Chapitre 45
***
Enfin le dernier chapitre ! Bonne lecture :)
***
Mon corps sans vie se promène à travers les rues de New York. Le regard assombri par les événements, je transporte doucement la coquille vide que je suis devenue. J'aimerai tant que tout ça s'arrête. Les larmes ne sortent même plus. En me regardant dans le miroir, je m'aperçois de ma maigreur, la flamme qu'il y avait auparavant dans mes yeux s'est éteinte. Il n'y a plus rien de la Lily que je connaissais. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. D'un geste lent, j'ouvre la porte du magasin. Mes yeux cherchent une robe qui pourrait m'aller pour le bal de demain. Ce fameux bal qui signifie enfin la fin du jeu et de mes souffrances. Je prends une longue robe rouge. Elle me parait si jolie, mais mes yeux ne pétillent pas, mon sourire ne s'élargit pas. J'ai perdu toutes émotions positives, ne me reste que celles de la peur, de l'angoisse et de la tristesse infinie. Celle qui vous colle à la peau, qui vous prend à la gorge, vous fait monter les larmes aux yeux sans jamais pouvoir en verser une seule. J'entre dans la cabine, épuisée aussi mentalement que physiquement. Je l'enfile rapidement pour terminer au plus vite cette mascarade. Le rouge est élégant. Ça devrait aller pour la porter au bal, elle me va bien. Tout en lâchant un de ces sourires peinés, je la dézippe et me rhabille. Je passe rapidement en caisse pour ne pas avoir à rester trop longtemps dans la boutique.
En sortant, je regarde tout autour de moi, je ne peux m'empêcher de me demander si je suis suivie. J'ai fini par développer une sorte de phobie sociale, ou plutôt de paranoïa sociale. Le jeu porte bien son nom, c'est l'œuvre du diable. Quel autre jeu que Evil Game pourrait vous transformer en une toute autre personne ? J'ai toujours cette impression que je suis suivie, qu'on m'observe. Je ne me sens jamais tranquille. Dès que je passe le pas de ma porte, une bouffée d'angoisse me traverse le corps et je dois compter chaque pas que je fais. Mes ongles se plongent dans les paumes de mes mains et mes dents triturent mes lèvres. Mes yeux se posent partout, je me sens en danger, comme si à tout moment ils allaient apparaître pour m'enlever ou me tuer. J'ai peur, si peur.
Mais, au fond de moi, reste une infime partie de la Lily que j'étais autrefois. Je suis plus forte que ça. Malgré la peur et l'angoisse, je sors de chez moi et j'affronte le monde et sa vérité. C'est moi qui me suis embarquée là-dedans, alors c'est moi seule qui m'en sortirais. Je ne dois pas baisser les bras maintenant, c'est la dernière ligne droite.
Demain sera le jour fatidique, celui où je devrais leur annoncer ma dernière hypothèse. Je devrais attendre leur réponse, le cœur battant à la chamade. Ils ont ma vie entre leurs mains. Mais ce n'est pas pour autant que je vais me jeter dans la gueule du loup sans réfléchir. Il me faut un plan pour préparer ma fuite, me défendre. Il faut que je sorte vivante de cette soirée et qu'importe ce qu'il en coûte, je suis prête à tout.
Je rentre à mon appartement, les mains gelées. L'hiver est rude ici. Je voudrais me mettre sous ma couette et ne plus jamais en ressortir. Je voudrais repartir de zéro, tout recommencer. Mais c'est trop tard, je dois arrêter de me plaindre et me battre.
Je m'assois sur ma chaise de bureau, carnet et crayon à la main, j'écris ce qui me vient. Tous les indices que j'ai récolté jusqu'ici. Je relis tous les messages envoyés et reçus, essayant de décrypter la moindre petite phrase. Rien, rien, rien.
- RIEN, je finis par hurler à plein poumon, jetant mes affaires de bureau au sol.
Une petite chose brillante attire mon regard. J'écarquille doucement les yeux. Mon cœur s'accélère. Je l'attrape de mes frêles mains.
Oui, c'est la seule solution.
