Mois 2 / Semaine 1
Cela fait deux mois que j'ai rejoint l'Athéna. Depuis l'attaque du galion, nous n'avons plus à redouter un quelconque manque en terme de repas. Les matelots profitent plus que de raison, le capitaine m'accordant quelques excès, la gestion des vivres étant excellente. Moi qui étais sceptique au début sur mon rôle au sein de ce navire, je ne regrette plus du tout mon choix et me trouve même à aimer ce nouveau quotidien. Aujourd'hui, celui-ci est tellement ancré en moi que, pour rien au monde, je ne voudrais revenir en arrière.
Actuellement, je me détends après avoir fini le service du midi et patiente un peu avant de préparer le dîner. Si Tony en profite pour faire une sieste, je préfère sortir prendre l'air sur le pont supérieur avant de retourner m'enfermer pour le reste de la soirée.
"On prend l'air maître coq ?"
Derrière moi, Cléo apparaît de sa démarche féline et s'approche du bord. Accoudée tout comme moi, elle contemple le ciel. Celui-ci est plutôt gris et j'ai peur qu'il ne finisse par tourner et devenir bien trop mauvais pour nous. Je ne suis pas une grande connaisseuse mais le regard sombre de Cléo me confirme que j'ai raison.
"La tempête sera sur nous d'ici vingt-quatre heures. La bateau a déjà affronté bien pire mais rien ne m'effraie plus que de voir les vagues surplomber l'Athéna et emporter tout en redescendant."
Son regard se perd sur l'horizon et j'imagine que d'anciennes images doivent venir envahir son esprit à cet instant précis. Elle m'a confié il y a deux semaines avoir grandi sur ce bateau, tout comme Tony. J'imagine que ce n'est pas la première fois qu'elle bravera ce genre d'éléments et je suis même sûre qu'elle a déjà connu pire que ce que nous croiserons dans quelques heures. La vie que je découvre depuis deux mois est dure et je ne doute pas qu'il me reste encore bien pire à découvrir à l'avenir.
"Ton équipage sera apte à affronter ce qui nous attend ?
-Il le sera car il sait qu'il n'a pas d'autre choix s'il souhaite s'en sortir. Quant à toi, je veux que tu retournes dans ta cabine, comme lors de l'attaque, et que tu y restes avec Tony, Sacha et les enfants que nous avons à bord. Ils étaient restés enfermé dans ma cabine la dernière fois mais, ce coup-ci, je ne veux pas les laisser seuls."
Je comprends totalement son raisonnement mais je n'ose pas lui avouer que je serais certainement la plus effrayée d'entre eux. Je n'en menais pas large lors de l'assaut et ne suis pas sûre d'assurer un peu plus face à des vagues trois fois plus grandes que moi. J'avais toujours rêvé de prendre la mer mais je n'avais jamais réfléchi à ces nombreux aspects de la vie maritime.
"Pourquoi Sacha viendrait-elle avec nous ?
-Les raisons lui sont propres et seule elle sera en mesure de te le dire. Je suis le capitaine et, par conséquence, je sais protéger les confidences de chacun d'entre vous. Tu ne sauras rien de moi."
J'abdique et retourne dans ma contemplation tandis que Cléo est appelée plus loin, devant, il me semble, gérer un désaccord quant à la manière dont il faut monter dans le hamac. Je la regarde débattre joyeusement avec ses deux femmes. Je n'ai jamais douté de la tendresse qu'elle porte à son équipage mais, à la voir ainsi, je réalise que c'est bien plus que ça. Elle est liée à chacun d'entre eux comme s'il s'agissait d'un membre de sa famille, d'un frère, d'une sœur voire même d'une mère.
Quand nous parlons ensemble, je sais que nous n'avons pas encore le même lien mais je ne doute pas que cela viendra à mesure que nous apprendrons à nous connaître.
Les matelots sont aussi très solidaires entre eux et, bien que mon éventail de connaissance se limite à Tony, Sacha, Cléo et Jen, le mari de Sacha et barreur du navire, je ne doute pas que lorsque le capitaine m'accordera son entière confiance, le reste de l'équipage deviendra ma famille.
Je retourne sagement à mes casseroles et ne voit pas les vingt-quatre passer si rapidement. Trois heures avant que la tempête ne nous tombe réellement dessus, la pluie s'est invité à la fête, forçant tout le monde à rentrer les voiles et rendant le sol assez glissant pour que l'une de marinettes fasse une chute assez impressionnante pour que notre médecin la prenne en charge.
Quoiqu'il en soit, poussée par notre capitaine, je suis actuellement enfermée dans ma cabine avec le second, mon camarade de cuisine et trois enfants entre trois et dix ans, courant dans tout les sens et augmentant le mal qui s'empare de moi. Je croyais en avoir fini avec les nausées depuis un mois mais ce n'est visiblement pas le cas et je remercie Cléo d'avoir été prévenante en nous laissant plusieurs seaux.
À côté de moi, Sacha n'est pas dans une position plus glorieuse. Assise sur mon lit, elle serre contre elle le morceau de métal dans lequel je la sens hésiter à vomir.
