7 : DYLAN + MAUVAIS CHOIX = GUEULE DE BOIS
En me réveillant, je n'avais aucune idée d'où je me trouvais. Mes sens ont repris vie un à un. Mes yeux se sont accoutumés à l'obscurité, la main engourdie sur laquelle je m'étais endormie a grésillé, le temps que le sang circule. Ma bouche pâteuse s'est souvenue la première de tout ce que j'avais bu la veille. Ma tête n'a pas tardé à suivre. J'ai poussé un long gémissement, j'avais mal partout, dans le bas du dos et au niveau des épaules. J'étais déshydratée et frigorifiée. Point positif, j'avais dormi dans un lit douillet, et pas sur le tapis sur le salon, comme à ma fâcheuse habitude.
Cette pensée m'a terrifiée. Comment ça, j'avais dormi dans un lit ? Le lit de qui ? Je n'avais aucun souvenir de la fin de la soirée. Le dernier rapport datait de 3 heures du matin, on était partis à plusieurs en escapade au skatepark. Je me rappelais vaguement être grimpée sur le porte-bagages du vélo de Jean Morrisson à l'aller. Là-bas, je me remémorais aussi de m'être allongée par terre pour que Kärcher saute par-dessus moi. Sinon, rien, le noir complet. Je n'avais aucune idée de comment j'étais rentrée, ni de ce qu'il s'était passé depuis. Quand j'ai perçu un corps chaud dans le lit, la panique est grimpée en flèche. La silhouette était enroulée dans les couvertures, je me suis penchée dessus pour voir son visage.
─ Rah, a gémi la personne, tu m'écrases.
J'ai soufflé en me rallongeant. C'était Jennyfer. Elle s'est tournée vers moi dans un râle douloureux. Elle n'était pas en meilleur état que moi.
─ Il est quelle heure ? a-t-elle marmonné.
─ Chut... Pose pas des questions problématiques dès le matin.
Un sourire s'est dessiné sur son visage, elle gardait les yeux fermés. Pourquoi ou comment m'étais-je retrouvée dans son lit, le mystère était complet. La chambre de Jennyfer ressemblait à celle de Dylan, d'où ma panique première. Elle avait accrochée des planches fantaisies aux murs et prenait sa moquette pour son panier de linge sale. Une guirlande LED faisait la jointure entre les murs et le plafond. Avec la télécommande sur sa table de nuit, Jennyfer a éclairé la chambre d'une lumière rouge.
Jennyfer a vidé la moitié d'une bouteille d'eau, au pied de son lit, avant de me la proposer.
─ T'es une génie, ai-je marmonné.
À nous deux, on a terminé la bouteille. Chaque gorgée faisait palpiter les veines de mes tempes, le mal de crâne s'est accentué. Je n'avais pas bu depuis plus de six mois, j'avais perdu en endurance. Une époque, je me réveillais fraîche, prête à renquiller sur une petite bière.
─ Tu te souviens d'hier soir ? m'a demandé Jennyfer.
─ Pas du tout.
Son rire m'a laissé croire qu'elle, elle se souvenait de tout.
─ T'étais déchaînée. Tu veux voir des vidéos ?
Je n'ai même pas eu le temps d'accepter, Jennyfer a attrapé son téléphone et me l'a collé sous le nez. Soudain, j'ai fait face à mon alter-ego, une fille sûre d'elle et alcoolisée. Dark Gina dansait sur la table à tréteaux, seule au milieu du garage. Elle remuait ses hanches et ses fesses avec sensualité, j'ai repoussé le téléphone pour ne pas en voir plus.
─ Attends ! Attends ! a insisté Jennyfer.
Elle m'a forcé à regarder la suite. Dylan est apparu à l'écran, une liasse de billets de Monopoly dans la main. Quand il s'est mis à les faire voler dans ma direction, je me suis cachée les yeux, rouge de honte.
─ C'est pas fini !
─ Par pitié, ne me dis pas que j'ai twerké.
Dark Gina a twerké, je me suis réfugiée sous les couvertures. À mes côtés, Jennyfer explosait de rire, repassant la vidéo encore et encore. Désormais, je savais la raison de mon black-out. Mon cerveau était assez malin pour me faire oublier mes frasques embarrassantes. Malheureusement, la technologie déjouait ses plans.
Jennyfer a soulevé la couette, j'étais mortifiée dessous.
─ J'ai fait autre chose ? ai-je demandé, craintive.
─ Tu as couru à poil dans la rue et un voisin a appelé les flics.
─ Non ?
La boule dans ma gorge a manqué de m'étouffer. Jennyfer a ri.
─ Mais non ! T'en fais pas, t'as rien fait d'autre de compromettant. Par contre, t'es tombée au skatepark, tu vas peut-être avoir mal au genou en te levant.
J'ai plié mes deux genoux, le gauche me lancinait quelque peu, mais rien d'alarmant. Le nombre de gamelles causées par des beuveries avait renforcé la résistance de mon corps. Je me suis rallongée, molle. Un pique-vert frappait toujours contre mon crâne. Jennyfer a baissé les yeux sur moi, sous les lumières rouges, son sourire était d'autant plus rayonnant.
