Dans la semaine qui a suivi notre départ de la Bretagne, nous avons organisé une cérémonie pour Ana et Ashley. Toujours protégées par le morceau de tissus, Tony, Jen et un marin dont je doute encore du nom, ont soulevé les corps avant de les rendre à l'Océan. Tout cela était bien sûr accompagné de chants pirates et d'un repas sur le pont avec un menu bien au-delà du quotidien. Avec Cléo, durant toute la soirée, nous sommes montées à la barre et, accoudées au bastingage, nous avons regardé le sillon laissé par le navire, regardant s'éloigner définitivement nos amies. L'Océan est désormais le seul à savoir ce que deviendront ces deux martyrs, sirènes ou bien anges.

Depuis quelques jours maintenant, j'ai de nouveau le droit à une surveillance accrue venant d'Alicia mais aussi de Cléo, dont l'inquiétude se lit sur ses traits malgré ses efforts pour me le cacher. De retour au quotidien du navire, il n'aura fallu que quelques heures pour que des nausées refassent leur apparition, vite suivie d'une fatigue due à un manque de repos important. Alicia, tout comme la fois précédente, ne parvient pas à expliquer cela. Aucun autre membre de l'équipage n'en est atteint pour expliquer une possible intoxication. Alicia a aussi soupçonné que je puisse être atteinte d'un mal de mer robuste mais là encore, impossible d'expliquer pourquoi celui-ci va et vient en fonction des semaines. 

Au final, pour plus de confort pour moi mais aussi pour rassurer tous nos marins inquiets, je suis mise à l'isolement dans la cabine du capitaine. Officiellement, celle-ci se contente de veiller sur moi, assise sur une chaise et de rejoindre parfois ma cabine pour dormir. En réalité, chaque soir, nous nous endormons l'une contre l'autre dans ses draps. Si moi je tombe de fatigue à peine mon repas rejeté car impossible de le garder, mon amante, quant à elle, passe des heures à m'observer dormir, tentant de profiter de ces quelques heures où je parais détendue.

Durant mes journées, il m'arrive de tomber à genoux au pied de son lit et de prier Dieu de me protéger. Cléo m'a déjà surprise et m'a confié son point de vue. Pour elle, aucun Dieu ne peut venir la sauver car il n'accepte pas sa différence. Cependant, elle peut comprendre que je sois encore trop bercée par mon éducation religieuse pour ne pas réussir à m'en défaire et elle l'accepte.

"Capitaine, un bateau au pavillon français s'approche de nouveau. Voulez-vous tenter un contact ?"

En cet instant, je suis allongée sur le lit de Cléo, regardant les eaux que l'on traverse alors que cette dernière est assise derrière son bureau. Elle est en train d'étudier la trajectoire que nous avons à prendre alors que nous longeons les côtes africaines. Nous nous tournons toutes les deux vers l'intru, qui n'est autre que Jane, la jeune femme que je vois de plus en plus souvent avec Alicia. 

"Le bateau te semble-t-il amical ou non ?

-Il s'agit vraisemblablement d'un bateau promenant un officiel, ce qui signifie qu'ils auront sûrement une médecin compétent."

Son regard dévie sur moi alors que Cléo comprend l'enjeu de sa décision, se tournant à son tour dans ma direction. Allongée sur son matelas, recouverte de plusieurs draps ainsi que de linge chaud, je ne parviens toujours pas à me réchauffer. Les cernes sous mes yeux sont immenses et je ne saurais dire quel est le dernier repas que j'ai mangé et que je n'ai pas rendu.

"Hissez le drapeau blanc pour annoncer que nous venons en ami. J'irais aborder leur capitaine en personne pour demander une auscultation de la part de leur médecin."

Je voudrais protester et lui dire de ne pas prendre ce risque pour moi, surtout avec une flotte française. Pourtant, je ne parviens pas à parler, ma gorge me brûlant à cause des vomissements réguliers. Jane quitte donc la pièce avant même que mes pensées n'aient eu le temps de monter jusqu'à mon esprit.

"Tu ne devrais pas prendre ce risque Cléo."

Ma voix, bien que faible, la fait se retourner vivement. Son regard empli de doute se pose sur moi alors que le mien, sans éclat, ne parvient pas à le soutenir. Délaissant ses cartes et calculs, elle vient s'asseoir à mes côtés sur le matelas. Ses doigts fins replacent les mèches rebelles, parfois mouillées de sueur, qui me barre le visage.

