CHAPITRE VII
Depuis que je suis réveillée des décombres du lycée, je n'ai plus la notion du temps. Je ne sais pas quelle heure il est ni quel jour on est. Ça s'est davantage obscurci lorsque j'étais dans cet endroit sombre où le soldat m'a… je ne sais même pas comment définir ça. Il ne m'a toujours pas tué et il n'a pas non plus tué Opale. Alors je ne sais pas si je devrais dire, captive ou bien sauvée. Sauver est un bien grand mot car au fond de moi, je reste encore plongée dans la méfiance. Tandis qu'on marche dans la ville, que la lueur du soleil abîme nos rétines et fume nos cerveaux, je le scrute du coin de l'œil en essayant d'être discrète. Il semble vigilant à chaque son, chaque mouvement même s'il s'agit d'une feuille. Opale est près de lui tandis que je ferme la marche, en retrait. J'ai pensé à fuire. Cependant, je dois profiter de lui. Il m'offre l'opportunité de vivre. Il n'a pas l'air d'avoir envie de me tuer alors je dois saisir cette chance. Je sais pertinemment que si je fuis de mon côté, je ne vivrais pas bien longtemps. Je suis convaincue que je ne saurai pas sortir de la ville seule. Une balle traversera ma chair avant même que je ne puisse respirer l'odeur de la liberté. Une certaine rancune envers moi-même s'agite en moi lorsque je pense à ma lâcheté et par-dessus tout, mon égoïsme. Car au moindre danger, si je juge qu'il n'y a plus de chance de survie dans une telle situation, je le laisserai prendre tous les coups. Ensuite, je prendrai Opale avec moi et tant pis si elle me déteste ensuite pour cet acte.
J'ai dû mal à croire que je suis dans ma ville. J'ai la sensation d'être ailleurs mais c'est la destruction de l'endroit que j'ai toujours connu qui me perturbe tant.
Je ne reconnais plus rien.
Mon pied trébuche maladroitement. Ils me regardent tous les deux, je remarque le soldat qui semble au bord de la crise cardiaque. Je n’y suis pour rien si j'ai trébuché, ça arrive. À mes pieds, un livre tout poussiéreux puis soudain je le reconnais. Un relié. Le plus magnifique de tous, le premier tome de Anne de Green Gables, ces reliés sont d'une beauté indéfinissable. Ils sont si poétiques que mon cœur balance dès que j'en vois un.
Je regarde un peu plus loin jusqu'à voir le logo de la fnac complètement détruit. Avant tout ça j'y allais souvent. C'est le magasin que je préfère. Je ne suis pas très maquillages ou fan des boutiques de fringues alors quand certains ou certaines s'amusent dans ces boutiques, moi je m'ennuie. Je pouvais passer des heures à parcourir les rayons d'une librairie.
Soudain, il s'arrête, son bras se lève pour nous dire d'arrêter tout mouvement. Le creux de mon estomac est en pleine ébullition tandis que l'on attend sagement dans un silence dès plus atroce. Seul le vent, qui secoue faiblement nos cheveux, résonne dans la rue. J'observe les alentours. Tout est en ruine. Plus aucun bâtiment. Ils sont tous en miettes, allongés sur le sol. Ça fait peine à voir. Frustré que le temps soit aussi long, je m'approche de la fillette et lui murmure discrètement :
— Où va-t-on ?
J'ignore pourquoi, mais depuis tout à l'heure, on ne me dit pas grand-chose. J'ai l'impression que c'est moi l'enfant qu'on transporte ici. Je suppose qu'il se méfie de moi. J'ai tenté de le tuer, c'est vrai, j'avais oublié ce détail. Puis, j'ai tenté de fuir une fois. Alors j'imagine qu'il croit que si je me fais prendre, je dirais à ses compagnons où il se trouve, qu'il a sauvé une enfant Français au lieu de l'abattre.
J’observe le regard d’Opale, qui semble hésitante à l'idée de me le dire.
— Un endroit où on sera plus en sécurité, apparemment et où l'on pourra manger.
J'acquiesce sans trop comprendre mais avant même que je ne puisse poser ma question, le soldat nous fait signe d'avancer de nouveau. Alors qu'on avance, Opale soupire faiblement.
— Tu te méfies de lui ?
— Non, bégayé-je. Qu'est-ce qui te fait croire ça ?
— Tu ne devrais pas. Il n'est pas méchant.
Ça, je l'ai bien compris en les voyant tout à l'heure.
