*I
Nda: Le prénom Rayn (bizarre comme nom je sais mais je l'affectionne particulièrement, se prononce rè-inne comme 'rain' , 'pluie' en anglais)
*
— Laisse-nous sortir, Rayn! Tu peux pas nous garder ici éternellement... quatre mois qu'on est pas sortis, quatre mois!
Pour toute réponse, Rayn me jeta un regard froid puis reporta son attention sur la lame du couteau qu'il était en train d'aiguiser. Je poussai un soupir à fendre l'âme et me tournai vers ma sœur, Julia, suppliante.
— N'y pense même pas, articula-t-elle silencieusement.
Je me renfrognai définitivement et croisai les bras sur ma poitrine. Mes yeux se perdirent dans le vide et je tentai de m'endormir, ma montre indiquant vingt-deux heures passées.
Et si le cadran avait fini par se dérégler? S'il n'était pas bientôt minuit, mais le milieu de l'après-midi? Impossible de savoir. Je ne le saurai probablement pas avant... longtemps.
J'aurais pu essayer de m'enfuir, ce soir. Encore une fois. Cependant j'aurais échoué, comme lors de mes tentatives précédentes. Cet endroit paraissait sans issue.
Je ne comprenais pas comment les autres faisaient pour rester si calmes face à notre situation... ils semblaient tous s'être résignés, dès le premier soir, à la suite des évènements. À savoir, rester cloîtrés dans ce manoir sombre et triste, sans fenêtres, sans lumière du jour. Sans air pur, extérieur. Juste le même oxygène pollué que nous respirions ensemble depuis les quatre derniers mois.
Quatre mois. Ici. Un manoir perdu au milieu de nulle part, qui n'inspirait pas confiance; je le soupçonnai secrètement d'être hanté, soupçon dû aux bruits étranges que l'on entendait toutes les nuits et dont personne ne réussissait à déterminer l'origine. À la place des fenêtres, d'épais carrés de bois recouverts d'une grille rouillée de fer, pareils aux lucarnes de prison. Les portes ne ressemblaient aucunement à des portes. Il s'agissait d'énormes pavés quasiment impossibles à bouger, chaque serrure étant fermée par de grosses chaînes et un cadenas. Il valait donc mieux avoir les clés lorsque l'on prévoyait de faire une petite balade.
Tout était rouillé, tout était lugubre, dans cet endroit. Tout était poussiéreux; il n'était pas rare de croiser un rat mort sur son passage de temps à autre. La persistante odeur de pourriture qui venait s'y ajouter n'arrangeait rien. Bref, cet endroit me répugnait. Néanmoins, on ne pouvait pas dire qu'on était serrés; c'était immense, vraiment immense. Nous n'avions accès qu'à un tiers du manoir - il manquait de nombreuses clefs - ça restait immense.
Ce n'était pas pour me rassurer ni m'enchanter; je détestais avoir l'impression de me promener dans un labyrinthe chaque fois que je traversais une pièce qui aurait pu contenir trois fois le salon de mon ancienne maison. C'est pourquoi j'avais choisi la plus petite chambre que j'avais pu dénicher pour y élire domicile. Il n'y avait qu'un vieux placard, un lit en baldaquin et une petite table où la crasse continuait de s'amasser sans que personne ne s'en occupe.
Elle était sale, elle était dégueulasse; mais toute cette place l'était, alors je ne me plaignais pas.
Enfin, si, je me plaignais, je me plaignais à Rayn. Rayn, le responsable de tout. La cause de mon arrivée et de ma séquestration ici.
Il avait juste débarqué chez moi, un jour, sans rien dire, pour nous emmener, moi, mes parents et ma sœur, dans cette place. De nombreuses autres familles nous y attendaient déjà. Personne ne m'avait rien expliqué, mes parents semblaient savoir, eux. Julia aussi. Ils m'ont ordonné de ne pas faire d'histoire et de les suivre. Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait, alors, en bonne petite fille, je les avais suivis sans râler.
Je n'aurais jamais du accepter. J'aurais du me débattre, fuir. Je n'en serais pas là.
Je me sentais si seule: je n'avais pas d'amis, ma famille était distante. La cause de mon rejet était sans aucun doute le fait que je ne savais pas.
Je ne savais pas pourquoi nous nous abritions ici, ni ce que nous attendions; pourquoi il ne nous était même pas autorisé de voir la lumière du jour, d'inspirer une bouffée d'air frais. La nature me manquait, ma maison et mon lit aussi. Cette sensation d'étouffement ne me quittait pas une seconde.
