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Mes malheurs ont commencé depuis ma tendre enfance. Avec deux parents violents entre eux, mon petit frère Orion et moi étions les victimes collatérales de leur relation "amour-haine".
Quand j'avais 8 ans et Orion 4, nous devions faire une sortie au Parc Astérix. Arrivés sur le parking, nos parents ont eu un désaccord et ça a viré au drame : ils ont fini au poste de police le plus proche après qu'un autre visiteur ait vu ma mère hurler après avoir reçu un coup de poing de mon père. Nous ne sommes même pas rentrés dans le parc, au final, et sur le moment, ça m'a détruit le cœur.
J'ai fini par ne plus me mêler de leurs histoires, par ne plus vouloir arranger les choses entre eux.
A chaque fois que nous étions tous les quatre dans une pièce, il fallait forcément qu'ils se lancent des piques, et j'observais juste la scène d'un regard extérieur. Au fil du temps, je m'étais habituée à mettre mon frère à l'abri avant de moi-même me cacher après avoir prit des couvertures et de la nourriture.
Mon frère représentait tout pour moi : je vivais pour lui – survivais plutôt –, je le protégeais et veillais à ce qu'il ne manque de rien. A l'époque, j'étais prête à tout pour prendre soin de lui, même à le dissimuler dans mon armoire pour qu'il ne risque rien. Il était mon seul compagnon de galère, le seul qui me comprenait vraiment.
Le jour de la rentrée de seconde, quand j'avais 15 ans, je suis arrivée en cours plus qu'optimiste à l'idée de me faire des amis, travailler dur et être bien vue par les profs. Mon sac vissé au dos, je m'avançais d'un pas léger vers les bâtiments qui allaient être en fait l'un de mes pires enfers.
En une semaine, 7 petits jours, j'ai compris qu'en fait j'étais loin d'être la bienvenue. J'ai vite retrouvé des choses dans mon sac comme des capotes usagées, des fruits pourris et des crottes de chats, sans parler de mon casier qui était rempli d'insultes écrites vite fait sur un bout de feuille, et de diverses horreurs dont le but était de me faire sentir comme une merde.
C'était réussi, et j'en ai souffert. Je ne souhaite à personne de ressentir cette douleur, celle quand tu te rends compte que personne ne t'aime dans l'endroit où tu passes tes journées, celle quand tu te sens seule face à une troupe de lycéens qui te détestent, une sorte de bloc de haine boutonneux. Le plus ironique, c'est que je me sentais limite mieux au lycée qu'à la maison, en sachant que chez moi, je n'avais aucune intimité et que je n'étais aucunement en sécurité.
Un soir, j'ai craqué et j'ai sorti une lame de rasoir du placard de la salle de bain. Mes larmes me brouillaient la vue, mais je ne comptais en aucun cas rater la veine bleue sur mon poignet. Seulement, au moment où l'objet s'apprêtait à percer ma peau, Orion a débarqué en criant de joie dans la pièce :
"Emy ! J'ai été pris pour faire l'option espagnol au collège ! s'était-il exclamé en ouvrant en grand la porte de ce qui devait être la dernière salle que je verrais.
Il avait vite remarqué mon bras droit en suspension au dessus du gauche, et avait effectué un petit pas en arrière en hochant la tête de gauche à droite :
— Emy... tu fais quoi ?
Je me souviens avoir ravalé un sanglot, et essuyé furtivement mes larmes avant de le rassurer :
— Il y avait un moustique, j'essayais de le tuer, m'expliquais-je en posant doucement la lame sur le rebord du lavabo. Bravo pour ton admission, je le savais, tu es le meilleur, Orion !
En y repensant, je suis certaine qu'il ne me croyait pas. Ou alors qu'il a deviné plus tard que non, je ne voulais pas tuer un moustique, mais bien moi. Et puis, au fond, je savais que je n'allais pas le faire. Je comptais bien vivre jusqu'à ce qu'il soit en sécurité et heureux, j'existais pour lui. J'ai eu la lâcheté de ne pas mourir, ou plutôt le courage de survivre.
Donc je suis retournée au lycée le lendemain, et tous les jours qui ont suivi, jusqu'à ce que celui-là arrive. Imaginez un dimanche parfait, sans parents, seulement avec mon frère, nous deux dans un petit parc dans la ville où nous habitions. Son téléphone à la main, Orion me parlait de ses amis au collège pendant que je cousais une petite robe pour ma poupée de porcelaine, Carole. Il reçut un message, et son visage se décomposa.