***
Il est l'heure. Je suis prête, maquillée et habillée. Un chauffeur m'attend en bas, j'attrape mon sac et mon masque. Je le regarde, souriante. Je suis ravie de l'avoir trouvé, ça n'a pas été facile. Le blanc est si élégant et resplendissant, les perles, les plumes et les éclats des bijoux posés dessus y ajoutent un charme luxueux. Au moins, la seule chose sur laquelle je peux être confiante ce soir, c'est mon charme.
Le chauffeur démarre, je pose mon coude sur le rebord de la portière, mon visage tourné vers la vitre. J'ai le cœur qui bat à mille à l'heure. J'oscille entre adrénaline et peur viscérale.
Surtout, je dois garder la tête froide, ne rien laisser transparaître. Qui sait, peut-être même qu'ils ne me reconnaîtront pas. Après tout, ils ne m'ont presque jamais vu. Je dois me servir de cet avantage, autant qu'ils se servent eux dès leurs. Puisque je ne serai pas la seule invitée je vais pouvoir récolter des informations pour enfin les démasquer. Après ça, le cauchemar sera enfin fini et je pourrais retrouver ma vie d'avant. Certes monotone, mais sans risque vital.
Le taxi termine sa course devant une immense grille. Au loin, j'aperçois un sublime manoir. Comme je le pensais, ils n'ont pas pris ça à la légère. Une sorte de garde demande mon carnet d'invitation. Je lui montre et il ouvre alors grand les portes pour que nous puissions passer. Le chauffeur de taxi se retourne vers moi tout en continuant de s'approcher lentement du manoir.
- C'est à une sacrée fête que vous allez ma p'tite dame.
Je ne le contredis pas. Plus le manoir se rapproche et plus j'en vois la beauté qui s'en dégage. C'est à la fois luxueux mais élégant, comme ces manoirs que l'on peut voir en France, ceux qui datent de l'époque des rois. La voiture s'arrête. Autour de nous, des Ferraris, Cabriolets, Porsche, Aston Martin, limousines et j'en passe. Je comprends très vite à quelle catégorie sociale appartiennent les invités. Je ne fais pas partie de ce monde, mais pour le temps d'une soirée je vais l'être. Evil Game serait la création d'un ou plusieurs hommes fortunés ? A vrai dire, cela ne m'étonnerait pas. Les riches trouvent toujours des manières encore plus extraverties qu'avant pour se divertir.
- Je ne fais pas le poids, se met alors à rire mon conducteur.
- Ce n'est rien. Tenez, je lui tends plusieurs billets de dollars.
Je le remercie pour la course et descends de la voiture. Je me sens tout de suite observée, les gens se retournent sur moi pour me dévisager. A vrai dire, je descends d'un joli taxi jaune, et les autres, de voitures de luxe. Mais cela ne m'effraie pas, ce n'est pas de ce genre de regard dont j'ai peur.
Je monte les quelques marches décorées d'un tapis rouge princier qui mènent à l'entrée. Deux serveurs gardent l'entrée, habillés eux aussi de masques. Celui de gauche se rapproche de moi.
- Bienvenue Madame, puis-je voir votre invitation ?
Je la lui tends, il y jette un coup d'œil un bref instant et m'invite ensuite à rentrer.
- Les 3 maîtres vous souhaitent de passer une agréable soirée.
Un frisson d'horreur me parcourt. Je me demande si tout le monde a le droit à un tel accueil. J'entre à l'intérieur, mes yeux s'écarquillent au fil de mes pas. Le brouhaha et les violons joués par des musiciens assourdissent les battements de mon cœur. C'est magnifique, le hall d'entrée est décoré et embelli de sorte qu'il nous donne des étoiles dans les yeux. Je m'avance pour entrer dans la salle de bal. Plusieurs serveurs sont éparpillés au quatre coins de la pièce, plateau à la main avec coupes de champagne et petits fours. Les musiciens jouent de plusieurs instruments dont du violon et du piano. Il y a beaucoup de monde, la plupart dansent pendant que d'autres discutent entre eux. Je ne connais personne alors il est difficile d'entamer une discussion, bien que j'en rêve. Je dois découvrir si les autres invités ont connaissance d'Evil Game ou si je suis la seule.