─ T'es grave bon délire, Gina. On s'est trop amusés hier soir. Surtout avec Eddy, quand on l'a trouvé dans la machine à laver, tu t'en souviens ?
Au moment de partir au skatepark, Kärcher était porté disparu. L'ensemble des convives a été mobilisé pour le retrouver, car selon Jennyfer, il avait une propension à s'endormir à des endroits incongrus. Une fois, ils l'avaient retrouvé sur le toit, endormi et trempé à cause de la pluie. Les recherches s'éternisaient, Kärcher n'était nulle part et avec un gramme d'alcool dans le sang, personne n'était au meilleur de sa lucidité. Quand Jennyfer et moi avions entendu un bang dans le garage, on avait fouillé les lieux. Kärcher roupillait dans l'immense tambour, son corps longiligne replié sur lui-même. Je ne vous explique pas le fou-rire. Ni Jennyfer, ni moi ne faisions de bruit tellement on s'écroulait. J'en pleurais. Entre deux souffles, elle a articulé : « Gina, j'vais me faire pipi dessus », j'étais perdue, assise au sol. « Gina, je me fais pipi dessus, je me fais pipi dessus ! » Merde, c'est vrai que c'était une bonne soirée.
À ce souvenir, d'autres ont refait surface. Jennyfer et moi nous sommes lancées dans un rapport de la veille. On avait fait boire Jean Morrisson et on lui avait fait croire que la meuf de la Vie Scolaire en pinçait pour lui. On avait retourné le matelas de Dylan en cachette, on avait enfermé un autre gars dans les toilettes. Jennyfer et moi avions enchaîné les conneries. Le mal de crâne et la gueule de bois en valaient le coup.
Nos rires ont percé à travers les murs, de gros coups ont résonné dans la pièce d'à-côté. Une minute ou deux après, la porte de la chambre de Jennyfer grinçait. Dylan, enroulé dans sa couette, s'est avancé à petits pas avant de basculer la tête la première sur le lit.
─ Bah alors ? s'est moquée Jennyfer. T'as mal aux cheveux ?
─ Ta gueule.
─ Ouh, avons chantonné Jennyfer et moi en chœur.
─ Il est grincheux, ai-je ajouté.
─ En même temps, avec deux dindes dans la chambre d'à-côté...
Je lui tapoté le dessus du crâne, comme un chien, pour le brosser dans le sens du poil.
─ Ça va aller, Dylan.
Un grognement d'animal est sorti des couvertures. J'ai retiré ma main en vitesse, de peur qu'il ne morde. Dylan a demandé :
─ On va au skatepark ?
─ Tout doux, a rétorqué Jennyfer, on vient de se réveiller.
─ Il est 14 heures, si on n'y va pas tout de suite, les grands vont piquer notre spot. Kärcher est déjà là-bas.
─ OK... Laisse moi prendre une douche.
─ Tu viens avec nous Gina ? m'a invitée Dylan.
J'ai gémi, je n'avais pas envie de me coltiner une après-midi dans le froid et le bruit. À cet instant, j'avais envie de me pelotonner dans mon lit et de regarder des anime. D'une manière paradoxale, l'idée de passer l'après-midi avec ces gus me plaisait aussi. Ils étaient drôles, me suivaient dans mes farces stupides et ne se prenaient pas la tête. Tout à fait mon style de potes. Mais... ma fainéantise a eu raison de moi.
─ Non, ai-je refusé. Je vais rentrer.
─ Allez ! a insisté Dylan comme un enfant en train de faire un caprice. S'teu plaît.
─ Viens, a ajouté Jennyfer. Tu vas voir, les sessions de skate les lendemains de soirées, ce sont les meilleurs.
Enchantée, Gina, 18 ans et aucune volonté. La moindre pression fait voler en éclat toutes mes résolutions. J'ai accepté. Dylan, toujours face contre lit, a levé une main molle, Jennyfer a tapé dedans.
**
On est partis de la maison sans avoir déjeuner. En revanche, sur la route, on s'est arrêtés à l'épicerie et on a fait une razzia de boissons énergisantes. Dylan et Jennyfer se sont enfilés une cannette chacun sur le chemin. Un samedi au skatepark était pire qu'un mercredi. Kärcher avait réussi à garder le spot. Il était déjà en sueur quand on est arrivés. Dylan lui a lancé une cannette, il en a sifflé la moitié d'une seule gorgée. Moi, je tenais fermement ma bouteille d'eau contre ma poitrine.
Sans plus attendre, ils se sont mis à skater, comme si la veille n'avait jamais eu lieu, comme si la planche expiait leurs péchés. Incapable de bouger, je me suis assise en tailleur sur le béton, ma bouteille d'eau religieusement entre mes jambes. Le soleil tapait doucement, pour un mois de novembre, le temps était doux. J'étais à deux doigts de m'endormir sur place.
Dylan s'est accroupi face à moi :
─ Ça va ?