— Qu'est-ce qu'il y a ? m'étais-je inquiétée en essayant de voir ce texto qu'il tentait de me cacher en évitant mon regard.
Du haut de ses 11 ans, il avait déjà pratiquement plus de force que moi, mais je fus plus rapide et réussis à attraper son téléphone. Ce que j'y lus me brisa, et le choc me donna un vertige.
"C'est toi le frère de la salope ? Alors, toujours aussi fier de ta sœur chérie ?"
Accompagné d'une photo de moi.
Une photo de moi dans un grand lit.
Une photo de moi profondément endormie.
Une photo de moi nue, toutes les parties de mon anatomie exposées.
Un haut-le-cœur m'avait échappé, et je m'étais levée vivement sans me retourner vers mon frère. Lui n'avait rien dit, pas un mot, pas un bruit. Je le devinais encore posé dans l'herbe derrière moi, ses cheveux noirs entravant sa vue, un air bouleversé scotché au visage. Ça non plus, je ne pense pas qu'il l'a oublié.
Je me rappelle que je l'avais pris brusquement par le bras, et que nous étions rentrés en courant chez nous. Cet après-midi là, nos parents étaient calmes, ça changeait. Ma mère lisait "Orgueil et Préjugés" de Jane Austen dans la salle à manger, pendant que mon père regardait, assis sur le petit fauteuil, un match de football à la télé. Orion courut directement retrouver ses jouets dans sa chambre, pendant que je cherchais mon nécessaire à couture dans le buffet à l'entrée.
— Emily, comment se passe le lycée ? m'avait demandé mon père sans daigner jeter un simple regard vers moi.
"Mes ex prennent des photos de moi nue, je me fais constamment harceler et tout le monde n'attend que ma mort, mais ça va", pensé-je pour moi.
Au lieu de lui dire cela, j'avais juste répondu que ça allait, j'avais de bonnes notes et quelques amis – affreux mensonges, au passage. Il avait juste hoché de la tête en se reconcentrant sur le match.
Je n'ai jamais reparlé de ce jour à Orion, je redoutais plus que tout qu'il ne me voie comme une vulgaire salope.
Durant mes années lycées, je n'ai eu qu'une seule amie : Alizée.
Alizée, c'était mon petit rayon de soleil. Même quand je partais de chez moi le cœur en miettes en devant garder la face pour mon petit frère, elle me prenait directement dans ses petits bras minces pour me réconforter. Alizée était cette fille qui paraissait toujours bien, très à l'aise dans sa peau et un peu différente des autres filles du collège à cette époque : elle était toujours habillée de vêtements larges, avait des cheveux rouges coupés courts et avait toujours un trait d'eye-liner qui allongeait incroyablement son regard. Au début, je l'ai enviée. Elle semblait parfaite, elle assumait sa personnalité et son homosexualité et paraissait avoir une vie plus que parfaite. Mais en réalité, les gens vous montre ce qu'il veulent faire paraître. Un jour, elle s'est confiée à moi et a laissé un déluge de mots sortir de sa bouche, de son cœur. Ses parents l'avaient chassée de chez-elle après qu'elle ait fait son coming-out, et elle habitait depuis ses 14 ans chez sa grand-mère. Dès le début de notre amitié, quand nous étions en seconde, j'avais directement remarqué ses cicatrices qui strillaient ses bras comme des éclairs sur sa peau pale, et je m'étais demandé ce qui l'avait fait faire ça. Nous nous soutenions mutuellement, et dès que je le pouvais, je m'exilais chez elle pour reprendre un peu mon souffle entre deux engueulades de mes parents.
Elle m'a fait rencontrer ses amis, qui sont aussi les amis d'Orion au passage : la fougueuse Coco au caractère bien trempé avec qui elle sortait et son frère Liam à l'exact opposé d'elle, doux et calme. Il y avait aussi Megan, constamment sur la défensive mais qui renferme un bon fond, et lui.
La première fois que je les ai tous vus ensemble, j'étais avec Orion, un peu à l'écart des autres. Dès qu'on le pouvait, lui et moi nous échappions de la maison pour aller en ville, mais nous ne voyions que très peu de monde.
Ils étaient assis tous les cinq sur un banc, et rigolaient à gorge déployée. Alizée, qui était parmi eux, m'a vue et d'un signe de la main m'a invitée à les rejoindre, mais j'ai hésité. Je me demandais "Et si eux aussi ont vu les photos ? Et si eux aussi pensent ça de moi ?", mais Orion a coupé court à mes questionnements et m'a tirée en avant en courant vers eux.