Soudain, les lumières s'éteignent, ne restent que quelques flammes de bougies près des serveurs et de la scène principale qui éclairent la pièce. Au milieu de la salle, une lumière s'allume pour se concentrer sur trois hommes masqués. Il me faut peu de temps pour comprendre qui ils sont. Un ensemble jaune, un autre rouge, et le dernier noir. Je plante mes ongles dans les paumes de mes mains. Surtout, je ne dois pas perdre mon sang froid.
Alors comme ça, ils sont bien trois... moi qui pensais qu'ils étaient la même personne. Au moins, ça m'aide un peu pour ma dernière hypothèse.
- Bienvenue à tous mes amis ! Commence Jaune Electrique.
- Nous sommes ravis de vous avoir ici avec nous, continue Noir Ténèbre.
Un tonnerre d'applaudissements retentit, j'entends même des sifflements. D'ici, je peux apercevoir leurs sourires, surtout le sien.
- Amusez vous bien, finit Rouge Sensuel en se tournant dans ma direction.
Un frisson me parcourt et la salle retombe dans le noir complet pour quelques secondes pour ensuite se rallumer complètement. La musique reprend et tout le monde va à ses occupations pendant que je reste figée sur place. Mon environnement devient flou, et ma respiration s'accélère. Je pourrais presque sentir mon sang traverser tous les vaisseaux sanguins de mon corps tellement je suis en alerte. Soudain, une main se pose sur mon épaule nue. Je me retourne à la vitesse de l'éclair tout en reculant par réflexe.
- Enchanté, vous-ai-je fait peur ?
Heureusement, ce n'est pas l'un deux, je pousse un soupir de soulagement. Néanmoins, je ne dois faire confiance à personne, qui sait ce qu'ils ont prévu. C'est un homme d'une certaine carrure, il est élégant et ses yeux hazel lui donnent un certain charme. Son masque est d'un noir luxueux et les traits dessinés dessus y sont très délicats.
- Puis-je vous inviter à danser ?
J'accepte en lui tendant ma main sur laquelle il pose un furtif baiser. Il prend délicatement ma main et m'amène vers le centre de la salle au milieu de tous les autres invités dansant déjà. Une de ses mains se pose sur ma taille tandis que l'autre tient ma main gauche, nous nous engageons alors dans une valse.
- Puis-je connaître votre nom si vous me le permettez ?
C'est vrai, j'ai oublié qu'il s'agissait d'un bal masqué.
- Bien sûr, je m'appelle Lily. Et vous ?
- Eden, pour vous servir.
- C'est un très joli nom, Eden. Puis-je vous poser une question ?
- Bien évidemment, allez y.
Pendant que nous dansons toujours au milieu des autres, j'hésite un instant à lui faire part de ma question. Mais, qui ne tente rien, n'a rien.
- Connaissez-vous un jeu du nom de Evil Game ?
Ses yeux me regardent intensément, comme s'il voulait déceler quelque chose en moi. Il fronce légèrement ses sourcils.
- Non, ça ne me dit rien. De quoi s'agit-il ?
- Simplement un jeu auquel je me suis inscrite, c'est via ce dernier que j'ai été invité ici.
Soudain, son regard s'éclaircit.
- Oh, je vois, rit-il. Vous parlez de Eros, Erèbe et Ether ?
- Pardon ?
C'est à mon tour de froncer les sourcils. Je ne comprends rien, pourquoi me parle-t-il maintenant de mythologie grecque ?
- Hé bien, oui, les maîtres de cérémonie, répond-il simplement.
- Vous dites qu'ils se font appeler Eros, Erèbe et Ether ?
- Oui, c'est cela même.
Il me montre d'un signe de tête Noir Ténèbre.
- Lui, c'est Erèbe, les ténèbres. L'homme en rouge que vous voyez là-bas c'est Éros, l'amour. Et enfin, celui en jaune, il s'agit d'Ether, la lumière.
C'est à n'y rien comprendre. Il semble ne pas connaître du tout Evil Game et en plus de ça j'apprends maintenant que les 3 maîtres du jeu utilisent d'autres pseudonymes.
- Je vois, et comment les connaissez-vous ?