"Mal de mer ?"
Je me dis que cela ne me coûte rien de poser la question. Et puis, cela me rassurerait de savoir que le grand second de l'Athéna est sujette à quelque chose d'aussi futile que le mal de mer.
"Non du tout. Jen refuse que je prenne des risques depuis l'annonce de ma grossesse. Les nausées du premier trimestre sont passées mais avec le roulis du bateau, elles reviennent..."
Les paroles de Sacha me frappent de plein fouet. Cléo m'avait dit que les seuls hommes étaient là car ils étaient mariés à une femme de l'équipage. J'avais bien vu le lien entre le second et le barreur et pourtant, jamais je n'avais pu envisager qu'un bébé ne naisse de leur relation.
"Félicitations. Et vous comptez rester sur le bateau après la naissance ?
-Bien sûr. Tant que mon capitaine m'y autorise, je resterai. Peut-être que nos quêtes nous laisseront du répit ou que je pourrais poser un pied à terre pour les premiers mois mais ce ne sera que temporaire. Je reviendrai toujours sur l'Athéna, c'est ma maison."
Je ne réponds pas, prenant peu à peu conscience que, pour les pirates, le bateau et l'équipage sont ancrés au plus profond de leurs vies. Nous sommes loin des navires marchands où seule compte la mission et, qu'après elle, chacun partira pour une nouvelle traversée avec de nouveaux matelots.
Une nouvelle vague, plus puissante que les premières, vient secouer le bateau et si personne ne dit rien, je ne parviens pas à retenir un gémissement avant de vomir un peu plus de mon repas dans le seau.
J'ai honte.
C'est un sentiment que ne m'y quitte pas depuis que j'ai embarqué sur l'Athéna. Honte de ne pas avoir su que j'étais sur un bateau pirate. Honte d'avoir jugé mes camarades de traversée. Honte d'avoir le mal de mer. Honte d'être une débutante.
Je me dis que cela ira mieux avec le temps et pourtant, au fond de moi, je me doute que le mauvais départ que je prends avec ce qui pourrait être ma nouvelle 'famille' n'est pas assez bon pour qu'ils m'acceptent. Moi qui n'ai jamais eu de pied-à-terre nul part, je ne pense pas pouvoir le trouver à bord, ce qui aurait été un rêve au-delà de son aspect contradictoire.
Plongée dans mes réflexions, je n'en sors que lorsqu'une timbale de rhum passe sous mon nez. Au bout du bras, je constate qu'il s'agit de Sacha, ma seule alliée dans cet enfer.
"Bois le cul-sec. Si tu as l'âme d'une pirate, le rhum saura résoudre tous tes problèmes."
Je hoche la tête avant de la renverser en arrière et de laisser le liquide couler dans ma gorge. Enfin, il me brûle plutôt sur son passage. Moi qui croyait n'avoir à avaler qu'une gorgée, me voilà à descendre un verre entier. Je doute que cela soit de bonne augure mais je croise les doigts pour que ma fameuse âme pirate se révèle et me permette de survivre dignement à cette torture.
Les premières minutes sont semblables aux précédentes puis, tout semble s'apaiser en moi. Je parviens même à fermer un peu les yeux pour profiter du roulis apaisant de l'eau qui, juste avant mon shot, me retournait le cœur.
Mais là se trouve aussi mon plus gros problème. L'alcool me rend joyeuse et inconsciente. Un cocktail qui a tendance à ne jamais être positif. C'est comme ça que, malgré la tentative de Tony et Sacha pour me retenir, je me retrouve sur le pont. Face à moi, les marins se font balayer par des vagues aussi hautes que les toits des maisons de mon village et, sans le bastingage et la corde accrochée autour d'eux, ils seraient déjà perdus en mer.
"Addison ?! Je t'avais ordonné de rester dans ta cabine ! Qu'est-ce que tu fais là ?!
-Je m'amuse capitaine !"
Dans un geste si naturel pour mon double ivre, je retire ma chemise, me retrouvant face à Cléo en simple bandage. Je vois ses yeux s'agrandir tout comme ceux de quelques marinettes mais je n'y fais pas attention, n'ayant en tête que l'envie de rejoindre la rousse dont la crinière si magnifique fait désormais penser aux poils d'un chien sortant d'un bain.
Enfin... Ça, c'était mon projet. Rien à voir avec le scénario d'une puissante vague qui, à mi-chemin de ma cible, vient me percuter et envoyer valser de l'autre côté du navire. Jusqu'ici, l'alcool avait une emprise sur moi importante. Emprise qui, alors que la vie semblait m'échapper, s'est envolée.
Sous mon poids, le bastingage qui doit souffrir depuis longtemps, se rompt, laissant la vague m'entraîner vers les profondeurs de la mer. J'aimerais crier mais ma gorge se remplit d'eau salée, brûlant mes poumons. Ma vue se trouble, mes yeux ne supportant pas le sel et mon cerveau cherchant désespérément l'oxygène autour de moi.
Je me sens déjà basculer du mauvais côté de la frégate quand une main surgit de nulle part et attrape la mienne, m'envoyant valser contre la coque. Je suis là, pendue dans le vide mais, malgré tout, accrochée à la vie.