— J'étais perdu sur la place, avec la statue. C'est le seul endroit que je connaisse. C'est là où je vais quand je suis perdue, mes parents m'y retrouvent toujours… Sauf que j'ai vu Alexeï à la place. Je ne pouvais pas bouger mais ses yeux m'ont assuré que je ne devais pas avoir peur. Sauf que ses alliés sont arrivés. Ils arrivaient bientôt à la statue alors il m'a donné son gilet. Il était lourd. Il m'a fait des gestes que j'ai compris. J'ai fait semblant de mourir. Lorsqu'ils sont partis, il a pris mon corps et m'a posé quelque part et m'a dit de l'attendre, qu'il viendrait me chercher.
Je peine à y croire lorsqu'elle prononce cette suite de mots qui résonne dans ma tête.
— Il m'a sauvé, continue-t-elle. Et il a aussi choisi de te sauver.
Mon cœur s'arrête au son du coup de feu, des ailes de ce troupeau d'oiseaux qui vole en trombe pour voguer ailleurs. Une fine fumée vole droit vers le ciel, créant des bourdonnements dans mon ventre. Opale est tétanisée, ses fines mains cachant ses oreilles tandis que ses pupilles se dilatent en même temps que son corps tremble. À la voir, j'ai l'impression qu'elle pourrait s'écrouler dans les secondes qui suivent.
Mon corps refuse de bouger lorsque mes yeux tombent sur une silhouette sombre, son bras tendu vers le ciel et un sourire de taré. Un frisson parcourt chaque centimètre de mon épiderme. C'est lorsqu'il commence à descendre de la montagne de décombres qu'une de mes jambes part en arrière tout en tremblant.
Aussitôt, le militaire débarque devant moi tandis qu’Opale se trouve derrière moi. Égoïstement, je ne l'avais pas remarqué alors je manque de trébucher sur elle. La main du blond saisit mon poignet et me fait signe de la main. Je n'aurai pas compris s'il avait parlé le langage des signes. Cependant, là, c'était clair. Une évidence. Il me demande de fuire loin. Comme une vague d'énergie inconnue, mes jambes m'emportent et ma main saisit aussitôt la fillette. Je cours le plus loin possible mais mon cœur s'arrête lorsque j'entends d'autres coups de feu. Je n'arrive pas à pleurer ni à crier. Il n'y a que mon cœur qui hurle tandis que ma mâchoire se serre. Mes yeux scrutent chaque chose que l'environnement qui nous entoure. En un clin d'œil, je fonce à droite en direction d'une petite cachette. Je la laisse y aller puis soudain elle comprend et me lance un regard tétanisé. Ma poitrine s'étrangle lorsque je vois son corps trembler.
— Je reviens, lui assuré-je sans être sur moi-même.
Aussitôt, c'est comme si je remontais le temps. Je cours vers le danger. Chacun de mes membres tremblent, ma tête est comme oppressée. J'ignore pourquoi mais c'est comme si une chose, plus puissante que mes envies, me poussait à aller vers lui. Une puissance folle et complètement con.
Les paroles d’Opale tournent en boucle dans ma tête :
Il m'a sauvé.
Rien que ça.
Je ne sais pas pourquoi mais mon esprit refuse de le laisser mourir alors qu'il veut en savoir plus sur cet homme. Mon corps s'arrête subitement quand j'arrive sur la scène. Un combat acharné se déroule sous mes yeux et ce militaire est en mauvaise position. Ce psychopathe prend le dessus, contrôler par une rage folle qui le consume. Une sensation de déjà vu remonte à la surface. Ce sentiment que j'ai ressenti lorsque je mourrai d'envie de tuer ce type, sans même connaître sa vraie nature. Si j'avais su qu'il l'avait sauvé, jamais je n'aurais essayé de le tuer de mes mains.
Je sursaute lorsque un objet tombe à mes pieds. Ils n'ont rien remarqué. Cette fois, ils se battent avec les mains.
Je me baisse et saisis d'une main tremblante cette arme. Si j'avais su que j'en tiendrai une, une vraie et non en plastique comme on en utilise au carnaval ou à halloween, une vraie. Chargée, terrifiante et puissante. Jamais je n'y aurais cru.
Dans cet air de chaos, j'ai la sensation de tenir la liberté entre mes mains. Je la saisis de mes deux mains puis lève les bras vers eux. Mes bras sont tendus, ils tremblent tellement que j'ai l'impression qu'ils vont se décrocher. L'oxygène qui parcourt mon corps se bloque dans mes poumons jusqu'à devenir claustrophobe lorsque j'enclenche le système. Un soupir s'extirpe entre mes lèvres. Seulement, j'ai eu la maladresse de fermer les yeux.
Et si j'avais échoué ?
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