CHAPITRE XII
Dans ma vie, car oui, je décide de m’exprimer comme les anciens en évoquant une époque révolue. Je me suis souvent plaint de ma solitude, de l’ignorance des autres à mon égard. J’exigeais qu’on me remarque sans que j’agisse moi-même. Désormais dehors, alors que je parcours les ruines de la ville, je me dis que j'étais bête. La solitude n'était rien contrairement à celle-ci car le souffle du danger frôle mon épiderme.
Tout a brûlé, tout est effondré excepté quelques bâtiments à demi debout, luttant pour ne pas tomber. Il y a des magasins encore intacts mais la poussière, la cendre, grisent l'intérieur. Je me croirai dans un pot dans lequel on y met les cendres d’un défunt. C’est sinistre et déstabilisant. Des étagères, des boîtes de conserves, des légumes ou des yaourts sont éparpillés sur le sol comme une scène de crime.
Ce silence qui plane dans l'atmosphère est atroce, tout aussi pesant que lorsqu’ils étaient là. Un bruit, même petit, pourrait me faire vriller. Mon corps irait se recroqueviller dans un coin. Ma tête viendrait se glisser dans mes bras comme une autruche met la sienne dans la terre. Puis, mes pieds gigoteraient sur le carrelage pour tenter de passer le temps et diminuer mon stress.
Je parcours les rayons, observe chaque aliment qu’on pourrait manger. Mon ventre gargouille en voyant le délicieux pot de nutella. Mais si Alexei ne ramène pas ça, c’est qu’il s’y connaît. Le chocolat donne soif, on risque d'utiliser trop d’eau si on en consomme. Mes pieds m'éloignent du rayon de la tentation pour m'amener vers les conserves. J’en pioche quelques-unes pour les mettre dans le sac puis, après l’avoir fermé, je regagne mes pas sauf qu’un faible grésillement m'arrête.
Plus rien.
Plus aucun bruit.
Mon cœur s’agite, je n’entend plus que lui avec le vent qui souffle dans la ville morte.
Au bout de plusieurs longues minutes qui me semblent être une , mon pied s’avance d’un pas. Et une, deux, même trois secondes plus tard. Je parviens à souffler comme si mon pied était sur une bombe prête à exploser. Alors quand il ne se passe rien, ça me rassure. Être seule ici me rend paranoïaque. Je ne l'étais pas autant la dernière fois.
Cependant, mon corps se fige à nouveau. Une vive lumière, petite et rectangulaire, une forme bien singulière car c’est ma mère qui me l’a montré. Elle m’a montré le sien et, petite, je m’en suis servie pour jouer, bien que ça ne soit pas sa fonction première.
D’une main hésitante, je saisis l’objet qui marche encore. Il est rayé et des bandes de couleurs traversent le milieu de l'écran. Je n’ai aucune idée de pourquoi ce vieux téléphone est là mais je le mets dans la poche de mon pull. N'empêche, c’est étrange qu’il fonctionne encore. Il devrait être chargé. Cependant, cela fait des années qu’on n’utilise plus ces appareils. En 3024, on utilise surtout des hologrammes via un petit cube. C’est beaucoup moins encombrant qu’une plaque rectangulaire.
Je regarde attentivement le portable de plus près et lorsque je le tourne, je reconnais le logo. Ce design singulier qu'on a tous croisé à plusieurs reprises. Ce sont ces inventeurs sortis de l'ombre qui ont sauvé la France de la crise des satellites des années 2076. Oui, je me souviens. En histoire, mon professeur en a parlé car c'est une crise historique : Celle des satellites qui ont cessé de fonctionner, laissant planer le monde sans internet à l'état d'homme des premiers jours. Comme le début de tout, de la nation. C'est ce portable particulier qui a reconnecté les gens au monde grâce au fonctionnement similaire des antennes radio, celle des ondes. Depuis, de nouvelles technologies comme le cube holographique, ont vu le jour et toujours sur ce même système mais en moins performant d'après ma mère.