"Aidez-moi à la hisser !"
Il me semble reconnaître la voix de mon capitaine à travers les rafales de vent et les tumultes de la mer. Ma fatigue conclut le tableau, si bien que je laisse mes yeux se fermer sous la fatigue accumulée. Je me sens remonter avant de prendre place dans les bras de quelqu'un et je me laisse aller.
"Tu t'es mise en danger. Tu m'as mise en danger et tu as aussi mis tes camarades en danger. Sache que tout ce que je peux te dire sur ce bateau seront des ordres, jamais aucune demande que tu pourrais refuser. Rentre toi ça dans le crâne Addison. Ou la prochaine fois, je te laisserais couler."
Elle vient de me reposer violemment sur le sol humide du restaurant et je comprends l'importance de ses paroles malgré le fait que celles-ci me parviennent à travers un nuage brouillant mon esprit. Une nouvelle paire de mains me traîne à nouveau vers ma cabine mais je n'y prête que peu d'importance, tombant dans un sommeil si lourd que lorsque que j'en émerge, je suis seule à même le sol, la tempête s'étant calmée à l'extérieur.
"La capitaine t'attend dans sa cabine. Et je doute que ce soit un bon point pour toi."
Tony, occupé à éplucher les patates du déjeuner, me fixe à travers la porte entrouverte. Mes gémissements en constatant le mal de crâne du matin ont dû attirer son regard mais je suis sûr qu'il me surveillait déjà avant. Sans bruit, je récupère un biscuit dans une caisse et remonte au soleil. Sa luminosité m'aveugle mais me permet surtout de prendre conscience des dégâts de la veille. Le bastingage est cassé à l'endroit où j'ai failli mourir et l'image me fait réaliser que mon flanc me fait souffrir de cette rencontre inattendue. Dans les mâts, certains sont armés d'aiguilles et tentent d'atténuer les déchirures pour nous permettre de continuer d'avancer.
"Addison ! Dans ma cabine ! Maintenant !"
Cléo est fièrement plantée devant la porte qui mène à son antre et son regard est aussi froid que l'acier de l'épée qui pend à sa ceinture. Dans cette position, j'avoue que je ne me sens pas du tout à l'aise. Quand je passe devant elle, je me tasse le plus possible et sursaute quand la porte claque dans mon dos. Debout face à son bureau, je contemple le bout de mes chaussures, dans la même position que lorsque, enfant, je me faisais prendre après une bêtise.
"Je pense que la leçon d'hier a été claire et que tu t'en souviendras à l'avenir. Je ne veux plus jamais te revoir me désobéir. Suis-je claire ?
-Oui, capitaine."
Je ne bouge pas, laissant son regard couler sur moi alors qu'elle doit juger si ma parole est digne de confiance ou s'il ne vaut pas mieux me planter quelque part loin de son équipage.
"Sache que si je suis aussi dur envers toi, c'est parce que je... c'est parce que je tiens à toi, sincèrement."
Je redresse la tête, surprise de cet aveu venant de mon capitaine. Jamais de ma vie personne n'avait tenu à moi. Je ne sais pas quel est le sens profond de sa pensée mais qu'importe, la seule chose que je retiens c'est que, pour la première fois, quelqu'un me voit pour autre chose qu'une vaurien.
"L'attachement que j'ai pour toi, j'ai... le même, avec chaque membre de l'équipage. Maintenant allonge-toi sur ma couche que je vérifie ton flanc."
Mon cœur rate un battement, presque déçu par les paroles de Cléo. Je ne sais pas à quoi je m'attendais mais, au fond de moi, je voulais être plus qu'un simple membre de l'équipage. En un mois sur le navire, je l'ai vu passer plus de temps en ma compagnie qu'elle ne le fait avec d'autres membres.
Je ne conteste pas son ordre, me rappelant qu'elle n'adresse aucune demande, et m'allonge sur ses draps. L'odeur de la pirate envahit mes narines et je ferme les yeux pour en profiter, la trouvant apaisante. Je ne me pose même plus la question de savoir si je deviens folle, mon habitude le prouvant clairement.
Les doigts longs et fins de Cléo remonte le pan de ma chemise afi' de s'activer, désinfectant les différentes coupures avant de les entourer d'un bandage. Tout se fait dans un silence agréable, même lorsqu'elle m'aide à me relever et à réajuster mon haut. Ce n'est que lorsque je suis prête à ouvrir la porte que quelque chose change soudainement.
"Prends soin de toi, je... Je ne supporterai pas de te perdre."
Elle me prend dans ses bras et me serre contre elle sans que je ne puisse m'y préparer et m'en défaire. Alors, contre toute attente, je me laisse aller et la serre contre moi.
>>>🏴☠️<<<
On peut dire qu'Addison n'est pas passée loin du grand plongeon. Heureusement qu'une capitaine plus que protectrice était là !
Merci à toi pour ta lecture et ta présence cette semaine encore. N'hésite pas à me dire ce que tu as pensé du chapitre et a mercredi pour la suite de Clarke er Sixtine ! 😜
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