─ Impeccable, je me transforme lentement en pomme frite.
Il a ri à la manière de Dylan Mercier, c'est-à-dire en pouffant, un sourire au coin des lèvres. Ses traits sont soudain devenus graves.
─ Eh, est-ce qu'on peut parler d'hier soir ?
─ Est-ce qu'on... ai-je répété, interdite. Pourquoi qu'est-ce qu'il s'est passé hier soir ?
Par pitié, faîtes qu'il ne soit rien passé avec Dylan Mercier. Par pitié, faîtes qu'il ne se soit rien...
─ On était juste là-bas, a-t-il expliqué en désignant le bowl, et tu t'es mises à pleurer. Y avait pas moyen de t'approcher, ni moi, ni Jennyfer. T'arrêtais pas de crier sur tout le monde, tu disais qu'on était tous des cons de t'avoir fait boire et... je sais plus, t'as parlé d'une Théa, je crois. Oui, c'est ça, tu disais : « Théa va me tuer, elle va me détester. »
Je suis restée silencieuse, mon sang s'est glacé au prénom de ma petite amie. Dylan a continué, sérieux :
─ On s'inquiète juste pour toi. Tout va bien chez toi ? Genre avec tes parents ? Avec ta sœur ? Pourquoi tu penses que ta sœur va te tuer ?
─ Oh non ! Non ! Ma sœur ne s'appelle pas Théa, elle s'appelle Teresa.
Le bougre manquait de coucher avec elle et ne se rappelait même pas de son prénom.
─ Théa, c'est une pote que j'appelle tout le temps quand je suis bourrée. Elle en a trop marre, c'est tout. Ça va, t'en fais pas.
Au doute dans ses yeux, j'ai compris qu'il ne me croyait qu'à moitié. Néanmoins, Dylan n'a pas insisté.
─ D'acc. Si jamais t'as besoin de parler de quoi que ce soit, tu peux compter sur moi, tu sais. Ou sur Jenny, ou même sur Kärcher. Il parle pas beaucoup mais il a toujours une oreille pour ses potes.
J'ai acquiescé, touché du souci qu'il me portait. Plus j'apprenais à le connaître, plus Dylan m'apparaissait être un gars gentil. Pourquoi, ô pourquoi s'évertuait-il à être un connard avec les filles ? Il m'a tendu une main.
─ Skate ?
J'ai râlé. Il a insisté.
─ Allez, tu vas pas rester tout l'après-midi à bercer cette bouteille d'eau comme si c'était ton gosse.
─ Et pourquoi pas ?
Dylan a agité ses doigts, hermétique à mes supplications. Dans un soupir, j'ai attrapé sa main, il m'a relevée, ma bouteille d'eau est restée au sol.
J'ai skaté le reste de l'après-midi. Le vent dans la figure m'a remis d'aplomb. J'appréciais de plus en plus la liberté que me procurait la planche. Dès que je tombais, je voulais grimper de nouveau dessus. Dylan était un bon prof, il m'encourageait, corrigeait mes postures et avait la patience d'un ange. Mes pensées initiales à son égard s'évanouissaient au fond de mon esprit. Peut-être était-ce qu'il ne s'était rien passé avec lui, qu'il n'avait pas le pouvoir de me décevoir et me manipuler émotionnellement. Peut-être était-ce ce que ressentaient toutes les filles avant la chute. Il y avait bien une raison à son prétendu charme. J'ai crains de tomber à mon tour dans le piège Dylan Mercier. Je me suis rassurée : je ne lui lancerais jamais l'appât pour me blesser.
Après de longues heures à évacuer les résidus d'alcool et à fonctionner à la taurine, les estomacs de la bande ont enfin gargouillé. Le mien criait famine depuis plusieurs heures et chaque gorgée d'eau me rappelait à quel point il était vide. On a quitté le skatepark à la tombée du jour et on s'est réfugié dans le McDo d'à-côté. Jennyfer m'a payé mon menu. Dylan en a commandé deux, plus une boîte de vingt nuggets, à laquelle il ne fallait surtout pas toucher.
Le reste de la soirée s'est déroulé dans les rires et la bonne humeur. Je m'étais tellement amusée que je n'avais pas regardé mon téléphone de la journée. En sortant du fast-food, j'avais cinq appels manqués de ma mère. J'ai compris le message : « Rentre à la maison ». J'ai salué les autres et ai attendu le bus. Sur la route, je souriais bêtement à la vitre, j'avais hâte de raconter à Théa toutes les conneries que j'avais faites. J'imaginais déjà sa réaction, elle lèverait les yeux au ciel, dirait : « T'es pas possible, Gina. » mais rigolerait intérieurement.
En poussant la porte d'entrée, je suis tombée sur Teresa, en chemin pour sa chambre. Quand elle m'a vue, elle a ricané :
─ Oh putain, t'es tellement morte.
─ Hein ?
Je n'ai pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait. Ma mère, fulminante, les mains sur les hanches, une cuillère en bois dans la main, est apparue dans l'encadrement de la porte.
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