- Oh, c'est simple, nous nous sommes rencontrés, commence-t-il avant de se faire couper la parole.
Quelqu'un pose sa main sur son épaule droite, arrêtant alors en même temps notre danse.
- Bonsoir, Eden, émet une voix grave.
Ce dernier se fige un instant avant de comprendre qui il a devant lui. Puis, il baisse soudain sa tête, par respect.
- Bonsoir, Erebe.
C'est à mon tour de me figer. Je le fixe de haut en bas. Il est très grand, encore plus que Eden. Son costume fait en soie est d'une élégance à couper le souffle. Il ne porte ni cravate ni nœud de papillon. Au contraire, il a laissé un bout de son torse à découvert, ce qui lui donne un charme dangereux. Son masque est encore plus impressionnant. Je ne sais pas combien il a dû coûter, mais sûrement très cher. Il est entirèrement noir, et pour lui donner de l'éclat ont été posés des sorte de stras qui font penser à des étoiles faites de diamants. Ses yeux sont d'un noir profond, presque sans âme, comme si les ténèbres y vivaient.
Eden s'en va sans dire un mot. Je me retrouve alors, seule, devant Noir Ténèbre, le coeur battant à la chamade. Je ne peux pas dire que je n'ai pas peur à ce moment précis, mais je résiste tout de même à l'envie de fuir. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il m'a planté une seringue. Alors, il faut dire que je n'ai pas vraiment une entière confiance en lui.
- Tu m'accordes cette danse ? Tu es ravissante ce soir.
Sa voix est encore plus attirante qu'avant. J'hésite.
- Tu n'as rien à craindre, nous sommes au beau milieu d'une centaine de personnes. Même si je le voulais, je ne pourrais pas te faire de mal.
Pas très rassurant. Je finis par accepter, sentant que je n'ai de toute façon pas vraiment le choix. Je dois lui poser certaines questions qui restent en suspens depuis bien trop longtemps.
- Alors comme ça, tu ne t'appelles pas Noire Ténèbre mais Erèbe ?
Je crois apercevoir un léger sourire le temps d'une seconde.
- Ni l'un, ni l'autre. Je suis tout le monde et personne. Je prends le prénom qui me plait. Et c'est pareil pour les deux autres.
- Est ce que les autres invités savent que vous avez un jeu du nom de Evil Game ?
- Non.
Je le savais. Alors je suis bien la seule en ce moment-même à jouer à ce maudit jeu. Personne ne pourra m'aider.
- Qui êtes-vous pour eux ?
- De simples amis.
Il s'arrête soudain de danser et approche sa bouche de mon oreille droite pour y venir souffler ces mots :
- Pourquoi tant de questions, Lily ?
Il se fout de moi ?
- Peut-être pour essayer de me sortir vivante de cette soirée ?
Etrangement, il ne répond pas. Il me reprend par la taille et nous continuons alors de danser. Il passe une main dans mes cheveux, je n'évite pas son geste, bien qu'il reste perturbant.
- J'ai une autre question, lui dis-je alors.
- Vas-y, je t'en prie.
- Pourquoi m'as-tu aidé lorsque je cherchais des indices à l'asile psychiatrique ?
Il plaque soudain sa main sur ma bouche, mes yeux s'écarquillent et je le regarde avec détresse alors que lui a le regard fuyant.
- Chut, ne dis pas ça. Les autres ne sont pas au courant.
- Mais pourquoi prendre un tel risque ?! Qu'est ce que ça t'a rapporté ? Haussé-je le ton.
- J'ai mes raisons, tout simplement.
Je vois, que ce soit virtuellement ou en vrai, il n'est pas bien bavard.
- D'accord. Alors, dit-moi juste pourquoi il y a un dossier à mon nom dans ce centre abandonné ? Je suis certaine de ne jamais y avoir mis les pieds ! Est ce encore un coup de votre part pour me rendre folle ?
Son regard se plante dans le mien. Il me fixe sans sourciller, cherchant sans doute à me scanner. J'ai l'espoir qu'il me réponde sincèrement, mais il n'en fait rien.
- Ça, je ne peux pas te le dire.
