II - Découverte

Consigne :

Un dialogue argumentatif avec l'autre sur le thème de la civilisation, de la différence, de l'altérité, de la fraternité possible (ou non), de la préférence pour tel ou tel mode de vie... Ce dialogue mettra en jeu l'évolution du personnage central de ce voyage, depuis son arrivée et sa connaissance plus approfondie du 《nouveau monde 》 de ses habitants... et de 《l'autre》.

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Cela fait précisément trois jours que je ne suis pas sortie de cette maison où il m’a amenée. Chaque soir il rentre tard et couvert de bleus par moment. Lorsque je lui demande si je peux sortir, il ne me répond que par de simples grognements; un vrai sauvage. Il m’a ordonné de ne pas bouger d’ici, et surtout, de ne pas quitter la maison sans son autorisation. J’obéis; bien évidemment. Je suis de la Tribu de l’Eau et actuellement, je suis chez la Tribu du Feu, nos plus anciens ennemis. Qui sait ce qu’il pourrait m’arriver en mettant un seul pied dehors ? Comme moyen de voir ce qu’il se passe à l’extérieur, j’ai les fenêtres. Et encore, je dois faire attention à ce que personne ne me voit moi et mes yeux bleus. De ce que j’arrive à voir, ce monde est complètement différent du mien.

Contrairement à mon chez moi, il y a très peu d’eau, tout est sec ici. L’air est aride et étouffant. Rien ne pousse mis à part d’étranges fleurs de feu. Salomon, mon professeur, m’avait un peu parlé du paysage de la Tribu de Feu, mais je ne m’imaginais absolument pas ça.

Après trois jours à regarder par la fenêtre, j’ai remarqué plusieurs choses. Les gens passent, souvent tête baissée, dans leurs pensées. Il ne se saluent pas, semblent tristes, déprimés et fatigués. Généralement, ils sont plutôt sales… du sable est présent sur leurs vêtements. Chez moi, tout est propre. De plus, les gens se saluent en souriant, polis.

Quelqu’un toque à la porte, je sursaute, qui cela peut-être à cette heure ? Il est trop tôt pour que ce soit lui. La personne re-toque. Je me lève et entreprends d’ouvrir la porte, mais je me souviens alors des consignes qu’il m’a données : “surtout, mis à part moi, n’ouvre à personne.”.

Je demande donc, anxieuse :  

- Qui est là ?

- C’est moi, ouvre la porte, répond une voix.

Je reconnaîtrai cette fameuse voix entre toute, rauque et bruyante. J’ouvre donc la porte, sachant de qui il s’agit.

- Tu n’es pas sortie pendant mon absence ? M’interroge t-il, suspicieux.

Au lieu de lui répondre sur le champ, je m’attarde sur son visage. Il a un nouveau bleu; encore. Les iris de ses yeux s’embrasent toujours, tel un feu flamboyant. Je finis par lui répondre sèchement :

- Non.

J'ai presque l'impression d'être retenue prisonnière ici, même si je suis reconnaissante qu'il ne m'est pas livrée. Je ne sais rien de lui. Comment lui faire confiance ?

- Je t’emmène donc faire un tour. Tu voulais bien voir comment est notre Tribu, n’est ce pas ?

J’hoche rapidement la tête, en accord avec ses propos.

- Bien, alors je vais te montrer comment est mon “chez moi”

Avant de partir dehors, il me montre deux lentilles de couleurs, rouges comme ses yeux. Tiens, je ne savais pas qu’ils avaient ça ici. Je pensais qu’on en trouvait que chez la Tribu du Vent, étant souvent des espions. Il remarque mon étonnement, il décide donc d’y répondre :

- Il y a beaucoup de trafic chez nous.

Je ne cherche pas à en savoir plus et mets rapidement les lentilles, bien que je m’y reprenne à trois reprises. Ces lentilles de couleur rouge me permettront donc de passer inaperçue dans la foule. Après quelques minutes à attendre je ne sais quoi, il finit par ouvrir la porte.

Je le suis, en silence. Nous empruntons de petites ruelles, traversons des marchés, des foules. J’observe les alentours, inspecte et imprime chaque détail dans mon cerveau. Je finis par lui demander :

- Quel est ton prénom ?

Il ne se retourne pas et continue d'avancer.

- Kay.

Ce qui veut littéralement signifier feu.

- Kay, je répète, comment ça se fait que tout le monde ici est… chagriné, presque affligé ?

- Écoute, grogne-t-il, mécontent. Ici, ce n’est pas chez toi. Tout est différent. Les gens souffrent de la famine, de pénurie d’eau, on doit se battre ou travailler excessivement dur pour gagner quelques sous. La Tribu de Feu est tout, sauf chez toi, m'avoue-t-il soudainement.

