Quatre ✓

Ils rentrèrent dans la nuit, lorsque toutes leurs larmes eurent fini de couler sur leurs joues. Le regard las, l'un dans les bras de l'autre, ils avancèrent jusqu'à la porte noire, et frappèrent trois coups, puis un quatrième, avant de se laisser glisser jusqu'au sol.

La porte s'ouvrit, et Mia ne leur dit mot. Elle les laissa entrer dans la petite maison, et comme des spectres, ils se dirigèrent vers la salle commune tandis que la petite fille retournait dans sa chambre.

Allison fermait la porte du salon quand soudainement, le petit téléviseur à hologramme qui prenait la poussière sur une étagère s'alluma.

C'était bien la seule technologie présente dans leur maison, et ce, parce qu'elle était obligatoire. Les dirigeants d'Utopia diffusaient régulièrement des informations à toutes heures du jour et de la nuit, parfois sans raison valable ; simplement, il était obligatoire de les regarder.

- Bonjour à tous, bonjour à toutes, annonça l'homme à l'écran. Je viens vous informer aujourd'hui que suite à la découverte d'un cadavre dans le sas de décontamination, les habitants du quartier de Pierre d'Utopia travaillant dans l'usine à oxygène ne pourront pas se rendre sur leur lieu de travail demain. Une enquête est en cours.

Allison lança un regard interrogatif à Klaus, mais il ne répondit pas, gardant le regard fixé sur l'homme à la télévision.

- Profitez bien de cette journée de congé ! Non payée, cela va de soi.

Et l'homme disparu aussi vite qu'il était arrivé.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Demanda Allison à Klaus.

- Ça veut dire que l'on va perdre une journée de salaire.

- Je l'avais compris. Non, je te demande plutôt, comment se fait-il qu'il y ai eu un mort dans le sas ? Votre travail n'est pas sensé être totalement sûr ?

- Je le pensais aussi... J'irais demander aux gars demain. Quelqu'un est forcément au courant.

Allison acquiesça.

- Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'on va faire de ma mère ?

Klaus posa sur son amie un regard triste.

- Je ne travaille pas demain, visiblement. J'irais porter son corps à la morgue.

- Autrefois, les gens enterraient leurs morts. Ou alors, ils les brûlaient. Mais dans tout les cas, ils faisaient une célébration en leur honneur. Que fait-on, nous, pour nos morts ? On les pleure quelques minutes puis on les balance dans une fosse en dehors du dôme. Tu parles d'un hommage.

- Va dormir, Allison.

L'adolescente soupira, se leva, embrassa son ami sur la joue et sortit de la pièce. Klaus la regarda partir avant de se déshabiller et de s'allonger sur le canapé, déposant sur lui une fine couverture. Après un long moment de réflexion, il ferma les yeux. De sombres pensées l'envahirent et comme tout les soirs, il les chassa de son esprit et s'endormit.

Il fut réveillé aux aurores par l'affreux son du réveil, et se leva du canapé en pestant. Allison entra à cet instant et le salua d'un geste de la main, avant de se diriger vers la cuisine pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent.

Elle ouvrit les placards un à un, soupirant à chaque fois qu'ils étaient vides. Seul le dernier comportait le pain de la veille, et elle attrapa le beurre fraîchement rapporté dans le réfrigérateur.

Alors qu'elle mangeait sa tartine avec voracité, Mia pénétra dans la pièce. Klaus lui envoya un bref sourire auquel elle répondit, même si elle semblait encore vivement traumatisée par les évènements de la veille.

- Je suis en retard, annonça Allison en se levant de sa chaise. Mia, tu vas rester avec Klaus aujourd'hui, il ne travaille pas.

La petite fille acquiesça et alla se préparer une tartine. Au moment où elle sortait, Klaus attrapa son amie par le bras et la tira vers lui pour lui chuchoter :

- Allison, je dois aller demander aux gars si ils savent quoique ce soit à propos du sas. Je ne peux pas emmener Mia.

- Ça ne te prendra pas longtemps, Klaus. Je veux juste que tu restes un maximum avec elle aujourd'hui.

Le garçon hoche faiblement la tête. Allison lui sourit et elle disparaît dans le couloir.

Elle se change, enfile sa grande combinaison noire et rabat la capuche sur sa tête, comme à son habitude. Ce morceau de tissu sensé la protéger de la pluie était inutile là où elle vivait, mais le fait d'avoir son visage protégé de la vue de n'importe qui la rassurait. Elle lança un bref au-revoir lorsqu'elle passa devant le salon et sortit de sa maison, le souffle immédiatement coupé par le froid extérieur.

