CHAPITRE XIX
Mes joues n’ont toujours pas changé de couleur depuis cet incident, d’une couleur rubescente qui pourrait être aussi vive que la couleur des flammes ardentes qui baignent ma cage thoracique. Il a beau être dos à moi, les souvenirs restent gravés dans mon esprit comme si cette scène était encore au présent.
La nuit tombe petit à petit car l’aube pointe le bout de son nez, ce qui agite Alexeï. Ses yeux scrutent partout puis il s'éloigne et nous fait signe de le suivre mais discrètement. Alors c’est ce que l’on fait, moi et Opale, on s’approche d’une maison intacte. Seules quelques fenêtres sont brisées.
On entre et il n’y aucun bruit, j’entends seulement celle de ma respiration presque saccadée. Il brandit son arme en pivotant de droite à gauche, les bras bien tendu comme deux barres en aciers imperturbables et incassables.
Au bout de plusieurs minutes, le silence demeure et rien à signaler. Alors ses bras s’abaissent le long de son corps. Ses épaules se décrisper, les miennes aussi, tandis qu’Opale regarde les environs jusqu'à murmurer de sa petite voix pressée :
— Pipi…Où sont les toilettes ?
Et alors qu’elle se dandine, je m'avance dans la maison sous le regard aiguisé du soldat.
— Opale, les toilettes sont là.
Dès lors que ma voix passe par ses oreilles, elle fonce devant moi pour aussitôt s’y enfermer dans la petite pièce étroite. Quant à moi, je reviens sur mes pas jusqu'à la salle de séjour où Alexeï est positionné près de la fenêtre à regarder je ne sais quoi. Ou bien il surveille peut-être les environs, ce qui ne m'étonne pas.
Je me masse le cou avant de me décider à visiter les lieux. Tout est sombre ici. Avec le peu de lumière, c'est comme si tout était gris, sans trop couleur ou boule des couleurs fades qui donnent envie d'écouter de la musique triste dans le fond de son lit.
Il y a des cadres photos poussiéreux. C'est souvent le même bébé et au fur et à mesure, elle grandit. Ça s'arrête à cinq ans. Puis plus d'autres photos d'évolution.
Le côté de ma main frotte mon œil droit avant que l'autre repose le cadre photo sur le meuble en bois. Cette famille a complètement disparu. Avec aucune voiture près de la maison, j'ose espérer qu'ils soient tous partis et…qu'ils aillent bien.
Lorsque je repars au salon, cette fois le soldat n'est plus à scruter à travers la vitre. À la place, il est sur l'une des chaises qui entourent la table. Assis, avec un livre épais que je reconnais. Ce manuel de français. J'ignorais qu'il l'avait pris avec lui. Je pensais qu'on prenait le strict minimum pour la survie.
Soudain, il se tourne vers moi et je déglutis. Puis dans un calme olympien, je viens m'asseoir en face de lui. Avec un crayon de bois, il écrit sur le manuel pour faire les exercices. Sans un mot, je regarde ses gestes et je tente de relire son écriture un peu bancale. Puis d'un petit mouvement de ma part, en pointant du doigt, je lui indique la réponse. Il pose son regard sur moi et moi, je baisse le mien quelques secondes après cet échange. Opale arrive et s'assoit à côté d’Alexeï, coupant cette drôle d'atmosphère entre nous deux.
Le lendemain, je me réveille par les deux mains du blond qui me secoue comme un melon trop lourd à porter. Mes yeux sont plissés, il est flou puis devient un peu plus net.
Ses yeux m'attirent, je devrais peut-être pas.
Durant que je me hisse, je baille en me frottant les yeux. Il s'écarte un petit peu pour laisser mes jambes se poser sur le sol. Puis je lui demande de manière un peu bancale ce qu'il y a. Lorsqu'il me dit, par les gestes, qu'on doit partir ; je me crispe. Mon dos voûté vers l'avant et mes doigts s'incrustent dans mes genoux.
— Pourquoi ? je demande après un long silence.
Sa main passe dans ses cheveux, ses dents mordillent sa lèvre inférieure. Sans serrer, il prend mon poignet pour m'amener à la fenêtre de la chambre pour me montrer… l'horizon. Mes sourcils se froncent puis il soupire avant de prendre son crayon et d'écrire sur un bout de papier :
— Kamp ?
Je souris devant sa faute d'orthographe. Je prends le crayon, frôle son doigt puis je barre le K pour le remplacer par un C. Puis, mes jambes se dirigent vers Opale pour la réveiller.
Après nous être préparés, on rejoint Alexeï qui termine de préparer le sac. Et enfin, on enfile nos chaussures pour ensuite partir.
Nous revoilà à nouveau, partant vers l'inconnu à la recherche de ce camp dont j'ai entendu parler à la radio. Alexeï est en premier, comme toujours, il surveille les environs quand soudain on se faufile pour se cacher. Des cris résonnent dans mes oreilles. Mes membres se trouvent paralysés suite à des verres qui se cassent, des tonnes de bruit qui me font penser à des coups. La petite Opale est tétanisée, ses yeux deviennent vitreux d'un seul coup.
Je déglutis et, bien que mes mains tremblent, elles se posent sur ses oreilles après s'être séparées des miennes. J'ose imaginer que désormais, elle n'entend presque rien contrairement à moi qui entend tout ces sons.
Nous sommes cachés dans une ruelle, à l'étroit. Au bord de la ruelle, collé au mur de pierre, Alexeï regarde d'un œil discret ce qui se passe. Une veine apparaît sur sa tempe puis lorsque je baisse les yeux, ce sont ses poings verrouillés que je vois.
Je ne dis pas un mot quand soudain sa voix accentuée sonnent à mes oreilles :
— Reste ici.
Ma voix ne peut dire un mot, incapable de prononcer le moindre son comme si mes cordes vocales s'étaient brisé.
Il disparaît.
Désormais, seul moi et Opales sommes dans la ruelle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top