***
Mes joues doivent être rouges comme les pivoines. Les rayons du soleil cogne mon visage tandis que je gravis la petite montée qui mène jusqu'à la maison. Ma main n’a pas le temps de toucher la poignée que la porte s’ouvre sur Opale, toute souriante, qui se jette sur moi pour me prendre dans ses bras. Elle a vite adopté cette habitude. La première fois, j'étais mal à l'aise. Pas contre elle mais par manque d’habitude. Derrière elle, tenant la porte, Alexei qui me regarde aussi rassurée que la plus jeune de me voir saine et sauve.
Voyant que la petite ne me lâche pas, la main de l’homme se pose sur son épaule pour lui faire comprendre de me lâcher et c’est ce qu’elle fait aussitôt pour ensuite me laisser franchir la porte tandis que le soldat la ferme derrière moi. Sa chaleur dans mon dos provoque une vague de frisson le long de mon épiderme.
Dès lors que mon corps est bien entré dans le petit salon, je dépose mon sac sur le sol au pied de la table. J'enlève mon pull et rougis d’un seul coup quand je me rends compte, qu'évidemment, je ne suis pas seule.
— Tu as pris quoi ? s’empresse de me demander Opale en se dressant sur ses deux petits pieds pour faire dépasser sa tête de la table.
Après avoir posé mon pull sur la chaise en face de moi, collé à mon ventre, je vide le contenant du sac pour présenter ce que j’ai déniché. La fillette observe avec un œil curieux et gourmand tandis qu'il regarde simplement. Puis de ma poche, ma main sort le portable que j'ai trouvé. Son regard change aussitôt car ses sourcils se froncent.
Pour lui aussi, voir ça le questionne. Je trouve ça aussi bizarre d'avoir trouvé ce genre d'appareil qu'on n'utilise plus grâce à l'avancée technologique. Lorsque ma grand-mère m'a parlé de sa génération, ce qu'elle vivait, j'avais du mal à y croire tellement ça paraissait irréel car pour moi il ne pouvait pas, ne pas y avoir d’hologrammes. Tout était si grand et encombrant que je me sentais oppressé étant petite. Aujourd'hui, ou plutôt avant ce carnage, tout était plus simple. Que ce soit pour se déplacer, on ne connaît pas les bouchons, ou bien voir les gens ou les amis. Il y avait ces hologrammes qui servaient de corps.
Soudain, je suis interrompu par Opale qui m’extirpe de mes pensées en secouant vivement ma main et m'incite à la suivre. Alors je cède malgré la réticence d’Alexeï qui semble pris par ces pensées à cause de ce téléphone que j'ai ramené du magasin.
On sort de la petite maison, on fait le tour pour arriver à droite de l'entrée puis elle n'a pas besoin de prononcer un mot que je m’exclame :
— Ça pousse ? Ça pousse vraiment ?
— Oui !
On se lance un sourire mutuel avant de s'avancer vers les plantations pour voir ce qu'on a réussi à faire pousser. Quand tout à coup, le raclement de gorge du blond nous fait tourner la tête. Il enchaîne des signes que je ne comprends pas tellement ils vont vite.
— Il dit qu'on ne doit pas en manger une seule, traduit-t-elle déçue.
La seule chose que j'exprime, tout bas, est un petit “oh” descendant. Tout aussi déçue mais c'est compréhensible. Il va falloir aussi que j’apprenne à laisser mes envies de côté. Comme ce matin face au pot de Nutella. J’ai résisté et je résisterai.