Il fallait s'en douter. Soudain, il arrête de danser. Il regarde autour de lui, comme si quelque chose l'effrayait.
- Je dois te laisser Lily, passe une bonne soirée. Fais attention.
- Mais...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase qu'il s'est déjà mêlé à la foule. Je soupire, ça ne m'a pas du tout avancé. Il avait un comportement assez étrange, comme s'il se sentait observé. Je me demande de qui il a peur. Rouge Sensuel ? Je finirais bien par le découvrir. Sentant mon ventre gargouiller, je pars vers le buffet. Quelques amuses gueules plus tard, je décide de prendre l'air sur le balcon. Je n'ai pas encore croisé les deux autres. Et c'est sans doute mieux comme ça. Finalement, je vais peut-être pouvoir repartir vivante d'ici. Arrivée sur le balcon, j'apprécie le léger vent qui me chatouille le visage. D'ici, j'ai une vue splendide sur le jardin, entre rosiers, hortensias, anémones et j'en passe. C'est magnifique, le jardinier fait un très beau travail. Il y a beaucoup d'arbres que j'arrive à reconnaître, comme la glycine ou les cerisiers japonais. J'apprécie ce moment solitaire pour souffler un peu, hors de la foule. D'un furtif coup d'œil je regarde l'heure sur mon téléphone, il ne me reste plus que quelques heures avant de devoir leur donner ma dernière hypothèse. Je bois cul sec le verre de champagne que j'avais à la main pour le poser à côté de moi sur le muret qui me sépare du vide.
- Vous n'avez pas peur de le faire tomber ?
Je ne réagis même pas à la voix grave qui m'adresse la parole. Je continue de fixer ce magnifique jardin malgré le froid d'hiver. Qui qu'il soit, il ferait bien de s'en aller, je n'ai pas envie de discuter.
- Ce n'est pas très gentil de ne pas répondre, Lily, ajoute alors la voix inconnue mais cette fois-ci d'une manière plus joueuse.
Paniquée, je me retourne vers la voix. Dans son costume entièrement jaune, il m'offre un sourire narquois. Il tient un verre de champagne à la main qu'il boit lui aussi cul sec avant de soudainement le jeter par terre. Un serveur se précipite alors sur nous pour ramasser les morceaux de verre, mais il le stoppe de sa main gauche. Il se baisse alors pour en prendre un morceau, tout en me regardant droit dans les yeux. Un frisson d'horreur me parcourt, que compte-t-il faire avec ça ?! De sa main droite, il porte le morceau à sa main gauche pour se couper la paume de main et faire ressortir quelques gouttes de sang qu'il porte à sa bouche.
- C'est bien meilleur que du champagne, s'esclaffe-t-il d'un rire complètement fou.
Il est dérangé, cinglé, malade, et j'en passe.
- Tu n'en veux pas ? Je suis certain que ça te plairait, me propose-t-il en s'approchant.
Je recule, effrayée et lui hurle dessus.
- Ne t'approche pas de moi !
Il s'arrête aussitôt et ses lèvres qui formaient alors un sourire prennent son contraire. Toute sa joie semble avoir disparue pour être remplacée par une sorte d'état morose.
- Doucement, je blaguais simplement, proteste-t-il.
- C'est tout sauf drôle, tu me fais peur.
Il s'appuie sur le balcon et soupire. En fait, plus je l'observe et plus je vois à travers son comportement celui d'un enfant qui n'aurait pas les notions de ce qui est mal ou bien. Son comportement est tellement opposé à celui de Noir Ténèbre ou même de Rouge Sensuel. Je m'appuie à mon tour sur le balcon mais prends bien soin tout de même de donner mon verre vide au serveur qui finit par nettoyer le bazar qu'a mis "Ether". Je n'oublie pas la politesse en le remerciant pour son travail et il finit par s'éloigner.
