CHAPITRE XX
Je n'arrive pas à me comprendre.
Comment puis-je ne pas bouger ?
J'ai la sensation d'un déjà vu, comme un bond dans le passé, à ce fameux moment où je croyais que le petit ange allait être tué. Ce jour-là, je n'ai pas su bouger alors que j'avais conscience du danger qu'elle courait. Je n'ai pas su jaillir de mon abri, courir vers elle pour me prendre le coup à sa place, servir de bouclier pour la petite. Par chance, Alexeï avait joué un double jeu. Il l'a sauvé, alors que moi je n'ai rien fait malgré ses larmes qui marquaient ses joues pâles. En revanche, même si les rôles s'inversent, je ne bouge toujours pas comme une incapable. Je reste là, les mains posées sur les oreilles d’Opale qui n'a pas conscience du danger. Comme ce fameux jour, je ne bouge pas, je ne fais rien et en cet instant, je retiens simplement mes larmes. Bercé par mon imagination qui me harcèle dans des scénarios tragiques : le son du coup, le choc lorsque son corps tombe et son sang sur mes mains lorsque je cours vers lui pour espérer qu'il aille bien alors que c'est évident qu'il est mort. Évidemment, tout ça n'est que le fruit de mon imagination mais…
— Charlie ? murmure-t-elle d'une voix tremblante. Où est Alexeï ?
Je n'ose plus bouger ni même prononcer un seul mot et pourtant, sa petite voix commence à réveiller quelque chose en moi. Ses mots, le son de son inquiétude dans sa voix percutent mes organes. Cette chose qu'on vit là est bien réelle et même si mon imagination me joue des tours, elle pourrait bien prédire l'avenir si je ne fais rien.
Mes os tremblent, chaque aspect de mon être se liquéfie alors que je me redresse, lâchant Opale peu à peu.
— Écoute-moi, commencé-je à prononcer d'une voix tremblante, reste ici et attend que je revienne…d'accord ?
— Non ! Ne me laisse pas ! J'ai peur…
Ses lèvres qui tremblent accompagnées des perles d'eau salées naissant sur la surface de ses yeux accélèrent mes tremblements. Ses doigts saisissent la manche de ma veste. Je pâlit aussitôt et, bientôt, ma cage thoracique ne va plus supporter les palpitations de mon cœur.
— Opale…je n'ai…je n'en ai pas pour longtemps, d'accord ?
Elle renifle et sa main commence à trembler sur ma veste. Ma main enlève la sienne sans un geste brusque.
— C'est promis, j'ajoute avant de partir.
Dès que je sors de la ruelle, le jour m'assomme tandis que mes lèvres laissent échapper un souffle qui accentue les pulsations de mon cœur. Mes jambes veulent retourner en arrière mais mon mental me force à avancer. L'image de son visage apparaît, me pousse à saisir cette barre en fer. Chacun de mes pas est lourd, tel que le sol pourrait se briser sous mon poids. Les bruits du combat, tous ces coups et ces cris qui se déchaînent, qui se déroulent non loin de moi ; résonnent davantage dans mes oreilles. Puis lorsque je tourne à l'angle, tout s'arrête. C'est comme si tout devenait flou, tout autour de moi comme si j'avais atteint le niveau maximal de myopie. Et puis, il y a un comme un son aigu et stable dans mon oreille.
En face de moi, tout un tableau qui me laisse figer sur place comme ancré dans le sol. Derrière, un homme et une femme blottient l'un contre l'autre. Ils ont tous les deux l'air d'avoir la quarantaine. L'homme est chauve, le teint métisse et la barbe grise apparente sur le bas de son visage. Tandis que la femme, à les cheveux bouclés et grisâtre mais contrairement à l'homme qui l'a tient dans ses bras, elle a la peau sur les os. Sa chaire qui pend de part et d'autre. Puis à gauche, une bataille violente s'enchaîne, on dirait l'orage avec ses nuages gris contre l'océan déferlant qui se disputent violemment. Cinq personnes contre Alexeï. Je sursaute à chaque coups. Que ce soit ces inconnus ou Alexeï qui subissent : mon corps tremble.
Plus que deux sont encore debout, les autres gisent sur le sol et sont incapable de bouger. Leurs gémissements retentissent. Quand il en fait tomber un autre, mon corps tressaute d'excitation, le stress grimpe crescendo en attendant que l'autre tombe. Soudain mon souffle se coupe lorsque l'autre homme qu'il venait de frapper se relève dans son dos, lève son bras, près à frapper Alexeï. Tous les membres de mon corps, chaque parcelle de ma peau, chacun de mes os et de chacun de mes organes deviennent plus lourds que de porter deux sacs de litière ou bien un pack de six bouteilles d'eau. Mes doigts, qui entourent la barre, se resserrent sur le fer. C'est comme si une énorme puissance cosmique s'emparait de mon cœur puis à la seconde où cet inconnu fonce vers le soldat, je lève les bras et cours vers lui avant de l'assommer d'un coup sec.
Mes bras tremblent, mes doigts se crispent tout comme mes épaules alors que toute cette force que j'ai eu le temps de deux secondes, s'envole d'un seul coup. La barre de métal glisse de mes mains pour chuter contre le bitume. L'homme qui était face à Alexeï est, lui aussi, au sol. Quant au soldat, les points serrés et haletants, il se tourne vers moi les yeux exorbités. Et puis, son corps se rapproche à grande vitesse de moi. Sa main sur mon avant bras puis ses yeux scrutent chaque millimètre de mon visage. Son sang écarlate m'oblige à faire la même chose. En passant par sa joue rosé, sous la forme d'un poing. Son arcade sourcilière aussi, sa tempe puis le chemin de son nez entre ses yeux et enfin sa lèvre inférieure qui saigne un peu.
Notre observation s'arrête lorsque l'homme et la femme s'approche de nous, l'homme titube un peu. Ce dernier, tape amicalement l'épaule d’Alexeï puis prononce :
— Merci.
Le blond acquiesce simplement, sans mot.
Alors que reprend ma respiration, la tempête sous ma poitrine s'étant calmée, une chose importante bouscule mes pensées et aussitôt je cours. Alexeï s'apprête à me retenir avant de me suivre à son tour. Lorsque je me tourne vers la ruelle, je m'écroule de soulagement mais avant même que mes genoux se frottent contre le bitume ; les bras d’Alexeï me retiennent, son avant bras contre mon ventre et me resserre contre son torse.
Les sanglots de la petite Opale m'obligent à me séparer de lui, ramper contre le bitume pour prendre la petite dans mes bras. Ma main caresse sa tête alors que je murmure :
— Chut…ça va…on est là…je suis désolée…je ne partirai plus…
Les larmes me montent aux yeux alors que ma poitrine se resserre pour mieux étouffer mon cœur. J'inspire de grandes bouffées d'air pour les retenir, ces larmes qui me menacent. J'arrête d'inspirer l'oxygène dans mes poumons lorsque la chaleur du corps d’Alexeï se dépose contre mon dos. Du coin de l'œil, sa main s'approche pour caresser le dos de l'enfant. Ce drôle de tableau me donne des frissons mais, étrangement, j'ai envie qu'il dure une éternité pour profiter de ce calme et de cette paix si douce qu'on se sent comme enroulé dans une couverture épaisse.
Je clos mes yeux, le temps de quelques secondes.
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