- Mais, je ne comprends pas, avoué-je. Chez nous, l’eau est abondante, tout comme la nourriture, personne ne manque de rien. Les conditions de travail sont bonnes et en plus, bien payé. Votre Tribu est forte, vous n’êtes pas censé avoir tout ça ?

Pour la première fois, il se met à rire. Cependant, je me rends vite compte qu’il ne s’agit pas d’un vrai rire, mais plutôt sarcastique.

- Tu me fais rire, ironise t-il. Tu vis dans une bulle ? Vous êtes vraiment coupés du reste du monde, vous, la Tribu de l’Eau. On ne vous apprend pas à l’école que nous sommes pauvres et misérables ? J’imagine qu’on nous décrit comme de grands et beaux soldats prêts à faire la guerre ? Questionne-t-il agressif et rempli de rancoeur.

Je glisse rapidement un léger oui, honteuse, sans savoir vraiment pourquoi.

- C’est n’importe quoi, vocifère t-il. Tout ce qu’on vous apprend sert simplement à faire de nous vos rivaux. Vous nous méprisez alors que vous ne savez rien de nous, de notre situation et de notre pays. Regarde autour de toi, enfin, s’écrie-t-il. Crois-tu vraiment que nous sommes prêts à vous faire la guerre à tout bout de champ ? Que nous ne pensons qu’à ça ? La seule chose à laquelle nous pensons, c’est survivre !

Je ne réponds pas. Au contraire, je me fais toute petite. Je crois de toute manière que je ne pourrai rien répliquer, car dans ces mots, se trouve une juste et cruelle vérité. Il a raison, je ne connais rien d’eux, si ce n’est ce qu’on m’a dit et appris. Tout paraît si divergent. C’est comme si je venais d’une autre planète. Je semble si ignorante. Je demande donc :

- Que mangez vous principalement ?

- Ce qui peut pousser dans cette fichue terre sèche, me répond-t-il rapidement.

- Comment sont les gens d’ici ? Osé-je demander, voulant en savoir plus.

- À quoi cela va te servir d’en connaître plus sur nous ? M’interroge-t-il, de mauvaise humeur, visiblement agacé par mes questions.

- Je te l’ai déjà dit. Je veux en apprendre plus sur la Tribu de Feu, ses habitants et leur façon d’être et de vivre.

- Eh bien, regarde autour de toi.

J’exécute ses propos en jetant un oeil curieux autour de moi. La foule est moins abondante, j’aperçois une mère et son enfant non loin de là. Le petit est chétif et la mère fatiguée. Elle donne quelques sous à un marchand, qui lui, lui donne seulement un pauvre bout de pain. Je m’exclame, surprise :

- Il ne lui a donné qu’un pauvre bout de pain pour toutes ces pièces ?!

- Nous n’avons pas la même valeur de l’argent, répond-t-il presque tristement.

Je m'aperçois après quelques coup d'oeil qu'il y a plusieurs classes sociales.  Je l’interroge alors :

- Comment cela se fait-il que certains d'entre vous meurent de faim alors que d'autres semblent si riches et puissants ?

- C'est là tout le fonctionnement de notre Tribu. La Tribu du Feu est inégale, et pour survivre, c'est la loi du plus fort qui régit; ou parfois, du plus riche. Et chez toi, j'imagine que c'est le monde parfait ? Me questionne t-il avec sarcasme.

- En quelque sorte oui, nous sommes tous égaux. Contrairement à vous, j’ai l’impression que nous sommes plus civilisés.

Il s'arrête soudainement de marcher et se retourne vers moi. Nos regards se croisent. Ses pupilles s'enflamment.

- Ce n’est qu’une illusion, souffle-t-il, irrité par mes propos.

- Je t’assure que non. Notre pays est juste et bon. L’eau y est en quantité innombrable et la nourriture y est abondante.Personne ne souffre de faim, de soif, ou même de pauvreté.

- Le monde parfait, c’est bien ça ? Se moque-t-il.

Je serre mes poings, énervée par ses propos. Quel imbécile.

- Pourquoi ris-tu, enfin ? Je te décris simplement comment est ma tribu, es-tu obligé de réagir comme ça ? je m’énerve.

- Tout simplement parce que vous m'exaspérez, vous semblez si insouciant de ce qui vous entoure.

- Qu’est ce nous y pouvons ? Sommes nous la cause de tous vos maux ?

- Tu aurais tort de penser que vous n’y êtes pour rien, oui, dit-il sèchement avant de se retourner et de continuer à marcher.

Je me tais, épuisée de l’entendre se plaindre. Je ne pensais pas que nous étions si différents. Tout de A à Z ne ressemble en rien à ma Tribu. Que ce soit par le mode vie, la nature, ou la façon d’être et de penser. Je commence à comprendre pourquoi mon peuple les déteste autant.

