CHAPITRE XVIII
On enchaîne sur une dernière vérification avant de se diriger vers le palier. Derrière moi, Alexeï arrive muni de son sac à dos avant d'ouvrir pour être le premier à sortir. C'est comme une sensation de déjà vu qui me frappe et m’interpelle. Ça doit faire un mois et demi désormais. Il y a un mois et demi, nous étions dehors à marcher pour trouver un autre abri plus sécurisé. Et voilà qu'aujourd'hui, on quitte cette maison dans laquelle on s'est réfugié. On a beau ne pas y avoir vécu de nombreuses années, ça me fait un petit quelque chose de m'éloigner d'elle à chacun de mes pas. Je suppose que je suis trop attaché aux choses, bien qu'elles soient matérielles. Je pense à la conversation que j'ai eu avec Opale sur les noms de famille, qui sont notre origine biologique. Là où nous sommes apparues, où nous sommes nées. Ma mère, mon père, mes sœurs. Je n'ai plus de nouvelles. La petite Opale a beau être jeune, elle garde une grande vivacité d'esprit. Elle n'oublie pas sa famille. Moi non plus mais la peur m'oblige à demeurer froide les concernant. Alors qu'en réalité, j'espère qu'ils sont en vie pour pouvoir tous les prendre dans mes bras.
***
Je soupire, mes pieds traînent sur le sol caillouteux et le soleil cogne mon front. L'inconvénient c'est que je n'ai pas de montre donc pas d'heure mais la seule chose que je sais ; c'est que j'ai mal au pied et que je veux me poser.
Seulement, ce n'est pas possible car Alexeï, marchant fièrement vers la sortie de la ville, n'a pas l'air décidé à s'arrêter. Puis, je pense que si je lui fais comprendre par des gestes, il s'opposerait aussitôt. Et peut-être bien qu'il pourrait faire comme pour le baiser d'eau. Il me portera sur son épaule de force. En tout cas, je l’imagine bien le faire mais peut-être bien que je me trompe et qu’il me laissera me faire tuer a coup de pistolet dont je ne connais pas les noms car, moi et les armes de guerres, ça fait moins deux. Une ignorance inégalable.
Mon souffle se coupe lorsqu’on tombe face au pont qui permet de sortir de la ville, il est maintenant détruit. C’est quand je me penche vers l’avant que je repère les débris.
Des bribes de souvenirs me reviennent en mémoire. Cette route, cette sorte de barrière, c'était par ici que je sortais de la petite ville pour rejoindre la grande dans la voiture de mon père. Désormais, elle n’existe plus. Il y a un énorme fossé qui nous sépare de la route avec ce rond point par lequel on tournait pour prendre celle qui va vers la grande ville.
Alors que mes yeux sont encore sur les morceaux de ciment, ma pupille se tourne aussitôt vers Alexei qui part vers l’avant. La petite Opale regarde attentivement le blond et je fais de même tout en me plaçant à côté d’elle.
Mon estomac grésille en le voyant aussi proche de la chute et sans que je le vois venir, ma main se pose sur son bras.
Il sursaute, puis se tourne face à moi.
Aucun mot ne sort, aucun geste…
Mais il comprend.
Son corps recule du bord et je fais de même pour lui laisser de la place mais mes sourcils se froncent lorsqu’il pointe son doigt vers la pente.
Je déglutis, mais en même temps je refuse de comprendre son geste. Limite, mes yeux deviennent ceux d’un poisson.
Mon rictus tombe comme un verre de cristal.
Mes bras se croisent sous ma poitrine tandis que mes jambes m'éloignent de la pente, le plus possible. Ses traits se durcissent avant que ses lèvres ne laissent échapper un soupir qui me gifle d’un long frisson sur mon échine. Puis d’un regard plus doux, il tend la main à Opale qui, sans trop d'hésitation, accepte.
Des milliers de picotements rongent mon corps, me grignotent tandis que leurs corps disparaissent peu à peu. Mes jambes tremblent un peu, je ne tiens plus sur place, je me ronge même les ongles.
Curieuse, je m’avance assez pour les voir. Il ouvre la marche, dos au fossé tandis qu’il est face à Opale, tenant ses petites mains. Ses pas sont lents, suffisamment pour ne pas glisser sur la terre humide et pâteuse.
Au bout de quelques secondes, les voilà déjà tous les deux en bas. Sauf que je déglutis, je n’ai aucune envie de descendre. Raiponce a des cheveux, moi j'ai des fesses pour glisser sur la pente mais je ne me vois pas le faire. À tous les coups, mon corps roule en boule jusqu’en bas. Ou alors : je glisse, je trébuche puis je tombe comme une tomate sur la salade.
Son regard pèse sur mon petit corps recroquevillé vers l’avant, toujours les bras croisés à attendre que le temps passe. C’est bien mon genre ; la fuite, l'évitement face à la hauteur en imaginant une humiliation que seul moi ressentirai. Car, je le sais au fond de moi qu’ils s’en fichent si jamais je tombe, que je me retrouve avec de la terre partout sur moi. Que ce soit sur mes vêtements, mon visage ou bien dans mes cheveux.
Il est désormais au bord de la falaise, il m’a rejoint comme Flynn Ryder a grimpé la tour de pierre. Ses yeux sont des lames d’acier mais sa main est douce.
J’inspire une grande bouffée d’air avant que ma paume se joigne à la sienne. Les palpitations dans mon ventre sont plus intenses à mesure que l’on descend. Et j’ai la sensation de reposer tout mon poid sur sa simple main. Son bras tremble dès qu’il recule une jambe mais il tient bon. Cependant, alors qu’on s’approche de la fin, mon pied glisse et mon corps tombe vers l’avant. Mon premier réflexe est de fermer les yeux puis de m'accrocher à la première chose que ma main trouve : lui.
Mes doigts coincent sa veste dans ma paume, pliant le tissu. Tout mon corps repose sur le sien, son ventre collé au mien et m'empêche de respirer. Quant à ma tête, elle est presque collée au creux de son cou, son souffle dans mes cheveux qui me font tant de guili qu’il paralyse mon corps. Deux points de chaleur inhabituels sont posés sur mon corps ; l’un sur mon bras proche de mon épaule, et l’autre sur ma taille.
Je n’ose plus bouger, ni respirer, comme s’il volait tout l’air que je possède et que ses mains ont un pouvoir sur moi qui me paralyse comme une statue. J’ignore s’il est dans le même malaise que moi, ou bien je suis la seule et dans ce cas-là je me sens honteuse. J’ai beau me dire de résister, ni les actes ni les sentiments ne suivent comme une drôle d’obligation de la part du destin. Après, je pense ainsi mais je sais que ce n’est pas réciproque. Chaque chose que j’ai ressenti, vécu, sens unique. Un peu comme si j'étais destinée à être seule dans une liaison avec moi-même.
Mes sourcils se froncent lorsqu’un son cogne contre mon oreille, un bruit sourd et chaleureux qui me rend perplexe.
Est-ce son cœur que j’entends ?
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