Elle avança de son habituel pas las, la tête baissée. Quelques boucles rebelles glissaient de sa capuche à cet instant, mais elle n'y prêta pas attention. Les pavés sales, recouverts d'une substance noirâtre qu'elle ne saurait définir, se succèdèrent sous ses pas. Elle leva la tête, observant la marée humaine se tenant devant elle. Une fois encore, ils étaient tous comme elle. Vides, sombres, tous déjà morts, il n'y avait rien qui les raccrochait encore à leur terrible existence.

Elle prit part à cette marche des morts, les mains dans les poches. Sa destination apparrut enfin devant ses yeux, et elle s'éloigna de la foule qui poursuivit son chemin. L'usine dans laquelle elle travaillait rejetait une affreuse fumée noire qui s'en allait en dehors du dôme mais certaines particules restaient près du sol et rendait donc l'air presque irrespirable.

Mais elle oubliait ; tout le monde oubliait. Respirer cet air toxique leur permettait à tous de nourrir les personnes qui leur étaient chères, et Allison n'échappait pas à cette règle. Alors elle travaillait, sans relâche, sans se préoccuper des heures qui passaient lentement, jusqu'à ce qu'une sonnerie annonce la pause de vingt minutes à laquelle ils avaient tous droit, avant de repartir travailler pour encore plusieurs heures.

Elle sortit presque en courant, comme si elle se rendait enfin compte qu'elle ne pouvait passer une minute de plus dans cet enfer.

Elle vit Klaus, assit sur un muret, qui l'attendait, et son coeur bondit dans sa poitrine.

- Tu es venu ! Lui cria-t-elle en arrivant vers lui.

- Oui, pardon, je ne suis pas resté avec Mia. Mais il fallait que je te vois...

- C'est rien. Je suis contente que tu sois venu, avoua-t-elle.

- Il s'est passé quelque chose ? Demanda Klaus, inquiet.

Elle secoua la tête.

- Rien. Je pense que je n'en peux juste plus de ce travail. Cette vie me tue à petit feu, Klaus...

Le jeune homme l'entoura de ses bras et l'attira contre son torse.

- Je ne laisserai pas cela t'arriver. Un jour on s'en sortira. Ce n'est qu'une question de temps...

Allison ne répondit pas. Du temps, ils en avaient peu avant qu'ils ne baissent totalement les bras.

- Le type qui est mort dans le sas. C'était Tommen, reprit Klaus.

- Oh, Klaus, je suis tellement désolée... C'était ton ami, n'est-ce pas...?

- Ça l'était, oui. Mais je ne sais pas... Il y a quelque chose qui me perturbe. Les gars ont l'air d'être au courant de quelque chose qu'ils ne veulent pas me dire... Je veux éclaircir ça.

- Fais attention à toi, d'accord ?

- Pas de problème, jolie demoiselle, répondit-il en passant son index sur la joue d'Allison. D'ailleurs, je t'ai apporté à manger.

Il lui tendit une petite boîte et sourit. Elle l'ouvrit, et constata avec bonheur les petits gâteaux secs à l'intérieur.

- Merci mille fois, Klaus.

Le garçon hocha la tête et s'en alla avec un sourire. Allison resta seule, un biscuit dans la bouche, à mâcher en fixant un point devant elle. Ses pensées n'étaient fixées ni sur le goût de sa nourriture, ni sur le paysage devant elle et encore moins sur le brouhaha qui frappait dans ses oreilles mais sur son futur. Sur ses rêves.

La sonnerie retentit, la rappelant à la réalité. Lui faisant bien comprendre que ses rêves n'étaient que rêves, et qu'elle devait encore et toujours souffrir. Elle plaça la petite boîte de gâteaux dans sa poche et descendit du muret. Suivant les autres, elle se remit à sa tâche avec peu d'ardeur, ses doigts s'agitant sans contrôle sur les pièces mécaniques.

Après plusieurs heures elle sortit, et sans un regard pour le monde extérieur, elle rentra chez elle le plus vite possible, voulant à tout pris trouver refuge dans sa seule et unique zone de confort.

Elle arriva devant la porte, presque essoufflée, les jambes tremblantes, et frappa ce que Mia appelait "le code d'entrée."

La porte s'ouvrit et sa petite sœur la tira à l'intérieur, avant de disparaitre dans la cuisine, et de revenir quelques secondes plus tard avec un verre d'eau.

Allison bût goulûment, avant de relever la tête, cherchant Klaus dans les alentours.

- Klaus n'est pas là ? Demanda-t-elle.

- Il n'est pas encore rentré, répondit nonchalamment Mia.

- Pas encore rentré ? Mais à quelle heure est-il parti ?

- Il y a quatre heures environ.

Allison écarquilla les yeux. Ce n'était pas dans les habitudes de son ami de disparaitre de cette manière. Il avait dû arriver quelque chose.

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