Tout en continuant de marcher, en le suivant, j’émets :

- Il fait toujours aussi chaud ici ? C’est étouffant.

- Pour une fille de l’eau, je trouve que tu résistes plutôt bien. Et pour répondre à ta question, oui. Chaque mois il fait plus de trente degrés, été ou hiver. C’est bien pour cela que nos plantes et nos arbres ne sont pas les mêmes que chez vous.

- Encore une fois, je suis désolée mais je préfère largement ma Tribu sur ce coup. Il fait bon toute l’année et les plantes sont magnifiques. Ici, la nature semble morte, elle dépérit et vous ne faîtes rien. Vous n’êtes pas la Tribu de la Terre, d’accord, mais vous pourriez au moins essayer.

- Essayer ? Que c’est ridicule. Évidemment, ton avis n’est pas subjectif. Tu n’es pas née ici, comment pourrais-tu nous comprendre ? Ce n’est pas parce que tu es mi-Tribu de l’Eau et mi-Tribu du Feu que cela va changer quelque chose à ta façon de penser. Votre société a façonné votre état d’esprit. Vos dirigeants vous manipulent.   

Je me stoppe, irritée, et cours jusqu'à me mettre en face de lui.

- Pardon ? Tu me dis ça alors que ton pays tombe en miette ? Serais-tu aveugle ? Ne vois-tu pas ce qui se passe autour de toi ? Mais regarde enfin, ouvre les yeux ! J’hurle, agacée. La moitié de ta Tribu est pauvre et l’autre, puissante et riche.

- Bien sûr que je vois tout ça ! Mais que crois-tu ? Que j'ai mon mot à dire ?! Que moi, pauvre habitant d'un petit village, vais pouvoir changer mon pays tout entier ?! Ceux qui bénéficient de la richesse viennent de famille de guerriers, qui ont fait la guerre pendant des millénaires pour la Tribu.

Ma bouche s'ouvre, mais je la referme aussitôt. Impensable. Je reprends après un temps d'incertitude :

- Et tu trouves cela normal ?

- Dans un sens, oui. Ils se sont battus pour la Tribu quand vous, vous nous éliminiez.

- Alors mon professeur avait raison, vous n’êtes que des sauvages à qui la guerre est plus importante que la vie elle même. Votre façon de penser est la pire d’entre toutes.

C'est à son tour de s'énerver, ils croisent les sourcils et son regard s'enflamme à nouveau. Un feu en brûle en lui, et ne demande qu'à jaillir. Je recule un peu, ne sachant pas ce qui pourrait arriver. Mieux vaut prendre des précautions.

- Ne parle pas de nous comme ça, tu ne connais rien de nous. Vis-tu ici ? Non. Es-tu née ici ? Non. Vous n’êtes pas mieux, vous pensez être supérieur à tout le monde. Vous acclamez vous mêmes votre intelligence comme la plus précieuse des choses. Si je devais vous résumer en un mot, ce serait arrogant.

Décidément, nous n'arrivons pas à nous entendre. Un silence pesant s'ensuit tandis que nous nous remettons à marcher sans but. Soudainement, il se retourne vers moi et me demande :

- Tu veux vraiment essayer de nous comprendre ?

- Malgré nos différents, oui. Je veux essayer le plus possible de comprendre la Tribu du Feu et ses habitants.

Il semble réfléchir quelques secondes, oscillant certainement entre deux réponses.

- Alors il y a une seule manière de nous entendre.

- Laquelle ? Je le questionne, soudain plus attentive.

- Il faut que tu te rendes à l'évidence. Ton pays, la Tribu de l'Eau, n’est pas aussi parfait que tu le crois.

- Comment ça... ? Je m'inquiète.

Il semble soudain plus calme, plus posé, réfléchi et sérieux.

- Contrairement à ce que tu penses, notre pays n'a pas toujours été aussi inégal et misérable. Il était autrefois un pays aussi puissant que resplendissant.

- Je ne comprends pas, sois plus clair. Vas droit au but.

Il inspiré une grande bouffée d'air,  reprend le contact visuel avec mes yeux, et émet enfin :

- Vos dirigeants vous mentent sur ce qui s’est passé autrefois. Ils vous manipulent et vous amènent à nous détester. C’était la Tribu de l'Eau qui était autrefois la plus destructrice et la plus meurtrière d'entre toutes, assoiffée de pouvoir. Les véritables sauvages, c’est vous. C'est vous, qui avez fait de notre Tribu ce qu'elle est aujourd'hui.

Rappelle toi.
Vérité ou Mensonge ?
Mensonge ou Vérité ?

Mes mains se mettent à trembler. Mon subconscient me dit de ne pas croire ce qu'il raconte, que c'est un menteur.
Pourtant, au fond de moi, une petite voix me chuchote de le croire. Car... il pourrait bien s’agir de la vérité. Juste, et cruelle.

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