"Je refuse que tu restes dans cet état ma belle sirène. Te voir comme ça me brise le cœur et s'il s'agit réellement d'une personne importante, alors le médecin de bord sera plus compétent qu'Alicia qui donne pourtant tout ce qu'elle a pour t'aider.

-Et s'ils savent pour l'Athéna et qu'il préfère le couler.

-Je préfère savoir mon bateau, mes richesses voire même mon corps au fond des abysses plutôt que de continuer de te voir comme ça. J'aimerais goûter encore à ces délicieux plats que tu me prépares, entendre ton rire et pouvoir passer de nombreuses nuits interdites avec toi."

Elle dépose un baiser délicat sur mes lèvres avant de venir s'étendre contre moi dans une étreinte rassurante. Je finis par fermer les yeux, la fatigue ayant à nouveau raison de moi. Quand je les ouvre à nouveau, Cléo a disparu de la pièce, sûrement partie rejoindre Sacha et Jen à la barre pour gérer la prise de contact.

Je quitte mon lit et enfile mes bottes avant d'ouvrir à mon tour la porte de la cabine. Sur le pont, quelques marins sont rassemblés et je constate que la planche est justement en train d'être installée entre les deux navires. Cléo se tient d'un côté tandis qu'un homme plutôt jeune se dresse en face d'elle.

"Bonjour Capitaine. Merci de vous être arrêté pour nous.

-Puis-je savoir à qui j'ai affaire ?

-Capitaine Cléo Jones, je suis originaire du nouveau monde. Nous sommes des enfants nés là-bas et souhaitant explorer les terres de nos ancêtres."

J'admire la facilité de cette femme à se sortir de toutes les situations. Plus le temps passe, plus je la découvre et plus je me rends compte de l'honneur que c'est que de partager le lit d'une telle personne. C'est un honneur.

"Une femme capitaine ? C'est bien la première fois que je vois ça. Et, en quoi pouvons-nous vous aider mademoiselle pour que vous abordiez le pavillon blanc ?

-Une de mes marins est malade mais rien ne permet de la soigner. Nous aurions voulu savoir si votre médecin de bord pourrait l'ausculter."

Le capitaine se tourne vers un homme derrière lui et discute quelques minutes avec lui. Je me laisse tomber contre le mur à côté de moi pour me maintenir debout malgré la faiblesse qui s'empare de mon corps.

"Monsieur le baron a le cœur sur la main et il accepte que son médecin personnel vous aide à soigner votre marin. Conduisez-le à lui."

Un homme d'un certain âge monte alors sur la planche et je me dépêche de rejoindre le lit que j'ai quitté il y a peu. L'adrénaline me pousse à aller plus vite que je ne l'aurais cru tant je me sens faible. J'ai ôté mes bottes et ai réussi à me coucher quand la porte s'ouvre. Cléo laisse alors entrer l'homme que j'ai vu précédemment sur la planche ainsi qu'un autre, sûrement la trentaine et vers qui s'est tourné le capitaine avant de nous informer qu'il acceptait le deal.

"Addison, je te présente monsieur de Belville, un baron, et son médecin personnel monsieur François."

 Ce dernier s'approche de moi et vient s'installer près du lit. Il sort de son sac tout un tas de matériels médicaux et commence alors à parcourir mon corps à la recherche de ce qui pourrait clocher. Son examen dure de longues, très longues minutes. Sacha est entrée pour savoir si tout se déroulait parfaitement. Le baron a inspecté longuement la bibliothèque de Cléo, devant désormais connaître l'emplacement et le titre de chacun sur le bout des doigts. Quant à mon amante, elle se contente simplement de m'observer, assise sur le fauteuil de son bureau. 

Je sens le stress monter en moi à mesure que cet homme prend son temps pour nous annoncer un diagnostic. Alicia nous a même rejoint, voulant observer les techniques du médecin afin d'enrichir ses connaissances.

"Eh bien, eh bien..."

Se redressant, l'homme range ses instruments, nous laissant tous les quatre dans un doute monstre et insupportable. Il ne semble d'ailleurs pas pressé de nous sortir de cette attente.

"Vous êtes le premier cas que je vois mais le diagnostic est sans appel."

