause d'un coup de vent. Je passe ma VIE à me cogner partout, bien sûr que j'ai des bleus ! Mais naturellement, il a fallu qu'Alya le remarque. »

- « Et tu ne pouvais pas lui dire d'où ils venaient parce que tu es Ladybug... », complète mécaniquement Chat Noir, toujours légèrement sonné par la tournure improbable des événements.

Il aurait pu deviner. Il aurait pu comprendre.

Lui aussi est déjà rentré chez lui avec des bosses ou des égratignures inexplicables, conséquences d'un coup de main héroïque à une quelconque personne en détresse. Mais avec son emploi du temps surchargé, il a beaucoup moins souvent le loisir de venir en aide aux citoyens de Paris que sa coéquipière. Ses apparitions coïncident en majorité avec l'apparition d'un super-vilain et l'utilisation d'un Lucky Charm, et les petites blessures qu'il a pu se faire dans d'autres circonstances ont toujours été trop rares pour être remarquées.

- « Exactement », approuve Ladybug en hochant vigoureusement la tête.

Manifestement lasse d'arpenter le toit dans tous les sens, elle se dirige vers son coéquipier et se laisse tomber lourdement à ses côtés. Songueur, Chat Noir suit quant à lui le fil de ses pensées.

- « Et tu ne pouvais pas parler de ton copain parce que... », commence-t-il.

Il pâlit brusquement et s'arrête au milieu de sa phrase.

Oh.

Oh.

OH.

Oh non... 

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