Cette fois, je peux observer de plus près Jaune Electrique. Tout comme son surnom, son costume est tel que le soleil pourrait en être jaloux. Il porte avec lui une cravate d'un simple noir qui lui ajoute un certain charme. Je me demande comment j'ai fait pour ne pas le voir arriver. Son masque est d'un blanc immaculé mais orné de bijoux noirs. Sa carrure est cependant moins impressionnante que Noire Ténèbre. Il donne plutôt l'impression d'un jeune adulte qui continuerait encore de grandir. Il semble s'apercevoir que je l'observe car il tourne son regard vers moi. Ses yeux sont marron fauve, je peux presque apercevoir une sorte d'étincelle pétiller dans ses derniers. Est-ce sa folie qui pétille dans son regard ? Moi aussi j'aimerais être autant sans-gêne. Je me demande ce que ça fait.
- Pourquoi réfléchis-tu autant ? Me demande-t-il soudainement.
- Quoi ? Qui te dis que je réfléchis ?
- Je le vois sur ton visage.
- Qu'est ce que tu racontes, j'ai mon masque, tu ne vois même pas mon visage.
Il se retourne soudainement vers le jardin, pour ensuite regarder vers le ciel. Il ferme les yeux un instant. Je jurerai presque qu'un sourire se dessine sur ses lèvres. Il se retourne à nouveau vers moi.
- Je le sens, c'est tout, me sourit-il à pleine dents.
Décidément, cet homme m'inspire tout, sauf de la confiance. Je n'arrive pas à deviner ses dessins, ni même ses futures paroles, il est tout simplement imprévisible.
- Que fais-tu dehors ? Tu fuis la foule ? Me demande t-il.
- Pas vraiment, je prenais juste l'air. J'ai croisé Noir Ténèbre.
Son regard s'assombrit lorsque j'évoque le prénom de celui qui ne semble visiblement pas être son ami. Peut-être que je ferai bien de continuer sur cette lancée, sa colère le fera sans doute parler.
- Je vois que tu n'aimes pas parler de lui. Pourquoi ? Est-ce pareil avec Rouge Sensuel ?
Un long silence s'ensuit, il se contente de fixer devant lui, comme si il n'y avait plus personne autour de lui. J'ai l'impression qu'il peut faire ou dire une chose complètement folle à tout moment. Après ce qui me semble être de trop longues secondes, il pousse un soupir.
- Ça a toujours été comme ça entre nous. On se déteste, c'est comme ça, c'est naturel.
C'est l'occasion ou jamais.
- Est-ce qu'il s'est passé quelque chose en particulier ? Un grave événement ? Un décès peut-être ?
- Lily... je ne sais pas si je peux te raconter ça.
- Je t'en prie, aide moi.
Il pousse à nouveau un long soupir tandis que je prie intérieurement qu'il accepte de me raconter ce qu'il s'est passé entre eux. Si je peux en apprendre plus sur ces trois là, alors je pourrais certainement gagner ce jeu. Tous mes espoirs reposent sur lui.
- Puisque tu y tiens tant, je vais te le dire. Ce sont mes frères jumeaux, et tous les 3, nous avons tué notre famille, un par un, dans la nuit, doucement, lentement. Nous nous détestons car nous avons fait le serment de ne pas tuer l'un l'autre alors que nous en rêvons. Encore aujourd'hui je le désire.
Cette affreuse révélation provoque un choc dans tout mon corps. Mes jambes et mes mains se mettent à trembler tandis que ma tête vacille, comme si mon esprit allait quitter mon corps d'un instant à l'autre. J'ai l'impression que mon monde s'écroule. Soudain, un rire.
- Ahah ! si tu voyais ta tête Lily, c'est à tomber par terre ! Dit-il en se tenant le ventre.
Je m'effondre par terre, une main toujours sur la rambarde, comme si je me raccrochais à la vie. Un sentiment de désolation me traverse.Tout n'est qu'une blague pour lui, que ce soit ce jeu ou même ma vie. Je reste figée par terre, le cœur battant à la chamade, les yeux dans le vide, ne sachant plus quoi dire ni quoi faire. Jaune Electrique se baisse à ma hauteur, accroupis, il montre son cerveau du doigt.
- Ta réponse, tu la trouveras dans ta tête, Lily. C'est le seul indice que je peux te laisser.