Ils refusaient de répondre à mes questions, refusaient d'éclairer ma lanterne. Ils me reprochaient ma curiosité, mon désir ardent de découvrir ce qu'il pouvait bien se passer. Tout ce qu'ils savaient faire, c'était me rabâcher le même discours.
« C'est pour ton bien, tout ça. Ici, tu es en sécurité. Tu ne peux pas sortir, pas encore. Personne ne pourra nous trouver, te trouver. Dehors, tu es en danger. Tu ne dois pas fuir. Ne discute pas, Eralya: c'est pour ton bien. »
Autre chose incompréhensible, d'ailleurs - ils m'appelaient tous Eralya. J'ai vite arrêté de leur répéter à tout bout de champ que, moi, c'est Naomi. Na-o-mi. Ils ne voulaient pas l'accepter... allez savoir pourquoi. Ils étaient tous cinglés.
Le manoir n'avait pas de lumière; je supposais que c'était un vieux bâtiment du XVIIe ou XVIIIe siècle. Il y faisait toujours sombre, et notre seul éclairage provenait de la faible lueur de quelques bougies. Trois bougies par pièce, c'était la règle; et toujours avoir une lampe à pétrole sur soi lorsque l'on se déplaçait.
Je rouvris les yeux. Rayn me fixait, le regard dur, comme à son habitude. Rayn était le chef, en quelque sorte. Toutes les personnes présentes lui étaient entièrement reconnaissantes parce qu'il les avait, soi-disant, toutes sauvées. Sauvées, oui. Mais de quoi? Que se passait-il de l'autre côté de ces murs aussi solides que des remparts?
Rayn était probablement la personne dont j'étais le plus proche, après Julia. Il refusait lui aussi de répondre à mes questions, cependant je l'appréciais car il me laissait passer du temps avec lui et ne me chassait pas sur-le-champ quand je posais trop de questions. Je l'aimais bien, malgré le fait qu'il soit la cause de mon enfermement dans ce château.
Rayn était une personne extrêmement froide et dure. Il paraîssait insensible à la gratitude et aux compliments des autres qui semblaient se considérer comme « extrêmement chanceux d'avoir pu se réfugier ici » .
Son visage était toujours fermé, et ses yeux n'exprimaient rien d'autre qu'une impassibilité totale. Parfois, ses yeux bleu-gris - un mélange de couleur captivant - se plissaient et ses sourcils s'abaissaient: il était en colère. Le reste du temps, ses yeux perçants restaient vides.
Rayn, il était maître de la situation. Il donnait l'impression de savoir tout gérer, de tout avoir en main, de pouvoir tout faire. Les gens lui accordaient naturellement leur confiance, sans qu'il ait à faire quoi que ce soit pour la gagner malgré son expression hostile.
Il ne parlait pas beaucoup, à vrai dire, presque jamais. Celui qui se voyait adresser un mot de sa part pouvait repartir tout fier.
Rayn passait ses journées à affûter et polir les lames de ses innombrables couteaux. Il en possédait une bonne vingtaine, tous entreposés soigneusement dans son bureau, à l'abri. Il avait une pièce rien que pour lui, où personne n'avait le droit d'entrer et dont lui seul possédait la clef. Cette clef, pourtant, personne ne l'avait jamais vue: il devait la garder sur lui, bien dissimulée sous quelque pan de veste.
Pourquoi des couteaux? Et pour quoi faire? Par précaution, peut-être? Mais au cas où quoi? Ce bâtiment était barricadé de toutes parts. D'ailleurs, lui seul savait comment en sortir et disparaissait de temps en temps pour revenir les bras chargés de provisions.
Physiquement, c'était un garçon normal. Il devait avoir dix-neuf ans tout au plus; jeune, hein. Les cheveux noirs, et ses beaux yeux.
Je retirai une couverture râpée de mes épaules; il faisait frais, dans le manoir, cependant l'air se faisait de plus en plus tiède. Julie disait que c'est parce que l'été approchait, je ne la croyais pas étant donné qu'elle m'avait sorti la même excuse il y a deux mois.
Je me passai une main sur le visage et expirai profondément. Je me levai précipitamment et saisis une chandelle sur une armoire basse. Je parcourus rapidement la pièce du regard; considérée comme le salon, il y abritait toujours quelques personnes. En ce moment, ma sœur, Rayn, deux parents et leur petite fille de cinq ans...
Les gens ne se côtoyaient pas beaucoup, j'avais remarqué. Chaque famille avait sa pièce (j'avais de la chance, j'en avais une pour moi seule) et y restait pratiquement tout le temps. Les couloirs étaient souvent déserts et il planait sur le manoir un silence qui, au départ, m'apaisait, mais qui avait fini par devenir pesant.