Orion à 14 ans, c'était quelque chose, il commençait à trouver son caractère et son style, et je le soutenais complètement. Il ne portait que des vêtements noirs avec des chaînes de part-et-d'autre des tissus, et des T-shirts de groupes de rock dont je ne connaissais à peine le nom. Il lui arrivait aussi de mettre des chemises, mais c'était beaucoup plus rare. Ses cheveux aussi noirs que le jais poussaient autour de son visage, et au fil du temps, son visage s'amincissait. C'était indéniable, il était très beau, grand nombre de filles voulaient sortir avec lui, mais il n'avait d'yeux que pour Megan, je l'ai constaté très vite.
On a fini par s'intégrer dans leur groupe, et notre amitié a duré de nombreuses années. Nous étions tous différents mais au fond, chacun avait une douleur qui le faisait flancher par moment. Coco a été la première à nous l'avouer. Elle recevait au lycée un harcèlement semblable au mien, mais elle, elle ne se laissait pas faire. En parcourant les couloirs de l'établissement, ce n'était pas rare de la voir sur le point de se battre avec un mec qui avait émit une remarque déplacée. Au bout d'un moment, elle s'est mise à sourire de moins en moins, puis plus du tout. Sa psychologue l'avait diagnostiquée comme dépressive, mais malgré cela, elle tentait de toujours rester positive, car contrairement à sa joie de vivre, son caractère ardent n'était pas parti.
On l'a soutenue comme on pouvait, moi en lui proposant une épaule sur laquelle pleurer, Orion en lui partageant de belles musiques, Liam en lui racontant des blagues pourries, Megan en lui faisant les mêmes tresses que celles qu'elle arbore et lui, il lui écrivait des histoires pour la faire rêver.
Lui, Ethan, était le meilleur ami de mon frère. Je l'ai vite remarqué, il ne passe pas inaperçu car honnêtement, il est magnifique : ses cheveux blonds soyeux ne demandaient qu'à être touchés, et quand il me regardait de ses grands yeux bleus, j'avais l'impression qu'il lisait dans mon âme. Il a été le premier – en dehors de mon frère – à me dire que j'étais belle, il a été le premier – en dehors de mon frère – à qui j'ai dit "je t'aime".
Au début, nous nous tournions juste autour, un petit flirt, quelques coups d'œils et des phrases bien placées. Ensuite, ça a été des gestes, des caresses discrètes, je pense que nous aimions cette sensation d'interdit que nous ressentions en cachant notre alchimie au groupe. Mais mon frère l'a remarqué, et m'a prévenu :
— Emy écoute, je sais pas à quoi tu joues avec Ethan, mais fous pas la merde dans le groupe, je sens que ça va mal finir.
Je ne l'ai pas écouté. Je regrette.
Le soir même, j'ai ramené Ethan dans mon lit. Il avait l'air maladroit, ses mains tremblaient et l'empêchaient de déboutonner sa chemise correctement. Alors, après m'être levée doucement du lit, je l'avais aidé à se déshabiller avant de déposer un petit baiser, léger comme un papillon, sur ses lèvres charnues.
Ethan, le grand pote de mon frère, que j'avais désiré depuis le premier jour.
Ethan, le grand pote de mon frère, que j'embrassais tendrement.
Ethan, le grand pote de mon frère, dont la beauté m'éblouissait.
Était-ce de l'amour, pour moi ?
Non.
Plutôt du désir, du manque, et même la sensation d'avoir gagné un défi avec moi-même en séduisant ce gars tant convoité, au lycée, qui s'était offert à moi.
Je sentais dans son regard et dans ses gestes que pour lui, ce n'était pas qu'une nuit passionnelle. Il m'aimait sûrement déjà à ce moment-là, je suppose.
Nos corps mélangés bougeaient, coordonnés, sur ce lit devenu enchevêtrement de draps et de vêtements. Son regard bleu océan plongés dans mes yeux brun noisette, il n'y avait que nous deux.
Ethan et Emy.
Emy et Ethan.
Quand nous eûmes fini, je me rappelle qu'il avait longuement caressé mes longs cheveux châtains en me murmurant des paroles dont je ne me souvenais plus le lendemain. Des paroles qui n'avaient aucun sens pour moi, que je ne comprenais pas, car j'étais exténuée, mais ce n'était pas grave : le simple fait d'entendre sa voix grave m'avait rassurée, et j'étais presque aussitôt tombée dans les bras de Morphée.
BY MILAGO
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