Pas à pas, je le vois s'éloigner, rejoignant un groupe de personnes discutant dans la salle principale. Il se retourne une dernière fois pour m'adresser un sourire. Au fond de moi hurle une rage sans fin, mais mon esprit n'en peut plus. A chaque fois que j'ai un regain d'espoir, tout s'effondre, et je perds pied de plus belle. Je tombe et tout se brise autour de moi, jusqu'à ce que mon environnement devienne un miroir brisé et que je ne sois plus qu'un reflet qui disparaît lentement dans les tréfonds de l'univers.
Je suis si fatiguée de tout ça.
Je vérifie l'heure, il ne m'en reste plus qu'une petite avant d'être obligé d'émettre l'hypothèse. Je repense aux paroles de Ether : "Ta réponse, tu la trouveras dans ta tête". Que veut-il dire par là ? Depuis le départ, je connaîtrais la réponse ? Mais si c'est le cas ça fait bien longtemps que je l'aurai arrêté votre œuvre diabolique. Doucement, je me relève, heureusement ma robe n'est pas abîmée. J'essaye de reprendre un peu d'aplomb, personne n'a vu la scène et c'est mieux comme ça. Néanmoins, je ne sais plus quoi faire.
- Il me reste toujours ça, dis-je en regardant l'objet brillant que j'ai ramassé chez moi.
Je secoue ma tête, je ne dois pas l'utiliser pour le moment, ce ne sera qu'en tout dernier recours. Puisque c'est bientôt l'heure, je décide de visiter le jardin, au moins ça m'apaisera le temps de quelques minutes. Je passe par la salle de bal, il y a toujours autant de monde. Les 3 maîtres du jeu ne sont pas ici, qui sait ce qu'ils préparent encore. Je prends un dernier verre de champagne pour me donner du courage et mange quelques petits fours avant de me rendre vers la sortie pour aller au jardin. L'air glacial qui caresse doucement mes épaules me permet de sentir que je suis encore en vie. Il fait froid, mais ça fait du bien. Je longe le sentier, quelques lumières éclairent le jardin, c'est encore plus beau que vu d'en haut. J'aurai presque l'impression de me croire dans un conte de fée avec cette neige qui camoufle l'herbe. Tout en continuant ma promenade solitaire, je réfléchis à l'hypothèse que je vais pouvoir leur donner. Malheureusement, je n'en ai encore aucune idée. J'ai peur de faire le mauvais choix et que celui-ci me coûte la vie.
Soudain, une pensée me traverse momentanément l'esprit. Impossible, n'est-ce pas ? Ce ne peut pas être ça quand même. Je secoue vivement ma tête, c'est inconcevable. Ce doit être autre chose, je refuse d'y croire.
Je continue mon tour, essayant du mieux que je peux de penser à autre chose. Sur mon chemin, j'aperçois de nombreuses espèces de plantes, arbres et fleurs. Je m'approche de certaines d'entre elles. Celles-ci sont magnifique, il y en a de toutes les couleurs, et surtout, elles résistent à cet hiver glacial.
- C'est intéressant que ton regard soit attiré par ces fleurs.
Mon coeur fait un bond, si bien que j'ai l'impression que je vais faire une crise cardiaque. Je me retourne précipitamment, les mains tremblantes portées sur ma poitrine, comme un signe de défense plus inutile qu'autre chose. J'étais certaine d'avoir reconnu sa voix, c'est lui, Rouge Sensuel. Son costume est entièrement de rouge, il est grand mais surtout très élégant, une certaine aura dangereuse émet de lui. Son masque est entièrement en rouge, il semblerait que quelques rubis ou autres pierres précieuses le décorent. Tout mon être me hurle de fuir, loin, très loin, de courir à l'autre bout du monde, mais pourtant, mes jambes ne bougent pas. Tout mon corps est figé, mon cœur bat à la chamade et je suis là, pétrifiée, sans rien pouvoir faire. Face à ma réaction, il sourit. Un sourire, dont je suis certaine, pourrait en faire tomber plus d'une, mais qui, moi, me terrifie au plus haut point. Il se rapproche lentement, dans le silence, si ce n'est quelques chants d'oiseaux. Il se met à la hauteur des fleurs que je touchais il y a quelques secondes.
- Je disais donc que c'est intéressant que tu aies choisis ces fleurs.
Il se retourne vers moi.