Par habitude, chaque soir, je faisais un tour du manoir. Je traversai les innombrables couloirs sombres et effrayants au-dessus desquels planait un silence de mort. Parfois, quand il daignait m'adresser un regard, Rayn m'accompagnait. Nous ne parlions pas; même moi, je ne disais pas un mot, alors que j'étais considérée comme une grande bavarde. Ces couloirs étaient étranges; quand on les traversait, l'atmosphère devenait si lourde que notre gorge se nouait et que nous osions à peine respirer - comme si nous rendions hommage à quelconque esprit... c'était étrange, effrayant et fascinant à la fois. Les couloirs du silence.
Il n'y avait pas beaucoup d'enfants, au manoir. À part deux petites filles de cinq ou six ans et trois adolescents autour de la quinzaine, j'étais la mineure la plus âgée du haut de mes dix-sept ans.
Dix-sep ans, et personne ne voulait m'expliquer. Même les petits semblaient être au courant!
Je partis donc pour ma promenade du soir.
— Tu vas te coucher? Tu ferais bien de dormir, décréta Julie d'un ton ferme.
— Oui, je vais au lit, mentis-je.
Rayn leva la tête et me jeta un regard agacé. Il savait ce que j'allais faire; et il détestait que je me balade la nuit, pour je ne sais quelle raison obscure.
Je lui adressai mon plus beau sourire et tournai les talons.
Je sillonnai les couloirs sans fin de cette place, tel un soldat effectuant sa ronde quotidienne de la nuit dans un fort.
Soudain, un courant d'air chaud m'effleura le visage, me faisant tressaillir. Avant que je n'ai pu me poser de questions sur le fait qu'il n'y avait jamais de vent ici, une main s'abattit sur mon épaule. Je sursautai et lâchai un petit cri étranglé.
Je fis volte-face et reconnus Rayn avec un immense soulagement. Je fronçai les sourcils, geste signifiant « arrête de me faire des frayeurs pareilles! » et il soupira.
Puis il me prit la main et me raccompagna jusqu'à ma 'chambre'.
Je m'affalai sur mon lit. Enfin, c'était juste ce vieux lit à baldaquin avec un matelas défoncé, une couverture râpée dessus, et un coussin troué aussi plat qu'une planche de bois.
— Je faisais ma promenade du soir, comme tous les jours, finis-je par lâcher, irritée. Pourquoi tu désapprouves?
Son regard perçant me transperça aussitôt.
— Tu dois rester en sécurité. Toujours.
— Et en quoi je ne suis pas en sécurité si je me balade à l'intérieur? Tout est fermé, dans ce manoir, merde, Rayn. Que veux-tu qu'il m'arrive?
Il ne me répondit pas, évidemment. Ses yeux se firent soudain moins durs, et un air inquiet se peignit sur son visage. Il fixait à présent un point invisible sur le mur en face, visiblement soucieux.
Je préférai me taire cette fois-ci, sans trop savoir pourquoi. Pour la première fois, Rayn laissait apparaître devant moi une réelle démonstration de sentiments. Et il était tourmenté. Énormément tourmenté.
Que se passait-il au-delà de ces murs?
— Le monde extérieur est en train de tomber définitivement. Bientôt, ce sera notre tour, j'en ai bien peur... murmura-t-il soudainement.
Il avait dit cela d'une voix si basse que j'eus du mal à comprendre ses mots. Mon cœur se mit à battre frénétiquement. Peut-être était-ce le bon moment pour lui soutirer des informations?
Que voulait-il dire par « le monde extérieur est en train de tomber » ?
— Comment ça, ce sera bientôt notre tour? osai-je le questionner d'une voix douce.
Malheureusement, c'était trop tard. Le visage de mon compagnon s'était refermé et son masque de froideur avait repris sa place. Il baissa les yeux vers moi:
— Un jour, tu sauras. (il soupira) À la vitesse où vont les choses, tu sauras bien plus vite que je ne l'avais prévu. Dors.
Sur ce, il tourna les talons et disparut en refermant sans un bruit la porte derrière lui.
Je me pinçai les lèvres. Je ne comprenais rien à ce qu'il me racontait.
Encore une journée sans réponses, prisonnière de cet endroit lugubre.
*
Hello! Voici le Ier chapitre.
Qu'en pensez-vous?
Il n'y a pas encore d'action, je dirais qu'il n'y en aura pas vraiment avant les 4 prochains...
J'espère que ça vous a plu!
Passez une bonne soirée ^^
@CatWriter23
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top