Il se remet à ranger ses affaires et se redresse pour remettre correctement son costume. Je vois le regard dur de Cléo sur lui alors qu'elle aussi semble ne plus supporter l'absence de réponse. Et encore, cela ne concerne pas sa santé.

"Et si vous nous annonciez de quoi souffre ma marinette pour que chacun puisse reprendre sa route. Et en ce qui concerne les traitements, nous sommes prêts à y mettre la somme qu'il faudra.

-Oh, il n'y a aucun traitement pour ce mal."

Je me vois déjà mourir peu à peu, dévorée par un mal inconnu ou presque. Je ne doute pas que mon cas finira par empirer et, dans l'état dans lequel je suis, je me dis que la mort viendra me cueillir après d'atroces souffrances.

"Pardon ?

-Non. Votre matelot est enceinte. Je dirais même que c'est à un stade plutôt avancé."

Alors que je suis à deux doigts de m'évanouir sous le coup de la surprise, Alicia s'empresse de demander pourquoi elle n'a pas pu le remarquer alors même qu'elle m'a ausculté plusieurs fois. Mais le pire de tout, c'est le regard brisé de Cléo qui se pose sur moi. Elle semble sombrer au fond d'un trou alors que moi-même je viens d'y tomber subitement.

"C'est un cas rare où le ventre n'apparaît pas et où les symptômes sont peu présents. La plupart des cas sont observés dans des maisons closes. On suppose que c'est un moyen trouvé par les prostituées de continuer de vendre leur corps sans avoir à subir les aléas de la gestation. Vous saurez d'ici quelques jours depuis combien de mois elle cache son état et vous pourrez l'ausculter un peu mieux. Je pense pouvoir dire que les enfants ne craignent rien.  Je peux seulement vous conseillez de mieux surveiller les membres de votre équipage capitaine."

Là-dessus, il se lève et quitte la pièce, suivi par Cléo et le baron. Alicia me salue avant de quitter à son tour la pièce, me laissant seule. Mes pensées deviennent sombres alors que je repasse en boucle les paroles de ce médecin.

Je suis enceinte.

Ils sont plusieurs car il a dit LES enfants.

Et pour couronner le tout, il m'a comparé à une prostituée...

Je me sens si mal que j'aimerais simplement disparaître d'ici et me réveiller dans une vie où tout cela ne serait jamais arrivé. Je n'ai pas embarqué à bord de l'Athéna, Ashley et Ana n'ont pas été tuées par des monstres et surtout, je ne suis pas enceinte.

Les larmes coulent sur mes joues et je n'ose pas imaginer la tête que je peux avoir lorsque Cléo ouvre la porte. Celle-ci semble en colère.

"Depuis quand es-tu enceinte ? Et comment as-tu pu me cacher ça ? Je te faisais confiance putain ! Je me suis ouverte à toi, j'étais prête à faire ma vie avec toi ! Ne me dis pas que tu as couché avec un homme pendant notre séjour en France !"

Sa colère est pire que cela, c'est quasiment de la haine. Je me sens tellement humiliée. Récemment, je n'ai couché avec un homme que deux fois : la veille de mon embarquement et le jour où nous avons fait un arrêt pour un ravitaillement et que nous étions en froid.

"Je te laisse dormir dans mon lit parce que je ne suis pas cruelle et que je ne veux pas risquer ta santé. Alicia viendra te voir régulièrement pour juger à quel stade de ta grossesse tu es. Nous réfléchirons après pour savoir si on peut te débarquer afin que tu commences une nouvelle vie."

Je comprends que la déception de Cléo  est grande, sûrement autant que la mienne. Elle quitte son bureau sans même se retourner.

"J'avais tellement confiance en toi, Addison..."

Elle quitte alors la pièce, me laissant définitivement seule avec mes sombres pensées. Durant le reste de la journée, seule Alicia vient me voir pour s'assurer que je mange et que mon état évolue bien. Mais qu'importe. Si Cléo ne veut plus de moi, alors je n'ai aucun intérêt à continuer de vivre.

La nuit n'est même pas encore tombée que je plonge dans un sommeil empli de cauchemars...

>>>🏴‍☠️<<<

D'accord j'avoue... J'ai craqué...

Mais c'était l'une des seules solutions pour que le couple puisse fonder une famille et sinon il y avait l'adoption mais c'est moins marrant.

La question maintenant c'est... Est ce que Cléo acceptera la situation ou non...

Réponse la semaine prochaine !