- Sais-tu pourquoi ?
Je secoue la tête en signe de désapprobation, je n'arrive pas à parler.
- Parce qu'on surnomme les chrysanthèmes "la fleur des morts".
Un frisson d'horreur me parcourt, je suis toujours figée. Je devrais courir, mais rien n'y fait.
- Apparemment, c'est en France, après la fin de la première guerre mondiale que ce surnom a commencé à se répandre. Il fallait trouver une plante résistante pour décorer les nombreuses pierres tombales des soldats. Les chrysanthèmes peuvent supporter les basses températures, n'est-ce pas formidable ? Continue-t-il en me souriant.
Je ne réponds rien, je ne bouge pas, j'ose à peine respirer. Je tiens fermement mon sac à main, ma sortie de secours est à l'intérieur. Il se lève, il est à seulement quelques mètres de moi.
- Lily.
Sa voix est posée, calme, mais grave. Mon nom sortant de sa bouche me fait l'effet d'une condamnation à mort, je sais ce qu'il attend.
- C'est l'heure.
Je hoche doucement la tête. Il est temps d'émettre ma dernière hypothèse. Je sors mon téléphone, ouvre l'application et me met à écrire. C'est la seule solution, la seule vraie réponse. Même si je souhaite dans mon plus fort intérieur que ce ne soit pas ça, il ne peut en être autrement. Tout en appuyant sur le bouton envoyer, je lui annonce à haute voix.
- Ma dernière hypothèse est la suivante : tout ceci n'est que mon imagination, je suis en réalité malade et je suis internée dans un hôpital psychiatrique.
Le cœur battant à la chamade, je fixe du regard Rouge Sensuel, il ne dit rien, ne laisse rien transparaître. Il baisse la tête vers le sol, puis, je vois ses épaules trembler, et enfin, ce que je craignais, un rire. Un rire fou. Puis, il s'arrête net et me fixe.
- Mauvaise réponse, Lily.
Mon sang ne fait qu'un tour. Il est l'heure, ma sortie de secours. Il ne se passe que quelques secondes mais pour moi, c'est une éternité. Je n'ai plus le choix. Dans un élan de courage, j'ouvre mon sac pour prendre le ciseau entièrement en acier que j'ai ramené. Je me jette sur lui, espérant que l'effet de surprise fonctionne. Je dois viser la gorge, je dois l'anéantir, le tuer. Il le faut, c'est le seul moyen de m'en sortir. Mais, avant même que la pointe du ciseau puisse transpercer sa chair, il m'attrape le poignet d'une seule main.
- C'est dommage, tu étais une bonne joueuse. Peut-être la meilleure.
Soudain, je sens mon ventre se faire poignarder par ma propre arme, pas une, mais trois fois. Je tombe à terre, les yeux vers le ciel étoilé. Dans un stupide espoir de pouvoir survivre, je pose mes mains sur mes plaies. Un désespoir profond m'envahit. Je vois mon souffle s'échapper dans cette nuit glaciale, mes dernières respirations s'enchaînent. Lui, est toujours là, à côté, en train de regarder les chrysanthèmes. Il en cueille une et la dépose délicatement sur mes mains. J'ai envie de hurler, mais mes forces me quittent. Je me sens partir, lentement, ma vue se réduit de plus en plus et j'ai si froid. Mais je veux savoir, je veux connaître la vérité. J'arrive alors à faire une dernière requête, non sans cracher du sang par la suite.
- Dit-moi... la bonne réponse... dit-la moi.
Il s'accroupit pour se mettre plus près de mon oreille. Il me souffle quelques mots, et mes yeux s'écarquillent une dernière fois avant de les fermer pour toujours. Alors, c'était ça ? J'esquisse un sourire peiné. Puis, ma vie s'éteint sur les dernières paroles de ce monstre :
- Ce fut un plaisir, Lily Rave. Merci d'avoir joué à Evil Game.
***
Et voilà... le glas a sonné pour Lily. Il reste un tout dernier chapitre avant la fin de ce livre : l'épilogue où vous apprendrez enfin le secret qui unit les 3 maîtres du jeu !! On se retrouve dans quelques jours !
***
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top