Mes bras m’aident lentement à me déshabiller. Ici, on a de la chance d’avoir un peu d’eau dans les conduits. On l’a découvert en visitant la maison, en inspectant chaque millimètre. On ignore jusqu'à quand alors on prend au moins une douche toute les deux semaines, car boire est plus important pour notre survie d'après le soldat. Une fois nu, c’est découvrir à nouveau mon corps. Mais un peu comme si c'était la première fois. Ça se voit que je suis sale. Et ça se sent. Mon genoux conserve le souvenir du lycée, des décombres, là où je me suis réveillée. Il en conserve une belle cicatrice, le genre qui ne part pas. Si je tends ma tête vers ma jambe, je peux voir des petits traits ; ce qu'ont laissé les débris de verre sur ma peau.
Lorsque l’eau longe ma peau, mes paupières se ferment et ma tête tombe en arrière.
Alors que je sors de la salle de bain, le pantalon remonte le plus haut possible. Donc à mi-mollet. Et les gouttelettes d’eau longent les mèches pour retomber sur le sol. Quand je fixe mes jambes, je ne ressens pas cette gêne que j’avais à l'idée de dévoiler mes poils. Je savais très bien que c'était normal mais dès que je voulais porter une robe ou un short, je rasais. Je coupais tout pour laisser place à une peau lisse et douce.
Dès que Alexei entre dans mon champ de vision, mes jambes deviennent petites. L’envie de les masquer me prend mais c’est trop tard : son regard est dirigé sur mes mollets poilus.
Peut-être bien que je ne suis pas totalement immunisé contre la gêne enfin de compte.
Je cesse de respirer lorsqu’il se rapproche de moi, sans changer la direction de son regard comme une obsession. Puis lorsqu’il s'accroupit, mon pied part en arrière et soudain, nos pupilles colorées se croisent.
C’est comme une immense bulle. Je ne vois que lui et rien d’autre.
De ses yeux, il indique ma jambe, il m’invite à suivre son regard et c’est ce que je fais. Il fixe mes cicatrices.
Je ne trouve pas mes mots.
Le blanc total.
Évidemment, en français, je sais comment l’expliquer mais cette barrière de la langue m’oblige à me creuser la tête. Soudain je trouve une idée un peu farfelue.
Je me dirige vers la table. je montre mon index et indique qu’il s’agit de moi. Puis avec la bouteille en verre, je fais mine que mon doigt est écrasé.
Il hausse un sourcil alors je réfléchis puis lui présente le manuel de français, j’imite les étudiantes puis je montre la bouteille avant de faire un grand geste. Une sorte d’étoile de mer. Mes bras volent haut pour se rabattre à ma taille, comme un énorme cercle pour présenter un grand endroit. Puis j’imite à nouveau les étudiants.
Il laisse échapper un petit rire de deux secondes.
Il hoche la tête, les lèvres entrouvertes. On dirait moi, quand je comprends enfin quelque chose, comme les maths par exemple.
Mon cœur s'arrête.
Il s’est levé, s’est approché et sa main se pose sur mon épaule.
Son regard est comme ancré dans le mien puis mes yeux s’attardent sur ses gestes. Un mot, ce simple mot en langue des signes ; je le reconnais. C’est l’un des premiers mots qu’Opale m’a appris.
Soin.
Puis ses deux index me pointent et les gestes deviennent beaucoup plus nets et compréhensifs : Soin, toi.
Ce qui donne : prends soin de toi.
Je dois être folle de succomber pour un rien, surtout à cette période. Mais, ces simples mots réchauffent mon corps, une chaleur chaleureuse qui adoucit mon cœur et mes craintes. J’oublie tout ce qui se passe, ce qui m’est arrivé, ce qui est arrivé au monde. Comme s’il n’y a jamais eu ces gens habilles en noir pour détruire ma ville et probablement le reste de mon pays, cette fille de ma classe morte, mes autres camarades sous les decombres, les cris d’effrois. Que tout était redevenu normal. Sa présence est rassurante, j'ignore pourquoi elle l’est autant. En tout cas, il a déjà fait ses preuves de nombreuses fois.
Peut-être bien que je lui cède une confiance aveugle.
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